LA SAVEUR DES DERNIERS MÈTRES
Le nouvel ouvrage de Felwine Sarr est plus qu’un carnet de voyage intellectuel. C’est une ode à la vie, une invitation à tous les humains épris d’amour et de poésie à produire des imaginaires nonobstant les origines culturelles des uns et des autres
Samedi, 16 Janvier 2021. Il est 2h39, je viens de dévorer d’une traite le nouveau récit de Felwine Sarr que j’ai acheté à la librairie Gibert Joseph, 26 boulevard Saint Michel. La saveur des derniers mètres. Dans ce bel ouvrage, l’intellectuel sénégalais profondément attaché à son île bien-aimée mais ouvert aux étreintes du monde, raconte des lieux, des visages, l’aventure humaine, pleine de découvertes, d’émotions et d’amitié. Mais, La saveur des derniers mètres, c’est aussi et surtout une ode à l’humanité dans toute sa splendeur. Felwine Sarr met en lumière l’importance du dialogue des cultures. Il porte un regard croisé sur les endroits de son enfance au Sénégal. L’île Niodior : le point de départ de sa vie, la terre natale, la matrice. Là d’où viennent le vieux colonel et maman Rokhy Ndiaye jusqu’aux villes visitées entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique. Istanbul, Le Caire, Conakry, Montréal, Port-au-Prince, Lisbonne, Douala, Mexico, etc. Dans ces différents espaces géographiques, Felwine Sarr entreprend l’exploration des imaginaires avec beaucoup de lucidité. L’autre trame de l’ouvrage porte sur ses activités sportives notamment la course, le budo, art martial japonais apparu entre le milieu du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle. Ces moments procurent une certaine saveur de liberté, de simplicité, de grâce pour Gnilane (Chimamanda), Fakhane (Dianké Waly) et pour le reste du groupe. Tous les kilomètres parcourus rappellent que la vie est un cadeau donné par Dieu et que l’homme est la ressource la plus précieuse au monde.
Niodior, la matrice
C’est le point d’ancrage et de désancrage de La Saveur des derniers mètres. Sarr décrit la carte postale de l’île, ce lieu qui laisse rêveur tous les Niominkas, avec un regard neuf. Les premiers litres de mots de l’ouvrage sont consacrés à la terre natale, là où repose le vieux colonel, son père. Niodior est le lien de communication avec l’extérieur. L’île permet de voir le monde en relief à travers les hommes et les femmes qui l’habitent mais aussi les liens de famille qui lui rappellent une culture, une identité. Les discussions chaleureuses « sous le manguier de Boussoura » avec les siens sont des moments de transmission et de reconnexion - « Reconnaissance, exhumation des liens de famille, tout cela dans une ambiance bon enfant », écrit l’écrivain et l’universitaire sénégalais. On peut lire en filigrane que la famille est l’une des principales instances de transmission du capital culturel.
Le retour à Niodior est aussi un moment de recueillement dans le cimetière de Baaback, lieu thérapeutique du souvenir et du rappel à l’humilité. Dans ce monde des morts, Felwine Sarr vient parler au vieux colonel, son père. De ses pérégrinations, ses projets et les décisions à prendre. J’ai lu, avec un flot de frissons, ces lignes couchées à la page 138 – « Je viens te dire au revoir. Je pars pour les États-Unis avec Gnilane, où je vais désormais vivre. Je vais enseigner à l’université de Duke, où j’ai obtenu un poste de professeur. Je te demande du pays sans fin de veiller sur nous. Puissent ta paix et ta force nous accompagner. »
Pa(e)nser le monde grâce aux apports féconds des voyages
Étant un grand lecteur de l’écrivain franco-libanais, Amin Maalouf, l’universitaire sénégalais a bien saisi les propos de ce dernier sur le voyage « N’hésitez jamais à partir loin, au-delà de toutes les mers, toutes les frontières, tous les pays, toutes les croyances. » Il faut habiter le monde afin d’inventer une géographie ouverte et réceptive aux mouvements dynamiques du dedans et du dehors. Il y va de la survie de l’homo sapiens à cette époque de l’Anthropocène – « la catastrophe écologique est éminente. Un barrage participait de l’imaginaire du progrès de l’époque. Aujourd’hui, il s’agit de vivre dans une ville qui va disparaître », écrit Sarr à la page 113. Cette visite à Alexandrie en compagnie du brillant écrivain Mbougar Sarr, lui remémore que l’urgence écologique est une réalité. Le système néolibéral afflige une violence inouïe à l’environnement. Alors, il faut agir en homme de pensée et en homme d’action. C’est possible de changer les choses en s’armant de volonté immuable - « Partout dans le monde, des femmes et des hommes de bonne volonté travaillent à maintenir la lumière allumée. J’en ai rencontré à Alger, à Lannion, à la Villette à Paris, à Ouaga et ici, à Lisbonne », écrit l’initiateur des Ateliers de la pensée.
La saveur des derniers mètres est plus qu’un carnet de voyage intellectuel et spirituel. C’est une ode à la vie, une invitation à tous les humains épris d’amour et de poésie à produire des imaginaires nonobstant les différentes origines culturelles des uns et des autres.