LE SÉNÉGAL DANS LE GOUFFRE SYSTÉMIQUE
Décembre 1962, mai 1968, 1974, 1988, 1993, juin 2011, mars 2021, juin 2023.. sont autant d'épisodes dramatiques sans reddition des comptes, ni responsabilités situées, démontrant à suffisance l’amnésie d’un État qui refuse d’avoir de la mémoire historique
Les événements tragiques survenus lundi dans la commune de Khossanto ont conduit au bilan macabre de deux morts par balles et d’une dizaine de blessés. A l’origine de cette odieuse répression, un arrêté préfectoral portant création et organisation de la commission chargée du recrutement de la main d’œuvre locale non qualifiée pour le compte de la société minière Endavour Mining, basée à Sabodala.
A l’évidence, si la tuerie de deux compatriotes sénégalais par nos forces de défense et de sécurité semble n’émouvoir personne, c’est parce que notre pays s’est froidement enlisé dans un gouffre systémique nourri et entretenu par une République cartellisée.
Après décembre 1962, mai 1968, 1974, 1988, 1993, juin 2011, mars 2021, juin 2023, tous ces épisodes dramatiques sans reddition des comptes, ni responsabilités situées, encore moins d’enquête indépendante, démontrent à suffisance l’amnésie d’un État qui refuse d’avoir de la mémoire historique. Mais au-delà, ce mutisme pose plusieurs problèmes dont il faut analyser les causes et ceci à cinq niveaux :
Une presse démissionnaire
Longtemps considérée comme le quatrième pouvoir dans un système démocratique, la presse sénégalaise qui était dépourvue de liberté dans les années 60 et 70 s’est foudroyée malgré l’alternance de 2000 dans une logique de course éhontée aux prébendes du Prince.
Sinon comment comprendre la non-couverture assumée d’une information si importante et vitale dans l’actualité socio-politique de notre pays ?
Deux vies humaines perdues ! Pas d’édition spéciale ! Pas de reportage en direct ! Bref, un traitement silencieux et minimaliste.
Ces médias à qui, le peuple souverain a octroyé des licences en leur concédant un service public avec attribution de subventions, ont décidé de lâcher ce peuple martyrisé pour se faire complice de son agent meurtrier : le système.
Une administration de seigneurie féodale
S’il y a une corporation à pointer du doigt et qui sans doute est coupable de tous les crimes flagrants perpétrés contre le peuple, c’est bien l’administration : une administration bâtie sur des fondements néocoloniaux qui conçoit l’administré comme un sujet à dominer et non un citoyen à servir. Cette mentalité régressive transparaît le plus souvent dans l’administration territoriale et la magistrature. Sans ambages, à chaque fois que la République est en danger, le combustible source de l’embrasement est soit un arrêté ou bien un arrêt.
Depuis Mamadou Dia, les décisions judiciaires rendues par nos cours et tribunaux n’aboutissent qu’à la persécution, la haine et la colère. Depuis 1963, les mesures administratives prises par nos gouverneurs et leurs subordonnés ne reflètent que le mépris des populations administrées.
Des forces de défense du système
Nos forces de défense et de sécurité souvent citées en exemple en Afrique ne sont pas exemptes de reproches. En effet, si une certaine bien-pensance voudrait leur attribuer une posture foncièrement républicaine, force est de reconnaître que depuis plusieurs années, elles se sont muées dans une loyauté aveugle, en bras armé du pouvoir tyrannique de Macky Sall sans une seule fois remettre en cause les conséquences désastreuses de ses actes, ou user de l’objection de conscience lorsque l’éthique la plus fondamentale est remise en cause.
Aujourd’hui, il est nettement établi que notre armée, notre gendarmerie et notre police faillissent à leur mission républicaine et leur éthique nationale. La responsabilité des massacres de mars de 2021 et de juin 2023 leur est justement imputable.
En république, l’armée doit jouer et assumer son rôle de contrepouvoir qui désamorce les crises et stoppe les dérives dictatoriales.
En République, la gendarmerie ne tire pas sur son peuple.
En République, la police ne doit pas s’allier avec des milices.
Un République monarchique
A entendre certains journalistes et intellectuels flagorneurs, la démocratie sénégalaise est peinte comme mature et aboutie. Mais à l’épreuve des faits, on s’aperçoit aisément que le système politique sénégalais, hérité de la constitution gaullienne de 1958, repose essentiellement sur la concentration des pouvoirs, en réalité de tous les pouvoirs entre les mains d’un monarque qui n’a qu’un seul alibi : le suffrage universel.
Cette légitimité populaire qu’il utilise comme fondement de ses lubies est aujourd’hui profondément écornée. Au Sénégal, le Président de la République est un empereur qui règne sans partage et ses sbires peuvent tout se permettre. A voir les arrêtés anachroniques et moyenâgeux de nos préfets et sous-préfets qui interdisent maintenant des tournois de football dédiés à un opposant, il n’est pas exagéré d’affirmer que le coup d’État contre le peuple est désormais permanent comme disait Mitterrand en 1964.
La Constitution sénégalaise qui limite le domaine de la loi (article 67) et attribue au règlement un caractère illimité et résiduel (article 76), a confisqué la volonté populaire et consacré la prédominance hypertrophique d’autorités illégitimes qui ne doivent leurs titres et fonctions qu’à un seul homme, le président détenteur de tous les pouvoirs mais responsable de rien.
Une économie extravertie à la solde de l’impérialisme
Khossanto, une commune du département de Saraya située dans la région de Kédougou, riche en minerais. Une zone où l’or est extrait depuis près d’une quinzaine d’années par les multinationales au détriment des populations locales. En substance, l’État du Sénégal a pris l’option irrévocable de livrer l’écrasante quantité des revenus issus de la production minière aux compagnies étrangères tout en se contentant de miettes.
Selon l’ITIE, les mines n’ont rapporté que 167 milliards F CFA au Sénégal en 2020. De plus, le taux de progression des recettes minières n’est que de 7%. Une situation lamentable due à un manque de vision économique endogène, une corruption institutionnalisée, un cadre juridique scandaleux et une gestion opaque du secteur minier. Aujourd’hui, dans l’Est du pays, la production minière est abondante et en pleine croissance, pendant que la population locale est dans l’indigence la plus absolue.
A l’aube de l’ère la production pétrolière, le système qui repose sur l’assujettissement du peuple et la corruption des élites est dans la tourmente. Oui, le système est démasqué et les Sénégalais sont éveillés. Oui, le système est minoritaire et les Sénégalais ont soif de changement.
Sentant sa faiblesse et à bout de souffle, le système mise désormais sur deux choses : la violence aveugle et la censure systématique.
Ainsi, il compte sur deux alliés : notre peur et notre inertie.
Dans un tel contexte, la voix du peuple doit retentir partout pour faire face aux usurpateurs de son pouvoir, ceux-là qui ont confisqué ses libertés et privatisé son État. Il est plus qu’urgent de rétablir l’ordre public qui n’est rien d’autre que la justice et la vérité.
Alors, une refondation s’impose !
Force restera au peuple !
Force restera à la loi !
Maître Ngagne Demba Touré est Coordonnateur national de la Jeunesse Patriotique du Sénégal- JPS.