ARACHIDE, LE DÉCLIN…
Une campagne chasse l’autre. Le Sénégal, ses terres, ses sols, sa faune et sa flore dressent le constat que l’arachide vit des heures sombres. Et personne n’en parle. Non seulement le record de production bat de l’aile mais l’arachide reste introuvable.
Une campagne chasse l’autre. Le Sénégal, ses terres, ses sols, sa faune et sa flore dressent le constat que l’arachide vit des heures sombres. Et personne n’en parle. Non seulement le record de production bat de l’aile mais l’arachide reste introuvable sur les marchés.
Le silence de la classe politique face au sort de l’arachide reste perplexe. Pour moins que ça, les adversaires occasionnels fourbissent des armes non conventionnelles pour se chamailler copieusement. Ont-ils conscience du probable renversement de perspective qui se projette ?
La collecte de graines a été chahutée par une certaine impréparation qui s’est traduite sur le terrain par d’insupportables improvisations ayant porté préjudice à tout l’univers arachidier qui s’en émeut : paysans, acheteurs, vendeurs, huiliers, Etat et certains de ses démembrements. La situation est inédite.
Sans concertations, le monde rural intègre désormais la lente agonie d’une spéculation qui a eu son âge d’or au Sénégal où, très vite d’ailleurs, et pour longtemps, sa gloire fut à l’apogée. Sans jeu de mots, c’est le périgée maintenant. L’étoile de l’arachide pâlit parce qu’une série ininterrompue d’obstacles jalonnent son parcours et sa trajectoire.
Depuis l’aube des indépendances, la culture de l’arachide était érigée en culture de rente orientée vers l’exportation à l’état brut. Les esprits, enjoués par la perspective qui s’offraient, ne songeaient pas à la transformation et aux avantages qui en résulteraient.
Plus de deux tiers de la population avait plébiscité la plante qui devenait ainsi le pivot de l’agriculture sénégalaise. Elle parvenait même à se hisser au rang de moteur de l’économie soit 80% des exportations et « principal poste de recettes et de revenus » dans le monde rural où l’impact était perceptible à défaut d’être visible.
Du coup, un réel pouvoir d’achat s’installait avec l’acquisition de biens durables qui transformaient dans une relative mesure l’ordinaire des agriculteurs. Ils étaient toutefois assujettis aux variations des prix au producteur, aux caprices du temps et aux changements intempestifs de politiques agricoles d’une année à l’autre.
Sous ce rapport, les contraintes de la filière s’accumulaient : baisse des superficies emblavées, baisse conséquente des rendements, vétusté du matériel agricole, évasion du capital semencier, dégradation des sols et, plus grave, une permanente fluctuation du marché.
Les avis convergent sur les goulots d’étranglement. Ils divergent cependant sur les options, les solutions à préconiser et les priorités à ordonner. Au plan interne, les problèmes auxquels fait face la filière ne sont, en rien, comparables aux difficultés de pénétration du marché mondial que dominent la Chine et l’Inde.
Ces deux géants fournissent plus de 60 % de la production. Quelque 25 % reviennent à l’Afrique avec le Nigeria, le Sénégal et le Soudan. Malgré tout, les ressortissants de ces deux pays d’Asie, notamment les Chinois, sillonnent le continent à la recherche de l’arachide qu’ils achètent au prix fort sur les marchés parallèles.
Ils perturbent de ce fait l’organisation des circuits de commercialisation au détriment des huiliers et des points de collectes attitrés. La peur grandit dans les chaumières avec la disparition progressive des points de repère d’un mode de vie centré sur l’arachide.
Pour peu qu’on s’y attarde, les Chinois n’apportent pas de devises. Ils introduisent des produits « made in China », souvent de médiocre qualité, mais vendus à vil prix que les Sénégalais achètent à bras raccourcis.
Avec les liquidités engrangées en francs CFA, ils s’offrent des tonnes d’arachide qui échappent au circuit officiel. Plus étonnant, ils les écoulent vers la Chine sans laisser de traces. Cette myopie des autorités est navrante.
Comment autant de quantités d’arachides collectées au Sénégal, bénéficiant de plusieurs appuis, y compris l’accès au financement, parviennent-elles à s’évaporer au nez et à la barbe des structures de veille et de contrôle ?
Pour ceux qui en doutaient, c’est là une évidente preuve du déclin de l’arachide. Le secteur s’essouffle. La désarticulation est ainsi orchestrée par ces Chinois aux « petits pieds » qui ne sont que les mandataires de mandarins actionnant des leviers invisibles à des milliers de kilomètres du théâtre d’opération.
Que comprendre dans ce méli mélo ? Il ne fait de doute que nous nous acheminons vers une brutalité de rupture avec un secteur agricole sans l’amorce, en douceur, d’une solution palliative. Déjà le nombre d’acteurs diminue drastiquement. Grimaces et grincements de dents…
Ensuite, la définition d’une nouvelle politique agricole « moins centrée sur l’arachide » ne se dessine toujours pas. La riposte tarde. Alors que l‘accumulation de retards pénalise un secteur déjà déboussolé par un chronique déficit d’approche crédible et de cohérence à tous les échelons opérationnels.
La référence s’éloigne à mesure que s’accumulent les facteurs d’implosion aggravés par le manque de réactivité des structures intermédiaires.
A l’international, des huiles de substitution tiennent la vedette. C’est le cas du soja et de l’huile de palme de plus en plus prisée. Doit-on en déduire que le sort de l’arachide est scellé ? Il est encore très tôt pour prononcer l’oraison.
La récente tournée dans le sud du pays du Directeur Général de la Sonacos ; M. Modou Diagne Fada, a révélé une inquiétude profonde chez cette huilerie. Devant l’insuffisance des collectes, elle n’exclut plus de réorienter par nécessité sa stratégie industrielle vers d’autres graines oléagineuses, noix de cajou entre autres, pour supplanter l’arachide dans la fabrication de divers produits dérivés.
Il ne vient pas à l’idée de cet opérateur de premier plan de renoncer à l’arachide sous prétexte que la graine devient rare. Surtout quand une pareille rareté si organisée laisse deviner des complicités à des niveaux insoupçonnés.
L’engrenage prend de l’ampleur. Il est autodesctructeur, comme le pronostique, la rage au cœur, un acteur de la filière arachidière. Le même pointe le doigt sur d’éventuelles duplicités et des faussetés dont se rendent coupables des gens tapis à l’ombre essentiellement mus par le gain facile.
Nous voici revenus aux temps anciens avec une étrange régression de la confiance sapée par de ruineuses considérations et une dislocation des bonnes mœurs. Beaucoup d’autres acteurs, passionnés par l’agriculture, fustigent à leur tour ces pratiques éhontées et interpellent l’Etat sur ces agissements plus que nuisibles.
A cette fin, ils invitent le gouvernement à durcir les conditions de cession de l’arachide à des étrangers tout en révisant les modalités d’accès aux marchés locaux.
En Chine, il est illusoire de posséder des terres quand on étranger. Ce principe gouverne l’économie chinoise exclusivement aux mains des nationaux. Qu’adviendrait-il si les Africains appliquaient les mêmes politiques restrictives et de réciprocité ?
L’Empire du Milieu encourage ses ressortissants à être les éclaireurs de sa stratégie géopolitique. Le faible a-t-il intérêt à employer les armes du plus fort ? David et Goliath se rappellent à nos bons souvenirs…