GUINÉE, ENFIN DES LÉGISLATIVES
Voilà deux ans que l’opposition guinéenne lutte pour contraindre le président de la République, Alpha Condé, à organiser des élections législatives et sortir le pays de sa gouvernance autocratique. Elle a payé le prix fort de sa détermination car la rue aura eu raison du teigneux président élu en décembre 2010 et arc-bouté au pouvoir au prix d’une répression violente. Ces émeutes, rien que ces derniers mois, auront causé la mort, selon des sources variables, d’entre 12 et 40 personnes.
Aujourd’hui, c’est donc contraint et forcé que le Président guinéen a accepté de sortir de la gouvernance d’exception, car sans Assemblée nationale, pour rétablir la légalité républicaine et démocratique. Il a, au terme de cinq jours de discussions avec le collectif de l’opposition, lâché du lest en prenant à son compte les principales revendications de ses adversaires. Comme ceux-ci l’exigeaient, les élections législatives n’auront pas lieu le 30 juin.
La Commission Electorale Nationale Indépendante a maintenant la latitude de fixer une nouvelle date. Mais en attendant, elle devra tenir compte du vote des Guinéens de l’étranger — autre doléance de l’opposition —, de la refonte du fichier électoral, mais surtout de l’impartialité de la société sud-africaine Waymark-Sabary, maintenue dans ses fonctions en dépit des récriminations des opposants.
Qui plus est, des experts indépendants mandatés par le PUND, l’Union Européenne, les représentants diplomatiques américains, la CEDEAO et l’ONU auront pignon sur rue pour vérifier la validité des procédures et la sincérité du scrutin. Les fameux CARLE, Commission Administrative de Recensement des votes des Electeurs reprendront également du service, avec toutes les garanties d’indépendance comme le réclamait l’opposition. Les accords entre le pouvoir et l’opposition guinéens ont donc été signés lundi à la faveur de la médiation du négociateur international de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, M. Said Djinnit. Le diplomate onusien aura obtenu en quelques jours ce que le pouvoir et l’opposition n’ont pu avoir en deux ans et demi de conflit sanglant.
L’opposition guinéenne en a également profité pour arracher dix autres concessions politiques qu’on peut ainsi résumer : contraindre la mouvance présidentielle à donner des garanties sûres pour l’ouverture d’enquêtes sérieuses sur les émeutes de ces deux dernières années, indemniser des victimes des manifestations et s’assurer que les auteurs de ces actes inqualifiables soient punis avec une extrême sévérité, ou encore obtenir la neutralité absolue de l’administration dans l’organisation des élections. En contrepartie, elle cédé sur la demande de départ de l’opérateur de saisie sud-africain dont elle contestait la neutralité.
On sait ce que peut valoir l’acquiescement de Alpha Condé pressé d’en finir avec une opposition qu’il jugeait « molle » mais qui, au bout du compte, aura montré par sa détermination, sa force morale et ses capacités de mobilisation qu’il n’en était rien. Le président guinéen ne semble pas en effet briller par ses propensions à respecter ses engagements. L’opposition guinéenne en a souvent fait les frais. Les promesses présidentielles durent le temps d’une rose et apportent rarement les fruits espérés. Cette rupture de confiance a provoqué une radicalisation extrême, brutale, parfois démesurée de l’opposition. Ce qui a conduit dans les rues de Conakry comme à l’intérieur du pays à des violences politiques persistantes dans un climat de crise économique et sociale et aigue.
Garantie internationale
La garantie internationale qui couvre ces accords est suffisamment forte et crédible, pour faire espérer que la Guinée a évité le pire. Et surtout qu’elle entrera dans une ère apaisée de son expérience démocratique. Pour l’heure, seul le Bloc Libéral de Faya MIllimimo, un petit parti, n’a pas trouvé son compte dans ces accords. Car les poids lourds de l’opposition guinéenne, à l’image de Cellou Dalein Diallo, en sont partie prenante. L’ensemble des acteurs politiques et issus de la société civile avaient, il est vrai, répondu présents ce lundi au Palais du Peuple de Conakry à l’invitation du facilitateur onusien Saïd Djinnit.
L’opposition dite républicaine était représentée par Cellou Dalein Diallo de l’UFDG, Lansana Kouyaté du PEDN, Sidya Touré de l’UFR et Aboubacar Sylla de l’UFC. Du côté de la mouvance présidentielle, on notait entre autres la présence de Dr Saliou Bella du parti AFIA, de Hadja Nanténin Chérif. Le Premier ministre Mohamed Saïd Fofana et quelques membres du gouvernement étaient également de la partie.
Si l’optimisme est de rigueur dans la capitale guinéenne, les attentions resteront braquées cependant sur le nouveau chronogramme que proposera la CENI pour l’organisation de nouvelles élections. L’opposition guinéenne semble opter pour des délais raisonnables, et se donner le temps de se remobiliser autour d’objectifs politiques en abandonnant la rue. Elle compte ainsi, tout en gardant l’œil vigilant sur le processus, requinquer ses troupes et imposer pourquoi pas au pouvoir une forme de cohabitation institutionnelle qui limitera considérablement les pouvoirs du Pr Alpha Condé tenté par le totalitarisme.
Ira-t-elle en rangs dispersés ou compte-t-elle sur une coalition déjà si hétéroclite pour prendre possession à la fois de l’Assemblée nationale et d’une partie du pouvoir exécutif, le vainqueur des élections devant forcément diriger le gouvernement ? Mais l’histoire politique récente a montré que la greffe aura beaucoup de mal à tenir entre les grands leaders de la coalition de l’opposition, dont le principal dénominateur est l’engagement contre le pouvoir.
RPG en danger
Le pouvoir du président Alpha Condé joue gros dans ces élections législatives à venir. La refonte du fichier électoral ne fait pas partie de ses atouts essentiels. En effet, il comporte trop d’incertitudes pour favoriser la victoire de son parti, le RPG, aussi aisément qu’il aurait pu l’imaginer si le boycott de l’opposition était effectif. Les élections présidentielles de 2010 ont été entachées d’irrégularités, souvent à la défaveur de l’opposant Cellou Dalleïn Diallo, vainqueur du premier tour, avant d’être miraculeusement battu quelques mois plus tard par le Président actuel. De grands quartiers de Conakry et du pays peul n’ont pas vu leurs votes pris en compte.
Or le redémarrage des CARLE va changer les données parce que le recensement sera, du moins l’espère-t-on, plus juste. De plus, le vote des Guinéens de l’étranger souvent favorable à Cellou Diallo, pourra peser lourd dans la balance au moment des décomptes, pour un scrutin encore incertain, et ce malgré cette belle éclaircie dans le ciel guinéen que constitue l’accord conclu entre le pouvoir et l’opposition.