MOTS SUR MAUX
Plus de 30 000 talibés mendiant ont été recensés en 2014 dans les rues de Dakar. S’il est en moyenne demandé à chacun 500 francs Cfa par jour, ils versent chaque année à leurs maitres plus de 5 milliards
Ce 20 avril 2016, la journée nationale des talibés n’a pas échappé au rituel ennuyeux des discours soporifiques inefficients, des conférences lassantes et autres manifestations folkloriques.
Après l’incendie de la Médina qui a ôté la vie à neuf bouts de bois de Dieu, Abdoul Mbaye, alors Premier ministre du Sénégal, disait: « Il faut que l’ensemble de la population sénégalaise décide de se battre contre cette mendicité des enfants. Il faut que la population se sente également concernée par ce problème. Quand on voit plusieurs fois des enfants habiter, s’entasser à 50 dans de petites baraques, qu’on le dénonce, qu’on informe la police. La police n’est pas là seulement pour incriminer, elle est également là pour assurer la sécurité des citoyens, même s’ils ont trois ans ou quatre ans.»
Très en verve, le chef du gouvernement de poursuivre : «Cette mendicité organisée, d’exploitation des enfants en leur faisant vivre des conditions terribles, les exposant à des risques comme celui qui a été vécu à la Médina, ça doit cesser et avec le concours de tous. Il y a des décisions qui ont été prises et on va vers l’interdiction totale de la mendicité des enfants dans les rues, car le Coran s’apprend dans un daara et non dans la rue. Il n’est pas question d’interdire la charité, mais organisons-la.»
On avait cru que l’ère des discours mi-répressifs mi-complaisants sur la mendicité était révolue et que désormais les applications de l’article 245 du code pénal, qui dit que «la mendicité est interdite», de la loi n° 75-77 du 9 juillet 1975, qui stipule que «tout acte de mendicité est passible d'un emprisonnement de trois mois à six mois», et de la loi 2005-06 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection, seraient effectives. Que nenni ! Des mots sur des maux encore !
Plus de 5000 milliards par an
À peine l’alors chef du gouvernement avait-t-il donné ce coup de pied dans la fourmilière des maîtres coraniques exploiteurs qui n’ont rien à envier aux négriers esclavagistes, que des cris d’orfraie fusaient de partout pour clouer intolérablement au pilori l’alors chef du gouvernement. Depuis lors, comme dans un instinct de survie, des associations spontanées de maîtres coraniques se rassemblent et se mobilisent dans des médersas pour promettre la géhenne aux audacieux hérésiarques qui osent leur priver cette profuse main-d’œuvre enfantine qui les nourrit éhontément avec leurs familles.
Pour ces esclavagistes du troisième millénaire, quelques cliquetis de chapelets accompagnés de psalmodies de versets suffiraient pour crucifier tous les Lucifer qui voudraient leur ôter le pain de la bouche. Aujourd’hui, ils n’ont aucune vergogne pour dire publiquement que mettre fin à la mendicité, c’est hypothéquer leur vie terrestre puisque l’enfant, constitue pour eux non pas une âme à modeler, à pétrir pour le préparer dans le monde des adultes, mais un simple talibé-esclave dont la mission première est de leur assurer la pitance quotidienne.
Si l’on se fie à l’étude de la Cellule de nationale de lutte contre la traite des personnes du ministère de la Justice, en 2014, ont été recensés plus 50.000 talibés dont plus 30.000 mendient quotidiennement dans les rues de Dakar. Si en moyenne, il est demandé à chaque talibé 500 francs Cfa par jour, pour une année de 365 jours, les 30 000 auraient à verser 5 milliards 475 millions de francs Cfa. Une véritable industrie pourvoyeuse de richesses ! Plus que le budget national.
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l’esclavage, même s’il fut aboli le 27 avril 1848, n’est pas seulement un fait passé de l’histoire mais aussi une réalité des temps modernes si l’on voit les essaims de chérubins qui se déversent quotidiennement dans la capitale aux seules fins de tendre une main famélique pour remplir la bouche gloutonne insatiable et la poche abyssale du maître. Les pseudo-maîtres coraniques esclavagistes des temps modernes n’hésitent pas à braver la loi qui interdit la mendicité pour ne pas perdre leurs passe-droits. Faute d’enseigner et d’éduquer ces chérubins, ils leur offrent quotidiennement peine, sang, sueur et larmes.
Ce qui est inadmissible et immoral, c’est que les rejetons de ces soi-disant maîtres ne dirigent jamais la ribambelle des talibés-mendiants qui parcourent sans arrêts les rues de Dakar. Ils se calfeutrent avec aisance dans leurs chambres douillettes, pouponnés par leur maman chérie au moment où de malheureux bouts de chou s’entassent par dizaine dans des cagibis avec les conditions d’hygiène les plus dégradantes et les deshumanisantes. En sus des corvées monétarisées, les brimades, les ratonnades et les bastonnades prennent le dessus sur le temps d’apprentissage du Coran des innocents talibés. Et faute de s’affranchir de l’enfer de cet esclavage, souvent certains de ces bouts de bois de Dieu s’adonnent désespérément au marronnage à leurs risques et périls.
Combien d’enfants mendiants efflanqués vêtus de haillons puants, la gale ou la teigne rongeant leurs membres et leur crâne rasé et très souvent déchaussés sont morts de froid, de fatigue, de faim, de sévices, de maladie en voulant satisfaire les desiderata du maître ?
Samedi 8 aout 2015 à Thiès, le forcené Moustapha Ngom dit «Dubaï», armé d’une machette, s’est introduit aux environs de 23 heures dans l’école coranique de Serigne Bassirou Kane pour égorger le jeune mendiant Pape Ndiaye âgé de 7 ans. Samedi 6 février 2016, dans le quartier Althiéry de la commune de Louga, un maitre coranique a battu à mort un talibé de 9 ans. Presque une semaine après, à Diourbel, le maitre coranique Oumar Sylla enchainait une vingtaine de jeunes dont l’âge varie entre 6 et 14 ans en leur infligeant des traitements inhumains et abjects.
Combien de talibés ont été écrabouillés par des voitures en voulant traverser la route ou tendre la sébile à des passagers confortablement assis dans des véhicules ? Le 15 mars 2016 à Kougheul, un talibé a été amputé d’une jambe après avoir été fauché par un camion. Combien de générations de quémandeux ont fugué pour devenir des fakhman et finir par basculer dans le banditisme, l’homosexualité, se noyer dans les flots de l’alcool ou s’égarer dans le ciel brumeux de l’inhalation du diluant (guinz), de la drogue et autres vices ?
Et malgré cela, des islamologues ou des politiciens de mauvaise foi défendent la pratique de la mendicité au nom d’un islam obscurantiste. Aussi dans ce concert de détresse, ces tartuffes flétrissent-ils sans aménités tous ceux qui osent s’opposer à leur dessein funeste. Aujourd’hui ces salafistes de la parole déversent profusément leurs missiles mystiques à tous les défenseurs des enfants asservis dont le seul tort est de vouloir protéger et assurer un meilleur avenir à cette frange vulnérable de la société ignominieusement exploitée par des adultes véreux qui n’ont rien à envier aux impitoyables esclavagistes des temps de la traite négrière.
Quand une personnalité déclarait, lors d’un gamou, que l’Etat qui est le premier mendiant n’a pas le droit d’interdire la mendicité, quand un ancien ministre des Affaires religieuses de Wade demandait à l’Etat une concertation sur la mendicité, on se demande où se trouve l’éthique de responsabilité qui doit guider tout propos dans ce fléau qui dégrade l’image d’une société civilisée s’abreuvant des préceptes d’un islam des temps modernes.
Où sont les organisations des droits de l’homme très promptes à dénoncer, voire condamner, l’arrestation d’opposants gambiens, les tortures et assassinats de Tchadiens sous le régime de Hissène Habré, l’emprisonnement d’un malade comme Bibo Bourgi alors qu’ils s’engoncent dans une omerta insondable quand dans notre pays, on asservit, on torture, on ne soigne pas, on viole et on assassine impunément des jeunes talibés dont le seul tort est d’être nés dans des familles dont les chefs n’ont point conscience que l’empreinte des premières années de vie d’un enfant est fondamentale pour son devenir ?
Quand j’entends le Président Macky Sall claironner partout «son» Sénégal émergent, je me demande comment il pourrait y arriver si des milliers de jeunes qui doivent y contribuer demain, sont formatés dans l’unique dessein de tendre la main. Comme le disait la Représentante personnelle du président de la République auprès de la Francophonie, le professeur Penda Mbow, «le phénomène des enfants mendiants est un indicateur au développement, qu’on le veuille ou non. Et tant qu’on n’arrivera pas à l’éradiquer, le Sénégal ne sera pas un pays émergent à plus forte raison un pays développé ».
L’Etat, dont la mission première est d’assurer équitablement à sa jeunesse les conditions d’un avenir radieux, ne doit pas céder un seul pouce dans sa volonté de lutter contre cet esclavage des temps modernes pratiqués par des faux maîtres coraniques dont la plupart s’enivrent du goût permissif du lucre et de la luxure. Malheureusement depuis toujours, la mendicité des enfants se nourrit du laxisme et de la cécité politique de nos différents gouvernants dont la préoccupation majeure est d’utiliser tous les expédients et d’accepter toutes les avanies et vilenies pour durer au pouvoir.