LA REVALORISATION DES CULTURES DES TERROIRS PERMET DE CONSERVER NOTRE PATRIMOINE
Mbagnick Ndiaye, ministre de la culture et de la communication
Le ministre de la Culture et de la Communication tire un bilan satisfaisant de la huitième édition du Festival national des arts et cultures (Fesnac). Pour Mbagnick Ndiaye, la revalorisation des cultures des terroirs permettra de conserver notre patrimoine. Dans cet entretien, il aborde aussi la place de la culture dans le développement économique et social, le financement des projets des acteurs culturels, la protection sociale des artistes, mais également le vote du Code de la presse et le financement des médias de service public.
Monsieur le ministre, le Festival national des arts et cultures (Fesnac) vient de s'achever. Quel bilan peut-on tirer de l'édition de cette année ?
Le chef de l'Etat, en décidant de relancer le Fesnac, a vu juste parce que cette manifestation principale de l'agenda culturel du pays n'a pas été organisée depuis plusieurs années. Donc, relancer ce festival était un défi que toutes les régions ont relevé de par leur participation.
Tous les acteurs culturels ont salué le fait que cette activité ait redémarré. A Kaolack, nous avons été accueillis par le gouverneur de la région et tous les élus dont le maire, Mariama Sarr, et le président du Conseil départemental, Baba Ndiaye.
Nous avons passé trois jours d'intenses activités au cours desquelles il y a eu une cérémonie d'ouverture extraordinaire avec le défilé de toutes les régions du Sénégal pour montrer les différentes facettes de leurs activités. A cela, s'ajoute le colloque qui a regroupé des sommités de la région et des autres parties du pays. Il y a eu la belle intervention du recteur de l'Université du Sine-Saloum et d'éminentes personnalités du monde des arts et des amis venus de la sous-région.
Il en est de même aussi pour les partenaires financiers et les Organisations non gouvernementales (Ong) qui interviennent dans le secteur de la culture. La géniale idée de la « Jaatiguiya » a permis à tous les quartiers d'accueil de Kaolack de vivre au rythme de l'événement.
Je crois que le fait que la région de Kolda et de Louga rivalisent déjà pour organiser la prochaine édition et le fait que Kaolack ait souhaité que ce festival soit pérennisé dans la ville prouvent nettement que la relance était nécessaire.
« Diversité culturelle et économie des terroirs, quel rôle pour la jeunesse ? » a été choisi comme le thème de cette année. Aujourd'hui, quel doit être l'apport des collectivités dans le rayonnement de la diversité culturelle ?
Quand on visite les différents terroirs, le constat qui s'impose est qu'il y a plusieurs aspects culturels qui peuvent être mis à profit pour booster le développement local. Si l'on prend le patrimoine matériel, tout un circuit touristique local peut se faire autour de ce patrimoine. C'est également le cas des projets dans tous les secteurs ; que ce soit dans le secteur de la musique, de la danse, du théâtre, la lecture, nous pouvons véritablement essayer de mettre à profit les valeurs culturelles des terroirs pour élaborer des projets de développement, des projets bancables.
Cela, pour permettre à la culture de participer au développement local. C’est ainsi que je lance un appel aux différents élus afin que la culture, qui est une compétence transférée, soit prise en considération dans le cadre de l'élaboration de leurs plans locaux de développement. Mais également dans le cadre de l'élaboration de leur budget.
Pour cela, il faut qu'il y ait des infrastructures culturelles au niveau de la base...
Les infrastructures culturelles doivent accompagner tout ce programme. C'est ce que « Cœur de ville » a fait à Kaolack en ayant un théâtre de verdure à l'air libre. A ce propos, c'est l'occasion de rendre hommage à Serigne Mboup.
La réalisation des infrastructures culturelles est possible à travers des visions. Si les élus locaux considèrent la culture comme vecteur de développement, ils peuvent l'accompagner par la réalisation des infrastructures culturelles. Ensuite, l'Etat pourra accompagner, car il ne peut pas tout faire.
Est-ce qu'on peut dire que l'émergence de la diversité culturelle partira des terroirs ?
Je pense que revaloriser la culture des terroirs, faire en sorte qu'à ce niveau toutes la diversité culturelle soit mise en exergue, nous permettra à la fois de conserver notre patrimoine. Ce sera aussi une façon de montrer à la face du monde qu'au Sénégal, cette diversité tant chantée par l’Unesco, à travers la convention sur la diversité culturelle, est une réalité. Dans nos territoires, nous pouvons développer cette diversité qui fait le charme de la nation sénégalaise.
Votre prédécesseur avait mis l'accent sur la promotion de la diversité des expressions artistiques et culturelles. Où en êtes-vous ?
L’action gouvernementale est quelque chose qui continue. Je pense que la diversité culturelle doit être permanente au niveau de toute la trame d'actions que nous menons.
Dans le secteur, il se pose un véritable problème de financement des projets des acteurs culturels. Sur ce point, qu'est-ce qui est fait par le ministère de la Culture ?
Lorsque nous avons fait le diagnostic de la situation, nous avons constaté qu'au niveau du ministère, les gens n'élaborent pas des projets de développement. Or, cette idée très ancrée dans la mentalité des uns et des autres, consistant à demander des subventions, ne peuvent plus prospérer. Il faudrait que nous arrivions à faire en sorte que les acteurs culturels puissent être des porteurs de projets fiables. C'est tout le sens des interventions des différents partenaires financiers lors du colloque...
Il faut organiser des manifestations qui génèrent des emplois et des revenus. C'est d'ailleurs toute la pertinence de l’intervention des organisateurs des festivals de Sédhiou, Ségou, Louga. A l'époque, nous avions discuté avec la Banque nationale de développement économique (Bnde) pour voir concrètement ce que cette banque peut apporter comme fonds de garantie, de soutien au financement des différents projets que nous sommes en train d'élaborer.
Une loi sur le mécénat est en gestation. Qu'est-ce que le privé national peut faire aujourd’hui pour accompagner le financement des projets des acteurs culturels ?
La loi sur le mécénat n'est pas encore votée. Elle est en train d’être examinée. Quand je suis arrivé au ministère, j'ai essayé de relancer un certain nombre de secteurs. La loi sur le mécénat est une chose extrêmement importante. J’en ai plusieurs fois discuté avec le ministre du Budget, Birima Mangara. Nous sommes en train de revisiter le texte que nous allons soumettre sous peu au gouvernement.
D'une manière générale, si nous voulons développer le volet de la culture, il faudrait que nous arrivions à changer de vision, de démarche et de stratégie. Les acteurs culturels et le gouvernement devront aussi changer la perception qu'ils ont de la culture. La culture est perçue comme une activité de divertissement et non une activité de développement économique et sociale.
Je donne toujours l'exemple de Youssou Ndour qui a pris conscience qu'il peut faire quelque chose. Il faut lui rendre hommage, il s'est battu jusqu'à créer une véritable industrie culturelle qui emploie près de 400 personnes. La culture doit être au centre de la promotion.
Vous-êtes quelqu'un de très engagé pour la cause des artistes. Qu'en est-il de leur protection sociale ?
En faisant l'analyse de la situation sociale des artistes, on a forcément le cœur gros. J'ai eu la chance d'être nommé par le chef de l'Etat comme ministre de la Culture. Ce faisant, l'un de mes objectifs est de faire en sorte qu'avant de partir de ce département, les artistes aient une protection sociale. J'ai discuté avec l'Agence de Couverture maladie universelle (Cmu). Nous avons fait le tour du Sénégal avec des Comités régionaux de développement (Crd) sur l'idée de création de mutuelle nationale des acteurs culturels. Le processus est presque terminé.
Après le Crd de Dakar prévu aujourd’hui, nous allons passer à l’installation de la mutuelle de santé d’ici la fin du mois de janvier 2016. Notre département a décidé d’apporter une contribution assez substantielle, en ouvrant dans certaines sociétés bancaires des lignes de crédit. La préoccupation du chef de l’Etat est de voir les artistes vivre de leur art. C’est pourquoi d’ailleurs la culture est une activité transversale au niveau des axes du Plan Sénégal émergent (Pse).
Le Sénégal va accueillir dans les mois à venir la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Dak’art). Où en est-vous par rapport aux préparatifs ?
Le comité d’orientation de la biennale, présidé par le très grand collectionneur d’art Baïdy Agne, a déjà été mis en place. Nous avons également stabilisé le commissaire. Les commissions sont en train de faire un magnifique travail.
Dans le secteur de la cinématographie, qu’est-ce est fait actuellement pour promouvoir le septième art sénégalais ?
Le président de la République, dans sa vision éclairée, a mis à la disposition du cinéma, suite à la belle participation du Sénégal au Fespaco, un fonds estimé à 1 milliard de FCfa. Cette somme a servi à financer 32 projets de réalisation de films. Lesquels sont en train d’être déroulés. C’est une bonne chose d’investir dans le cinéma, mais il faut aussi penser aux infrastructures. Les structures qui tournaient autour du cinéma ont presque disparu.
C’est pourquoi le président Macky Sall nous a suggéré de voir comment réaliser une structure où on travaillera sur tout le circuit du film, de la conception à la réalisation, en passant par la production, la distribution et la formation au métier du secteur.
C’est ce qui explique le site des 2 hectares à Diamniadio dédié au cinéma. Des cinéastes ont fait un projet d’étude qu’ils nous ont déjà remis. Cet espace nous permettra de visiter toute la chaîne de la production. A part le Maroc, l’Afrique du Sud, le Nigeria et les pays européens où vont nos cinéastes pour faire leur montage, il n’y a pas de structures de ce genre dans la partie ouest africaine. Notre objectif est de faire en sorte que toute la zone francophone puisse bénéficier de cet instrument afin de pouvoir relancer le cinéma.
Le septième art est une activité génératrice d’emplois. Pour réaliser un film, on emploie souvent une centaine de personnes. C’est donc une manière de contribuer au Produit intérieur brut de la Nation.
Vous avez un objectif bien précis de faire du secteur de la culture un des leviers phares du Pse….
Quand le Pse s’élaborait, peut être que le volet culture a été perçu comme une activité transversale. Je pense qu’avec toutes les activités qui se mènent au niveau de mon département, comme la Lettre de politique sectorielle, le plan programme du ministère, la culture fera partie de tous les secteurs qui créent des emplois et qui boostent l’économie nationale.
La culture est une activité qui favorise la création d’emplois. Elle est un élément important sur lequel nous devons nous appuyer pour changer les différentes mentalités. Mais, ce sont les acteurs culturels eux-mêmes qui doivent le faire. Nous sommes plus à l’ère des demandes de subvention, d’appui pour organiser une quelconque manifestation. Nous sommes à l’heure de l’élaboration de projets de développement pour la prise en charge des conditions économiques, sociales des acteurs culturels.
A quand un vote du Code de la presse ?
Sur le Code de la presse, il y a beaucoup de choses que les gens disent et qui ne cadrent pas véritablement avec la réalité. Quand le président Macky Sall est arrivé au pouvoir, il a trouvé que le Code de la presse a été rejeté par les députés. Il a demandé de voir avec l’ensemble des acteurs pour réintroduire ce code. Et c’est que nous sommes en train de faire. Le Comité pour l'observation des règles d'éthique et de déontologie dans les médias au Sénégal (Cored) en a parlé ainsi que tous les députés. Je crois que d’ici la fin du premier semestre de 2016, le code sera réintroduit.
Il faut que tous les acteurs intéressés par ce code puissent s’asseoir pour revisiter tout ce qui a été fait. Car, quand on élaborait le code, il n’y avait pas ce passage de l’analogie au numérique. Il s’y ajoute que la presse en ligne n’était pas prise en compte. Nous avons assisté à deux activités de l’Association nationale de la presse en ligne où tous ces problèmes ont été soulevés et stabilisés.
C’est donc toutes ces conclusions que nous allons prendre en compte dans le cadre de la rédaction de la nouvelle mouture du Code de la presse. Lequel, je l’espère, sera voté d’ici la fin du premier semestre 2016. Dès qu’on aura terminé la rédaction de la mouture, il y aura un atelier de partage qui se chargera de la validation.
Les médias de service public sont souvent confrontés à des difficultés économiques. Quels schémas pour leur financement ?
Quand le budget 2016 passait devant le Conseil des ministres, le chef de l’Etat a attiré l’attention sur le financement de la presse publique. Le ministre de l’Economie et des Finances m’avait dit, à l’époque, qu’une réflexion était en train d’être menée pour voir comment sortir les médias publics de leur situation. Je crois que, dans le cadre de la loi rectificative des Finances, l’Etat a mis à ce niveau 100 millions de FCfa pour appuyer un peu l’Agence de presse sénégalaise…
Le président de la République est conscient du rôle des médias publics et il sait qu’ils doivent être soutenus. Des actions seront menées dans ce sens afin que les difficultés que ces médias publics traversent soient de mauvais souvenirs. A chaque fois qu’il y a un problème à ce niveau, le chef de l’Etat est intervenu personnellement en donnant des instructions pour que ces problèmes soient résolus.
Pourquoi les statuts qui doivent régir la Maison de la presse ne sont pas encore définis ?
A l’arrivée du président de la République, beaucoup de structures n’avaient pas de statuts. C’est le cas de la Maison de la presse, la Place du souvenir africain, le Monument de la Renaissance africaine, le Grand Théatre national ainsi que le Musée des civilisations noires qu’on est en train de construire. Il s’agit d’infrastructures qui ont été réalisées suivant la volonté de quelqu’un. Le président Macky Sall nous a instruit d’en élaborer des statuts. Et c’est ce que nous sommes en train de faire.
Pour le musée, qui sera bientôt terminé, il verra, d’ici la fin du premier semestre, son statut adopté. Le problème par rapport à la Maison de la presse est peut-être lié au fait qu’on a trouvé un lieu construit, non utilisé et fermé qu’on a décidé de l’ouvrir et de l’occuper. C’est cette occupation qui a semblé poser problème. Ce n’est pas le statut en tant que tel qui pose problème au niveau des hommes de médias, mais le fait qu’on ait nommé un administrateur.
Pourtant, cet administrateur, il est journaliste. Il a les compétences requises pour administrer cette maison. La preuve, les efforts qu’il a faits pour que tout le monde s’intéresse maintenant à la Maison de la presse. Actuellement, nous sommes en train de voir avec toutes les associations comment occuper rationnellement cette infrastructure.