VIDEOPOUR OU CONTRE LE RENFLOUEMENT DU "JOOLA" ?
LES POSITIONS DIVERGENT À PROPOS DE CETTE DEMANDE DES CERTAINES FAMILLES DE VICTIMES
Une question embarrassante qui, douze ans après le naufrage, demeure une préoccupation et une exigence majeure des familles des victimes. C’est comme si les fantômes du Joola continuaient de hanter le sommeil des Sénégalais et des autorités, car de sérieuses interrogations demeurent. Pourquoi doit-on renflouer ce bateau ? Ou plutôt, doit- on laisser l’épave qui gît à 22 mètres, au fond de l’océan ? A ces questions, des avis différents, et même souvent, divergent selon les interpellés.
PATRICE AUVREY, RESCAPÉ
Patrice Auvrey est un rescapé du bateau. Il est également auteur du livre Souviens-toi du Joola. Pour lui, l’Etat du Sénégal devait renflouer le bateau depuis longtemps. Le gouvernement de Wade à l’époque avait promis de le sortir afin d’en faire un musée, un lieu de recueillement, mais surtout d’identifier les morts et sortir le reste des objets pour les remettre aux familles ou les exposer dans un musée.
Mais Patrice souligne que Wade n’était pas sincère, car il n’a jamais posé d’acte concret pour le renflouement du Joola. Et c’est ce qui explique d’ailleurs tout le mystère autour du bateau, comme la disparition du commandant de bord.
"Si 12 ans après, on décide de renflouer le bateau, qu’est-ce qu’on va en faire, un mausolée ? Non ! C’est un tas de ferraille qui va rouiller", affirme, écœuré, le rescapé.
NASSARDINE AÏDARA, PRÉSIDENT DU COMITÉ POUR L’ÉRECTION D’UN MUSÉE
"On ne peut pas laisser nos parents à la merci des explorateurs", déplore le président du Comité pour l’érection d’un musée Le Joola. Il assure que ledit comité a toujours milité pour le renflouement du bateau.
A l’époque, le président leur avait exigé trois conditions pour faire sortir le bateau des eaux. D’abord l’accord des familles, ensuite que cela soit techniquement possible et enfin un financement.
"En compagnie des familles des victimes européennes, nous avions trouvé un financement de l’Union européenne, estimé à près de 3 milliards de francs Cfa. D’ailleurs, Louis Michel, député de l’Union européenne en son temps, avait fait le déplacement à Dakar pour avoir l’aval du Président Wade."
Mais la politique de ce dernier concernant cette l’affaire laisse à désirer, car il ne voulait plus entendre parler du bateau, selon Aïdara. "Aujourd’hui, j’éprouve comme tant d’autres une grande haine, en constatant que nos parents et amis reposent toujours dans les eaux. D’autres bateaux et même des avions ont été renfloués après des crashs. Donc, au nom de quoi et pourquoi doit-on laisser le bateau dans les eaux", s’indigne-t-il.
AHMED MAKHTAR KANTÉ, ISLAMOLOGUE
L’islam ne s’oppose pas au renflouement du bateau. C’est l’avis de l’imam de la mosquée du Point E. Pour l’éminent islamologue Ahmed Makhtar Kanté, s’il est possible de sortir le bateau des eaux, la religion islamique ne s’y oppose pas.
Mais l’imam précise : "Il n’y a aucune prescription islamique qui rend obligatoire le renflouement du bateau. Car même un martyr décédé dans un champ de bataille est enseveli directement avec ses habits et sans prière mortuaire."
Prétexte pour lui d’indiquer que ce qui est important du point de vue islamique, c’est l’âme du défunt, pas son corps. Il notifie par ailleurs que ce renflouement pourrait coûter une fortune à un Etat comme celui du Sénégal, classé dans le rang des pays pauvres très endettés.
D’où l’intérêt, pour lui, de s’interroger sur l’importance du bateau une fois renfloué. Si c’est pour des raisons symboliques, dit-il, ce bateau pourrait servir de témoignage et de mémoire, mais n’aura aucune valeur spirituelle d’un point de vue islamique.
JOSEPH TOURÉ, ABBÉ
"L’Eglise, de tout temps, s’est préoccupée du bien-être de l’homme dans sa totalité", explique le prêtre.
"Si le renflouement du bateau peut servir à ériger un monument de recueillement en l’honneur des disparus pour permettre aux cœurs de sortir du deuil, nous sommes d’accord. Par contre, l’Eglise est contre l’exhumation des ossements des victimes.
Autrement dit, le renflouement du bateau peut permettre aux parents d’avoir des sites pour pouvoir prier et vivifier la mémoire des disparus. Car l’Eglise croit en la résurrection des corps, donc de la chair. Voilà pourquoi, nous rendons toujours des obsèques bien méritées à nos chers parents disparus."
HAÏDAR EL ALY, DIRECTEUR D’OCÉANIUM DE DAKAR
"Ça fait plus de 5 ou 6 ans que je n’ai pas plongé dans ce site. Et logiquement, le bateau doit continuer le chemin de sa vie, c’est-à-dire qu’il est dans une zone où il y a beaucoup de courants, de houle et d’oxygène. Et ça veut dire aussi que le bateau continue à se disloquer. Donc bien sûr, il est possible de sortir des morceaux, des blocs de cette épave qui dans le processus normal de sa vie continue à s’enterrer.
Techniquement, je ne peux pas attester que le renflouement est possible. Car ça fait longtemps que je n’ai pas vu l’état du bateau, mais logiquement, je peux dire oui. J’ai toujours dit et je répète que mon père, ma mère et mon fils ne sont pas dans le bateau. Nous, on ne peut qu’aider techniquement les familles des victimes et le gouvernement.
Maintenant, eux qui ont ce désir de sortir les corps de leurs parents, les restes des ossements et les effets personnels, parce qu’il y en a encore qui sont peut-être dans un état de délabrement avancé, je suis pour le renflouement du bateau pour accompagner."
TIDIANE KASSÉ, JOURNALISTE
Le journaliste Tidiane Kassé est favorable au renflouement. Pour diverses raisons, le directeur de publication de Waa Sports estime nécessaire de sortir le bateau des eaux, dans la mesure du possible. Il explique :
"Si les conditions techniques, matérielles et financières le permettent, il faut renflouer le bateau pour trois raisons. D’abord, pour les familles des victimes. Quand on a perdu un être cher, on a toujours besoin de faire son deuil et d’avoir un lieu de mémoire. Les disparus, non pas les morts, mais ceux dont on n’a pas retrouvé les corps, laissent un vide qui devient une obsession.
Donc, renflouer ce bateau peut permettre aux familles des victimes de pouvoir faire partir leurs morts en paix. Même si on ne retrouve pas les corps, être en contact avec leur dernier lieu de présence sur terre peut être d’une intense communion et d’un fort soulagement. J’imagine qu’il y en a qui savaient dans quelle cabine leurs enfants, leurs femmes, leur mari, etc., dormaient. Cela peut être douloureux de se retrouver là, mais je pense que cela peut être utile.
La deuxième raison est que dans ce genre d’accident, l’épave constitue toujours un élément qui peut permettre aux enquêteurs d’avancer dans la recherche des causes. Elles ont pu être établies, mais il y a sans doute des mystères que ce naufrage cache. Ils gisent peut- être au fond de la mer.
En dernier lieu, avoir des éléments de la structure du bateau pour en faire un mémorial au port de Dakar et au port de Ziguinchor peut nous donner la possibilité de porter plus intensément ce drame en nous. Il faut plus que des pierres et une plaque pour que le drame du Joola nous dise tout ce qu’il doit nous dire."
ALY KHOUDIA DIAW, SOCIOLOGUE
Le sociologue Aly Khoudia Diaw pense que le renflouement du bateau sera une très grande erreur. Il indique que d’abord, on ne parle plus actuellement de bateau, mais plutôt d’épave. Ensuite, ce renflouement exige beaucoup de moyens du point de vue financier.
Du point de vue psychosocial, on risque d’assister à des scènes d’hystérie collective de la part des personnes qui ont perdu des êtres chers durant le naufrage. La vue de l’épave risque de provoquer un choc traumatique pouvant créer des hallucinations visuelles et des dépressions. Parce que l’ensemble des débris de l’épave sera toujours associé à la mémoire des disparus.
Pis, l’Etat risque d’avoir des problèmes pour conserver l’épave. Sinon, le lieu où on stock l’épave risque d’être considéré comme un lieu de pèlerinage à la mémoire des disparus. Néanmoins, le renflouement peut permettre aux familles de faire définitivement le deuil.