DES MALFRATS SÈMENT LA VIOLENCE DANS LE BAOL
À l’heure où la lutte contre le terrorisme mobilise les forces de sécurité, il serait peut-être bon d’y intégrer ce type de bandes armées, meurtrières par mercantilisme, qui peuvent être des manières de Cheval de Troie pour le terrorisme
Il y a beaucoup à dire ces jours-ci, dans notre pays, peut-être même trop à dire, tant que, ne sachant pas où donner de la tête, l’observateur, lassé, pourrait être tenté de se réfugier derrière le plus facile, le plus visible, le mieux partagé par tous– y compris par ceux qui le font à leur corps défendant-, mais aussi, puisqu’on parle de presse, le plus «vendeur» : La Politique. Comme par complaisance, on s’y noie, on s’y perd, on s’y opacifie, entre le référendum, la durée du mandat, l’avis du Conseil constitutionnel, la place de l’Indépendance ou de l’Obélisque, la «bi» ou «double» nationalité, et j’en passe. Qu’elle soit quelquefois, et même plus souvent que nécessaire au centre du débat, poussée complaisamment là par ceux-là qui en vivent, passe encore ! Mais toujours !?... La politique, ainsi, nous fait passer fréquemment à côté de bien des choses importantes, graves, parfois vitales pour la nation elle-même.
À quelques minutes de Bambey, en voiture, se trouve un village ayant une très longue histoire sur laquelle nous ne reviendrons pas, mais qui, il y a une trentaine d’années, a entamé un processus de développement endogène, écologique sur fond d’une mystique du travail inspirée directement par la doctrine «Baye Fall», sous la houlette de celui que tout le monde appelle aujourd’hui, «Serigne Babacar». De nos jours, à la place des quelques cases en paille qui constituaient le village quand Babacar Mbow, un intellectuel bien connu du landernau dakarois, y compris politique, décida de s’y installer, Ndem est constitué de bâtiments en dur ayant conservé la forme architecturale originelle des habitations précaires d’antan.
Les femmes du village ont été encadrées et formées à différentes techniques artisanales, et les produits de leur travail sont connus dans le monde sur les marchés du commerce équitable, et certains sont visibles à la «Galerie Maam Samba» à Ngor. Le village est électrifié au solaire, vit de ses produits agricoles, horticoles et animaliers, abrite un centre de santé qui fait office de maternité polarisant plusieurs villages dont les femmes viennent y accoucher ; et il suffisait de s’y promener en compagnie de l’initiateur de tout ça pour voir la joie de vivre sur les visages des habitants de Ndem et les marques de reconnaissances à l’endroit du cheikh Baye Fall qu’est devenu Serigne Babacar Mbow, devant qui les femmes mettent un genoux à terre pour le saluer. La même déférence est témoignée à son épouse, une française d’origine, Sokhna Aïssa Cissé, «Yaye Fall» infatigable qui, avec la famille qu’ils ont fondée, assistent de près Serigne-bi depuis trente ans dans son œuvre.
Le travail accompli à Ndem par Serigne Babacar et que, bien sûr, deux paragraphes d’un article de journal ne peuvent prétendre résumer, est bien connu des autorités, et bien des fonctionnaires ou ministres ont eu à le saluer, et certains d’entre eux ont dit de Ndem, qu’il était devenu sans bruit, ce que la banque mondiale voulait comme «Village pilote». Cependant, ce qu’on pourrait qualifier de consécration pour Serigne Babacar, c’est quand, Cheikh Djeumb Fall, Khalife Général des Baye Fall, reçut un Ndigël du Khalife Serigne Sidy Makhtar Mbacké, de réhabiliter Mbacké Kadior– lieu fondateur du mouridisme- par un projet immobilier et agro-écologique ambitieux, et décida d’en confier la réalisation au fondateur du Ndem moderne. Prenant cette mission avec le sérieux qui sied, c’est-à-dire en véritable talibé Baye Fall, Serigne Babacar est allé s’installer avec quelques disciples, parmi lesquels sa famille, sur le chantier de Mbacké Kadior. Il y vit désormais, et depuis près d’un an.
Et c’est alors qu’en janvier 2016, dans la nuit du samedi 9 au dimanche 10, vers 4 heures du matin exactement, est arrivé l’imprévisible, l’impensable même. Une bande de malfrats en véhicule tout terrain, armés de fusils d’assaut, de pistolets et de machettes, encagoulés, attaquent et entendent piller Ndem. Ils pillent une boutique, réveillent et mettent en joue plusieurs personnes et leur demandent d’aller réveiller la femme en charge de la caisse de la case de santé– dans le feu de l’action, une personne est blessée à la machette, alors qu’une autre qui tentait de prendre la fuite essuie des coups de feu qui heureusement ne l’atteignent pas. La pauvre femme en charge de la caisse ne peut que la leur livrer. Les pillards prennent leur temps, prennent ce qu’il leur plaît de prendre, demandent après «Serigne bi», qui n’est pas là, bien sûr. Et ils partent.
Et ce n’était pas fini. Ce n’était pas fini, mais ça n’avait pas non plus commencé ce jour-là seulement, à Ndem. Cette bande armée, qui n’évolue pas aux fins fonds des brousses, ni aux frontières poreuses, mais en plein cœur du pays, avait déjà attaqué et dépouillé une boutique à Touba, à 10 heures du soir, il y avait moins d’un mois. Avant de s’en prendre à Ndem, et dans la même semaine, ils avaient attaqué les villages de Daarou Ndiaye et Gawane, tous deux près de la grande agglomération de Mbaba Garage, Bambay est à quelques encablures. On ne peut pas dire que ces bandits de grands chemins se sentent en insécurité, au contraire. Et si on pouvait douter de leur détermination, en voici une illustration : le village de Keur Mbouki qu’ils ont aussi attaqué dans le même mois, leur avait opposé une farouche résistance, qui avait engendré un blessé dans leurs rangs ; hé bien, pour ne pas risquer qu’il les dénonçât à la police s’il était pris, ou peut-être juste qu’il les retardât dans leur retraites, ses comparses l’achevèrent et laissèrent son cadavre dans la nature.
Les forces de sécurités savent bien sûr tout ça... Au-delà de Ndem, et de la symbolique qui y est attachée désormais– et qui doit faire réfléchir au-delà des apparences-, les agissements de cette bande dans la région de Diourbel, autour de Bambey, posent de sérieux questionnements sur la prise en charge de la sécurité des biens et des personnes à l’intérieur du pays. Elles posent, surtout, énormément d’autres questions. A l’heure où la lutte contre le terrorisme, essentiellement préventive, et jusqu’ici apparemment efficiente, mobilise les forces de sécurités, il serait peut-être bon d’y intégrer ce type de bandes armées, meurtrières par mercantilisme qui, sans y être attachées, peuvent être des manières de Cheval de Troie pour le terrorisme dont on sait qu’il dispose de fonds importants. A défaut d’être endoctrinés (comme ces Français qui ont frappé la France), ces bandits avides d’argent à ce point, peuvent être achetées ou instrumentalisées de diverses façons pour agir sur commande. Eux, ils connaissent le pays, et visiblement peuvent faire mal et se soustraire à la traque des forces de sécurité. Ils sont en train de le prouver, non ?...