LA FACE HIDEUSE DU JOURNALISME
La dernière parution de Cheikh Yerim Seck a suscité de nombreuses réactions teintées d’indignation dans le landernau journalistique et politique.
La dernière parution de Cheikh Yerim Seck a suscité de nombreuses réactions teintées d’indignation dans le landernau journalistique et politique. La controverse se poursuit dans les réseaux sociaux sous un angle particulier, avec comme trame de fond l’accusation portée sur le leader du PASTEF, dans un contexte politique particulièrement tendu, obstrué par la sordide affaire Adji Sarr, dont le traitement juridique défie la raison et tous les fondements du droit positif et naturel. Concrètement, que nous révèle cet ouvrage ?
En l’entame de ses propos, l’auteur se tresse des lauriers sur l’effigie qu’il s’est lui-même dressé en s’arrogeant la capacité d’influer sur le cours de l’histoire sénégalaise. Rien que cela ! Avec assurance, Il nous laisse entendre qu’il nous livre le must de ce que la profession journalistique est à même de produire dans ce pays. Et, dans la phase de promotion de son ouvrage, il anticipait sur les réactions du public, qui serait forcément de nature ad personam, à défaut de pouvoir lui opposer des arguments à la hauteur de son travail « scientifique », comme si ces propos aux allures incantatoires pouvaient conjurer et museler la critique légitime de son ouvrage.
Rien que dans la partie introductive de l’ouvrage, se brosse le portrait d’un personnage suffisant, prétentieux, hâbleur, peu soucieux de cohérence, en vérité le prototype accompli de l’homosenegalensis qu’il dénonce comme une émanation du règne de Macky Sall.
Passons rapidement sur la forme de l’ouvrage qui laisse apparaitre des insuffisances notoires, un travail décousu, des propos hasardeux suffisamment relayer par la presse, en particulier par Cheikh Bara Ndiaye qu’il traite « d’analphabète » pour n’être pas allé à l’école dite française. C’est pourtant cette personne, dont le parcours devrait plutôt nous interpeller sur la valeur de notre système éducatif, qui lui fait la leçon magistrale sur la déontologie et l’éthique journalistique, qui exige au minimum d’observer le sacrosaint principe de la double-vérification de l’information. Pour quelqu’un qui prétend effleurer les cimes de l’excellence, on découvre un personnage téméraire aux propos fortement mâtinés d’esbroufes.
Aucune révélation inédite
Sur le fond de l’ouvrage, Cheikh Yerim Seck nous parle de révélations inédites, d’un travail d’investigation approfondie qui lui a permis d’amasser cette somme « impressionnante » d’informations qu’il nous livre généreusement, comme un effort consenti au nom d’un patriotisme désintéressé.
Même en scrutant à la loupe, avec toute l’attention de l’entomologiste, c’est en vain qu’on trouverait une révélation sur les sujets qu’il aborde. Tous, à l’exception de l’’accusation portée contre Sonko, ont suffisamment été traités avec un professionnalisme remarquable par la presse libre et les acteurs de la société civile, qui portent avec honneur et dignité le combat contre la mal-gouvernance encore récemment pointée du doigt par le rapport accablant de la cour des comptes, et contre les dérives autocratiques et policières d’un pouvoir à la confiance érodée.
Au contraire. Cheikh Yerim Seck s’empare des révélations déjà connues et fortement documentées, non pas pour les étayer de nouveaux éclairages, mais plutôt pour les relativiser, les édulcorer en embouchant la ritournelle gouvernementale sur les réalisations économiques de Macky Sall, avec une emphase particulière mise sur les infrastructures. La fibre sociale vantée du Président, qu’il associe à ses origines modestes, est présentée à travers une série de mesures à caractère social. Prises individuellement, toutes ces mesures n’ont pas eu d’impact significatif sur la société et leur réussite reste fort contestée. A titre d’exemple, l’instauration de la Couverture Maladie Universelle (CMU), qui devait répondre à une demande sociale pressante, n’a pas eu les effets escomptés. Outre l’insuffisance des ressources allouées, comme en atteste la dette persistante de l’Etat auprès des institutions de santé, les carences du plateau sanitaire constituent la véritable entrave à l’offre sanitaire. Les populations rurales marginalisées par les politiques discriminatoires étatiques, restent les enfants pauvres d’une mesure qui se veut pourtant universelle. Au-delà des effets d’annonces de ces mesures nécessaires, c’est le mimétisme, l’impréparation et la gestion approximative qui les caractérisent. Ces dysfonctionnements sont révélateurs de l’absence d’une vision stratégique intégrée, arrimée à un véritable sentiment patriotique, qui place les bonnes personnes à la bonne place et confère à l’action publique toute la détermination requise pour relever les défis inhérents à la conduite des reformes. Au final, comment peut-on véritablement parler de fibre sociale lorsqu’on s’accommode d’une gouvernance peu vertueuse des deniers publics, lorsqu’on promeut le népotisme et le clientélisme par essence discriminatoires, lorsqu’on se complait dans la posture de subordination, en livrant à la prédation des multinationales les ressources stratégiques nationales, toute chose qui obère les finances publiques et compromet structurellement le développement économique et social du pays.
Un livre dépourvu de révélations
De révélations, l’ouvrage en est complètement dépourvu, à l’exception de l’accusation à la fois gratuite, mensongère et inopportune portée à l’encontre de Sonko ; accusation introduite de manière sibylline, au détour d’une argumentation visant à disculper le Président Macky Sall d’être l’instigateur de la cabale montée contre le Président du PASTEF dans l’affaire Adji Sarr. C’est la seule information de l’ouvrage méconnue du grand public, comme le montrent la convergence des réactionssur ce point particulier. On reste tout de même abasourdi par l’outrecuidance de cet individu au passif outrageusement accablant qui ose évoquer une question de mœurs à l’encontre d’autrui, en l’altérant de surcroit.
La lame de fond supposée destructive de cette accusation intervient à un moment où l’acharnement judiciaire de la magistrature, inféodée au pouvoir exécutif, s’essoufflait sous le poids des évidences portées à la connaissance du public, disculpantsans ambagesle Chef de l’opposition sénégalaise. Espérait-il ainsi redonner une nouvelle vigueur à l’acharnement d’un gouvernement enlisé dans ses propres turpitudes ? Ce procédé couard d’éliminer de la compétition électorale présidentielle tout adversaire redouté, inauguré sous l’ère Macky, laisse apparaitre une psychologie assez singulière, une pathologie caractéristique des républiques bananières. La vénalité et la haine ont la caractéristique d’être aveuglantes. Elles inhibent l’intelligence et étouffent la raison. Comment Cheikh Yerim Seck a-t-il pu espérer que cette accusation grossière, montée de toute pièce, pouvait prospérer, à moins d’adhérer au principe cynique évoqué par Bacon « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose », ou tout simplement d’être sous l’emprise enivrante de l’appât du gain, la rançon promise aux flibustiers.
Formé à la bonne école de Jeune Afrique, officine vénale de la françafrique, il en a hérité les méthodes et la pratique mercantile, où les hagiographies sur commande, des sections entières du journal consacrées à la propagande se monnayaient à prix d’or, au mépris de toute déontologie. On est bien loin de l’épopée de ces chevaliers de la plume, ces héros intrépides de l’information, au professionnalisme irréprochable, qui sillonnaient les maquis africains au péril de leur vie pour accompagner les mouvements des luttes d’indépendance : la ZANU au Zimbabwe, le FRELIMO au Mozambique, la SWAPO en Namibie, le MPLA en Angola, l’ANC en Afrique du Sud, le FLN en Algérie et à quelques encablures de chez nous, le PAIGC en Guinée Bissau et au Cap-Vert.
Un livre qui porte l’empreinte d’un travail commandité
En vérité, ce livre porte grossièrement l’empreinte d’un travail commandité. C’est une pièce du puzzle élaboré à dessein pour l’élimination d’un candidat encombrant. Mais en persévérant à vouloir récidiver la tentative avortée de mars 2021, Macky Sall fait courir au pays un risque majeur de déstabilisation, dont l’onde de choc n’épargnera pas sa propre personne et ses affidés. Une fois l’effet de surprise passé, ce livre aura la longévité d’un feu de paille, une existence éphémère déjà éclipsée par la sortie de Sonko du 19 janvier, qui redonne le tempo et recadre le débat sur les priorités du moment et la mobilisation nécessaire face aux échéances à venir.
Macky Sall et ses conspirateurs sont pris dans un engrenage suicidaire, une furie sans limite qui les conduira inéluctablement à la déchéance, dont les signes annonciateurs sont nombreux et palpables pour tout esprit lucide. Les regards sont aujourd’hui rivés sur les Chefs religieux qui ont joué un rôle décisif d’apaisement, au moment de l’insurrection populaire qui avait fortement ébranlé le pouvoir en mars 2021. Parallèlement aux conciliabules qui se mènent certainement en coulisse, leur intervention publique pourrait être rassurant et apaiser les esprits survoltés à la perspective d’un procès unanimement jugé comme injuste, tant les preuves, les témoignages et aveux accumulés convergent pour disculper Sonko.
Les risques d’embrasement du pays sont réels. Au sentiment d’injustice ressenti, s’ajoutent les frustrations d’une jeunesse laissée en déshérence, victime collatérale des politiques iniques gouvernementales, enlisée dans la mal-gouvernance, incapables de relever les défis du développement, malgré les nombreux atouts du pays. Les Chefs religieux tiennent leur légitimité de l’héritage légué par leurs vaillants ascendants, qui ont incarné, à un moment donné de l’histoire, le sens de l’honneur et de la dignité, dont les épopées nous sont toujours contées. L’alliance potentielle du trône et du minbar à laquelle s’attèle le pouvoir actuel porte les germes d’une profonde fracture sociale, dont les conséquences néfastes pourraient être préjudiciables au pouvoir religieux. Cheikh Ahmadou Bamba nous en conjurait lorsqu’il donna l’exemple dans ses rapports avec les souverains de l’époque ; posture consignée dans le mémorable opuscule, khalou liyarkham, dont la résonnance contemporaine nous rappelle l’attitude à observer face à un pouvoir désemparé, déployant tous azimuts sa puissance corruptrice, comme seul rempart à la dérive annoncée. Serigne Rafahi Mbacké, Imam aux prêches mémorables et salvateurs, rappelait l’actualité du message du Cheikh, qui balise les rapports entre le spirituel et le temporel.
A défaut de toute intervention dans ces moments de fortes turbulences sociales, le silence des guides religieux pourrait être compris comme une bienveillance à l’égard des autorités actuelles. Par la grâce de Dieu, le candidat Sonko, qui a suffisamment enduré les vexations d’une justice instrumentalisée, de plus en plus décrédibilisée, forcé d’avaler le calice amer de l’humiliation jusqu’à la lie, sortira grandi et vainqueur de cette confrontation. Et ce ne sont ni les rites sacrificiels des prêtes brahmanes de Delhi ou de Bombay, ni les milliers d’offrandes propitiatoires livrées aux esprits maléfiques d’ici ou d’ailleurs qui déjoueront la décision déjà écrite, jalousement consignée dans la tablette bien gardée. Le peuple sénégalais lui est déjà reconnaissant d’avoir susciter une vive espérance, non pas par la faconde d’un discours aguicheur et fallacieux, bien connu des sophistes politiciens, mais par une éthique, une praxis fondée sur une vision, un projet de transformation sociale qui s’enracine dans une tradition de refus de la soumission et de la compromission (Cheikh Anta Diop, NKwame Nkrumah, Amilcar Cabral, Thomas Sankara, etc.), mais aussi de grandeur et d’humilité, résolument tournés vers notre commun accomplissement.
Bamba Niakhal
23 janvier 2023