ANNA FAYE
PORTRAIT DE L'AMBITIEUX DIRECTEUR GENERAL D'UNE POLICE MINÉE PAR UN ÉNORME SCANDALE DE DROGUE
Cette mère de famille de 55 ans est la première femme directeur général de la police nationale. Elle est chargée de lustrer l’image d’un corps sali par le scandale de la drogue qui a emporté son prédécesseur.
Sur l’étroit bitume cabossé et lacéré, Anna Sémou Faye s’avance d’un pas sûr. Buste droit, échine pointée, mine grave. Allure martiale. Elle parcourt sans accrocs la quinzaine de mètres qui la sépare de la tribune officielle dressée au milieu des immeubles aux murs peints en beige. Sous son impeccable tenue bleue nuit, ses galons ballants et son majestueux couvre-chef, elle rutile comme une vedette à moteur de salon d’automobile. Le nouveau Directeur général de la police nationale (Dgpn) n’a ni zigzagué, ni trébuché durant la cérémonie de son installation, mardi 13 août à l’école nationale de police. Un bon présage pour la suite de sa nouvelle mission.
Sur la pointe de ses talons légèrement perchés, la première femme au poste de Dgpn débarque sur un terrain miné. Elle prend la tête d’une institution secouée par l’affaire de la drogue qui a éclaboussé sa hiérarchie et coûté son poste à son prédécesseur, le commissaire Abdoulaye Niang.
Le sortant n’était pas présent à la cérémonie d’investiture. Il avait rendez-vous, le même jour, avec le juge en charge du dossier dans lequel il est accusé, par un autre commissaire, Cheikhna Keïta, d’avoir tissé des liens coupables avec des narcotrafiquants. Curieuse coïncidence, le sort a des drôles de manières. La présence de Niang aurait sûrement pesé sur l’atmosphère, détendue par le discret mais franc sourire de sa remplaçante.
Le ministre de l’Intérieur, lui, était là. Chargé d’installer le nouveau Dgpn dans ses fonctions, le général Pathé Seck a exposé les enjeux de sa mission et posé des balises sur son chemin avant de souhaiter bonne chance à sa recrue. Le gendarme à la retraite, qui a vu défiler deux Dgpn depuis sa nomination à l’Intérieur, espère avoir trouvé la personne idéale pour assurer la stabilité dans ce service stratégique de son département. Faire oublier Codé Mbengue, parti à la retraite, et Abdoulaye Niang, emporté par le scandale de la drogue.
‘’Une dame de fer’’
Anna Sémou Faye, 55 ans, accède au sommet de la hiérarchie du corps près de trente années après la fin de sa formation. Elle est issue de la première promotion de l’école nationale de police comprenant des femmes. Elle a roulé sa bosse à presque tous les étages. Directeur de la police de l’air et des frontières. Directeur de services spéciaux chargés des contrôles aux frontières. Chef de plusieurs commissariats de sécurité publique. Participation à de nombreuses missions et groupes de travail internationaux. Directeur de la police judiciaire. Coordonnateur du comité de lutte contre la drogue…
Partout où elle est passée, celle que certains de ses collègues nomment affectueusement badiène (tante, en wolof) a laissé ses marques. Rigueur et professionnalisme sont les mots qui reviennent comme une ritournelle dans la bouche de ses proches et connaissances. Secrétaire général du Cadre de concertation libérale, Mohamed Samb ne voulait ‘’pour rien au monde’’ manquer ‘’l’investiture d'Anna’’ qu’il connait ‘’depuis six ans au moins’’.
‘’Une dame de fer, très sévère dans le travail mais très sympathique en dehors’’. Qui n’a pas hésité, un jour, à l’éconduire ‘’poliment’’ lorsqu’il avait sollicité son intervention pour l’obtention, ‘’en urgence’’, d’un passeport. Badiène, à l’époque directrice de la police de l’air et des frontières, était restée courtoise mais ferme. Pas de faveur pour ses amis dans l’exercice de ses fonctions.
Parmi ses pairs du Comité interministériel de lutte contre la drogue dont elle était la coordinatrice, les discours sont enflammés, parfois dithyrambiques, lorsqu’il s’agit d’évoquer le nouveau Dgpn. Agent au ministère des Sports, Marie Diallo Mbaye, également présente à la cérémonie de son installation, retient une ‘’grande dame, compétente et objective’’.
Debout non loin, Aïssatou Diouf du ministère de la Jeunesse loue ‘’une femme rigoureuse, humble et pragmatique’’. Toutes qualités seront utiles à l’intéressée dans la conduite de sa mission. Surtout dans le contexte brumeux de sa prise de fonction.
Sauver la police, ce grand corps malade
Dans son discours d’investiture de moins de 20 minutes, Anna Sémou Faye n'a pas nié l’évidence. Elle a fixé sur la réalité ses yeux de félins crayonnés sur son visage d’ébène. ‘’La police vit une situation très difficile, consent-elle. Les interrogations sont multiples, les inquiétudes grandes. Le doute s’est installé.’’ Cette situation rend plus ‘’lourde et délicate’’ sa charge, mais ne doit pas pousser les flics à baisser la tête pour rendre les armes.
Elle dit : ‘’Nous avons l’impérieux devoir de démontrer que la police sénégalaise est plus forte que jamais et profondément ancrée dans le respect de sa belle devise : ‘Dans l’honneur, au service de la loi’. Dès lors, il nous faut relever la tête.’’
L’intention, louable, est claire. La détermination, sans faille, affichée. Anna Sémou Faye s’est employée devant un auditoire tout ouï à décliner la méthode pour relever le triple défi qui l’interpelle : ramener la discipline dans les rangs de la police, restaurer la crédibilité de l’institution et assurer la protection des biens et des personnes.
D’abord, le nouveau Dgpn invite ses troupes, commissaires, officiers, sous-officiers, agents et auxiliaires, à une introspection. ‘’Nous devons revenir aux principes fondamentaux de discipline et de rigueur, qui sont le socle de notre institution. Bannir tout comportement de nature à jeter le discrédit sur notre institution.’’
Elle les appelle aussi à cultiver la solidarité. ‘’Nous devons être comme les membres d’une même compagnie, qui marchent ensemble, solidaires, vers un même objectif.’’ Pour le reste, Anna Sémou Faye mise sur une formation de qualité et entend, auprès des pouvoirs publics, plaider pour de meilleures conditions de vie et d’exercice du métier de policier.
Un vaste programme qui n’effraie pas le nouveau Dgpn, mais la pousse à solliciter l’appui des autorités politiques et de tous les segments de la société : les ‘’guides religieux, la société civile, les médias, toutes les populations au service desquelles nous travaillons’’.
La native de Mbodjène (département de Mbour) peut certainement déjà compter sur le soutien des membres de sa famille. ‘’(Ils) ont su accepter les contraintes de mon métier et me témoignent toujours de leur affection’’. Mention spéciale à son époux, un homme ‘’tolérant et effacé’’. Qui devra s’éclipser davantage devant l’étoile de la police qui pâlit et que son épouse s'est chargée de rallumer et faire scintiller.