DIALOGUE OU GUET-APENS CONTRE LA DÉMOCRATIE ?
Le péché originel du régime Benno-APR est d’avoir trahi les idéaux des Assises nationales. Ce qu’il faut pour remettre la vie politique sénégalaise à l’endroit va bien au-delà de la lutte contre le troisième mandat et pour l’éligibilité de certains ténors
Le doute n’est plus permis : le fascisme est à nos portes !
On est d’autant plus fondé à le croire, que les accointances entre le chef de l’A.P. R et les milieux de l’extrême-droite française se confirment, chaque jour, un peu plus. Nous n’en voulons pour preuves que l’audience qu’il a accordée, en janvier dernier, à madame Marine Le Pen et sa récente proximité avec un constitutionnaliste français réputé, lui aussi, proche de l’extrême-droite et qui bénit sa troisième candidature illégale.
Le déroulement du procès entre une jeune masseuse et le leader du Pastef pose un jalon supplémentaire dans la mise en place du projet autocratique qu’est en train de dérouler, depuis le 25 mars 2012, le patron de la coalition au pouvoir. Cette nouvelle cabale judiciaire, venant à la suite de la farce judiciaire sur la présumée diffamation d’un ministre de la République et surtout des massives arrestations des militants du Pastef indiquent clairement la direction vers laquelle se dirige notre pays, celle de l’exacerbation de sa nature autoritaire. L’affaire Sweet Beauty montre aussi les limites des batailles judiciaires contre un régime hyper-présidentialiste, qui a la haute main sur toutes les institutions, particulièrement celles législative et judiciaire.
En réalité, le péché originel du régime du Benno-APR est d’avoir, de manière éhontée, trahi les idéaux des Assises nationales visant l’approfondissement de notre démocratie et d’avoir refusé de procéder aux réformes institutionnelles arrivées à maturité.
Onze après, notre pays a fini de dégringoler vers les abysses sur la problématique des droits et libertés, en perdant plusieurs places dans le classement mondial de la liberté de la presse et en se complaisant dans l’immobilisme, en matière de lutte institutionnelle contre la corruption. Le peu d’indépendance dont pouvait encore se prévaloir le système judiciaire a fondu comme beurre au soleil, ce qui se traduit par une atteinte grave aux libertés (d’expression, de manifestation … etc.) et une réduction drastique des espaces civiques à laquelle la jeunesse tente vaille que vaille de s’opposer.
Par ailleurs, les remarquables percées faites par l’opposition au niveau des élections législatives, où elle a pratiquement fait jeu égal avec la coalition au pouvoir ont été annihilées par l’utilisation de la force brutale des FDS lors de l’installation des députés et un sabotage systématique consistant bloquer le Parlement. En effet, ses prérogatives ont été tout simplement confisquées, empêchant le traitement des questions orales, écrites et autres requêtes de mise en place de commissions d’enquêtes.
Cette vassalisation doublée d’une instrumentalisation des institutions parlementaire et judiciaire, a pour résultat la détérioration de l’indice de démocratie tel que conçu par le groupe de presse britannique the "Economist Group", affectant à notre pays le statut d’un régime hybride.
Au Sénégal, le régime hybride se caractérise, dans les faits par :
- une manipulation du jeu électoral, le plus souvent en amont de la journée électorale (opacité du fichier, obstacles à l’inscription des primo-votants, rétention des cartes électorales dans les zones favorables à l’opposition, contrastant avec inscriptions massives dans les fiefs du parti au pouvoir…),
- des pressions inouïes sur l’opposition radicale par la criminalisation de ses militants (arrestations, procès…),
- la corruption ou l’intimidation des forces politiques plus modérées par les redressements fiscaux, le chantage …
Nous en sommes maintenant arrivés à une phase, où les tenants du pouvoir apériste, qui ont commis des actes de prédation d’une extrême gravité se savent minoritaires (dernières élections, sondages occultes). Cela explique leur fébrilité et tous ces actes extrêmement préjudiciables à la paix civile qu’ils posent, pour éviter la survenue d’une véritable alternative sociopolitique, en somme pour préserver leur système politique à bout de souffle, en instaurant un régime autoritaire. Il s’agit, toujours selon la classification du "Economist Group", d’un État, avec des caractéristiques, qui commencent à nous devenir familières, dans lequel, le pluralisme politique est sévèrement limité voire inexistant, en somme, une dictature en bonne et due forme. On y observe certes, le plus souvent, un maintien d’institutions "démocratiques", mais elles sont vidées de toute leur substance. Par ailleurs, on assiste à
- la mainmise totale sur la Justice couplée à une criminalisation des acteurs politiques ou des activistes
- des violations répétées des libertés publiques,
- la tenue régulière d’élections frauduleuses, avec une sélection des candidats comme ce fut le cas aux présidentielles de février 2019,
- le contrôle quasi-absolu de la Presse, les médias privés étant contrôlés par des groupes alliés au pouvoir
C’est là tout le sens de ce soi-disant dialogue, que le régime apériste cherche à imposer à la classe politique et qui cherche à valider la transmutation de notre modèle démocratique déjà sérieusement abimé en autocratie pétrolière. De fait, il ne regroupe que des affidés et des chefs des partis satellites, membres de la coalition présidentielle, si on fait abstraction des quelques partis d’opposition, qui y vont, contraints et forcés, victimes de chantage portant sur l’éligibilité de leurs candidats, avec, comme qui dirait, un pistolet sur la tempe. Si on en juge par les propos d’un des pontes de l’A.P. R, lors d’une émission radiophonique, voilà ce que pourraient être les termes de référence du prétendu dialogue, qui se résument en 3 points :
- Omerta sur la candidature anticonstitutionnelle du président sortant,
- Marchandages sur l’éligibilité des candidats présumés de Taxawu Sénégal et du P.D.S
- Approbation de l’invalidation de la candidature du président du Pastef, l’empêcheur de « dealer » en rond
A y regarder de plus près, on se rend compte que ce sont les débris de la « vieille classe politique », dont la plupart avaient fait les beaux jours des gouvernements de majorité présidentielle élargie, au début des années 90, qui se déclarent partants. En somme, il s’agit d’éléments du fameux système remis au goût du jour par le leader du Pastef, auxquels se sont joints les ténors de l’ancienne gauche reconvertis à une nouvelle acception du large rassemblement. Cette dernière gomme les contradictions de classe et entend regrouper pouvoir et opposition, ainsi que gauche et droite, qui se retrouvent pour réanimer un système politique agonisant. C’est ce qui explique le fait que de larges secteurs de la classe politique, surtout ceux constitués par les nouvelles forces politiques émergentes aient décliné l’offre de dialogue du pouvoir.
Il s’agit en fait d’une fracture générationnelle entre adeptes d’une aube nouvelle symbolisée tantôt par un projet, tantôt par la quête de valeurs éthiques et des hommes d’appareils et /ou militants alimentaires, habitués depuis des décennies à la prédation et au clientélisme politique.
Ce mode de gouvernance autoritaire est le seul moyen que ces anciennes formations politiques caporalisées par des séniors au crépuscule de leurs vies ont trouvé pour contenir la marée montante des jeunesses activistes et patriotiques pressées d’en finir avec l’ordre néocolonial obsolète.
Il ressort de tout cela, que ce qu’il faut pour remettre la vie politique sénégalaise à l’endroit va bien au-delà de la lutte contre le troisième mandat et pour l’éligibilité de certains ténors politiques. Il s’agit de renoncer à ces multiples candidatures de témoignage et mettre sur pied un front unifié à l’instar du front républicain contre l’extrême-droite en France, reposant sur un socle programmatique consensuel.
Il faudra, en outre, enclencher un sursaut national et populaire pour barrer la route au projet autocratique de Macky Sall, pour une véritable refondation institutionnelle inspirée des Assises nationales.