MOUSTAPHA CISSÉ LÔ
Les esprits retors avaient vu venir. Les va-t-en-guerre se demandaient, peut-être à juste titre, pourquoi les Sénégalais ne lui ont pas fait la peau depuis longtemps. Tellement le bonhomme passait pour être un empêcheur de tourner en rond dans un pays où le fameux masla fait, malheureusement, pousser des ailes à n’importe qui.
Toutes choses qui font que le malheur arrivé au député et deuxième vice-président de l’Assemblée nationale est, comme qui dirait, la rançon naturelle d’un provocateur à tout crin. Bref, tous les observateurs avertis sont d’avis que l’expédition punitive de vendredi, chez Moustapha Cissé Lô, semblait inscrite dans l’ordre naturel des choses.
Mais, pourquoi et comment en est-on arrivé à ce qui ressemble, à s’y méprendre, à l’entame d’une escalade aux conséquences incalculables ? La raison est d’une simplicité à la fois banale et déroutante : Touba traîne la réputation de ne pas se laisser marcher sur les pieds et de régler ses problèmes sans attendre personne. Pour dire le moins, Moustapha Cissé Lô paiera, au prix fort, son crime de lèse-majesté. Un délit qui a consisté à «avoir le toupet» de proférer des menaces à l’endroit d’un descendant du fondateur de la confrérie mouride et de la ville sainte de Touba, en l’occurrence Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké.
Vu sous cet angle, il n’y a, à dire vrai, rien de nouveau sous le chaud soleil d’un Sénégal dont l’attention est tournée vers un scrutin local à forts relents de référendum pour l’élection présidentielle de 2017. En effet, celui qu’on surnomme prosaïquement «El Pistolero»- du fait de sa propension à dégainer, tel Lucky Luke, plus vite que son ombre -, avait fini par devenir un point de fixation pour nombre de nos compatriotes qui n’arrêtaient pas, à juste titre, de se poser une question capitale : qui protège Cissé Lô ?
Une interrogation d’autant plus pertinente que le nouveau régime, dont le sieur Lô est un des piliers, a placé son règne sous le signe de la fin de l’impunité.
Toutefois, nos compatriotes ont longtemps pensé, jusqu’à ce jour fatidique de 20 juin de l’an de grâce 2014, que Moustapha Cissé Lô ne sera jamais inquiété du fait de ses agissements aux antipodes de la morale, de la culture et de la bienséance. D’aucuns se rappellent les injures qu’il avait proférées, et dont la toile bruit encore des échos dévastateurs, à l’endroit du chef de l’Etat et non moins patron de la mouvance présidentielle.
D’autres diront au lendemain de la défaite d’Abdoulaye Wade qui avait, pour rappel, exclu Moustapha Cissé Lô et Mbaye Ndiaye de l’Assemblée nationale pour «délit de proximité» avec Macky Sall qui vivait ses derniers moments au perchoir.
D’ailleurs, au seuil de la deuxième alternance, qui avait vu la coalition Benno Bokk Yakaar arriver au pouvoir, avec en bandoulière comme cri de guerre la «gouvernance sobre et vertueuse», Moustapha Cissé Lô a été de ceux qui, les premiers, ont fait douter les Sénégalais sur la capacité réelle du tombeur de l’ogre libéral, qui aura régné pendant douze ans sur notre pays, à opérer les ruptures qu’il avaient promises à un peuple qui ne voulait plus jamais vivre les affres que lui ont fait subir Me Abdoulaye Wade sous son magistère qui fut marquée pour beaucoup d’observateurs, de bout en bout, par des scandales impunis.
En effet, comme à son habitude, celui qui aura réussi, après moult conciliabules, à parader à la deuxième vice-présidence de l’Assemblée nationale, avait dénoncé ouvertement la volonté du nouveau président de la République de porter son allié de taille, arrivé troisième à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle du 25 février 2012, à la tête du Parlement. Ce qui plaçait, de fait, le Secrétaire général de l’Alliance des forces de progrès (Afp), Moustapha Niasse, à la station stratégique et non moins névralgique de dauphin constitutionnel.
Que n’a-t-on pas alors entendu, à cette époque, de la part d’un homme qui, à force de semer du vent à tout bout de champs, a fini, hélas, par récolter une tempête de feu ? Enfin, serait-on, sans doute, tenté de dire. C’est, malheureusement, ce qui arrive dans un pays quand l’Etat refuse de dire le Droit.