DECEMBRE 2004, LA PEINE DE MORT ABOLIE AU SENEGAL
Avec les assassinats sordides qui se produisent dans notre pays depuis quelques années, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer le retour de la peine de mort dans notre arsenal juridique. S’agit-il d’une bonne option pour décourager les criminels
Avec les assassinats sordides qui se produisent dans notre pays depuis quelques années, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer le retour de la peine de mort dans notre arsenal juridique. S’agit-il d’une bonne option pour décourager les criminels ? Les avis sont partagés mais la question est toujours d’actualité. Les lecteurs jugeront d’eux-mêmes mais Le Témoin revient, pour rappel, sur les deux exécutions qui ont eu lieu durant le magistère du président Senghor. Il y a 22 ans la peine de mort existait encore au Sénégal. Ce qui explique grandement l’inscription de cette sentence dans notre arsenal répressif, c’est parce que le magistère du président Léopold Sédar Senghor avait été émaillé par deux évènements aux senteurs politiques. Il s’agit d’une tentative d’assassinat contre le premier Président du Sénégal lui-même et du meurtre de Demba Diop, ancien député-maire de Mbour. Respectivement, Moustapha Lô et Abdou Ndaffa Faye furent froidement exécutés. Le premier nommé avait plaidé non coupable jusqu’à son dernier souffle devant le peloton d’exécution. Quant au le second, qui avait froidement poignardé Demba Diop au sortir d’une réunion avec le gouverneur de Thiès, reconnu coupable devant un tribunal spécial, il avait connu le même sort qu’Abdou Ndafatte Faye. C’était en 1967, un an avant l’éclatement des évènements de 1968.
Affaire Moustapha Lô :
enaces surles libertés publiques et appelle à l’apaisement infos Generales 7 LE TEMOIN quotidien - n° 1846 - mercredi 29 mars 2023 Par Mohamed Bachir Diop Avec les assassinatssordides qui se produisent dans notre pays depuis quelques années, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer le retour de la peine de mort dans notre arsenal juridique. S’agit-il d’une bonne option pour décourager les criminels ? Les avis sont partagés mais la question est toujours d’actualité. Les lecteurs jugeront d’eux-mêmes mais Le Témoin revient, pour rappel, sur les deux exécutions qui ont eu lieu durant le magistère du président Senghor. Il y a 22 ans la peine de mort existait encore au Sénégal. Ce qui explique grandement l’inscription de cette sentence dans notre arsenal répressif, c’est parce que le magistère du président Léopold Sédar Senghor avait été émaillé par deux évènements aux senteurs politiques. Ils’agit d’une tentative d’assassinat contre le premier Président du Sénégal lui-même et du meurtre de Demba Diop, ancien député-maire de Mbour. Respectivement, Moustapha Lô et Abdou Ndaffa Faye furent froidement exécutés. Le premier nommé avait plaidé non coupable jusqu’à son dernier souffle devant le peloton d’exécution. Quant au le second, qui avait froidement poignardé Demba Diop au sortir d’une réunion avec le gouverneur de Thiès, reconnu coupable devant un tribunal spécial, il avait connu le même sort qu’Abdou Ndafatte Faye. C’était en 1967, un an avant l’éclatement des évènements de 1968. Affaire Moustapha Lô : C’était le 22 mars 1967, jour de Tabaski. La cérémonie officielle de prière se déroulait sur l’esplanade de la grande mosquée de Dakar. Une tribune était dressée en l’honneur des plus hautes autorités du pays, ainsi que des chefs de mission diplomatiques accrédités au Sénégal. À la fin de la prière, alors que Léopold Sédar Senghor avait quitté la tribune et s’apprêtait à monter dans sa voiture décapotable, un homme s’était élancé vers lui, le pistolet au poing. Il appuie sur la gâchette. Et, selon les témoignages, comme ceux qui sont rapportés par Abdoul Baïla Wane, ancien directeur-adjoint de cabinet de Senghor, « on entendit par deux fois le déclic, mais le pistolet s’était enrayé. Un cri de frayeur s’éleva de la foule médusée. L’homme fut maîtrisé sur-lechamp, jeté dans une fourgonnette et conduit au commissariat central ». Qui était-il ? Il s’agissait de Moustapha Lô, membre d’une grande famille religieuse, et cousin de Cheikh Tidiane Sy, chef religieux alors mis en prison par Senghor. Une enquête est alors ouverte poursavoirsi ce jeune, aussi « courageux », n’avait pas été payé pour abattre le président Senghor. La machine judiciaire, mise en marche, avait arrêté plusieurs personnalités soupçonnées à tort ou à raison d’être complices de Moustapha Lô. L’unique question que se posaient les dignitaires du pouvoir socialiste de l’époque était : « pour le compte de qui travaille-t-il au point de vouloir assassiner le président Senghor ? ». Mais, celle qui grattait la cervelle du peuple, de manière générale, était plutôt : « est-ce que Moustapha Lô voulait vraiment tuer Senghor ? ». Devant la barre, l’accusé avait répondu à la seconde interrogation. Il avait soutenu devant lesjuges, les dignitaires du pouvoir et le peuple : « non ! ». Et de renchérir : « je n’avais pas l’intention de tirer sur Senghor. Je connais parfaitement le maniement de l’arme. Je voulais lui prouver que, malgré ses gorilles, il n’était pas à l’abri de la vindicte populaire ». Et, selon toujours Abdoul Baïla Wane, « rien dans son comportement, en prison, ne laissait voir en lui quelqu’un qui avait failli à sa mission ». Donnant des détails pour étayer son argumentaire, l’ancien directeur-adjoint de cabinet de Senghor de défendre urbi et orbi : « ni regret, ni déception ». Mais, pour Senghor, les choses étaient claires, car disait-il, « on ne fait pas de la politique avec un cœur de jeune fille ». C’est ce qui justifiait son refus d’accorder sa grâce à Moustapha Lô, malgré les interventions des chefs religieux de l’époque. Lô fut reconnu coupable de tentative d’assassinat contre le premier président du Sénégal. Le 15 juin 1967, devant le peloton d’exécution, le jeune Moustapha Lô, rapporte encore Abdoul Baïla Wane, fit preuve d’une sérénité et d’un courage peu communs. Après avoir prié deux rakkas, il s’était adressé à l’un de ses juges en ces termes : « je ne sais pas ce qui t’attend, mais moi je meurs la conscience tranquille, en martyr ». Après son exécution, les gens disaient : « man dal lii ! Xalé bou tutti bi ! Nga niko tëy ! Muni këp ; damaci sax për » (quelle affaire ! Un tout jeune ! Tu lui fais pan et il tombe. J’en ai vraiment peur).
Les regrets de Senghor sur les ondes de Radio France Internationale
Le Président Léopold Sédar Senghor avait fait des révélations de taille au lendemain de l’exécution de Moustapha Lô. Il semblait avoir laissé parler sa conscience : « pendant trois jours, j’ai eu des cauchemars terribles. Il ne s’agit pas de juger selon le point de vue de Dieu. Dieu seul peut juger dans l’absolu. Mais la peine capitale a encore un effet de dissuasion dans la société sénégalaise, malheureusement déculturée par rapport à l’équilibre harmonieux de la société négro-africaine et traditionnelle, et tout aussi malheureusement acculturée par rapport au déséquilibre de la société euraméricaine. J’insiste sur la déculturation. En effet, chez les socialistes démocrates d’Afrique noire, voire chez les marxistes-léninistes, qui restent croyants à 90 %, la foi l’emporte sur la pratique, car les ministres des cultes, imams ou prêtres prêchent beaucoup plus le dogme ».
Affaire Abdou Ndaffa Faye :
Son histoire a peu suscité une compassion populaire, tant l’acte avait été jugé ignoble. Pourquoi Abdou Ndaffa Faye avait-il froidement poignardé Demba Diop, alors député-maire de Mbour et ancien ministre de la Jeunesse et des Sports. Et dont un stade de Dakar et un lycée dans la capitale de la Petite côte portent le nom. Le député-maire de Mbour et président du groupe parlementaire de l’UPS (Union Progressiste Sénégalaise) a été assassiné au matin du 3 février 1967 à 10 heures, à coup de poignard, alors qu’il sortait d’une réunion avec le gouverneur de Thiès, en compagnie de ses collègues, les députés de Mbour Jacques d’Erneville et Ibou Kébé. Il est dit que Demba Diop avait été l’objet d’un guetapens. En effet, il était déjà danssa voiture et s’apprêtait à partir lorsque, d’après des témoins, le député Jacques d’Erneville, ayant à ses côtés Ibou Kébé, s’approche de lui et l’injurie. Demba Diop sort de sa voiture et un partisan de Jacques d’Erneville, Abdou Ndaffa Faye, se précipite sur lui et le poignarde en pleine poitrine, dans la région du cœur. Il fait quelques pas, perdant son sang en abondance sur l’asphalte du parking. Il meurt quelques minutes plus tard à 10heures 30, malgré les soins qui lui furent immédiatement prodigués à l’hôpital où il avait été acheminé. L’assassin fut maîtrisé par la foule, tandis que le député Jacques d’Erneville se présente de son propre chef devant le juge d’instruction. Une grande consternation gagne le cœur de tous les Sénégalais, surtout du président Léopold Sédar Senghor, de Lamine Guèye, alors président de l’Assemblée nationale et des parlementaires de manière générale qui venaient de perdre un brillant intellectuel âgé seulement de quarante ans. Une raison pour que Senghor déclare : « les coupables seront démasqués et frappés avec vigueur ». Un tribunal spécial est crée pour juger le meurtrier Abdou Ndaffa Faye et ses complices. Les juges, statuant sur le cas de ce dernier, avaient évoqué, à l’unanimité, un meurtre avec préméditation. Peu avant, les députés Jacques d’Erneville et Ibou Kébé avaient été exclus de l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS). Une sentence prononcée à l’unanimité par le bureau politique de ce qui était alors un parti unique ou « unifié ». Reconnu coupable du meurtre perpétré contre Demba Diop, Abdou Ndaffa Faye fut condamné à la peine capitale bien qu’il ait soutenu : « j’ai regretté mon acte et je n’avais pas l’intention de tuer Demba Diop ». Après quelques jours de détention à la prison centrale de Hann, il est exécuté le 11 avril 1967 à l’aube, au camp Dial Diop. Les deux députés, Jacques d’Erneville et Ibou Kébé, présentés comme les commanditaires du meurtre à cause de leur rivalité politique avec Demba Diop, sont respectivement condamnés à la prison à vie et à 20 ans de travaux forcés.
Rappelons que la peine de mort a été abolie au Sénégal le 10 décembre 2004. Mais la dernière exécution date de juin 1967. Abdou Ndaffa Faye : Né en 1922, il était l’ancien chef du village de Gandigal, arrondissement de Nguékokh.