LES FEMMES DÉFIENT LES PRÉJUGÉS SOCIAUX
Là où la tradition voulait les voir confinées aux tâches ménagères, elles ont choisi la liberté des vagues. Sur les côtes dakaroises, une nouvelle génération de Sénégalaises écrit son histoire sur l'écume de l'Atlantique
Au Sénégal, la place de la femme est très souvent circonscrite dans le foyer. De ce fait leur pratique de sport est mal vue. Sur les plages dakaroises, de jeunes filles ont réussi à imprimer leurs marques dans le surf. A travers leur persévérance, elles sont devenues des modèles de réussite.
Sur les flots mouvants de la plage de la BECEAO à Yoff, un quartier de pêcheur de Dakar, à côté des Sénégalais qui viennent prendre de l’air ou profiter de la brise marine, d’autres pratiquent le sport. Les disciplines sont nombreuses ; mais l’une d’elles sort du lot : le surf. Sur les planches, de jeunes gens défient les vagues, sautent et même se perdent aux milieux de la déferlante bleue. Le surf, une discipline pas très connue au Sénégal, s’est développé sur cette plage où les écoles de formation se sont multipliées. Malika surf camp, Surf Atlantique, Black surf girl ou encore Kaay surf, entre autres cadre de formation, offrent leurs services aux amoureux de ce sport pratiqué en mer. Bravant les sérotypes qui les relèguent aux travaux domestiques, à la maternité et non à la pratique du sport, de jeunes filles s’affirment et occupent désormais une place de choix dans la pratique du surf au Sénégal.
A 18 ans et avec seulement trois (03) ans d’expérience, Déguène Thioune a décroché le titre de Championne du Sénégal en 2022 et 2023 et celui de Vice-championne d’Afrique dans la catégorie junior, parallèlement à son cursus scolaire. Cette année, elle a déjà remporté la première étape de l’Africa Tour, au Liberia. Et pourtant sa pratique du surf, ne relève que du pur hasard. «Un jour, ma petite sœur et moi devions aller faire du rugby. Elle était en retard. Quand elle est passée par la plage de la BCEAO, elle m’a dit : «j’ai vu des personnes qui dansaient sur des planches». Je lui ai demandé de me les montrer. Par la suite, en compagnie de mon coach de rugby, je me suis rapprochée d’eux. Je me suis inscrite plus tard à Malika Surf camp, une école formation gérée par Martha Imarisio, une italienne d’origine, et son mari sénégalais, Aziz Kane, depuis 2010».
Déguéne Thioune, la reine de l’océan
Victime de l’avancée de la mer, Déguéne et sa famille ont quitté Thiaroye Sur Mer, en pleine banlieue dakaroise, en 2017, pour se réinstaller à Yoff, où elle a vu pour la première fois des surfeurs. C’était en 2021. Rien, à ses débuts, ne la prédestinait à une telle carrière, à part la persévérance. «Quand je commençais, j’étais la plus nulle du groupe. Les autres arrivaient à se mettre debout sur une planche ; ce que je ne parvenais pas à faire. Mais, après une semaine, je me suis adaptée», raconte-t-elle. Elle essuyait des moqueries. «Avant, on me traitait de ‘’garçon’’, à cause des entrainements», se souvient-elle avec humour.
Des attaques et autres remarques désobligeantes sur sa passion, elle n’en a cure. Celle qui rêve d’être Tatiana Weston-Webb, une surfeuse professionnelle américano-brésilienne, n’a qu’une seule envie : «Représenter le Sénégal dans les compétitions internationales et même devenir championne du monde».
Déguene surfe sur des vagues de 2, 3 à 5m, une performance. «Déguène Thioune est la référence dans le surf actuellement», dit Oumar Séye, président de la Conférassions africaine de surf et un des pionniers du surf au Sénégal. Déguene Thioune est un challengeur. «Souvent, on nous limite à la cuisine et aux travaux domestiques. Je combats ces stéréotypes et milite pour que les femmes aient la liberté de faire toute sorte de sports». «Son point fort est une mentalité qui accepte les défis. Ce n’est pas une personne qui fuit les difficultés. C’est une faculté de progresser vite dans le sport. Si tu aimes ce que tu fais, tu as envie d’aller un peu plus loin», témoigne Martha Imarisio, son coach à Malika Surf Camp.
Le surf féminin, de l’interdit à la relève sociale
Parmi les surfeurs qui font la fierté sénégalaise figure aussi Khadija Sambe, pionnière du surf féminin au Sénégal. «Au début, mes parents s’opposaient à mon sport. Il n’y avait pas de femmes surfeurs au Sénégal. Je portais des habits traditionnels que j’enlevais une fois à la plage», raconte-t-elle. Actuellement, elle fait la fierté de ses proches. Khadija Sambe est formateur en surf. Avec son école Black Girls Surf Sénégal, elle forme de jeunes sénégalaises ayant des difficultés scolaires au surf et à l’apprentissage du français.
Le surf féminin est toujours entouré de préjugés, reconnait le président de la Confédération africaine de surf, vice-président de la Fédération sénégalaise. «Le surf féminin a toujours été mis de côté en Afrique». Cependant, la tendance est en train d’être renversée. «Quand je suis arrivé, je me suis dit que, fille comme garçon, on peut tous réussir. Les filles et les garçons sont conscients que c’est possible de réussir en Afrique, grâce au surf. Ce n’est pas que d’aller d’eau l’eau pour réussir. On peut être moniteur, monitrice, professeur, encadreur, sauveteur», souligne cette icône du surf sénégalais. En Afrique, Oumar Séye, président de la confédération, a mis en place African Woman surfing, «pour propulser les femmes». Dans le milieu du surf sénégalais, la place des femmes ne se discute plus. Les programmes de formation incluent toujours les deux sexes et, au large, le respect prime. «Même au niveau de la société, on sent de moins en moins de blocages de la part des parents pour laisser leur fille surfer», analyse Marta Imarisio. Mieux, ajoute-t-elle, «Il y a de l’intérêt chez les filles et moins de blocages».
Aly Diagne est professeur de surf à Yoff. Pour les lui, «les parents maintenant sont conscients que le sport, c’est un facteur du développement.» Sur la côte dakaroise, le surf, autrefois réservé aux étrangers, attirent de plus en plus les Sénégalais. Les natifs des zones côtières habitués à la nage, prennent plaisir à défier les vagues. Sport et divertissement, le surf est un gagne-pain pour de nombreux jeunes. En attestent les écoles de formation qui se multiplient le long de la côte. Les femmes, reléguées aux travaux domestiques, sont entrain de briser ces préjugés et affirment leur place dans cette discipline.