Potentialité en jachère
FILIERE OIGNON
Le marché local peine à absorber la production importante d’oignons. Cette situation favorisée par la concurrence de l’importation entraîne des moins values pour les producteurs.
Portée par une politique agricole ambitieuse, la filière oignon a fait un grand bond en avant. Elle fait partie des rares cultures qui ont permis au Sénégal d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. La filière a enregistré ces sept dernières années une croissance rapide, qui résulte de la politique de l’État pour la diversification et la promotion des produits agricoles locaux.
Les moyens matériels et les intrants mis à la disposition des producteurs au cours de ces années passées, ont donné des résultats satisfaisants. Selon le rapport de l’Arm 2007/2008 portant sur l’évaluation de la campagne de commercialisation de l’oignon, « cette filière a obtenu des résultats satisfaisants avec un taux de croissance en 2007 de l’ordre de 240% en volume de production et de 200% en termes de chiffre d’affaires ». Estimée à 40.000 tonnes en 2003, la production est passée en 2008 à 140.000 tonnes, ce qui représente un taux de croissance de l’ordre de 250% en valeur relative.
« Il est de même du chiffre d’affaires réalisé par les producteurs, celui-ci est porté à 15 milliards en 2008 contre 5 milliards en 2005 », renseignent les cahiers de l’alternance du Cesti N013 de janvier 2010. Cette dynamique progressive s’est maintenue pour atteindre 117.000 tonnes en 2010 avec un chiffre d’affaires de 22 milliards. Aussi, en 2011 la production a été portée à 235.000 tonnes dépassant, du coup, les besoins annuels du marché intérieur estimés entre 170.000 et 180.000 tonnes, soit une consommation de 15.000 tonnes par mois. Pour l’année en cours, la production est projetée à près de 250.000 tonnes en 2013 », d’après Arm.
Ces résultats satisfaisants ont orienté plusieurs horticulteurs vers cette filière porteuse. Ainsi, le sous-secteur oignon occupe près de 75 % de l’activité des horticulteurs du Sénégal. La Vallée du fleuve (au Nord) et la zone des Niayes (Potou), dans les régions de Louga, Thiès, Dakar, constituent les principales zones de production du pays. Toutefois, cet essor fulgurant est ralenti par quelques freins.
Une commercialisation chaotique
La filière oignon souffre d’une grande désorganisation de la commercialisation. Si la production de riz et de la tomate s’écoule bien sur le marché intérieur, l’oignon, quant à lui, traverse de sérieuses difficultés dues à l’importation. Cette année encore, les producteurs dénoncent une mévente pour les mêmes raisons. Pourtant, depuis la campagne 2003/2004, l’Etat procède régulièrement au contingentement de l’importation.
Pour cela, il fait prévaloir l’une des clauses de sauvegarde spéciale pour l’agriculture, définie dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Une disposition permettant aux gouvernements de « prendre des mesures d’urgence en cas d’effondrement des prix sur le marché mondial ou d’augmentation soudaine des importations, afin de protéger leurs marchés et leurs producteurs locaux ».
Selon les données officielles, en 2004, les restrictions ont fait passer les importations de 14.000 tonnes à 500 tonnes par mois, d’avril à août. A cause des règles de libre-échange de l’OMC dont le Sénégal est membre, cette mesure de contingentement est temporaire. Ce qui pousse le gouvernement à faire usage d’autres subterfuges pour bloquer les importations.
C’est le cas, par exemple, de « l’arrêt de délivrance des autorisations préalables et des procès-verbaux d’inspection par la Direction de la protection des végétaux (DPV) et de la déclaration d’importation par la Direction du commerce intérieur (DCI) ». Le refus de délivrance de ces deux documents est de nature à empêcher, de fait, toute importation. La mesure suspensive est reconduite depuis lors tous les ans, durant la période de commercialisation de l’oignon local. Cette la circulaire ministérielle annonce « la suspension provisoire des importations d’oignons, du 10 février au 31 août prochain ».
D’après, l’ancien ministre du Commerce, Amadou Niang, « entre 2008 et 2010, cette mesure a permis de réduire de 40 % les importations. Augmentant, du coup, les possibilités d’écoulement de la production locale ». Mais les producteurs, pour leur part, ne partagent pas le satisfécit du ministre. Car ils jugent insuffisante la directive, puisque le marché national est constamment inondé d’oignons importés.
« Les producteurs sont de plus en plus engloutis par les dettes contractées auprès des banques ou institutions financières de proximité, du fait qu’ils ne disposent plus de parts de marché rentables leur permettant de faire des bénéfices », dénonce Mamadou Ndiaye, coordonateur de l’Association des unions maraîchères des Niayes (Aumn), au cours d’un point presse tenu, le 9 avril à Thiès.
Toujours selon M. Ndiaye, « le non respect des prix de l’oignon qui ont été fixés entre 225 et 250 bord champs par l’Arm, à l’issue d’une concertation entre commerçants, producteurs et services techniques, est l’une des cause de la situation délétère ».
Afin de contourner les difficultés de commercialisation, les producteurs sont obligés de s’orienter vers les marchés hebdomadaires communément appelés Loumas. Une pratique qui entraîne souvent une distorsion des prix. Face à ces manquements, les centrales d’achat mises en place par les producteurs pour régulariser la vente, ne parviennent pas capitaliser la production. « Les centrales manquent parfois de bascules pour la pesée », se désole Ibrahima Sall, producteur d’oignon. Il ajoute que les Loumas offrent plus de flexibilité pour des producteurs qui ont des problèmes ponctuels à résoudre.
En 2011, le ministre du Commerce avait mis en place une interprofession de l’oignon, destinée à élargir les débouchés vers le marché extérieur. De ce fait, il a été convenu entre autorités et producteurs de prospecter les marchés africains proches du Sénégal, mais aussi vers l’Europe. D’ailleurs en 2011, un volume 250 tonnes d’oignon a été exporté vers le marché espagnol. Une quantité trop insuffisante par rapport à la production annuelle.
Autres blocages
A côté des contraintes liées à la commercialisation, les producteurs d’oignon pointent du doigt d’autres problèmes. Il s’agit principalement de la cherté des sacs vides et de la main-d’œuvre. Deux facteurs qui, selon eux, « augmentent considérablement les coûts de production ». Les sacs vides qui servent au conditionnement de l’oignon reviennent aux producteurs à 250F l’unité. Mais, la cherté de la main-d’œuvre pose plus de problèmes aux producteurs. Par exemple, explique Ibrahima Sall, « pour un producteur qui vend sa production bord-champ, il fait un bénéfice de 1400 f par sac, du fait de la cherté de la main-d’œuvre ».
En plus, les producteurs d’oignon ne bénéficient pas de crédit de la Caisse nationale de crédit agricole du Sénégal (CNCAS), ils s’orientent vers les mutuelles avec un taux d’intérêt atteignant 21%. D’autres, par contre, travaillent sur fonds propres. Devant la lenteur de l’acheminement de la production, certains producteurs réclament une meilleure organisation de la commercialisation.
D’autant qu’une partie de la récolte, à défaut de trouver preneurs, pourrit entre les mains des propriétaires, faute de magasins de stockage. A ce sujet, Ibrahima Sall demande à l’État « de faire preuve d’un plus grand interventionnisme afin de rendre plus rentable la filière, seul gage pour booster la production ».