DES MOTS POUR DISSIMULER DES MAUX
EXCLUSIF SENEPLUS - Que s’est-il passé depuis 2000 pour que le langage politique se transforme en un concert autant cacophonique que symphonique de violence inouïe aux limites largement dépassées ?
Depuis ma tendre enfance, le verbe m’a toujours fasciné pour ce qu’il représente comme facteur de sociabilité et de violence symbolique dans la trajectoire de vie d’une personne quels que soient son âge, son sexe et sa religion par ailleurs. Le verbe peut être le prolongement de l’arme de guerre dans la société traditionnelle ou une arme de médiation ou de résolution des conflits inhérents aux rapports sociaux. Le verbe (logos) s’est fait chair, il incarne et communique à la fois sens et substance selon Erick Auerbach ou la puissance du verbe. Le verbe devient une force de destruction ou de construction massive dans l’imaginaire des opinions publiques. Dans le discours politique actuel, des armes non conventionnelles sont utilisées pour détruire l’autre ou le neutraliser y compris sous la ceinture. Il en est de même pour les rapports amoureux où parfois la ligne rouge est vite franchie entre l’amour et la haine et transforme le lien initial en liaison fatale. L’inventaire du verbatim politique en vogue croissante au Sénégal renseigne sur la profondeur de la violence symbolique et physique qui en mine le champ politique.
« Je vais réduire l’opposition à sa plus simple expression », dixit Macky Sall, « Gatsa – Gatsa » (œil pour œil, dents pour dents), dixit Pastef ; Mortal Combat (titre de la presse) ; «j’ai déjà fait mon testament et je suis prêt à y laisser ma vie Ousmane Sonko» « il faut tuer Ousmane Sonko (SC) » Force va rester à la loi, je n’accepterais pas que des fauteurs de trouble dictent leurs lois » ; « le ministre de la Jeunesse qui appelle les jeunes à déloger Ousmane Sonko de chez lui pour le ramener au tribunal » ; Les policiers de la BIP qui cassent à deux reprises la vitrine de la voiture d’Ousmane Sonko pour l’extirper de force et l’amener au tribunal - image forte» ; « Si je dois donner mon point de vue sur le troisième mandat, je le ferais à mes partisans d’abord et après aux populations », dixit Macky Sall. « Celui qui essaie de jouer avec sa vie face aux forces de défense prend une option suicidaire GMF »
Ce décor des éléments de langage donne la mesure du changement de verbatim de la politique martiale que nous subissons et qui nous écrase tous les jours, amplifié sans réserve ni retenue dans les réseaux sociaux. Où sont les piques ludiques du défunt président Senghor à l’opposant Abdoulaye Wade l’apostrophant comme « Laye Ndiombor – le Rusé dont la tête ne peut retenir des cheveux rajoute la défunte Adja Arame Diene » et celles du président Abdoulaye Wade au président Abdou Diouf « M. Moulin, Mme Forage » ou celle plus cruelle interrogeant les jeunes en plein rassemblement du PDS « Combien parmi les jeunes qui sont ici présents ont un emploi ? » Comme une évidence, le public clame dès lors massivement :« Aucun de nous ! ». Ces joutes, c’était avant l’alternance de 2000. Que s’est-il passé entre 2000 – 2012 et 2012- 2023 pour que le langage politique se transforme en un concert autant cacophonique que symphonique de vulgarité et de violence inouïe dont les limites sont largement dépassées. Où sont passées toutes les soupapes de sécurité qui œuvraient pour la paix sociale ? Elles sont devenues subitement aphones, aux abonnés absents. Nous assistons à une forme de névrose qui donne la mesure de la psychose collective qui s’invite dans ce pays (Prof Serigne Mor Mbaye, tu permets). Notre société est à la croisée des chemins avec des troubles affectifs et émotionnels profonds au cœur du pouvoir et une violence multiforme dont les mots et les maux de notre souffrance collective en rendent compte tous les jours (féminicides, violence domestique, violence de voisinage, violence politique, étalage de vie privée dans le champ politique).
Les éléments de langage constituent aujourd’hui un enjeu stratégique dans la communication politique. Il apparait vital pour l’homme politique et les détenteurs du pouvoir de faire du bruit pour la conquête de l’opinion sans se soucier de la substance et du sens de leurs bruits. Les éléments de langage (EDL) sont considérés comme des messages pensés et construits à l’avance, pour organiser, à priori, le discours qui sera relayé par plusieurs intervenants dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il sont des paramètres importants pour analyser et comprendre la température politique du moment. Abdoulaye Wade a dit de lui même qu’il est un homme politique nuancé qui justifiait le nom que lui avait donné Léopold Sédar Senghor. Il était tellement nuancé que le PDS était conçu comme parti de contribution puis comme parti d’opposition jusqu'à prendre le pouvoir. Le Waxx Waxeet (se dédire) pour le troisième mandat du président Wade aura été le clou de sa perte de pouvoir avec son fils. Conscient du poids des mots dans la société sénégalaise pour ne pas dire africaine, Macky Sall, à la question de savoir s’il n’est pas en train de se dédire pour ce qui concerne le troisième mandat contre lequel il s’était engagé lors de sa fameuse conférence de presse conjointe avec Sarkozy le 11 avril 2011 à l’Élysée et lors de la campagne électorale de 2019, a répondu à L’Express : « Je ne me dédis pas », en parlant de « conviction du moment ». « Celle-ci peut évoluer et les circonstances peuvent m’amener à changer de position ». Chercher la nuance entre je ne me dédis pas, mais les circonstances du moment peuvent m’amener à changer de position. what a hell diront les Anglais pour exprimer leur dépit dans leur langage. Sommes-nous devenus des demeurés pour gober cette entourloupe de mauvaise foi ? Il s’agit d’une posture pour inciter, voire exciter, ses partisans à poursuivre les appels pour sa candidature. Il s’agit aussi de mobiliser de foules folles sous forme de Ndeup pour lui demander tout bonnement de se représenter pour lui permettre d’apprécier l’évolution des circonstances politiques en faveur du mandat de trop. C’est détacher l’un de l’autre pour en faire une fracture symbolique et active de l’adhésion et de l’action. Les réseaux sociaux sont venus détruire à notre insu et à bon escient le monopole des producteurs de pensée sociale. Le doctorant, le professeur, le journaliste, le médecin, l’homme politique, le député, le président, le ministre, le parti politique sont bousculés dans la médiation du savoir par les nouveaux actionnaires individuels et isolés de la toile web et y imposer l’inclusion sociale. Les médias traditionnels (Audio, TV, presse écrite) qui avaient le monopole de la diffusion des informations politiques du pouvoir ont perdu de leur lustre au profit de nouveaux diffuseurs notamment YouTube, Twitter, LinkedIn et Tik Tok. L’inclusion sociale des acteurs sur la toile reste un vecteur à la fois de la démocratie et de la profusion des messages, malgré l’existence de la police du web (cybercriminalité) avec l’arrestation des activistes au Sénégal pour des propos irrévérencieux.
La légendaire démocratie sénégalaise citée partout comme modèle parachevé en Afrique est en train de craquer et de se morceler sous les coups de boutoir d’un pouvoir autoritaire et sans limite dans la volonté d’accaparement en utilisant la violence physique des forces de défense et de sécurité et symbolique comme une arme de destruction massive. Pays de la Teranga, seule exception à ne pas connaître le cycle des conférences nationales après le sommet de La Baule à l’occasion duquel le président françois Mitterrand réclamait le dividende démocratique pour tous les pays qui veulent continuer à bénéficier de l‘aide publique au développement de la France.
« Bien qu'il soit impossible de se passer du langage, il ne faut l'employer que dans la mesure où il est indispensable, et la seule chose importante est de stimuler chez ceux auxquels on s'adresse, un mode de pensée, d'idées, semblables aux nôtres, qui les entraînera par leur propre mouvement, plutôt que par une contrainte syllogistique…» ( Newman , Grammaire de l'assentiment, trad. franç., p. 250).