IL Y A 27 ANS, MANDINA MANCAGNE !
Le 19 août 1997, l’armée perdait 33 soldats dans ce bastion des rebelles du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) situé non loin de la ville de Ziguinchor.
L’Armée nationale a connu des épisodes tragiques dans le conflit qui l’oppose aux rebelles « séparatistes » de la Casamance. L’embuscade de Mandina Mancagne restera sans doute l’une des plus meurtrières. Le 19 août 1997, l’armée perdait 33 soldats dans ce bastion des rebelles du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) situé non loin de la ville de Ziguinchor. Un drame de plus pour l’armée qui avait déjà perdu 25 hommes deux ans auparavant, plus précisément le 25 juillet 1995, dans les faubourgs de Babonda. Vingt-sept ans après, le courage et la détermination des soldats tombés au front ce jour-là demeurent profondément ancrés dans les mémoires.
Après le drame de Babonda, l’armée avait mis au point des stratégies pour détruire les nids de «« rebelles » qui encerclent la ville de Ziguinchor, où se trouvent les éléments d’Atika, la branche armée du MFDC. Le village de Mandina Mancagne, situé à 3 kilomètres de Ziguinchor, faisait partie à ce moment-là des bastions rebelles. C’est dans cette localité que les caciques du mouvement avaient trouvé refuge après la première marche pour revendiquer l’indépendance de leur région en décembre 1982. Mandina Mancagne est d’ailleurs le point focal d’où partent, en 1983, les manifestants armés de flèches et de lances.
Médina Mancagne, un fief du MFDC
Par sa position stratégique et sa configuration géographique, le MFDC a fait de ce village une redoute pour planifier ses opérations calquées sur le modèle de la guérilla. Mandina Mancagne a également servi de base pour mener la bataille des cœurs auprès des populations des villages éloignés des centres urbains, souvent sensibles aux causes de parenté. Sidi Badji et Salif Sadio ont étoffé le maquis en profitant de la soi-disant exclusion des populations du Sud. « L’injustice de la condition de la région, les micro-événements disparates, à plusieurs échelles, répressions comme anecdotes d’une désaffection teintée de mépris du Sud, raidissent les cœurs et sèment le poison du désir de vengeance. Le MFDC s’en fait le catalyseur. Il recrute dans le désœuvrement, la proximité ethnique. Il a une aile extérieure, des soutiens politiques, des zones de retraite ponctuelles », explique El Hadji Souleymane Gassama. Selon lui, ces facteurs ont joué un mauvais tour à l’Armée, militairement supérieure, mieux équipée mais désavantagée par les termes asymétriques de cette guerre et sa teneur civile. Face à cette situation, l’armée devait réagir. La tragédie de Babonda avait été le premier coup de semonce, deux ans auparavant. A la suite de cette embuscade, le mot d’ordre était clair : il fallait décapiter les tentacules du maquis, ce qui passait par la neutralisation systématique de Mandina Mancagne, un embryon du MFDC. Pour réussir cette mission, une unité d’élite est mise sur pied : le COSRI (commando des opérations spéciales, recherche et infiltration). Cependant, le rôle de cette force de combat demeure encore un mystère. Notre confrère Barka Ba, spécialiste des questions militaires, donne des éléments: « Ils avaient quitté leur base de Thiès où ils avaient été entraînés par les Américains, notamment avec des équipements dernier cri, comme des lunettes de vision nocturne. C’était surtout le général Wane, ancien aide de camp de Diouf [président Abdou], alors patron des services de renseignement, qui voulait en faire un coup d’éclat en anéantissant la base de Mandina Mancagne avant d’aller à la table des négociations.
Une embuscade meurtrière
Il fut alors décidé de détruire les forces rebelles par une offensive éclair, tout en évitant les pertes civiles. L’aube pointait à peine lorsque les vaillants soldats sénégalais de l’unité d’élite COSRI s’aventurèrent dans le village de Mandina Mancagne pour traquer les hordes rebelles qui déstabilisaient une partie de la verte région de Casamance. Dans cette bourgade enclavée, les anacardiers rivalisaient de hauteur. Le panorama, parsemé de craquelures, était dominé par de grandes rizières et une végétation luxuriante. Un véritable paradis pour les bêtes de somme. Hélas, dans ce village si paradisiaque et enclavé, s’étaient réfugiés des rebelles aguerris. En cette matinée du 19 août, l’atmosphère était lourde. La brume, rythmée par la fraîcheur matinale, étouffait presque les sons.
Les soldats marchaient en colonne vers le village, scrutant les bois pour anticiper une éventuelle attaque surprise, une tactique très prisée par les rebelles. Ils savaient qu’ils étaient en territoire ennemi, où la moindre erreur pouvait leur coûter la vie. Le village était étrangement silencieux. Pas un souffle de vent. Seuls des paysans étaient là, en train de labourer leurs champs de riz.
Soudain, un cri alerta le peloton avant d’être brusquement interrompu par des rafales de balles. Les soldats se jetèrent à terre. Les balles jaillirent de toutes parts. C’était la confusion totale. La colonne venait de tomber dans une embuscade méticuleusement planifiée par les rebelles. Les assaillants, connaissant le moindre recoin du terrain, s’étaient minutieusement préparés avant l’arrivée des soldats. Cachés dans les buissons et les hautes herbes, ils avaient laissé les soldats s’engouffrer dans la brèche qu’ils avaient ouverte à l’entrée de Mandina Mancagne avant d’ouvrir le feu sur eux. Les soldats comprirent alors qu’ils devaient sortir de ce cercle de feu avant qu’il ne soit trop tard. Les hommes manœuvraient au milieu du chaos, maisles hordes rebelles, venant de toutes parts, accentuaient la pression. Les rafales de tirs provenaient de toutes directions, ponctuelles et exterminatrices. Chaque mètre gagné semblait coûter une vie. Les soldats voyaient leurs camarades tomber, leurs vies s’éteignant dans un dernier souffle. Malgré la situation difficile, les « Jambaar » maintinrent leur calme avec courage et détermination. Ils se livrèrent à un corps à corps d’une intensité redoutable. « Lors de ce fameux accrochage entre rebelles et militaires, les tireurs arrosaient systématiquement les arbres de balles pour voir s’il n’y avait pas de rebelles ou de militaires qui s’y cachaient. Aujourd’hui encore, les impacts de balles restent visibles sur de nombreux arbres. Des balles tombent encore des écorces de certains arbres. En d’autres termes, les arbres se cicatrisent », expliquait en 2017 Jules Dominique Mancabou, un conseiller du village.
Dans cette configuration des combats, l’appui aérien était quasi impossible. Les avions de combat Rallye Guerrier, le cauchemar des rebelles, ne pouvaient rien faire. Un bombardement aurait causé un carnage parmi les « Jambaar ». De 6 h du matin à 20 h, les soldats ripostaient tant bien que mal, refusant de céder un pouce de terrain aux gredins indépendantistes. « C’était un spectacle tragique. Il y avait des explosions d’obus et des crépitements d’armes toute la journée, jusqu’à la nuit, avec des frappes à l’arme lourde », déclarait le journaliste Ibrahima Gassama, l’un des rares reporters à avoir couvert cet événement.
Des interrogations qui persistent
Après 14 heures de combat acharné, ce qui sembla une éternité, l’armée parvint à se dégager du piège mortel. Le silence retomba tranquillement dans ce village paradisiaque. Les assaillants avaient fui, laissant derrière eux plusieurs morts. Les pertes furent également lourdes du côté de nos vaillants soldats : 33 Jambaar perdirent la vie. « Le capitaine Camara mourut héroïquement à la tête de ses hommes ; son chef, je ne sais par quel miracle, avait pu échapper avec le médecin. Le COSRI laissa sur ce champ de bataille trente-trois morts parmi les trente-six militaires engagés ainsi que tout son matériel américain de pointe avec des GPS et des moyens radio ultramodernes », révèle le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw dans son ouvrage intitulé Pour l’honneur de la gendarmerie sénégalaise : le sens d’un engagement. Au lendemain de cette tragédie, c’était la tristesse et la consternation. Les interrogations fusaient de partout : « Que s’était-il passé à Mandina Mancagne ? ». La grande muette restera fidèle à sa réputation de taciturne. « Mais en arrière-plan de cette tragédie demeure un mystère irrésolu : y a-t-il eu une guerre de positionnement des chefs de l’armée, une guerre des services ? », s’interroge El Hadji Souleymane Gassama dit Elgas, journaliste et sociologue. Cependant, selon le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw dans son ouvrage sur la gendarmerie, c’est à cause de la manipulation des renseignements et d’une mauvaise appréciation de la situation que 33 soldats sénégalais ont trouvé la mort à Mandina Mancagne. Aujourd’hui encore, le mystère demeure..
Après les combats meurtriers qui se sont déroulés à Mandina Mancagne il y a 27 ans, le village tente aujourd’hui d’oublier ce douloureux souvenir qui ternit son image. La tragédie du 19 août 1997 a quasiment freiné l’économie de cette bourgade melting-pot de la Casamance, qui regorge pourtant de potentialités avec ses rizières, ses vergers et ses nombreux arbres fruitiers. Pour renforcer la cohésion et la paix entre les communautés, la localité s’est dotée d’un cadre de dialogue réunissant toutes les ethnies de tous les quartiers pour tourner la page, selon le chef du village. « Nous organisons des rencontres autour du curé et de l’imam pour appeler au dialogue et à la réconciliation. Pendant 12 ans, notre village a été rayé de la carte. C’est en 2005 que les gens ont commencé à revenir au bercail. Et nous sommes toujours hantés par cette tragédie », confiait-il. Les événements de Mandina Mancagne resteront un douloureux souvenir pour l’armée. Malmenés, les Jambaar ne s’avouent jamais vaincus en ce qui concerne la souveraineté nationale. Au milieu des craquements, les soldats ont lutté comme des héros. Vers la mort inéluctable, ils se sont battus bravement comme des lions. Jërëjëf Jambaar !