LES YEUX DANS LES YEUX
Monsieur le président de la République, veuillez accepter mes maladresses, lorsque vous jugerez utile de me lire. S’adresser à une haute autorité de l’Etat, n’est jamais aisé à plusieurs titres
« Si quelqu'un d'entre vous remarque des abus, qu'il les fasse disparaître en y portant la main; s'il ne le peut avec la main, qu'il y emploie la parole, et, si la langue est trop faible, qu'il y travaille avec son cœur ». Citation du Prophète de l'islam.
Monsieur le Président de la République, Veuillez accepter mes maladresses, lorsque vous jugerez utile de me lire. S’adresser à une haute autorité de l’Etat, n’est jamais aisé à plusieurs titres. Parce que certaines questions peuvent se poser au rédacteur. A savoir, d’abord, si les propos formulés parviendront au destinataire réel. Ensuite, si les propos tenus seront du goût dudit destinataire. Sinon, dans le cas du Président de la République, comment son cabinet interprétera-il l’esprit et la lettre du discours de l’auteur du courrier censé atterrir sur sa table ? Et enfin, qui intercepte les courriers expédiés par le commun des citoyens ? Autant de questions qui trottent dans ma tête. Mais nul doute, M. le Président, vous comprendrez que le pays, notre Sénégal, est plus grand que toutes autres considérations. Alors, mon hésitation n’a pas pesé lourd face à la situation conflictuelle que vit le peuple sénégalais. Je prends, dès lors, le risque de vous adresser mon inquiétude qui est aussi celle de beaucoup de compatriotes. J’aurais aimé bénéficier d’une audience de la part de votre Excellence afin de vous livrer, les yeux dans les yeux, tout ce que j’estime nécessaire d’aborder avec vous. Néanmoins, les contingences professionnelles et le timing n’y sont pas favorables. Sans autre détour et avec votre permission, M. le Président, je viens aux faits.
LA SITUATION CONFLICTUELLE
Pour celui qui est loin de la sphère des prises de décisions, l’exercice du pouvoir semble aisé. Mais une fois dedans et confronté aux réalités, sa personnalité ne devient plus la même. A ce moment-là, seul son esprit d’ouverture, de recul et de retenue, lui fera passer des situations difficiles qu’il n’a parfois pas prévues. Cependant, il arrive que sa démarche entraîne certaines configurations auxquelles il s’était préparé le moins. Dans le cas de figure du Sénégal, M. le Président, autant, disons-le en toute honnêteté, votre responsabilité se trouve plus engagée que celle de vos contestataires. On se souvient de votre discours d’investiture de nouveau Président de la République du Sénégal. Un discours plein d’espoir. Ce jour-là, votre éminence, ainsi que le peuple qui vous a placé à sa tête, rendîtes au Sénégal et à l’Afrique leur fierté.
Nous, Sénégalais de la diaspora, et surtout de France, eûmes partout où nous passâmes, les hommages de nos sœurs et frères africains. Nous crûmes à cet instant que, plus que jamais, avec l’avènement du Président Sall, le modèle que nous représentions alors, allait se perpétuer. Mais force est de constater, comme vous pouvez en convenir avec moi, que le compte n’y est pas. Le but de mon interpellation n’est pas de rappeler à votre Excellence, toutes les erreurs de votre régime. Loin de là. Vous savez quant au fond, et nous savons également, qu’il y en a eu plusieurs. Et que, sans doute, au stade où nous sommes, si ces erreurs étaient à éviter, vous les auriez évitées. Ceci dit, des circonstances impromptues peuvent intervenir dans la vie d’un être ou d’une nation. Toutefois, le reproche que je vous adresse, votre Excellence, concerne votre propos annonçant la volonté de « réduire l’opposition à sa plus simple expression », propos qui vous rend plus responsable de la situation conflictuelle que vos adversaires politiques.
Bien entendu, je n’insinue pas que l’opposition soit exempte de tout reproche, sachant que, en temps de crise, sa posture et ses réactions peuvent être de nature à inquiéter tout pouvoir en tout pays. Mais à la différence de l’opposition, vous, vous disposez de l’armée, de la gendarmerie, de la police et de l’appareil d’Etat à votre service. Et vous n’avez pas lésiné sur les moyens, puisque vous n’y êtes pas allé de mainmorte, au point d’inspirer dans les cœurs et dans les esprits, la crainte de défier votre politique. M. le Président, est-il besoin de vous rappeler que le Sénégal est une république, une république dont les principes vous ont permis d’être à sa tête ? M. le Président, quel citoyen sénégalais ne se souvient pas de vos propos à l’endroit du Président Wade ? « Nous ne voulons pas de dévolution monarchique et s’il persiste, nous allons le déloger… »
Ces propos résonnent encore dans la tête des Sénégalais. Car, comme tenus seulement hier. M. le Président, le pays est au bord du précipice. Vous avez annoncé dans votre discours du 02 juillet dernier que « le Sénégal est au-dessus » de votre personne. Une fois de plus, par ce discours, vous nous avez rassurés. Mais hélas, à peine on en jubile, un opposant et non des moindres, a été accusé de vol de téléphone portable et de délit d’opinion, puis incarcéré. Un procès risible, avouons-le. Des dizaines de morts perpétrés depuis deux ans pour des broutilles, car, le principal accusé ne fut pas condamné pour les faits reprochés. Mieux, il fut blanchi. Pourtant, vous venez de gracier deux parias (j’ai nommé Khalifa Sall et Karim Wade), autres ténors de la politique sénégalaise. Geste et disposition réglementaire qui rendent éligibles les deux personnages cités.
NOTRE PATRIMOINE COMMUN, LE SENEGAL
Le Sénégal reste notre patrimoine commun. De par sa richesse culturelle, ses ressources humaines, le citoyen se sent heureux. Le voir péricliter pour des querelles de personnes, est inimaginable pour tout patriote. Impensable pour tous ceux qui ont le sens des responsabilités. Raison pour laquelle, je vous adresse ma vive inquiétude qui est aussi celle de la majorité des concitoyens. Le Sénégal de nos Ancêtres a besoin de consolider, chaque jour, son unité. Pour ce faire, cultivons la paix ! Certes, chaque citoyen est responsable, mais aucun n’a la responsabilité qui égale la vôtre. Un adage africain dit qu’« un chef est à la fois derrière et devant son peuple. Derrière pour s’assurer du partage collégial des joie et peine. Devant pour préserver et veiller avec fermeté sur les acquis de la communauté souveraine ». Suivant la logique de cet adage, le Président de la République ne serait ni plus, ni moins qu’un chef de famille. Mais comme dans toute famille, des dissensions sont susceptibles de faire leur apparition. Et c’est là qu’il est intéressant de remarquer qu’il y a des familles qui s’en sortent mieux que d’autres. Ces familles qui tiennent la route, n’ont fait que faire preuve de dépassement en conservant l’essentiel. L’essentiel qui nous importe ici, c’est l’unité nationale. Vous pouvez la garantir, M. le Président.
DEMANDER PARDON AU PEUPLE
M. le Président, vous pouvez garantir l’unité nationale. Vous avez les moyens intellectuels, politiques, matériels et confessionnels d’y parvenir. Les moyens militaires sur lesquels vous comptez jusque-là, ne vous seraient d’aucune utilité face aux ressentiments que votre administration suscite. Soit dit en passant, la restriction des services dans les représentations diplomatiques sénégalaises, est vécue comme une punition, voire une provocation, par les ressortissants sénégalais de France, notamment. Il n’y a pas mille conditions pour apaiser les cœurs, M. le Président. Sortez de votre tour d’ivoire et de votre zone de confort.
Reprenez la parole à l’adresse du peuple qui pleure du quotidien difficile, du peuple qui perd inutilement ses enfants lors des affrontements, du peuple dont les enfants croupissent dans les geôles pour délit d’opinion, de vos compatriotes à l’étranger qui perdent leurs emploi et droit, faute de renouvellement du titre de séjour pour absence de passeport valide, afin d’atténuer les douleurs. Tenez aux Sénégalais un discours fraternel. Demandez pardon au peuple sénégalais pour les torts que votre pouvoir lui a causés ! Certes, un geste probablement difficile pour un homme de pouvoir, mais ne nous leurrons pas : c’est le moindre prix à payer. Nous ne pouvons rester dans l’expectative, à attendre que les choses pourrissent, devenant ainsi irréversibles. Le Sénégal vous a tout donné, vous l’aviez mentionné dans votre discours. Toutefois, vous risquez de tout lui faire perdre, si vous n’agissez pas dans le sens de la conciliation et de la réconciliation.
En demandant pardon, et surtout en y mettant les formes, les Sénégalais dans l’ensemble croyants, sensibles et tolérants, vous garantiront la sécurité que vous espérez pour vous et votre famille. Il y a eu pire en Afrique du Sud et en Algérie, mais les pouvoirs de ces deux pays ont très tôt compris que les décennies de violences d’Etat, ne sauraient réconcilier leurs peuples respectifs. Agissez avant la fin de votre mandat ou avant que la situation ne s’empire.
Ayez la force, M. le Président, de dire à votre peuple que les événements survenus sont des événements tragiques que vous regrettez sincèrement. Que ces événements n’avaient pas lieu de cité dans un pays aussi fraternel et paisible que le Sénégal. Que par conséquent, vous décidez de gracier tous les détenus politiques. Que votre gouvernement prendra les mesures idoines dans le cadre de l’accompagnement des familles des victimes. Ce faisant, M. le Président, vous sortirez grandi de ces événements malheureux. Qu’Allah vous Guide ! Mes salutations patriotiques.