CRIS D’ORFRAIE
"Des militants des droits de la femme s’attendent au respect du protocole de Maputo qui autorise l’accès à l’avortement à cette tranche sociale. Le Sénégal l’a ratifié depuis 2004."
La venue d’un bébé illumine généralement nos vies. Un nouveau-né porte en lui une lumière et un amour qui irradient tout un univers. Il symbolise l’espoir d’un avenir lumineux. C’est tout naturellement que la nation sénégalaise a partagé le bonheur du couple présidentiel, qui a célébré la naissance du premier enfant né au Palais de la République. L’instant est magique. Une connexion naturelle s’est vite créée. Les rires et pleurs d’un bébé vont désormais résonner dans ce lieu symbolique. Le baptême a inspiré des vibrations positives à notre cher Galsen qui aspire à voguer sur une nouvelle dynamique.
Dire qu’au même moment, d’autres voix s’élèvent pour plaider en faveur des jeunes filles qui veulent se débarrasser d’une grossesse. Elles militent pour l’adoption d’une loi autorisant l’avortement médicalisé, c’est-à-dire qu’il ne soit plus uniquement permis à la maman dont la vie est menacée, mais de l’élargir aux victimes de viol et d’inceste.
Loin de s’inscrire dans une logique de défiance, elles ne veulent plus donner vie à des enfants qui n’apportent pas la joie de vivre dans la famille. Ces innocents, nés de relations incestueuses ou de viol, ne dégagent pas la candeur qui sied au bébé. Ils sont souvent étiquetés, dès leur bas âge, d’enfants du malheur. Ils constituent un fardeau pour leurs géniteurs et leur entourage. Mais, les cris d’orfraie des forces conservatrices feront encore trembler toute une République. Ces défenseurs de la morale sont toujours aux aguets pour faire avorter des projets aux relents féministes.
Tels des phares de la foi, ils disent s’accrocher à des valeurs authentiques : la vie est sacrée. Ils exigent un droit à la vie. Si l’expérience a montré que les enfants issus du viol ou de pratiques incestueuses brisent l’harmonie familiale, les parangons de la vertu n’en ont cure. Ils ont tendance à faire des analyses sous l’angle du mimétisme ignorant que même dans les sociétés traditionnelles, l’inceste est considéré comme un crime le plus abject contre la société, la famille. Il attirerait les foudres des divinités et des ancêtres.
Qu’importe si les enfants, conçus dans telles circonstances, auront du mal à trouver les ressorts nécessaires pour se faire une place dans la société, traverseront toute leur vie un désert affectif et seront condamnés à payer la faute morale de leurs parents, il leur faut toujours décocher des flèches…
Or, pour cette fois, des praticiens du droit ont suggéré une interruption de grossesse médicalement assistée pour cette catégorie sociale, qui ne mérite pas de subir un autre supplice après un traumatisme sexuel. Ils ont mis des garde-fous contre le libertinage.
Mais les défenseurs de la morale, toujours prompts à ouvrir un large front de lutte, sont formels, le « yakh birr » ne prospérera pas au Sénégal. Ils invoquent la « loi sur la Santé de la Reproduction » (article 15), le « code de déontologie des médecins » (article 35) et le code pénal (article 305). L’État du Sénégal a souscrit, sans équivoque, au postulat qui n’autorise l’avortement « que lorsque la vie de la mère est à ce point menacée… » À travers leur posture, ils rappellent cette nécessité de disséminer la bonne information pour une adhésion massive à la cause des victimes de viol et d’inceste.
Des militants des droits de la femme s’attendent au respect du protocole de Maputo qui autorise l’accès à l’avortement à cette tranche sociale. Le Sénégal l’a ratifié depuis 2004. Habitués à affronter des poches de résistance, ils ont pu développer jusque-là des stratégies idoines pour calmer les ardeurs. Ils ont d’ailleurs été exposés au même scénario lorsqu’il a été question de promouvoir la planification familiale comme style de vie, dans l’optique de préserver la santé de la mère et de l’enfant. Les parangons ont reconsidéré leurs positions lorsqu’ils ont pris conscience des bienfaits d’un intervalle de deux ans entre deux grossesses. Ils venaient de cerner la différence entre espacer les naissances et les limiter.
Seulement, dans un monde où des hommes tremblent devant la montée en puissance des femmes de plus en plus autonomes et émancipées, les cris d’orfraie risquent encore d’être plus retentissants que les cris des bébés…