OÙ EN EST LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES ?
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Il incombe aux candidats de s’approprier notre lutte pour interpeller les consciences et faire advenir un Sénégal où être une femme ne signifie pas être une victime potentielle face aux porcs qui se baladent dans nos rues
#Enjeux2019 - #TontonSaïSaï, #Nopiwouma, #MeToo, et plus récemment #Doyna sont des hashtags qui représentent des mouvements nés pour libérer la parole des femmes face aux violences sexuelles. Cette prise de conscience, d’abord chez les femmes, puis les intellectuels et les militants de la société civile dit quelque chose de la profondeur du combat pour les droits des femmes dans notre pays, notamment chez les jeunes.
L’émergence de cette parole symptomatique du ras-le-bol des femmes sur les violences sexuelles récurrentes a connu un déclic avec #MeToo, qui faut-il le rappeler, est né en 2007. Même si les multiples accusations d’agression et de harcèlement sexuels envers le producteur américain, Harvey Weinstein, ont fait renaitre le mouvement en 2017. En effet, plus de 80 femmes l’ont accusé publiquement de viol ou de tentative de viol. La vague Weinstein a emporté plusieurs autres personnalités aux Etats-Unis et a donné naissance à d’autres mouvements comme #balancetonporc en France.
Mais face au tollé qui a suscité une vague de ras-le-bol mondial, le succès de ces initiatives semble dépendre du statut de développement économique et culturel du pays. Par conséquent qu’en est-il des mouvements africains, notamment du Sénégal ?
Le trio magique sénégalais (maslaa, mougn, soutoureu) est le plus grand ennemi de la prise de conscience ou de la dénonciation des maux qui gangrènent notre société, notamment les agressions sexuelles. Économiquement, les femmes subissent des situations de séquestrations dues à la dépendance financière.
Culturellement, elles sont tenues de garder le silence sur plusieurs points, sinon le poids du jugement de la société leur sera retenu. Quand elles osent parler, elles reviennent rapidement sur leurs mots souvent parce que les personnes qui sont censées les soutenir et les accompagner sont les premières à leur jeter la pierre : la manière dont elles sont accueillies chez elles (« tu vas briser la famille ! »), au niveau des autorités (« tu étais habillée comment ? Qu’est ce que tu faisais là ?») et même dans les centres médicaux où le personnel médical peut tenir des discours déplacés envers les jeunes femmes afin de savoir si elles étaient vierges ou pas.
Même s’il reste un long chemin à parcourir, nous nous devons de célébrer les petites victoires. Nous sommes passés d’une acclamation du journaliste Cheikh Yérim Seck pourtant accusé de viol, à la démission du professeur Songué Diouf de l’émission Jakaarlo pour apologie du viol. Le progrès est relatif mais ce qui est sûr, c’est que les mentalités évoluent. Les langues se délient et les populations font plus attention à ce qu’elles disent et à ce qu’elles partagent, notamment sur les réseaux sociaux. C’est déjà une première victoire symbolique avant d’aller plus loin dans le combat.
Nous n’en sommes pas encore à balancer nos porcs mais #Nopiwouma a montré au Sénégal qu’il y avait une faim de partage d’émotions. La plupart des témoignages ont en commun que les victimes parlaient de manière anonyme de leurs agressions pour la première fois. Les traumatismes ne sont pas faits pour être enterrés dans les têtes mais pour être traités à travers un suivi psychologique qui au final permet à la victime de guérir et éventuellement de poursuivre une vie normale. Les sentiments réprimés resurgissent tout le temps d’une manière ou d’une autre.
La résistance s’organise chez les femmes. Des barrières tombent et d’autres vont tomber dans le sens d’une avancée des luttes pour les droits des femmes. Mais des réticences existent. Car pendant que le mouvement s’amplifie, les médias traditionnels ne communiquent que très peu, faisant ainsi preuve d’un désintérêt coupable sur un fait social important.
C’est là qu’internet joue un rôle important dans la structuration d’une campagne nationale sur les violences sexuelles. En effet, la moitié de la population sénégalaise a accès à Internet et plusieurs se sont engouffrés sur le succès des campagnes digitales, surtout dans un monde où la toile va bientôt remplacer la télévision.
Je dois finir par rappeler en revanche, que le succès des luttes pour les droits des femmes ne sera pas effectif sans l’aide des hommes. Et c’est rassurant de voir que beaucoup commencent à s’approprier la bataille. Il incombe ainsi aux cinq hommes candidats à la présidentielle du 24 février de s’approprier notre lutte pour interpeller les consciences, changer les mentalités et faire advenir un Sénégal où être une femme ne signifie pas une victime potentielle face aux porcs qui se baladent dans nos rues et habitent nos maisons.
La graine est plantée mais elle nécessitera un dur labeur et beaucoup de patience pour éclore. Prenons la parole car la première thérapie est orale. C’est là aussi que nous attendons nos femmes et hommes politiques pour la tenue d’un débat responsable sur les violences sexuelles durant cette campagne électorale.
Ndambaw Kama est titulaire d’un master en Economie aux USA et d’un MBA International au Sénégal. Chroniqueuse, elle tient depuis plusieurs années le blog de critique sociale www.worldofnk.com. Elle a lancé le mouvement #Nopiwouma contre les violences au Sénégal.