LA DÉMOCRATIE DES BOULES PUANTES
« Viol et menaces de mort ». Après avoir instruit à charge et à décharge la célèbre affaire Sweet Beauty, le doyen des juges a décidé. Pour Oumar Maham Diallo, les charges contre Ousmane Sonko sont suffisantes pour le renvoyer devant une chambre criminell
« Viol et menaces de mort ». Après avoir instruit à charge et à décharge la célèbre affaire Sweet Beauty, le doyen des juges a décidé. Pour Oumar Maham Diallo, les charges contre Ousmane Sonko sont suffisantes pour le renvoyer devant une chambre criminelle pour jugement. Il s’agit, pour être précis, de la Chambre criminelle du Tribunal de Grande Instance hors classe de Dakar, la seule juridiction hors classe du pays. Ainsi donc, le président du parti, Patriotes africains du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité, ira fatalement en procès avec son accusatrice, Adji Sarr. L’ordonnance de renvoi du juge d’instruction est en effet insusceptible de recours en appel pour l’inculpé. Autrement dit, dans le cas d’espèce, Ousmane Sonko ne pourra pas saisir la chambre d’accusation de la Cour d’Appel aux fins d’annulation de la décision du juge Diallo. Le procès étant désormais inévitable, place aux enjeux pour l’opposant.
Le premier enjeu, et c’est une curiosité pour l’opinion, est lié à la stratégie du silence adoptée par Monsieur Sonko notamment sa posture face aux questions qu’il juge infamantes. A titre d’exemple, devant le procureur comme devant le magistrat instructeur, Ousmane Sonko a systématiquement refusé de répondre aux interrogations sur les relations sexuelles qu’il aurait entretenues avec la masseuse Adji Sarr. Il n’a pas non plus accepté de se soumettre à un test ADN. Un silence pour l’instant non payant pour l’inculpé parce qu’il ne lui a pas permis d’obtenir ce qu’il voulait : un non-lieu. La parole est d’argent, le silence est d’or. Tout l’enjeu est de savoir si l’adage jouera en faveur ou en défaveur du chef de l’opposition devant la Chambre criminelle.
Un autre enjeu, et non des moindres, c’est l’ampleur de la publicité qui sera faite autour du procès. La Chambre criminelle qui a remplacé la Cour d’Assises, va-t-elle ou non organiser un procès public ? La décision appartient à la juridiction, et à elle seule. Dans un procès où il sera question de sexe, de sodomie et de toutes les salacités liées à une histoire de massage qui aurait mal tournée, on devine aisément que la décision du président de la Chambre criminelle sera lourde de conséquences. Dans le scénario d’un procès public, si la jeune masseuse de Sweet Beauty a tout à gagner, l’accusé Ousmane Sonko a, en revanche, tout à perdre. Son image, sa crédibilité et son crédit pèseront lourd sur la balance de la justice. D’où l’enjeu de la candidature déjà déclarée du leader de Pastef à l’élection présidentielle de 2024.
L’opposant Sonko le sait mieux que quiconque : une condamnation ferme, un sursis ou même un acquittement au bénéfice du doute ruinerait ses chances de participation ou de succès à l’échéance électorale majeure prévue dans 12 mois. A l’inverse, un acquittement pur et simple lui ouvrirait grand les portes du palais présidentiel. Entre la prison et le palais, on le sait, il n’y a qu’un pas. Scénario surréaliste en direction de la prochaine Présidentielle au Sénégal : incertitude sur le sort judiciaire d’Ousmane Sonko, incertitude sur les inéligibilités de Khalifa Sall et Karim Wade, incertitude sur la candidature ou non du président sortant Macky Sall lui-même. En un mot, incertitude sur tous, incertitude sur tout.
Le Sénégal, pour conclure, donne l’image d’un pays qui a réinventé la démocratie en une transformation nauséabonde : la démocratie des boules puantes. Un grand homme d’Etat du siècle dernier avait prévenu : « Ceux qui lancent les boules puantes, finissent par sentir plus mauvais que ceux qui les reçoivent ».