FRANC CFA, LE GRAND DÉBAT
Alors que le franc CFA cristallise les débats, la campagne électorale est le théâtre d'un bras de fer monétaire entre réformistes et conservateurs. Du souverainisme assumé de Guy Marius Sagna aux mises en garde d'Amadou Bâ, chaque camp défend sa vision
La monnaie s’invite au cœur de la campagne électorale. Entre réformistes et conservateurs, les accusations et contre-accusations se multiplient.
Il y a quelques jours, le candidat Khalifa Ababacar Sall lançait les hostilités. En visite dans la Petite Côte à Mbour, l’ancien maire de Dakar prenait le prétexte du développement touristique pour donner son point de vue sur le franc CFA. Aux réformistes dont le plus en vue est le candidat Bassirou Diomaye Faye, il disait : ‘’Nous sommes à l’ère de la mondialisation et les pays sont appelés à s’ouvrir. Notre pays a une longue tradition d’accueil des touristes. Mais pour tirer profit de cette ouverture et du secteur touristique, il faut une monnaie forte. Si vous avez une monnaie de pacotille, vous aurez du mal à vivre de votre secteur touristique. Et pour avoir une monnaie forte, il faut des économies fortes, il faut être ensemble.’’
À en croire le candidat de Taxawu Sénégal, c’est impertinent d’envisager la mise en place d’une monnaie propre et donc la sortie de l’Union monétaire avec les pays de la sous-région. ‘’Nous sommes de ceux qui pensent qu’il faut renforcer l’UEMOA, renforcer l’intégration économique et monétaire, pour renforcer notre économie. Les pays qui ont les plus fortes monnaies, ce sont les unions monétaires ou les grands pays, même s’il y a quelques exceptions à cette règle. Pour une économie forte, il faut une monnaie forte’’, prévient Khalifa Sall qui semble répondre aux souverainistes, même s’il se garde de les nommer.
La réponse n’a d’ailleurs pas tardé. Et c’est le député Guy Marius Sagna, une des figures de la coalition DiomayePrésident, qui est monté au créneau, pour lui apporter la réplique.
D’abord, se défend le leader de Frapp/France dégage qui paraphrase Louis Gallois, ‘’le projet panafricain de Sonko, de Diomaye et de la coalition DiomayePrésident n'est pas d'affaiblir le Sénégal en faveur d'un ou d'autres pays, ni d'affaiblir les autres au service du Sénégal. Mais plutôt de renforcer, protéger tout le monde et assurer la prospérité et la souveraineté à l'Afrique entière’’.
Selon lui, DiomayePrésident est pour une monnaie qui soit l'instrument de politique économique au service du peuple sénégalais. ‘’Si d'autres pays sont prêts à sortir de l'exploitation monétaire pour ériger une monnaie au service de plusieurs peuples et pas de l'impérialisme, nous sommes preneurs’’, lance le panafricaniste.
L’enjeu, explique-t-il, c’est de mettre en place ‘’une monnaie qui ne facilite pas les importations et qui ne contribue donc pas à la forte mortalité de nos PME ; c’est de mettre en place une monnaie qui mettrait suffisamment de crédit à la disposition des paysans, des éleveurs, du patronat... ; une monnaie qui permet de lutter efficacement contre le chômage’’.
De l’avis du lieutenant de Sonko, le franc CFA est aux antipodes de tous ces objectifs.
Donnant l’exemple des Seychelles, Guy estime qu’il est erroné de penser qu’il faut être un grand pays pour pouvoir bâtir une monnaie propre. ‘’Après 64 ans d'indépendance’’, pense-t-il, les 14 pays de la zone franc (UEMOA et Cemac) qui comptent 200 millions d’habitants ne peuvent pas continuer de dire que ‘’sans le Trésor français, rien n'est possible’’. Guy Marius de s’interroger : ‘’Le candidat Khalifa ne défend-il pas le maintien de l'occupation monétaire de nos pays par la France ? Le candidat Khalifa ne défend-il pas ainsi les intérêts de la France et des entreprises du Cac 40 pour le maintien de l'UEMOA et de la colonisation monétaire de nos pays par la France contre le Sénégal et les Sénégalais ?’’
Hier, le candidat de Benno Bokk Yaakaar, Amadou Bâ, s’est aussi invité au débat. Ancien ministre de l’Économie et des Finances, ancien Premier ministre, il assimile se projet à presque de la folie. ‘’C’est comme un enfant qui joue à un jeu dangereux. Ce projet est simplement insensé et nous mènerait, à coup sûr, vers le gouffre’’, avertit le candidat de BBY. Qui ajoute : ‘’Cela signifie : si vous êtes commerçant, si vous voulez importer ou exporter des produits, ce serait la croix et la bannière. Les pays qui battent leur monnaie et qui ont des économies similaires aux nôtres, nous ne les envions pas.’’
La monnaie, selon lui, c’est très sérieux. Sans les nommer, il fait allusion aux frondeurs de la CEDEAO pour se justifier : ‘’Parmi les pays avec lesquels nous avons la même monnaie, certains ont des difficultés, ce qui ne les pousse pas pour autant à vouloir sortir de la monnaie commune. On ne joue pas avec la monnaie. Ce qu’ils prônent, ce n’est bien ni pour le pays ni pour la population. Si on leur donne le pays, ils vont nous mener droit vers le gouffre’’, insiste-t-il en promettant d’y revenir ultérieurement ‘’pour démontrer que ce qu’ils disent c’est un non-sens économique’’.
De l’avis du candidat de BBY, les gens le font ‘’soit par ignorance soit par incompétence’’, tient-il à répliquer, non sans donner l’exemple de l’Europe et du franc CFA. Pour lui, l’enjeu, c’est plutôt de bâtir une monnaie CEDEAO et le Sénégal est dans cette dynamique, mais les pays se heurtent à de nombreuses difficultés, compte tenu de la sensibilité de la question.
Défenseur invétéré de la souveraineté, Guy Marius Sagna revient à la charge pour clamer haut et fort : ‘’À partir d’avril 2024, plus de poisson d'avril et d'indépendance de toc. Souveraineté monétaire par force !’’
Selon le député, il y a en réalité deux camps : ‘’Le camp patriotique autour de la candidature de Diomaye choisi par Sonko et le camp de la servitude volontaire dont Amadou veut être le continuateur. Mon camp, le camp patriotique, sortira vainqueur de cette lutte’’, assène-t-il sans équivoque.
Inspecteur général d’État, ancien directeur général des Douanes, Boubacar Camara semble plutôt opter pour la voie médiane. Des différents candidats, il semble être celui qui a consacré le plus de colonnes à ce sujet de grande importance.
Revenant sur les lacunes du franc CFA, il estime que la monnaie garantie par la France pose ‘’un réel problème de souveraineté et d'exploitation économique que les dirigeants communautaires n'ont pas l'intention de bouleverser, malgré l'annonce bluffée de l'eco à Abuja et le sommet de Lomé du 28 mai 2021’’.
Toutefois, l’ancien DG des Douanes ne parle pas d’une monnaie locale. Il semble plutôt opter pour ‘’une révolution monétaire dans l’espace communautaire avec la matérialisation de l’annonce d’Abuja sur l’eco arrimée à plusieurs devises sans paternalisme’’. A défaut, il propose de ‘’challenger avec la monnaie commune au sein de la FAO (Fédération atlantique Ouest, qui sera constituée du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée et de la Guinée-Bissau)’’. Le candidat fait de grands développements sur le sujet.