AU PRÉSIDENT, À SES ADMINISTRATEURS, À SON RÉGULATEUR MÉDIATIQUE
Ce n’est pas en brimant les libertés, en vous inventant de nouveaux ennemis que vous consolideriez votre pouvoir. Cela ne ferait que « martyriser » vos adversaires et les rendre sympathiques auprès de ces milliers d’apolitiques
« Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ! » (Vérité proverbiale).
Dans les « Républiques bananières », gouverneurs, préfets et sous-préfets brillent par leur zèle à vouloir toujours faire plaisir au « Prince » au pouvoir. Sans doute, en prenant la décision d’interdire le meeting de Mbacké pour des motifs qu’il est incapable de caractériser clairement dans le droit positif tant du point de vue constitutionnel, législatif et réglementaire indiqué en la matière, ce « délégué » du pouvoir exécutif ne pense pas d’abord agir dans l’intérêt de l’État au nom duquel il décide. Il veut donner des gages de fidélité et de loyauté, pour espérer ensuite la reconnaissance pour excès de zèle au moment des prochaines promotions et affectations dans le secteur du commandement territorial. Ce genre de personnes qui essaiment dans l’administration territoriale, et les décisions qu’elles prennent pour « acheter » la reconnaissance du chef de l’État, ne lui rendent finalement pas service. Elles ne sont pas vos amies. Elles sont vos ennemies. Elles ternissent l’image de la « vitrine démocratique sénégalaise en Afrique » savamment « construite » depuis des décennies, par un marketing d’État orchestré en complicité avec le « protecteur » et le « parrain » colonial.
Ce décalage entre ce que l’on projette à l’extérieur et ce que l’on vit à l’intérieur est le fait de ce genre de personnes qui ont toujours confondu la mission de service de public avec l’obligation de plaire aux tenants du régime. Si vous êtes devenu si impopulaire, c’est que dans l’imaginaire populaire, vous n’aviez pas le droit de faire moins que vos prédécesseurs en termes de protection et de consolidation des libertés citoyennes.
Le président Wade a constitutionnalisé le droit à la marche, même s’il a été le premier à violer occasionnellement cette disposition, toujours conseillé, comme vous, actuel locataire du Palais, par ces mêmes « types » bien de chez nous, « louangeurs » professionnels et petits plumitifs de service dont les arguments simplistes se résument à vous dire : « Wade l’avait fait aussi, il interdisait des marches et les meetings ». Mais il est où Wade aujourd’hui ? Ces genres d’arguties qui empruntent au parallélisme des formes relèvent du nivèlement par le bas. De leur proximité, vous ne tirez rien, sinon qu’actes de bassesse et répugnance populaire. Ils vous alourdissent à la légère. Parmi eux, ce triste personnage habitué des faits parce qu’adepte naturel de la soumission volontaire, dirigeant de l’organe de régulation audiovisuelle (CNRA).
Comme les mots trahissent la faible personnalité malléable à souhait comme l’étaient le chef des indigènes à l’époque coloniale et le « fouettard » sous l’esclavage, voici ce qu’il disait lorsque la RTS viola les règles relatives à la couverture médiatique en période électorale en diffusant les consignes de vote d’un chef religieux en faveur du président sortant (Wade) entre les deux tours du scrutin présidentiel de 2012 : « Ce n’est pas interdit de diffuser des consignes de vote ». Ironie de l’histoire, voilà ce que lui répondait le porte-parole à l’époque de son « maître » d’aujourd’hui devant qui il courbe encore l’échine : « Il faut qu’il (Babacar Diagne) arrête ce type de pratique porteur de danger pour l’équilibre de la République et producteur de violence » (Seydou Guèye).
Enfin, et pour ne pas trop troubler la conscience de ses proches, il est à noter que l’actuel président du CNRA avait ignoré dans le passé les correspondances et plaintes du même organe (son ancêtre le HCA) qu’il dirige aujourd’hui. (Voir les détails de ce « mépris » dénoncé à l’époque dans un rapport commis par le même régulateur, dans notre ouvrage : Ndiaga Loum et Ibrahima Sarr : Les médias en Afrique depuis les indépendances. Bilan, enjeux et perspectives. Paris : L’Harmattan, 2018). C’est comme confier la direction de la police à un ancien délinquant.
Bref, cette garnison de « bénis oui oui » n’envisagent la poursuite de leur carrière à vos côtés que dans l’affirmation d’une « loyauté » bruyante et malhabilement exercée (suspension de diffusion des programmes d’une télévision privée, mise à mort programmée d’un groupe de presse longtemps ciblé, Walfadjri). Quel anachronisme à l’ère de la numérisation générale des sociétés ! Ce n’est pas en brimant les libertés, en vous inventant de nouveaux ennemis que vous consolideriez votre pouvoir. Pire, cela ne ferait que « martyriser » vos adversaires et les rendre sympathiques auprès de ces milliers d’apolitiques : la majorité silencieuse, celle qui ne s’exprime que dans les urnes, dans le secret des isoloirs. Ceux qui vous disent le contraire ne vous aiment pas. Ils aiment vous plaire pour encore continuer à profiter des ressources que génèrent les positions de pouvoirs. Ils iront voir ailleurs quand vous perdrez, après avoir, bien sûr, contribué indirectement à vous perdre et à vous faire perdre. Un simple constat dans ce qui se passe tous les jours sous vos « cieux » et sous vos yeux suffirait pour vous en convaincre. Mais l’obsession maladive du pouvoir est un indicateur objectif de manque de lucidité. Il est peut-être, hélas pour vous, déjà trop tard pour bien faire.
PS : Dans une prochaine contribution, je parlerai de « ces quelques magistrats au service du Prince », car il est grand temps dans ce pays, et au vu des risques que court notre démocratie, que chacun prenne ses responsabilités devant l’histoire et en assume personnellement les conséquences ! Est-il juste que les actes isolés et volontaires de trois pelés et un tondu entrainent toute une corporation dans un jugement englobant et systémique ?