LA CRISE AU MALI, UN HORIZON SOMBRE DANS LE SAHEL
La nécessité d’une bonne articulation entre le militaire, le diplomatique et le judiciaire provoquerait des résultats probants dans la lutte contre le djihadisme et la criminalité au Sahel, pour éviter l’approximation défectueuse
L’onde de choc fut sans précédent dans toute la région de l’Ouest Africain tant la cascade de massacres entre les communautés Dogon et Peul est tragique. Au-delà de l’indignation et afin de bâtir une réponse intelligente et viable, l’urgence dicte une posture lucide et fondamentale pour percer le mystère de cette « animosité » ethno-sociale manifeste qui a généré ces drames. Postulat pour installer définitivement la paix dans ce pays et démêler le pandémonium Sahélien.
Ces tueries qui ont ému le monde entier, résultent d’un long cycle de violences depuis l’avènement de la terreur dans la région. Un véritable crime international organisé s’est institutionnalisé avec la collusion de plusieurs éléments et organisations dont certaines d’obédience extrémistes. Le croissant Sahélien est alors devenu un angle mort enlacé par l’insécurité qui frappe l’imaginaire collectif et fait redouter le pire, lorsque les récents affrontements sonnent comme des prémices d’une guerre civile.
Un rapide regard dans le rétroviseur permet de comprendre la genèse de la violence au Mali. Incarnée au commencement par les ramifications d’Al Qaida ou les fractions qui ont formé plus tard AQMI, l’Etat Islamique, les insurgés islamistes acteurs de la décennie noire en Algérie du siècle précédent, retranchés et adoubés plus tard chez les Touaregs ; les mercenaires déboussolés fuyant la Libye d’un Kadhafi évincé et assassiné. À ce cocktail de terreur, s’ajoute Boko Haram dont le règne s’étend du Nord Nigérian vers le golf de la Guinée. Ces structures ont décliné leur dessein d’établir un Etat Islamique gouverné par la Charia en Afrique de l’Ouest, souvent soutenues par les organisations terroristes établies et parfois financées par certains états qui vacillent vers la philosophie salafiste.
Toutefois, cette entreprise extrémiste rencontre les réactions de la communauté internationale qui sous l’égide Onusien choisit d’opter pour une réponse militaire « hard power » comme le définit le stratège américain Joseph Nye. Ces mesures ont permis de neutraliser voire de barrer la progression des hordes d’extrémistes. Ce qui fut effectif, surtout avec l’intervention de la France au début de l’année 2013 dans l’opération « Serval » sans laquelle, les terroristes partaient pour une promenade de santé vers la capitale Malienne. Elle se poursuit avec l’installation de la force française “Barkhane” ou la MINUSMA pour le maintien de la Paix.
Malheureusement les actions coercitives menées pour annihiler les exactions extrémistes n’ont pas éradiqué totalement la menace devenue asymétrique et plus que jamais vivace.
Tel un virus belliqueux, l’extrémisme a étendu ses tentacules. Le Mali, hôte de ces indésirables groupuscules, possède une administration impuissante devant cet écheveau inextricable. Face à l’ampleur des dégâts et la montée des protestations populaires, l’exécutif se lance dans une kyrielle de solutions tatillonnes.
En lieu et place d’une projection à long terme ,impérativement soutenue par une appréhension affinée, pour s’inviter dans l’intimité de ces groupes extrémistes. L’état Malien, choisit de sous-traiter la sécurité des populations en armant des groupuscules ou en ignorant intentionnellement une militarisation accrue dans l’optique d’autodéfense et pour parer au désœuvrement et l’inefficience de sa propre armée. Cette option a décuplé les foyers de tensions qui se propagent partout dans ce territoire immense de plus d’un Km2, habité par divers groupes ethniques qui sont d’abord fondamentalement soumis à leurs propres codes et paradigmes avant toute allégeance à l’Etat central. Les conséquences désastreuses et évidentes aujourd’hui découlent de cette instrumentalisation éhontée des sensibilités par des ultra-extrémistes tapis au sein des diverses communautés, dans ce cas Peuls et Dogon.
Cependant, il faut éviter de réduire de façon triviale les faits à l’action d’une base Peule, ethnie d’Abdou Koufa incarnant l’extrémisme, hébergeant les cellules terroristes, opposée à un mur Dogon réfractaire à leurs visées radicales. Cela est mal comprendre la trajectoire de ces peuples qui ont vécu dans un climat pacifique à la mesure de leur singularité notamment sédentaire chez les Dogons, grands chasseurs et nomades chez les Peuls éternels éleveurs. Cette nuance doit être essentiellement comprise dans la stratégie de lutte contre le terrorisme dans le Sahel.
Entre 2003 et 2004, les américains ont mené la guerre en Afghanistan, en Irak. En dépit, de succès militaires apparents, ils ont parfois perdu l’assentiment des masses. Pour ne pas reproduire les mêmes erreurs, il est nécessaire de mesurer les subtilités locales. Il existe une cohabitation multiséculaire qui s’appuie sur une myriade de valeurs intrinsèques à nos cénacles sociétaux et dans lesquelles il faut reverser pour puiser des solutions et rallumer le calumet de la paix.
L’urgence d’agir pour l’histoire
Cette inertie continue, risque de nous voir assister à l’effritement d’une terre qui a abrité l’un des plus grands empires de notre trajectoire. Royaume au règne duquel nous est parvenu une charte fondamentale, La Charte de Mandé, C onstitution précurseuse, contrat social endogène célébrant l’humain, longtemps avant la Déclaration Universelle des Droits de l’homme en 1789.
Pour les valeurs humaines ...
Un soulèvement intrinsèque est attendu pour endiguer ces furies meurtrières qui déciment des innocents. Les leçons du passé, ne sont pas uniquement à méditer, elles doivent également servir de balise pour éviter de retomber dans des écueils dramatiques.
« N ous nous devons de mobiliser tout le soutien nécessaire pour l’aboutissement de l’Initiative africaine
pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine ; d’aider à la tenue, dans les conditions requises de transparence et d’inclusion, des élections prévues en décembre prochain en République démocratique du Congo ; et de déployer des efforts renouvelés pour hâter le règlement de la crise libyenne. »
Ces propos émanent de Moussa Faki Mahamat Président de la commission de l’Union africaine au sommet de la CEDEAO à Lomé le 30 juillet 2018.
Voilà peut-être le remède miracle qu’il faut appliquer au Mali, rassembler les forces vives Africaines pour les dresser vers un objectif commun de paix durable. Le temps est compté et chaque seconde d’hésitation creuse l’excavation de désespérance aux pieds des populations, victimes innocentes de l’obscurantisme et de la barbarie de criminels sans foi. Cette démission nous indexe tous les cas de figure qui se profilent à l’horizon et leurs dénouements terribles.
Le chaos se dessine et s’ébauche sous quatre scénarios :
- Un remake de la Somalie, c’est-à-dire un pays éclaté, partagé entre chefferies locales et bandes armées imposant la loi. En somme, une anarchie institutionnalisée qui éboule tous les piliers de l’Etat.
- Une gémellité provoquée à la Soudanaise qui devient l’ultime recours. Après des années de tension, de négociation et d’affrontements sanglants entre le Nord et le Sud, la division du pays est prononcée sous la houlette de la communauté internationale après l’incapacité à trouver une solution Africaine à la crise.
- Un génocide ethnicisé, qui nous projettera vers des souvenirs terribles 25 ans auparavant sur les collines Rwandaises. Aujourd’hui, l’atmosphère génocidaire plane au Mali quotidiennement entre ces deux entités qui se toisent en chiens de faïence. Cela devrait alerter le monde et plus singulièrement le reste de l’Afrique à réagir.
- Une dernière casuistique crainte, le bouleversement de la zone dans un Califat Ouest-Africain, l’ultime dessein des terroristes
Re-politiser la problématique du Sahel
Ce n’est pas une réflexion abrupte qui place au sommet la politique. Il s’agit de revenir à la dimension diplomatique et la privilégier sur l’utilisation de la « force aveugle et désordonnée » pour citer Dominique Villepin, afin d’impulser une sortie définitive de la crise. La constance de l’extrémisme violent en Afrique de l’Ouest est irréversible. Les bandes extrémistes ont opté pour une démarche ténue qui brouille les pistes qui pourraient nous permettre de remonter jusqu’au cœur de leurs organisations. En dépit de la mise en œuvre continue de tactiques provenant des Etats et des organisations internationales qui s’activent pour éliminer les menaces qui continuent de s’éterniser dans les zones infestées par ces forces extrémistes.
De quelles ressources disposent ces groupes ? Existe-il, une kyrielle de soutiens tapis à la périphérie assurant leurs arrières et facilitant leur redéploiement. Ces interrogations sont légitimes, et permettent de percer la bulle hermétique qui renferme les moyens de subsistance de ces entrepreneurs de la terreur dans le Sahel. L’étau militaire se resserre autour des extrémistes mais ils continuent à consolider leurs activités parce qu’ils seraient apparemment protégés en amont par des acteurs insoupçonnés qui bénéficient directement des fruits de cette instabilité.
C’est pourquoi la nécessité d’une bonne articulation entre le militaire, diplomatique et judiciaire provoquerait des résultats probants dans la lutte menée contre le djihadisme et la criminalité au Sahel, pour éviter l’approximation défectueuse. Toutefois, un autre aspect et sans aucun doute
principale motivation de bon nombre de ces groupes échappe au contrôle des entités loyalistes : l’argent qui émane des casemates du narco-terrorisme et qui est blanchi par le truchement d’un cercle vicieux impliquant banquiers, fonctionnaires et officiers qui ne s’encombrent pas de son origine illicite et autorisent la circulation de ces mannes financières.
L’entreprise criminelle est devenue tellement lucrative dans cette bande du Sahara,étendue sur plus de trois millions de km carrés que les accointances entre tribus criminelles transcendent le terrain pour rejoindre les officines officielles. Le Centre d’Etudes Stratégique de l’Afrique relève l’utilisation par les cartels de drogue de hauts fonctionnaires africains pour couvrir leurs arrières. Il existerait un double jeu incarné par de hauts placés qui édulcorent leurs discours et pèsent de tout leur poids pour retarder le démantèlement des bandes criminelles . La principale méthode utilisée par le business narco-criminalo-extrémiste consiste au blanchiment des sommes tirées de leurs forfaitures. Grâce à ce canal, des sommes astronomiques sont réinjectées dans divers secteurs de l’économie et assure leur vitalité. Il faudrait comprendre que le blanchiment consiste à dissimuler l’origine illicite des fonds et ainsi bénéficie subtilement à des segments qui peuvent l’utiliser à faire fructifier des investissements. Par ailleurs, le canal humanitaire informel est un cadre efficace utilisé par les organisations terroristes pour lever des fonds et échapper aux services de contrôles financiers.
C’est un attirail subtil par lequel les mécènes du terrorisme, parfois en toute connaissance de cause, pourvoient en moyens financiers colossales ces groupes dont ils partagent l’idéologie en douce, loin du discours cosmétique anti-terroriste destiné à la consommation de la communauté internationale.
Thierno Souleymane Diop Niang est Consultant-chercheur en Relations Internationales