LE DÉMOLISSEUR
Les forces vives, dans leur globalité (partis politiques, organisations de la société civile), doivent faire abstraction de leurs égos surdimensionnés et se retrouver autour d’un programme minimal de sauvegarde de la paix civile
Assurément, le président Macky Sall s’emploie, depuis son accession à la magistrature suprême, à détruire, du mieux qu’il peut, les ressorts démocratiques d’une nation considérée, depuis plusieurs décennies comme une vitrine démocratique sur le continent africain. Paradoxalement, le successeur de Me Abdoulaye Wade, bien élu avec une confortable majorité de 65%, avait proclamé, devant le peuple des Assises, sa volonté d’appliquer les conclusions des Assises nationales et avait mis en place une commission nationale de réforme des institutions (C.N.R.I). Il semblait, donc, désireux de promouvoir notre démocratie, allant même jusqu’à vouloir raccourcir son premier mandat.
Mais à mesure qu’approchait la fin des cinq premières années du septennat, les traits de caractère inhérents aux politiciens, à savoir, le reniement et la boulimie du pouvoir ont pris le dessus sur les exigences fondamentales de la démocratie et de l’État de droit.
À tel point, que maintenant, en 2023, à la veille d’une troisième alternance, marquée par la perte de majorité de la coalition au pouvoir et par un profond mécontentement populaire, le tableau sociopolitique est des plus hideux, évoquant une crise politique majeure.
De fait, le chef d’orchestre semble avoir perdu le fil (conducteur) pour produire une symphonie démocratique achevée. En effet, le chef de l’État, clé de voûte des institutions, non content de rejeter les recommandations et le projet de constitution de la C.N.R.I s’était dédit et avait trahi sa promesse de réduire son mandat de deux ans. Il allait, également, s’atteler à déconstruire, méthodiquement, les fondamentaux de notre démocratie, en ayant l’onction de dirigeants politiques, souvent issus de la gauche et qui, dans le passé, avaient joué un rôle central dans la genèse des avancées démocratiques dans notre pays. C’est ainsi que le référendum du 20 mars 2016 allait constituer le point de départ de régressions démocratiques majeures, conférant, de plus en plus, à notre système politique des caractéristiques d’une autocratie en devenir, selon au moins qutre grands axes :
- Promotion d’une nouvelle "sous-culture" politique faite d’invectives, d’insultes et d’intolérance voire de stigmatisation, à contre-courant de nos vieilles traditions de tolérance, de fair-play donnant lieu à des confrontations démocratiques généralement pacifiques, tout au moins, depuis l’instauration du multipartisme intégral,
- Affaiblissement de l’Opposition politique par l’infiltration, la transhumance ou débauchage, le chantage, la corruption ou des cabales mal ficelées,
- Atteintes aux libertés (d’opinions, de réunion...), avec un autoritarisme de plus en plus prononcé et un renforcement, sans précédent de l’appareil répressif,
- Perversion du processus électoral par l’inscription discriminatoire et à géométrie variable des électeurs selon leur appartenance politique supposée ou par une stratégie d’éviction arbitraire des candidats rivaux aux présidentielles de 2019 et d’élimination des listes concurrentes (locales et législatives de 2022) par divers mécanismes (instrumentalisation de la Justice, de la loi sur le parrainage, institution de cautions...)
Ce dévoiement sans précédent de notre vie démocratique digne d’un démolisseur de nos institutions, d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, semble inspiré par les théories de l’illibéralisme, reléguant les libertés à l’arrière-plan et confisquant nos outils, démocratiques, en vogue dans certains pays comme la Hongrie et est certainement lié à notre nouveau statut de pays pétrolier et gazier.
On note une absence totale de pudeur et de mesure, une arrogance, sans précédent, et l’emprisonnement, à tour de bras des citoyens innocents ayant le seul tort de militer au Pastef ou d’exprimer librement leurs opinions critiques vis-à-vis de la gouvernance calamiteuse du pouvoir apériste. A contrario, les proches du clan présidentiel bénéficient d’une impunité quasi-absolue pour tous leurs crimes et délits, surtout dans la sphère des finances publiques (rapport de la cour des comptes) et de la spéculation foncière.
S’il est vrai que le régime actuel n’a rien inventé en matière de forfaitures et de mal-gouvernance par rapport aux socialistes et aux libéraux, leur pratique politique est caractérisée par la démesure et le manque de finesse. C’est ce qui explique que le complot mort-né de Sweet Beauty contre le président Ousmane Sonko, qui aurait dû être enterré à la Section de Recherches, continue de servir d’épouvantail et de facteur de diversion, dans l’espoir d’éliminer, par le biais d’un procès, comme en 2019, un rival gênant pour les prochaines présidentielles de 2024.
Qu’est ce qui empêcherait des juges, qui ont pu enrôler une affaire fictive d’un viol non attesté par le certificat médical du gynécologue, de condamner un coupable imaginaire ? Quelle crédibilité peut encore avoir cette Justice du prince, qu’on peut accélérer ou freiner au besoin, pour qu’on doive se soumettre à ses décisions frappées du sceau de l’illégalité, d’autant qu’elle montre, chaque jour, son incapacité à s’auto-réguler ?
Tenter de se soustraire à des décisions de justice iniques ne peut alors qu’être salué comme un acte répondant au droit constitutionnel de résistance à l’oppression et héroïque, à l’instar de ceux qui ont coûté, à Nelson Mandela et à ses camarades de l’ANC, des décennies de liberté.
Il est cependant plus que temps de transcender le contexte explosif actuel et de réfléchir sur des voies de sortie de crise. C’est pour cette raison que les forces vives, dans leur globalité (partis politiques, organisations de la société civile), doivent faire abstraction de leurs égos surdimensionnés et se retrouver autour d’un programme minimal de sauvegarde de la paix civile.
En outre et au vu des deux alternances décevantes de 2000 et 2012, il faudrait, de plus en plus se pencher sur la possibilité de mise en place d’une phase de transition de 2 ou 3 ans, qui devra déboucher sur une refondation de l’État inspirée des idéaux des Assises nationales et prenant en compte l’impact de nos nouvelles ressources minérales, surtout celles pétrolières et gazières.