LETTRE AUX PARTENAIRES ET AMIS DU SÉNÉGAL
Dans ce Sénégal de 2023, un signal de média peut être coupé comme un robinet. Sommes-nous sous le régime du flagrant délit continu ? Entendez nos alertes quand nous disons que c’est maintenant qu’il faut agir
Chers amis et partenaires du Sénégal au moment où je vous adresse ces propos, Ousmane Sonko, tête de file incontestable de l’opposition, est sous liens de la détention depuis le 28 juillet ; les motifs et conditions de sa détention lui ont fait observé plus de 40 jours de grève de la faim et deux séjours en réanimation. C’est le seul mode de résistance qui lui reste face au rouleau compresseur judiciaire que le régime de Macky Sall a enclenché depuis mars 2021 pour l’empêcher de briguer le suffrage des sénégalais.
D’un autre côté nous apprenions il y’a une petite semaine que le titre de « Envoyé spécial du Pacte de Paris pour la Planète et les peuples » est la mission que le président du pays partenaire stratégique du Sénégal voudrait confier au nôtre dès la fin de son mandat en cours. Cela ressemble à s’y méprendre à un satisfecit pour sa décision de renoncer à une 3ème candidature.
Passons sur tout ce que cet acte symbolise de la part de l’émetteur comme du receveur et sa résonance auprès des peuples dits francophones, pour entrer dans le fond du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui.
Il s’agit d’interpeler ceux qui ont des intérêts au Sénégal mais aussi les nombreux citoyens du monde qui aiment ce pays à l’hospitalité légendaire et jadis havre de paix.
De fait, le pays traverse des moments critiques et a plus que jamais besoin de voir ses partenaires et amis s’impliquer dans la restauration de la justice, de la paix et de la démocratie.
Chers partenaires institutionnels, nous sommes sûrs que vos représentations diplomatiques vous tiennent régulièrement informés de tout ce qui se passent sous nos cieux. Permettez-nous tout de même de mettre en lumière un certain nombre de faits regrettables qui cristallisent notre inquiétude à quatre mois de l’élection présidentielle.
Au moment où nous parlons des milliers de jeunes hommes et femmes mais aussi des enfants et même des nourrissons empruntent des voies dangereuses pour quitter le pays. On nous dit qu’au moins 2000 d’entre eux sont morts de froid, de faim ou par noyade; des villages entiers sont endeuillés et des secteurs d’activité sinistrés suite à cet exode sans précédent. Parmi eux, certains ont perdu l’espoir de voir leur leader libre de participer à la prochaine élection présidentielle. Jusqu'ici aucune solution sérieuse n’a été mise en place par le gouvernement.
Nous sommes le 16 novembre et la prestigieuse université UCAD ne dispose pas de locaux adaptés aux cours en présentiel suite aux dégradations occasionnées par les manifestations de juin dernier ; la proposition de cours en ligne n’intègre pas le défaut d’électricité dans certaines zones sans compter les restrictions du réseau internet en cas de trouble politique.
Dans ce Sénégal de 2023, un signal de média peut être coupé comme un robinet et un journaliste cueilli devant ses collègues pour un post qui date de 2 ans. Sommes-nous sous le régime du flagrant délit continu ?
Etes-vous informés que la DGE, dans l’impunité la plus totale, a refusé d’exécuter une décision de justice réputée favorable à Ousmane Sonko ?
Savez-vous qu’un décret est venu fouler aux pieds le règlement, arraché après d’âpres négociations entre pouvoir et opposition en 2005, d’une institution indépendante ? Nous parlons de la CENA. De surcroît, le régime actuel a catégoriquement refusé de nommer une personnalité neutre pour organiser l’élection de février, revenant par ce geste sur un acquis obtenu de haute lutte.
Savez-vous que depuis le 12 mai toutes les manifestations politiques de l’opposition sont interdites sans motif constitutionnel.
Avez-vous remarqué les nombreux effectifs des FDS surarmés et pré positionnés comme si nous étions dans un pays en insurrection alors que des activités sportives et de loisir rassemblent régulièrement des milliers de jeunes dans une ambiance festive et que le parti au pouvoir draine des centaines de militants mobilisés pour accueillir le président de la république durant sa tournée dite économique ?
Savez-vous que depuis mars 2021 des milliers de jeunes sont en prison (étudiants, vendeurs ambulants, enseignants, journalistes, activistes, humoristes). Et que depuis cette date, les manifestations ont occasionné une cinquantaine de morts sans qu’il y ait enquête et je ne parle pas des blessés.
Leur seul tort : une supposée appartenance ou sympathie à un parti stigmatisé, le Pastef. Ce parti a d’ailleurs été dissout par décret présidentiel en dehors de tout processus judiciaire. Il faut réviser les annales des années 60 pour trouver une jurisprudence!
Savez-vous que son Leader, Ousmane Sonko, a été séquestré durant 55 jours sans aucune notification venant de la justice ? et qu’il a été jugé par contumace alors qu’il était sous les liens de la détention ?
Chers partenaires et amis du Sénégal,
A l’heure où nous parlons aucun candidat de l’opposition ne dispose du fichier ni de la carte électorale, contrairement à ceux du pouvoir qui, en plus, détiennent exclusivement le sabre du logiciel de parrainage ? Et on ne parle pas des milliers de primo votants qui n’ont toujours pas reçu leur carte d’électeur!
Ce vendredi 17 novembre, la Cour de justice de la CEDEAO rendra sa décision sur la réintégration de Ousmane Sonko sur les listes de électorales ; il se dit que la ministre de la justice a déjà donné sa position de ne pas obtempérer s’il advenait une décision favorable à Ousmane Sonko. Ce même jour, la Cour Suprême sénégalaise pourrait rendre une décision qui exclura le même Ousmane Sonko, qui porte l’espoir de millions de sénégalais, de la possibilité d’être candidat pour la prochaine élection ; la conséquence serait la perte définitivement tous ses droits civiques ! Excusez du peu !
Penchez-vous dans les dossiers judiciaires de Ousmane Sonko et vous y verrez des charges toutes plus fallacieuses et loufoques les unes que les autres ; vous y verrez la main du parquet qui parfois alourdit les charges, parfois fait appel alors qu’il n’est pas le plaignant ; vous constaterez une accélération ou un retard inexpliqué des procédures.
La liste des maux est longue et l’on se demande comment en est-on arrivé à ce niveau de déconfiture de nos institutions et de manque de fair-play politique ? Sans avoir les chiffres fiables, on peut aussi parier que ce climat délétère a un impact économique dans le pays qui figure parmi les 25 les plus pauvres du monde sans compter son attractivité.
Alors, la CEDEAO, l’UA, l’UE, l’ONU et ses agences mais aussi les centaines d’ONG vont-elles ignorer tout ce parcours subi par l’opposition, le traitement ignoble infligé à Ousmane Sonko, le mépris en amont des règles consensuelles du processus électoral et féliciter les organisateurs au soir du 25 février 2024 ?
Non, mesurez ce qui se joue ici et maintenant.
Entendez nos alertes quand nous disons que c’est maintenant qu’il faut agir et créer les conditions de retour de la justice et de l’état de droit. Il arrive un moment où le silence devient mensonge et complicité. Vous détenez en partie la solution. Les avocats sont sur le pied de guerre et usent de tous les recours judiciaires dont Ousmane Sonko peut se prévaloir. L’opposition et la société civile sénégalaise s’activent pour contrer tous les pièges tendus par le régime en place. Nous attendons de la communauté internationale qu’elle joue sa partition.
Madame Diop Blondin Ndeye Fatou Ndiaye est Coordonnatrice adjointe de la plateforme Avenir Sénégal Bii Ñu Bëgg, membre du LACOS.