SONKO PERD…ET GAGNE
Même si sa candidature est invalidée et qu’il est derrière les barreaux, l’opposant reste un élément clef du jeu politique tout comme son principal adversaire, le président Macky Sall,
Fin du suspense sur la participation ou non de Ousmane Sonko à la prochaine élection présidentielle. Le leader du Pastef, présentement en prison, a vu sa candidature invalidée par le Conseil constitutionnel qui a publié la liste définitive des prétendants autorisés à se présenter à ce scrutin le 20 janvier. Cependant, même si sa candidature est invalidée et qu’il est derrière les barreaux, l’opposant reste un élément clef du jeu politique tout comme son principal adversaire, le président Macky Sall, qui a jeté son dévolu sur le Premier ministre Amadou Ba pour porter les couleurs de la majorité. Cela promet donc un duel de feu entre deux géants politiques, un duel qui devrait constituer l’aboutissement d’un long combat jamais vécu dans l’histoire du Sénégal.
Avec la publication de la liste définitive des candidats retenus pour la présidentielle du 25 février, le Conseil constitutionnel vient d’accomplir son tout dernier acte avant ce scrutin. Cette élection, très attendue des populations, va marquer l’aboutissement de tout un processus qui a démarré par les inscriptions sur les listes électorales. Depuis, plusieurs contestations ont été notées allant de la réduction de la période de l’inscription sur les listes électorales, en passant par le tirage au sort pour déterminer l’ordre de passage des candidats pour le contrôle de leurs parrainages, pour aboutir à une polémique sur les doublons, des électeurs déclarés inexistants dans le fichier par le logiciel du Conseil constitutionnel, parmi lesquels des candidats à la présidentielle, des clés falsifiées, des parrains de toute une région portés disparus etc. La liste est longue des dysfonctionnements relevés par les « recalés » du contrôle de parrainages. Après cette première phase effectuée au Conseil constitutionnel, en effet, des candidats, se disant injustement recalés, voire « spoliés », ont introduit des recours afin d’être rétablis dans ce qu’ils estiment être leurs droits.
Après la publication de la liste provisoire des 21 candidats qui ont passé avec succès l’étape des parrainages, des recours ont été introduits par certains de ces qualifiés contre d’autres qualifiés. Une sorte de délation entre candidats, quoi. Ont ainsi fait l’objet de recours le candidat du PDS, Karim Wade, et deux autres candidats parrainés par Pastef, en l’occurrence Bassirou Diomaye Faye et Cheikh Tidiane Dieye. Au premier, il était reproché de détenir une double nationalité, pour les deux autres, l’argument principal avancé pour s’opposer à leurs candidatures est leur appartenance à un parti dissous (en l’occurrence Pastef) ou leur investiture par des formations dont ils ne sont pas membres. Après avoir statué sur ces recours, le Conseil constitutionnel a finalement rendu son verdict définitif. Karim Wade, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, est définitivement écarté de cette élection alors que le recours introduit par le candidat de BBY, Amadou Ba, contre Bassirou Diomaye Faye et Cheikh Tidiane Dièye est jugé irrecevable. Des rejets qui donnent ainsi la possibilité au numéro 2 de Pastef ainsi qu’au chef de file de Sénégal bi ñu bëgg, de concourir à cette compétition électorale.
Durant toute la journée du samedi 20 janvier, dernier jour prévu pour la publication de la liste des candidats, les sorts de Bassirou Diomaye Faye et de Cheikh Tidiane Dieye ont le plus cristallisé l’attention des Sénégalais. Ce parce qu’ils considérés comme de potentiels candidats de substitution de Pastef au cas où Ousmane Sonko serait recalé. Finalement, le maire de Ziguinchor, malgré le énième et tout dernier recours introduit par ses avocats pour réclamer la révision de son cas, est lui aussi définitivement éliminé de la compétition. Il tout de même sauvé par le maintien de la candidature de ceux susceptibles de porter son « projet ». Un « projet » dont il a toujours soutenu qu’il est au-delà de sa propre personne, voire «un esprit». Voilà donc qu’après plusieurs années d’un combat acharné, le principal opposant au régime du président Macky Sall, lequel ne sera pas non plus de la partie, Ousmane Sonko, même incarcéré, quand même participer, même si c’est par candidats interposés, à la prochaine élection.
Sonko, résilient jusqu’au bout
Même si l’invalidation de sa candidature est définitivement actée depuis ce samedi, il n’en demeure pas moins que Ousmane Sonko a réussi à tenir tête au pouvoir jusqu’à l’ultime seconde du temps additionnel pour emprunter au vocabulaire footballistique. Dans ce duel mettant aux prises depuis 2016, année de sa radiation de la fonction publique, le leader du parti Pastef au président de la République, le premier ne s’est jamais avoué vaincu. Pas même lorsqu’il a été traité de « violeur », d’être un « rebelle » et durant ses nombreux allers-retours entre son domicile et le tribunal de Dakar ou encore son arrestation au mois de juillet dernier. Depuis, il séjourne en prison. Dès qu’il a été incarcéré, son parti politique est dissous et des actes criminels lui sont collés alors que son second, Bassirou Diomaye Faye, est arrêté quelques jours plus tard. Auparavant de nombreux responsables du Pastef dont des maires, membres du bureau national ainsi que des centaines d’autres personnes se réclamant de cette entité politique, sont également dans les liens de la détention. Mais malgré tout, le farouche opposant a fait preuve d’une résilience inouïe tout en maintenant sa radicalité et restant déterminé à faire partir les actuels tenants du pouvoir. D’où le fameux slogan de ses souteneurs «focus 2024». Une façon de démontrer leur engagement à ne pas tomber dans la diversion où les invitent leurs adversaires. Une preuve entre autres de se laisser divertir a été le refus d’Ousmane Sonko d’aller répondre au dialogue national qui a fini par se retourner contre certains membres de l’opposition qui avaient jugé nécessaire d’y participer.
Très attachés à leur chef, les partisans de Sonko forment un bloc très soudé et restent à l’écoute de leur leader pour appliquer à la lettre ses consignes. Ses dossiers judiciaires, quoique traités avec une étonnante célérité au point de nourrir des suspicions de vouloir en finir avec lui avant l’élection présidentielle, ne permettent pas de sceller définitivement son sort. Même chose concernant les attitudes très surprenantes et contestées des services de l’administration à savoir la DGE dans son refus de se soumettre aux décisions de justice demandant de remettre des fiches de parrainage au mandataire de Sonko. IL y a aussi le refus de la CDC (Caisse des dépôts et consignations) de remettre à son mandataire son attestation de dépôt de caution. Mais qu’à cela ne tienne, Ayib Daffé, c’est le nom de ce mandataire, muni de tous les documents et d’actes d’huissier prouvant que les pièces manquantes ne sont pas imputables à son candidat, est parvenu à déposer le dossier du leader de Pastef au du Conseil constitutionnel. A sa grande surprise, et selon ses dires, ledit dossier, contrairement aux dispositions du code électoral, a été ouvert à son insu et jugé incomplet. D’où l’invalidation de la candidature de Ousmane Sonko. Loin de se décourager, le célèbre avocat Me Ciré Clédor Ly a déposé un recours pour réclamer que le candidat dont il est mandataire et qui, d’après lui, remplit toutes les conditions requises pour être candidat soit remis dans ses droits. A partir de ce moment, le suspense pour la participation de Sonko à l’élection présidentielle était de nouveau entretenu jusqu’à ce que la liste définitive soit publiée ce samedi vers les coups de 22 heures. Autant dire qu’il aura fallu aller jusqu’au bout du bout du très long et plein de rebondissements combat entre le pouvoir et le maire de Ziguinchor pour que ce dernier soit définitivement écarté de la mère des élections.
Diomaye, Cheikh Tidiane Dieye, Habib Sy dans la course, Sonko toujours en vie..
Si la bataille opposant l’actuel régime à Ousmane Sonko avait comme principal enjeu l’élimination du leader de la prochaine élection présidentielle, on peut en déduire que le camp du président Macky Sall est sorti victorieux de ce bras de fer. Du moins provisoirement en en théorie. En effet, le nom de Ousmane Sonko ne figure pas parmi les vingt candidats retenus pour prendre part à cette compétition électorale. Mais tout de même, son absence de cette liste définitive, publiée par le Conseil constitutionnel, ne l’empêche pas d’être le faiseur de roi lors de ce scrutin. Pour les observateurs avertis qui suivent de très près l’évolution de l’actualité politique de ces dernières années, cette situation inédite dans notre pays ne constitue pas une surprise. De sa cellule où il croupit depuis le mois de juillet, le leader de Pastef a réussi à occuper l’actualité grâce à une stratégie de communication bien inspirée qui a permis à ses troupes d’entretenir la flamme de l’espoir.
Ainsi, dès le début du retrait des fiches de parrainage par les candidats, Ousmane Sonko a demandé à cinq responsables de son parti d’aller retirer des fiches en prévision de l’éventualité où il serait recalé. D’autres qui sont membres de la coalition Yewwi Askan Wi ont fait de même à titre individuel dont Habib Sy ou au nom de leur entité politique comme Cheikh Tidiane Dièye et Déthie Fall.
Dès lors, l’exinspecteur des impôts et domaines a verrouillé toutes possibilités de l’empêcher de désigner un candidat susceptible de porter son fameux « projet ». Après le refus de la DGE de lui remettre ses fiches de parrainage et au bout de plusieurs jours d’attente de ses militants, il leur a demandé de parrainer Bassirou Diomaye Faye pour ce qui est des citoyens et choisi Habib Sy pour bénéficier de celui des élus. Au finish, tous les quatre qui ont vu leurs candidatures validées malgré le recours introduit par le porte-drapeau du pouvoir, Amadou Ba, pour contester celles de Diomaye Faye et Cheikh Tidiane Dieye. De ce fait, Ousmane Sonko a réussi un coup digne d’un génie politique qui lui permet dorénavant de placer ses pions pour aller à l’assaut du pouvoir.
Toutefois, même s’il n’a pas encore donné de consigne de vote, tout porte à croire que Bassirou Diomaye Faye est le mieux placé pour porter le « projet ». Si un tel choix se confirme, il serait alors possible que aussi bien Habib Sy et Cheikh Tidiane Dieye se retirent pour ouvrir un boulevard au numéro 2 de Pastef et adhérer ainsi au choix de Ousmane Sonko. Lequel, contre vents et marées, sera l’absent le plus présent de cette campagne électorale qui s’annonce déjà palpitante alors que quelques jours nous séparent de son démarrage. Comme quoi, Ousmane Sonko, bien que isolé et écarté des joutes électorales, n’a perdu qu’une bataille, celle de sa participation directe à ce scrutin. Qu’en sera-t-il de la guerre elle-même ? Réponse le 25 février prochain.