NIGERIA : SIX SEMAINES CRUCIALES POUR LA DÉMOCRATIE AVANT LES ELECTIONS GÉNÉRALES
Lagos, 14 fév 2015 (AFP) - Le report de six semaines des élections générales au Nigeria, qui auraient dû se tenir ce samedi, officiellement pour en finir avec Boko Haram, suscite un vaste débat, certains analystes jugeant qu'il en va de l'avenir de la démocratie dans le pays.
"Les six prochaines semaines seront émaillées de luttes difficiles pour protéger la démocratie durement acquise par le Nigeria", le pays plus peuplé d'Afrique avec 173 millions d'habitants, estime Nnamdi Obasi, chercheur du groupe de réflexion International Crisis Group.
Le Nigeria devait organiser ce samedi une présidentielle, des législatives et des sénatoriales, qui ont été repoussées au 28 mars. Les élections des gouverneurs et des Assemblées des Etats, initialement fixées au 28 février, ont été également décalées, au 11 avril.
La Commission électorale nationale indépendante a annoncé ce report seulement sept jours avant les scrutins, auxquelles 69 millions de Nigérians sont appelés à voter. La raison officielle est l'indisponibilité des forces de défense pour sécuriser le vote, car elles mobilisées contre le groupe islamiste armé Boko Haram.
Depuis 2009, l'insurrection islamiste dans le nord-est du pays, et sa répression brutale par les forces de sécurité, ont fait plus de 13.000 morts et 1,5 million de déplacés au Nigeria.
L'armée nigériane a régulièrement été critiquée pour son inefficacité contre le groupe islamiste, qui a multiplié les attaques ces dernières semaines dans le pays et contre les pays frontaliers (Cameroun, Niger et Tchad), et qui a brièvement envahi samedi matin Gombe, capitale de l'Etat du même nom dans le nord-est, en menaçant de s'en prendre à ceux qui iraient voter.
Le président Goodluck Jonathan, candidat à sa succession, a demandé l'aide des Américains contre Boko Haram dans un entretien vendredi au Wall Street Journal. Avant même ces derniers développements, beaucoup au Nigeria se montraient sceptiques sur les chances réelles d'un succès en six semaines face à Boko Haram.
Depuis plusieurs jours, les autorités fédérales s'emploient à rassurer, fondant beaucoup d'espoirs sur la coalition régionale anti-Boko Haram: le Nigeria, le Tchad, le Niger, le Cameroun et le Bénin se sont accordés le 7 février pour mobiliser 8.700 hommes dans une force militaire régionale contre le groupe.
Le Tchad est passé à l'offensive depuis le 3 février, et ses troupes ont violemment affronté les islamistes sur le sol nigérian. Le Cameroun combat également Boko Haram, qui multiplie les incursions sur son territoire.
"En dépit des récentes interventions des forces tchadiennes et camerounaises, Boko Haram a prouvé sa capacité continue à semer le trouble", affirme cependant Nnamdi Obasi, d'ICG, soulignant que le déploiement de la force régionale n'était pas encore effectif.
- "Discours de haine" -
En cas d'échec, les autorités demanderaient-elles un nouveau report du scrutin?, s'interrogent beaucoup de Nigérians, jugeant les délais peu réalistes et exposant le pays à la menace de troubles politiques. En 2011, les violences électorales ont fait près de mille morts au Nigeria.
Le nouveau calendrier électoral arrêté sera respecté, a assuré plusieurs fois cette semaine le président Jonathan, qualifiant de "sacro-sainte" la date du 29 mai, dernier jour de mandat actuel selon les délais constitutionnels.
Les opposants ont soupçonné la commission électorale d'avoir cédé sous pression du pouvoir, en quête de temps pour relancer la campagne de M. Jonathan, 57 ans, qui selon de nombreux analystes, perd du terrain face à son principal opposant, l'ex-général Muhammadu Buhari, 72 ans.
L'avocat Festus Keyamo, basé à Lagos, met en garde contre un nouveau report des scrutins - en dépit des promesses officielles - ce qui pourrait faire dégénérer la situation. Les violences "pourraient inciter les militaires à prendre le pouvoir et tronquer le système démocratique actuel" né il y 16 ans, à la fin des dictatures militaires.
La société d'évaluation des risques Verisk Maplecroft évoque également des risques de troubles politiques, menaçant d'attiser les tensions dans le pays où des critères religieux ou ethniques structurent souvent le vote.
Dans un rapport publié vendredi, la Commission nationale des droits de l'Homme a dénoncé "des discours de haine" durant la campagne, indiquant avoir recensé 58 morts dans des violences pré-électorales dans 22 Etats depuis décembre et mettant en garde contre l'escalade.
"Si des mesures urgentes ne sont pas prises pour empêcher une nouvelle escalade, il y aura un risque élevé de violences graves lors des élections générales", a averti la Commission.