ON CONTINUE DE CONSIDÉRER NOS PRÉSIDENTS COMME DES PROPRIÉTAIRES DU PAYS
Me Doudou Ndoye n’en finit pas de dénoncer l’arrêt des opérations foncières et domaniales. Il décortique ce dossier dans l’émission «Questions directes» d'iTv
Me Doudou Ndoye n’en finit pas de dénoncer l’arrêt des opérations foncières et domaniales. L’ancien président de la Commission nationale pour la réforme foncière (Cnrf) estime que cette décision du président de la République a des conséquences économique et juridique graves. Il décortique ce dossier dans l’émission «Questions directes» de iTv.
«Je suis un vieil inspecteur des impôts et domaines d’abord. Je suis de la formation 1970 de Clermont Ferrand et j’étais major de tous les Sénégalais qui étaient làbas. Je connais très bien la fiscalité du Sénégal et les questions domaniales et j’ai été professeur de droit aussi à l’Université, avocat pendant 50 ans. J’ai écrit peut être autant que tout le monde, sinon plus, sur le foncier du Sénégal. J’ai passé tout mon temps à dire ce qui ne va pas dans le foncier jusqu’à ce que Macky Sall, président de la République, en 2012, m’invite au Palais pour me confier le foncier. Alors, pendant trois mois, j’ai préparé tout un système pour arriver à rassembler 90 personnes compétentes. C’est moi-même qui ai écrit et de ma main tous les décrets, alors que je n’étais qu’un avocat dans un cabinet. La commission que j’ai créée sous son autorité a été installée officiellement et a commencé à travailler. J’ai fini par démissionner. Le foncier n’est pas une bombe au Sénégal. C’est parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’est le foncier».
«Un problème économique gravissime»
«Un journaliste d’une radio m’a contacté pour dire : ‘’Me Doudou Ndoye, nous venons d’apprendre que le Président de la République a ordonné la suspension de tous les travaux sur le littoral.’’ Je lui ai dit : ‘’Qu’est-ce que vous me racontez ?’’ Il le répète. Je lui ai dit qu’il en a l’autorité parce que c’est le président de la République. Mais il n’en a pas le droit. Je le maintiens. En travaillant, j’ai découvert une circulaire du Directeur général des impôts et domaines qui dit, en s’adressant à ses agents de l’administration fiscale et domaniale : ‘’Messieurs les fonctionnaires qui dépendent de moi, tout ce qui concerne des attributions de parcelles, il faut l’arrêter. Tout ce qui concerne des cessions de terrains que l’Etat doit faire et qu’il est en train de faire il ne faut pas le finir. Tout ce qui concerne les autorisations pour céder des parcelles, on arrête. Tout ce qui concerne les autorisations qu’on devait vous donner pour hypothéquer les terrains, des titres fonciers de l’Etat qu’ils vous ont donnés en bail et qu’on doit vous autoriser à hypothéquer, on les arrête. Toutes les études cadastrales au Sénégal sur les sols pour donner un Nicad, on ne le fait plus.’’ La conservation foncière, c’est là où c’est plus grave. Le bureau d’enregistrement qui doit récolter de l’argent pour l’Etat en enregistrant ne doit plus fonctionner. Ils ont fait une liste des lieux concernés. C’est un problème économique gravissime. Ce n’est pas l’Etat ni les usagers, mais un problème d’emploi. Personne ne travaille dans ce pays et on dit on va développer l’emploi. Tous les candidats à la présidence de la République avaient promis des emplois».
«C’est juridiquement dangereux»
Mais tous ces projets de toutes ces zones, à mon avis si c’était fait, c’est à peu près 100 mille emplois au moins. Déjà combien de personnes avaient commencé à préparer des dossiers ? Ensuite, c’est juridiquement dangereux. Quand le Directeur général des impôts et domaines dit dans sa circulaire aux conservateurs ne faites plus rien. Ils appartiennent tous au ministre des Finances. Mais pour ce qui concerne le travail de conservateur, il ne dépend de personne, mais de la loi. Et la loi 2011- 07 du 30 mars 2011 sur le droit de la propriétaire foncière est on ne peut plus clair. Aucun ministre ne peut lui donner une circulaire, a fortiori un directeur général. Les notaires savent que ce que je dis est vrai. Le conservateur n’a pas le droit, lorsqu’un acte a été régulièrement fait et qu’on vient le lui proposer aux fins de l’inscription foncière, de dire : ‘’j’ai des instructions de mon directeur général de ne pas le faire. Il sera condamné par la justice s’il y a un préjudice’’». Un pays ne peut progresser sans la loi. On corrige avec les lois, mais pas en les violant. En le faisant on fait pire. Personne, au Sénégal, n’a fait autant de critiques sur le foncier que moi. Jusqu’à sacrifier mon temps et mon cabinet pour faire une réforme et démissionner. Je fais partie de ceux qui se sont battus pendant deux ans au moins pour que les dernières lois du Président Macky Sall ne fassent pas autorité. Pour que le Conseil constitutionnel les annule. Pour que ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir puissent participer aux élections et les gagner».
«Sur le littoral, toute personne qui touche à une construction commet un délit»
«Le Président Diomaye a une bonne volonté. Mais ce n’est pas parce qu’on a une bonne volonté qu’on sait. Etre inspecteur des impôts et domaines ne veut pas dire qu’on a travaillé sur le foncier. Sur le littoral, entre le village et Ouakam et l’hôtel Terrou bi, on l’appelait le «Kakalam». A l’époque, ce n’était que des rochers. Il n’y avait pas de plage là-bas. Après la zone maritime, c’est la zone terrestre qui était titrée. Un titre foncier au nom de l’Etat qui donnait des baux. Des baux emphytéotiques où les gens construisaient des maisons. Parce qu’à l’époque le Sénégal n’était pas riche. Les fonctionnaires n’avaient pas de richesse. Les hommes d’affaires n’existaient presque pas. Toute personne qui avait une maison était heureuse. Maintenant, quand on s’enrichit un peu plus, on construit un immeuble. Donc, c’est sur un terrain qu’on a reçu légalement avec un titre foncier donné par l’Etat. Et puis on vous donne une autorisation de construire légalement. Quiconque touche votre construction commet un délit au sens du Code pénal sénégalais».
«Ils sont jeunes, il faut les aider»
«Le rôle de la gendarmerie, c’est de contribuer à assurer l’ordre public. Lorsque la police ou la gendarmerie voit une infraction, si c’est en flagrant délit d’infraction grave, elle peut vous arrêter, vous amener chez le procureur de la République, qui vous fait juger. Mais, il a été créé au Sénégal, une direction spéciale rattachée au ministère des Forces armées qu’on appelle Dscos (Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol). Mais on lui demande de recevoir les plaintes et dénonciations et de faire des enquêtes, conformément aux lois et règlements en vigueur et on lui dit que la direction peut être mise en mouvement sur ordre de Monsieur Le Président de la République, du ministre des Forces armées ou sur demande des autres ministères et administrations. En termes clairs, elle n’a pas le droit d’arrêter une construction de qui que ce soit. Je l’affirme, c’est ma thèse. L’arrêt des travaux est une atteinte à la propriété. Si tout est régulier dans les papiers, vous avez porté atteinte à la propriété de quelqu’un, vous avez porté atteinte à la Constitution du Sénégal. On continue de considérer nos présidents comme des propriétaires du pays. Récemment, j’ai vu ceux qui avaient participé aux Assises nationales réclamer l’application des conclusions. Il faut reconsidérer, remodeler les pouvoirs du président de la République. Le président est mon président, nous avons voté pour lui. Ils sont jeunes, nous devons les aider. Mais, aider son président, ce n’est pas faire comme ça. Tout le monde l’a fait avec Macky Sall jusqu’à ce qu’il saute. Je ne suis pas ce genre d’homme. Si je veux aider quelqu’un, je lui montre la voie. Notre rôle, c’est de montrer actuellement la voie au président de la République.