IL Y’A TRENTE-TROIS-ANS, LE TEMOIN, J’EN ETAIS…
10 avril 1990 – 10 avril 2023 - On n’avait que nos stylos et nos bloc-notes
L’histoire du Témoin a sans doute commencé dans les couloirs de... Sopi, l’épisodique «hebdomadaire du changement» qui n’en finit pas de jaillir dans les kiosques à l’improviste, à chaque fois qu’une bataille s’annonce. C’est curieux, mais aujourd’hui qu’on soupçonne un affrontement imminent entre le PDS et l’AFP, ou même entre le président Wade et son Premier ministre, y a Sopi qui circule…
Je disais, donc, que ce mois-là, ce devait être en octobre, ou début novembre 1989, les gars de la rédaction avaient des mines renfrognées. On avait tardé à les payer. Ça jasait dans les couloirs. On ne comprenait pas : ce journal faisait pratiquement vivre tout ce qui gravitait autour de Me Wade, et affamait ses journalistes. Il parait que les députés du Pds, qui avaient décidé de boycotter l’Assemblée, se rattrapaient sur… les recettes de Sopi. On en était au numéro cent et des poussières, il était devenu un hebdo de 12 pages vendu à 200 francs. Le succès fulgurant avait commencé à prendre la pente raide descendante. On devenait nerveux depuis que les Nis avaient décidé de se passer de cette clientèle.
Bref, le bruit a couru que l’argent de Sopi servait à engraisser des députés qui avaient décidé de se passer de leur salaire. Les journalistes crevaient de faim. Moi ? Je n’étais pas journaliste, donc, je ne crevais pas de faim. J’étais simple correcteur qui avait fini par griffonner des « billets ». Ce soir- là, au bouclage, Mamadou Oumar Ndiaye, Mbagnick Diop, Bachir Diop (Serigne Bass pour les initiés) avaient le sourcil foncé, que dis je, franchement retroussé. Moi, je n’étais pas au parfum, mais ça ne sentait pas bon à mon sens.
C’est après qu’on m’a affranchi. Ils ont longtemps hésité avant de me mettre au courant. Ils avaient décidé de bloquer l’édition, jusqu’à nouvel ordre.
Apparemment, Ousmane Ngom, alors président du groupe parlementaire Pds et directeur politique de Sopi et feu Boubacar Sall, qui assurait l’intérim de Me Wade, alors en France depuis près d’un an, avaient décidé d’engager le bras de fer. Ils feront tirer les textes et en feront la mise en pages à l’imprimerie du Politicien, à la Zone B.
M.O.N et compagnie seront informés et iront en petit comité attendre Ousmane Ngom devant l’imprimerie de feu Mame Less Dia. Une bagarre éclatera avec un garde du corps. Les sanctions seront immédiates : les trois journalistes étaient virés. La bataille médiatique engagée entre les patrons par intérim du Pds et les journalistes licenciés durera le temps de deux déclarations publiques. Les véritables leviers de cette bataille étaient à actionner ailleurs… A Paris, où le boss préparait un retour triomphal depuis sa résidence de Versailles, peinard, les doigts de pied en éventail. C’est à son retour, en février, que le sort de ces trois journalistes rebelles sera scellé.
Lorsque Boubacar Sall et Ousmane Ngom viraient de la rédaction du Sopi M.O.N, Mbagnick Diop et Bachir Diop, il n’était pas vraiment besoin de dramatiser. Le vrai patron, au Pds, ça a toujours été Me Wade. Et il n’avait pas été avisé. Les nouvelles qui filtraient de Paris laissaient de l’espoir aux journalistes et à leurs inconditionnels qu’ils comptaient dans les rangs du Pds. Cheikh Koureyssi Bâ, le directeur de Sopi à l’époque, était débordé de tous les côtés par cette affaire. Les deux parties étaient des fortes têtes. Valait mieux laisser la situation telle quelle. Me Wade à son retour mettrait de l’ordre dans la maison. On était en novembre 1989.
Fin février ou début mars 1990, Dakar est en ébullition, Me Wade rentre enfin. Mamadou Oumar Ndiaye est à l’accueil. La poignée de mains qu’il échange avec Me Wade est encourageante. Il le rencontrera quelques jours plus-tard. Leur entrevue dope le rédacteur en chef de Sopi. Il nous réunit à la maison. Me Wade lui demande de présenter un mémo qui explique comment l’équipe compte relancer Sopi. C’est vrai que « l’hebdo du changement » ne s’est pas amélioré en leur absence. On discute des termes du mémo qui est dactylographié et envoyé à Me Wade. Dans notre entendement, ce n’est qu’une formalité d’usage. On tiendra même une petite réunion dans les locaux de Sopi, avec Cheikh Koureyssi Bâ qui dira son soulagement de retrouver sa rédaction.
Lorsque tombe la réponse de Me Wade, c’est la douche froide. Il ne veut plus entendre parler de la rédaction dissidente. Il se permet même un commentaire meurtrier : depuis qu’il y a une nouvelle rédaction, affirme-t-il froidement, Sopi est écrit en bon français. Le sort en est jeté. Il se dit que le brusque revirement de Me Wade est dû à la pression d’Ousmane Ngom et feu Boubacar Sall qui voyaient le retour des journalistes comme un désaveu.
Retour donc, à la maison, pour aviser. Il fallait créer notre propre journal. On avait tout juste des stylos et des bloc-notes… M.O.N et Mbagnick frapperont aux portes qu’ils connaissaient. Celle de Fara Ndiaye sera la bonne. Il nous aide à trouver cinq millions CFA qui passeront par un cabinet comptable chargé de vérifier nos dépenses d’installation.
C’est vrai qu’on n’avait pas vraiment l’air fin, à l’époque. Nous étions six, sans compter celui qui est derrière l’objectif, Moussa Kamara, Pascal Wane, le doyen s’occupait de sport ; Mbagnick Diop, grand reporter, Serigne Mour Diop, le secrétaire de rédaction, responsable de la fabrication faisait aussi des reportages en sport, Serigne Bass, le rédacteur en chef, M.O.N, le dirpub et, enfin, moi, qui m’occupais des bulles, du « Billet de Ibou », du «coup de sabot» et du «coup de chapeau». Hirsutes, maigrichons, un rien démodés, on n’avait pas des têtes à faire un bon journal. On l’a pourtant fait…
Le 10 avril 1990, c’était un mardi, il était cinq heures du matin lorsque l’on quittait « Team informatique » qui nous louait ses machines à Fass Delorme, direction, les Nis. C’est vers 7 heures 30 que l’on prit deux taxis avec nos 10. 000 exemplaires du premier numéro du Témoin. L’un d’eux, le nôtre à Pascal et moi, creva un pneu sur la route de Rufisque sur le chemin de l’ADP. On s’en foutait presque, on était dans des états seconds, pour diverses raisons, dont l’émotion. On avait tiré sur la convention d’établissement que la CSS avait signée avec l’Etat, qui coutait 9 milliards chaque année au contribuable. Un sujet tabou, alors, qui avait dégarni bien des rédactions. On était des téméraires, on avait osé. C’était le bon temps