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Les temps ont-ils changé ? Les leçons de la défaite infligée par le peuple sénégalais au président Abdoulaye Wade ont-elles été tirées ?
Toujours est-il que Maître Abdoulaye Wade, ancien président de la République, presque deux ans jour pour jour, revient sur ses pas, la voix haute, invoquant une légitimité populaire dont il n’a pas défini les fondements, s’érigeant en porte-parole des sans voix, des couches que le nouveau régime aurait brimées, à qui celui-ci aurait retiré des avantages qu’il leur aurait ou avait, en personne, gracieusement, offerts.
Les chefs de village ont perdu les véhicules qu’il leur avait donnés, d’ailleurs Maître Wade regrette qu’ils n’aient pas porté plainte. Aux étudiants, il est ému de constater la perte de leurs bourses et aides. Aux chefs religieux musulmans à qui il consacre le premier moment de son discours, il oublie la diversité religieuse sénégalaise, en particulier, il ne réserve aucune attention à la communauté chrétienne.
Il donne l’impression d’avoir oublié qu’une partie des raisons de sa défaite électorale est liée aux dépenses somptuaires insoutenables et dont certaines ont été prises à la veille de ces élections décisives de 2012.
Le Sénégal, n’avait aucunement les moyens de soutenir des programmes du type un chef de village-une voiture et ses priorités de développement économique et social, étaient ailleurs. L’atteinte de la sécurité alimentaire n’était-elle pas plus urgente ?
Lorsque les amphithéâtres sont bondés jusqu’à déborder, que les salles de travaux-pratiques n’ont plus d’équipements jusqu’à entraîner l’abandon des travaux pratiques et d’ateliers dans beaucoup de filières scientifiques, techniques et professionnelles, qu’il manque des salles de classe et d’enseignants et que les bibliothèques ne renouvellent plus les livres et collections, donner des bourses et des aides à tous les étudiants relève plus d’une volonté d’entretenir une clientèle électorale, à moins que ce ne soit le moyen subtil de retenir une partie des jeunes pour les empêcher de revendiquer un emploi.
Il n’est pas possible d’imaginer que le président Abdoulaye Wade soit amnésique au point d’oublier les milliers de mains de jeunes chômeurs qu’il demandait de lever à chaque étape de sa campagne électorale.
Ce sont ces jeunes déçus par ces promesses non tenues, d’emplois faciles et abondants, qui ont perdu leur vie dans les centaines de pirogues entre les côtes sénégalaises et canariennes. Personne ne peut occulter que c’est sous le régime du président Abdoulaye Wade que la jeunesse urbaine, scolarisée et estudiantine, a exprimé son mécontentement à travers des manifestations de plus en plus violentes, les grèves des apprenants comme des enseignants, les fuites suicidaires vers l’étranger et enfin ces suicides à répétition qui ont atteint une ampleur inédite dans l’histoire de notre pays.
Ce furent des indicateurs d’un désarroi profond et de détresses matérielles et morales insuffisamment pris en charge par les pouvoirs publics.
Ainsi, la négation des valeurs cardinales de notre personnalité et de la singularité sénégalaise ont-elles atteint un tel niveau qu’on pouvait craindre pour l’avenir de notre pays. Heureusement que la maturité du peuple sénégalais, conjuguée aux prières de nos Saints ont permis une issue pacifique à ces élections de 2012.
Sans doute, une des qualités du genre humain est l’oubli, mais il est difficile de penser que l’ancien président de la République ait oublié les réformes anticonstitutionnelles et antidémocratiques qu’il tenta de faire adopter par notre Assemblée nationale, n’eut été la réaction prompte, forte, dissuasive du peuple sénégalais attaché aux valeurs démocratiques, de justice et d’équité, nous auraient conduits à la monarchie.
Il est douloureux de voir le Vieux président, dans ses habits neufs de démocrate vierge, asséner, de manière péremptoire, sa profession de foi de démocrate et répéter « je ne marcherais pas sur des cadavres pour aller au Palais ». Il faudrait d’ailleurs se demander si ce n’était pas un nouveau rêve exprimé à haute voix devant une foule inespérée.
Toujours est-il qu’il est impossible de faire passer en pertes et profits du régime de Maître Abdoulaye Wade, Balla Gaye et Mamadou Diop, pour ne citer que ces étudiants morts à la fleur de l’âge sans savoir ce qui leur était arrivé.
Le président Abdoulaye Wade a préparé sa visite au Sénégal à travers une opération de communication machiavélique, qu’il faut reconnaître brillante. Il a jeté des leurres à l’image des chasseurs qui foncent sur leurs proies en tentant de semer leurs ennemis.
Que faudrait-il comprendre des quatre leurres que Maître Abdoulaye Wade a jetés ? Karim sera au second tour avec le président Macky Sall en 2017! Le Vieux président assène, affirme que s’il demandait aux populations de marcher sur le Palais, elles le feraient! Il dit même qu’il ne vient pas pour opérer un coup d’Etat ! Enfin que retenir de l’image de l’Ayatollah Khomeiny qu’il a exhibée ?
Au crépuscule de sa vie, que je lui souhaite longue, le vieux président, habitué à « clignoter à gauche pour tourner à droite », semble engager le dernier Grand combat de sa vie. Un combat difficile, un combat dont il ne dévoilera les termes qu’au dernier moment, lorsqu’il aura préparé ses troupes et qu’il aura suffisamment enrôlé de jeunes prêts à lui obéir au doigt et à l’œil.
Le puzzle que le Maître a déployé fait froid au dos, chaque mot a des sens multiples: le Palais renvoie au Palais présidentiel, au Palais de justice ou bien à la Prison de Rebeus, cet autre « palais » qui abrite le « prince », si cher à ses yeux.
La proximité des élections locales est trompeuse, loin de venir, comme il paraît, soutenir le Pds pour gagner les élections locales, le président Wade effectue, comme il l’affirme une visite politique. Il a l’ambition de renverser le rapport de force dans l’opinion sur la question de la « traque des biens mal acquis ».
Culpabiliser le pouvoir, transformer les présumés accusés en victimes d’un régime autoritaire, vindicatif et inhumain, constitueront le fil conducteur d’une argumentation qu’il commence à dévoiler.
Le Vieux président, en politicien aguerri comprend l’importance de l’opinion publique au Sénégal, il usera des faiblesses sentimentales des Sénégalais, il sait qu’ils compatissent toujours avec les victimes d’injustice, fussent-ils les plus grands malfrats.
Ne soyez pas surpris de voir étaler, sur la place publique, toute sorte de stratagèmes pour convaincre le Sénégalais, l’homme du peuple, le citoyen peu averti. Car, en définitive, le président Abdoulaye Wade, a un double, il souffrirait si cette partie de lui qu’il destinait aux plus hautes fonctions du pays, qu’il considérait avec un sentiment maternel comme le meilleur et le plus compétent des Sénégalais, restait en prison.
Le libérer sera sa victoire finale, peu lui importe le Prix. Il nous appartient de faire respecter le verdict du peuple en toute légitimité. Le Sénégal a eu une chance inouïe d’avoir vu vivre, après avoir quitté le pouvoir, trois présidents de la République.
Les deux premiers Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf sont des exemples d’éthique et de grandeur. Le président Abdoulaye Wade est le seul à revenir sur ses pas, à replonger dans la politique partisane et à défier son successeur.
Si la valeur n’attend point le nombre d’années, la sagesse quant à elle ne semble pas être l’apanage de notre vieux président. Est-ce trop tard pour se demander s’il pourra enfin vraiment grandir ?