LA FIN D’UN CYCLE ?
Il serait risqué d’aller vers les prochaines législatives sans un ou des blocs cohérents et solides apte à permettre une gouvernabilité des réformes envisagées, à travers une assemblée ou les idées prospèrent à la place des coups de poing
Le scrutin du 24 mars 2024 a sans aucun doute sonné le glas des ambitions, sommes toute légitimes, d’une classe politique qui a fait irruption sur la scène politique à la faveur de la situation inédite crée par l’échéance du second et dernier du président Macky Sall.
La vérité du terrain qui a précédé de celle des urnes pour l’annoncer, a fini par trancher nette, non seulement en écartant un hypothétique second tour, mais mieux en traçant une ligne d’horizon de la recomposition de l’espace politique. Le message subliminal ainsi lancé, est que le parrainage n’a été qu’un épais nuage de fumée pour ceux qui, sur la base des listes obtenues, espéraient des scores à la hauteur du nombre minimum de parrains requis pour valider leur candidature.
Avec moins de 1%, les urnes ont livré un verdict cinglant pour les 2/3 des candidats. Les parrainages obtenus ne couvraient apparemment aucune réalité, et les soupçons d’achat de parrains ou de prêt de listes de parrainage reste une question sansréponse. L’avenir nous édifiera sur la sincérité des signatures et les procédés mis en œuvre pour les obtenir.
Au total, tout le monde reconnait aujourd’hui les résultats du scrutin proclamés par le Conseil Constitutionnel, mais peu sont ceux qui en tirent toutes les conséquences, que dis-je tous les enseignements, les conséquences viendront après.
Certains dans un manichéisme radical renvoient Idrissa Seck, Khalifa Sall, Aminata Mbengue, Moustapha Niasse et autres vétérans de la gauche BBY à la retraite, pour laisser place aux jeunes. Mais, il faut dire que ce n’est pas aussi simple que cela, car BBY n’a pas encore livré sa dernière bataille si tant est qu’elle survive à Macky Sall, et ses composantes baties sur le modèle stalinien, n’ont pas prévu d’évolution positive pour générer une nouvelle élite.
De prime abord, on peut concéder cette vision des choses, mais elle reste seulement limitée aux faits, et aux personnes. En revanche, elle ne prend pas en compte les dynamiques structurelles qui traversent le système politique sénégalais sur un vent de recomposition.
Si on va au fond des choses, on ne peut pas écarter l’idée d’une fin de cycle, selon laquelle la circulation des élites, qui jusque là s’est faite à l’horizontal, reprend une certaine verticalité à la faveur du « mouvement revendicatif » pro rajeunissement du personnel politique, avec des profils souvent sans antécédents de militantisme actif. . On est encore loin de l’alternance générationnelle, car pour une raison très simple, il n’y a pas de ligne de démarcation nette entre deux ou plusieurs générations. Les faits sociaux le prouvent, et la réalité politique en atteste.
Pour être plus précis, l’horizontalité des alliances(souvent qualifiées de contre nature) à l’image des gouvernements de majorité présidentielle élargie, ou de la CAP 21, voire de BBY, qui a duré 12ans, a permis de constater que la volonté de conserver le pouvoir par une élite née avant les indépendances est très nette. Le phénomène de la transhumance qui en a été la sève nourricière a de fait, permis une certaine circularité du personnel politique au sein et entre les formations politiques, aujourd’hui en perte de vitesse, à chaque alternance.
L’état providence a créé une oligarchie qui s’est auto- entretenue à travers ses mécanismes d’accaparement du pouvoir que ni le régime de Abdou, et même celui de Wade, n’ont pu inverser. Celui de Macky Sall qui en a accru l’ampleur, a été la dernière étape, tout au moins la transition vers une nouvelle verticalité. Celle de la rupture.
L’arrivée de Macky Sall au pouvoir, et de son successeur Bassirou Diomaye Faye a amorcé le point d’inflexion du système.
Certains y voient d’ailleurs la marque d’une réussite de l’école publique, qui a permis l’arrivée au pouvoir de la génération postindépendance d’origine sociale modeste et décomplexée.
Ce sont les signes avant -coureur de la fin d’un cycle, au-delà des chiffres et des hommes qui l’ont animé, ou qui en étaient les moteurs.
En effet, l’option du changement de paradigme, et le système de valeurs sur lequel il est adossé, fait qu’une certaine élite qui jusque- là animait le jeu politique risque, faute d’une profonde remise en question, de se retrouver dans les rangs des partis dits historiques comme le PAI, ou le BDS, le PS, AJ, LD, AFP, ou de sombrer définitivement dans l’oubli comme le PAIM de M. Aly Niane.
L’actuelle « gauche » ou ce qui en reste, qui a fondé toute sa stratégie politique autour de la « participation » , risque d’être fatalement anéantie, si l’on sait que la moyenne d’âge est très élevée, inversement proportionnelle à celle de l’électorat. Pour ces partis, qui ont fait le deuil des renouvellements de leur personnel politique, paieront le prix fort de leur inertie et de leur séjour dans les sphères du pouvoir, que beaucoup qualifie de complaisant, pour ne pas dire de complice, de toutes les violations des libertés, de la loi, bref de la démocratie pour faire simple.
La perspective qui se dessine fortement est que, in fine, le nouveau leadership naissant, incarné par les leaders de Pastef, Barthélémy Dias, Déthié Fall, (bref Yewwi Askan Wi) pourra sans doute, transcender le clivage partisan, pour aller vers une recomposition. La réalité de l’exercice du pouvoir oblige, car avec 54,28% il serait risqué d’aller vers les prochaines législatives sans un ou des blocs cohérents et solides apte à permettre une gouvernabilité des réformes envisagées, à travers une assemblée ou les idées prospèrent à la place des coups de poing.
Le challenge de l’exercice sera maintenant de faire ce savant dosage sans reproduire les tares du système antérieur à qui on a reproché la main mise sur la justice et la prédation des ressources