SADIQ KHAN-DONALD TRUMP: L’ESPOIR CONTRE LA PEUR
Comment l’Amérique peut elle se passionner, au XXIe siècle, pour un homme dont « le discours est le plus insensé jamais prononcé par un candidat majeur à une élection présidentielle américaine? »
Comment expliquer que la nation qui est à la pointe de l’intelligence et du progrès, celle qui compte les meilleures universités ,les plus grands savants, la plus influente élite culturelle, se prépare aussi sereinement à porter à sa tête un homme qui pourrait être le président le plus bête de son histoire ?
Comment comprendre qu’aux Etats-Unis, première puissance mondiale, celle où la communication est poussée au plus haut niveau, son accessibilité un droit, qu’il y ‘ait encore 30% des citoyens (dont Donald Trump lui-même) qui sont convaincus que Barak Obama est musulman, qu’il n’est pas né sur le sol américain et que l’élection à la présidence du démocrate Bernie Sanders ferait basculer le pays dans un régime totalitaire ?
Donald Trump n’est pas encore élu président des Etats-Unis, loin de là, mais sa campagne triomphale, l’engouement que des millions d’Américains ont témoigné à des propos indignes d’un homme qui pourrait être le plus puissant du monde, constituent déjà une défaite spirituelle des Etats-Unis et au-delà, celle du monde occidental si prompt à se présenter comme le dépositaire exclusif de l’esprit, de la liberté et des droits humains.
Comment l’Amérique peut elle se passionner, au XXIe siècle, pour un homme dont « le discours est le plus insensé jamais prononcé par un candidat majeur à une élection présidentielle américaine? »
L’homme de toutes les outrances !
Trump trouve que les salaires sont trop élevés aux Etats-Unis et se propose de remettre en cause les nouveaux acquis sociaux des travailleurs et d’abroger l’Obamacare.Il est hostile à la limitation du port d’armes, favorable au recours à la torture contre les présumés jihadistes :la barbarie doit leur être appliquée , dit-il, même s’ils sont innocents et même si elle est inefficace !
Il juge que les théories sur le changement climatique sont « un canular total », probablement inventé par les Chinois et à leur seul profit. Il envisage d’interdire l’entrée des Etats-Unis aux musulmans ,visiteurs ou touristes, et d’élever un mur entre son pays et le Mexique, et aux frais des Mexicains. Pour lui le Pape n’a rien compris quand il proclame que « celui qui veut construire des murs et non des ponts n’est pas chrétien ».De toutes façons, dit-il,toute immigration est « horrible », y compris en Europe. Il envisage donc ,dès son élection, de renvoyer chez eux tous ces Latinos qui ne sont que des « violeurs ».
Il est pour la prolifération des armes nucléaires au profit des alliés des Etats-Unis, pour le recours aux armes biochimiques, en Irak notamment, et pour une confrontation militaire avec la Chine. Il est ,évidemment, pour le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et la reconnaissance de cette ville, annexée par la force, comme capitale officielle d’Israël. .Si un candidat à une élection présidentielle dans un pays du Sud se faisait l’avocat d’une politique étrangère aussi irresponsable, avait tenu des propos aussi peu respectueux des principes défendus par les Nations Unies, Londres, Paris ou Bruxelles auraient clamé haut et fort leur effroi et usé de leur « droit d’ ingérence »…S’il avait insulté les femmes ,les handicapés, les minorités et prôné la violence, les grandes organisations humanitaires auraient crié au scandale !
Rien de tout cela :face aux dérives de Trump la « communauté internationale » observe et ses dirigeants font les morts … Voila qu’arrive Sadiq Khan et sa victoire électorale, et ça ,c’est sans doute tout ce que Donald Trump veut éviter dans son pays…
Mais l’irruption de cet ovni sur la scène politique internationale peut aussi être lue au travers des commentaires de la presse européenne, ce qui permet de révéler que ce qui sépare la France de l’Angleterre est bien plus large que le Pas-de-Calais.
En France l’angle d’attaque de cet enjeu repose sur deux constats.
Sadiq Khan est fils d’un immigré pakistanais, modeste chauffeur de bus :voila ce qui a fait en premier lieu l’objet du débat entre analystes et commentateurs. Il y a apparemment deux types de « fils d’immigré » puisqu’ils ne s’étaient pas rendus compte, il y a quelques années, que Nicolas Sarkozy aussi était fils d’immigré et même le premier président français dont le père était d’origine étrangère. Il est vrai que, lui ,avait pris la peine d’étêter son nom, de lui ôter le tréma hongrois sur l’o et l’ encombrant Nagy-Bocsa qui l’accompagnait.
Mais, même s’il changeait de nom, Sadiq Khan ne peut faire oublier son autre et plus grave handicap que la presse française étale en longueur, sans jamais dire à quelle confession appartient son rival :il est musulman. « Un arabe, c’est quand il y en a beaucoup que ça pose problème ! » avait dit l’ancien ministre Hortefeux,mais quand un musulman, un seul, a la prétention de vouloir diriger la plus grande capitale du mode occidental, ça c’est un vrai et grand problème ! C’est la confirmation du « suicide » annoncé par Eric Zemmour, c’est selon le Front National, « le grand remplacement » qui est en marche !
Musulman, ce n’est pas une identité !
Le paradoxe c’est que, dans le pays concerné, l’ Angleterre ,aucune de ces deux « tares » n’a été mise en exergue ,aucune n’a jamais été considérée comme déterminante, malgré les insinuations distillées par les adversaires du candidat élu. En Angleterre être musulman n’est que l’une des composantes de la personnalité de Sadiq Khan, quand pour beaucoup de Français c’est une identité. Le nouveau maire doit son succès à son programme, qui vise à réduire les inégalités, et il sait de quoi il parle, il le doit à ce qui distingue les hommes bien plus que la couleur de leur peau ou leur confession religieuse :à cette obstination à briser les carcans et à s’extraire de la misère où l’injustice sociale veut vous maintenir. Cette banalisation de l’enjeu électoral auprès des électeurs londoniens fait que d’une certaine manière l’élection de Sadiq Khan aux fonctions de maire de la capitale anglaise est, toutes proportions gardées, plus riche d’enseignements que celle de Barak Obama à la présidence des Etats-Unis.
Obama devait servir d’exemple. Pour certains son élection participait en quelque sorte à la politique de discrimination positive et tenait plus à la magnanimité des Blancs qu’à son mérite personnel. Cela signifiait qu’on allait lui en demander plus qu’on en avait demandé à ses prédécesseurs et que ses fautes et erreurs seraient mises sur le compte des Noirs dont il était le symbole.
Sadiq Khan symbolise lui l’espoir et la méritocratie. S’il se trompait, ni les immigrés ni les musulmans n’en seraient tenus pour responsables. Ce serait simplement la preuve qu’on peut réussir sa vie, franchir tous les obstacles, mais que la politique est une toute autre aventure qui dépend surtout des autres…