POURQUOI LE SENEGAL DOIT-IL TOUJOURS ETRE TRAHI EN AFRIQUE ?
Le Sénégal est en train de vivre la même situation que lors de la bagarre épique pour retrouver le contrôle de la présidence de la Commission de l’Uemoa.
Le banquier sénégalais, Abdoulaye Fall, occupait les fonctions de vice-président, chargé des Finances et des services institutionnels, de la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (Bidc). Il était candidat pour diriger l’institution à la fin du mandat du Ghanéen, George Nana Agyekum Donkor, en 2020. La candidature du Sénégalais avait été favorablement accueillie dans les milieux bancaires et au sein de la Bidc, mais le Ghana avait réussi, après moult péripéties, à faire rempiler le président sortant, qui était pourtant nommé pour un mandat non renouvelable. Abdoulaye Fall, se sentant trahi et pour dénoncer cette entorse aux règles, quitta ses fonctions. Le Sénégal fera contre mauvaise fortune bon cœur et nommera Mabouba Diagne pour remplacer le démissionnaire. C’était, il faut le souligner, contre un engagement formel, signé à l’unanimité par les membres du Conseil des gouverneurs de la Bidc, lors de leur Assemblée générale extraordinaire tenue le 13 janvier 2020 à Lomé (Togo). Ainsi, le Conseil des gouverneurs stipulait «qu’en 2024, la République du Sénégal sera le seul pays à présenter un candidat à la présidence de la banque. Le candidat ainsi désigné par la République du Sénégal devra remplir les critères pertinents fixés par le Conseil des gouverneurs, qui le nommera pour un mandat de quatre (4) ans non renouvelable (2024-2028)».
A un an de l’échéance, le Ghana, soutenu notamment par la Côte d’Ivoire et le Nigeria, compte toujours garder George Donkor à la tête de la Bidc. Ces trois pays sont les actionnaires principaux de la Bidc et le vote au sein du Conseil des gouverneurs se fait au prorata de la position de chacun dans l’actionnariat de l’institution. Autant dire que le Ghana est parti pour garder la présidence. La Côte d’Ivoire et le Nigeria trouvent un intérêt dans leur soutien au Ghana pour pouvoir, au terme d’un arrangement à trois, se redistribuer les autres postes de vice-président et de Secrétaire général de la banque. Le Président Macky Sall avait adressé à ses pairs de la Cedeao, une correspondance dans laquelle il les invitait au respect de l’accord de 2020. Le Sénégal est soutenu par le Togo et le Bénin. Mais pour mieux verrouiller leur plan, le Ghana, le Nigeria et la Côte d’Ivoire espèrent rallier le Bénin à leur cause. Pour ce faire, ces pays envisagent de créer un autre poste de vice-président qui sera offert au Bénin, d’autant que la Côte d’Ivoire ne fait pas mystère de sa volonté de prendre le poste occupé par Mabouba Diagne. Le Conseil des gouverneurs a fini d’acter la possibilité de reconduction de George Donkor par le truchement d’un vote. Le Président Macky Sall semble ne pas vouloir avaler une nouvelle couleuvre et montre une ferme détermination à préserver les intérêts de son pays. Il aurait, pour ce faire, prévu de s’en référer à ses pairs de la Cedeao. En quelque sorte, l’histoire semble se répéter.
Le Sénégal est en train de vivre la même situation que lors de la bagarre épique pour retrouver le contrôle de la présidence de la Commission de l’Uemoa. Le Président Abdoulaye Wade, qui ne voulait pas en 2004 représenter son compatriote Moussa Touré, avait lâché le poste réservé au Sénégal, au profit du Malien Soumaïla Cissé. Cheikh Hadjibou Soumaré ne récupérera le poste qu’en 2011 et démissionna en décembre 2016. Le Niger en profita pour affirmer des velléités d’occuper le fauteuil. Le Président Issoufou finit par l’obtenir. L’ancien ministre des Finances du Niger, Abdallah Boureima, avait été élu au poste car le Sénégal avait tenu à respecter un engagement, signé en juillet 2011 par le Président Wade, par lequel il promettait le poste au Niger. Le Président Issoufou avait sorti cet engagement du Président Wade, et Macky Sall lâcha du lest pour endosser l’engagement souscrit par son prédécesseur. La présidence de la République du Sénégal publia alors un communiqué soulignant que «dans un esprit de solidarité et de fraternité, et dans le souci de permettre la poursuite du bon fonctionnement de l’Union, le Président Macky Sall a répondu favorablement à la sollicitation de ses pairs pour l’attribution jusqu’en 2021, de la présidence de la Commission de l’Uemoa au Niger, soit pour un mandat unique». Le communiqué précisera que la Conférence des chefs d’Etat avait décidé que le Sénégal reprendra la présidence en 2021, et de «manière définitive». C’est ainsi que l’ancien ministre du Budget du Sénégal, et par la suite ministre-Conseiller spécial du Président Sall, Abdoulaye Diop, a repris la tête de la Commission de l’Uemoa.
«On n’est jamais trahi que par les siens !»
Ces vingt dernières années, le Sénégal a pu garder un goût amer de certains revers diplomatiques pour avoir essuyé des échecs du fait d’une hostilité sournoise de ses voisins qui ont eu à le priver de leurs votes. Le cas le plus emblématique est l’échec de la candidature de Abdoulaye Bathily à la présidence de la Commission de l’Union africaine (Ua) pour remplacer la Sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. Le Pr Bathily, qui était encore Représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu pour l’Afrique centrale, ne songeait peut-être pas à être candidat à la présidence de l’Ua. De toute façon, le hasard nous avait fait nous rencontrer à l’hôtel Gaweye à Niamey. Je venais de terminer un entretien téléphonique avec mon ami Mathata Thsedu, patron de presse à Johannesburg, ancien président du Forum des éditeurs africains (Taef) et très influent dans les milieux du pouvoir en Afrique du Sud. Mathata me confia à l’occasion que Mme Zuma n’allait pas se représenter à la tête de la Commission de l’Ua. Le Pr Bathily m’avait invité à échanger sur la situation du Sénégal et de l’Afrique, ainsi que de sa mission pour le compte du Secrétaire général de l’Onu, Ban Ki Moon. L’idée m’était alors venue de lui suggérer sa candidature pour remplacer Mme Zuma, d’autant qu’il avait, de mon point de vue, un excellent profil pour l’emploi. Cela semblait beaucoup l’intéresser, mais il disait avoir besoin préalablement d’un soutien des autorités sénégalaises. J’en fis mon affaire et en touchai un mot au Président Sall dès mon retour à Dakar. Le chef de l’Etat sénégalais était acquis à ce projet et recevra le Pr Bathily. La machine diplomatique était lancée. C’est ainsi que le Sénégal avait envoyé plus de 42 missions diplomatiques à travers l’Afrique pour plaider la candidature du Pr Bathily.
Aussi avait-il demandé et obtenu de la Cedeao, de soutenir son candidat. Au moment du vote, on se rendra compte de la défection de certains «amis» du Sénégal et cela permettra l’élection du Tchadien Moussa Faki Mahamat. Cette situation d’accointance avec le Tchad ne devait pas surprendre, car on avait pu observer qu’en 2014 déjà, des pays voisins du Sénégal avaient participé, avec le Tchad de Idriss Déby, à la mise en place du G5 Sahel en choisissant d’écarter le Sénégal de ce projet sécuritaire. Je dois dire que j’ai été déçu et outré par des affirmations malveillantes qui prétendaient que le Président Sall n’aurait pas assez endossé la candidature de Abdoulaye Bathily.
Les votes de pays africains avaient aussi manqué à Mme Eva Marie Coll Seck, présentée par le Président Abdoulaye Wade en mai 2003 pour briguer le poste de Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Le Coréen Jong Wook Lee sera élu. Eva Marie Coll Seck sera recalée pour les mêmes raisons en 2017, présentée cette fois-ci par le Président Macky Sall au poste de Directeur exécutif du Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa). La Panaméenne Natalia Kanem avait réussi à remplacer le Nigérian Babatunde Osotimehin, décédé. Là encore, les votes de certains pays africains, notamment de l’espace de la Cedeao, avaient manqué au décompte en faveur de Mme Eva Marie Coll Seck.
Il demeure que le Sénégal a toujours tenu à se conformer strictement aux décisions de soutien à tout candidat présenté au titre de l’Union africaine, à une quelconque position internationale. C’est pour cela que le Président Sall a eu à décliner les offres de présenter une candidature du Sénégal au poste de Directeur général du Bureau international du travail (Bit). Cela a sans doute permis la nomination du Togolais Gilbert F. Houngbo en octobre 2022 à la tête du Bit.
Les Sénégalais jamais ridicules à leurs postes : la preuve par Macky Sall à la tête de l’Union africaine
Dans les milieux diplomatiques, une boutade bien répandue assure que le «Sénégal n’est pas un pays africain mais un pays en Afrique». Cela faisait sourire, mais semblerait être une bonne vérité, dans un environnement de dictatures militaires, de putschistes et de présidents à vie en Afrique. Pour autant, cette perception ou posture pouvait susciter de la jalousie et faire du Sénégal et des Sénégalais des mal-aimés. En outre, les états de services de personnalités sénégalaises au niveau des institutions internationales sont toujours élogieux et quelques exemples emblématiques en témoignent.
Amadou Makhtar Mbow, premier Africain au poste de Directeur général de l’Unesco, avait marqué d’une belle empreinte cette institution de 1974 à 1987. Jacques Diouf fera de même à la tête de la Fao de 1994 à 2012. La Canadienne Michaëlle Jean avait pu mesurer l’œuvre du Président Abdou Diouf à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif), quand elle affirmait : «On ne remplace pas Abdou Diouf, on lui succède.»
Abdou Diouf avait été élu à la tête de l’Oif au Sommet de Beyrouth en 2002 et il ne quittera ses fonctions qu’en 2014 au Sommet de Dakar. Les juges Isaac Forster, Kéba Mbaye, Leyti Kama, entre autres, ont brillé dans les instances juridictionnelles internationales. Cheikh Fall avait su assurer le bon décollage de la compagnie Air Afrique. Me Sidiki Kaba a fait les belles pages de la Fédération internationale des droits de l’Homme (Fidh), comme Pierre Sané à Amnesty International. Les Ibrahima Fall, Abdoulaye Bathily, Mankeur Ndiaye, Adama Dieng, ainsi que de nombreux officiers supérieurs sénégalais, ont rempli avec bonheur des missions pour le compte de l’Organisation des Nations unies à travers le monde. De même que l’évocation des noms de Fatoumata Samoura ou de Makhtar Diop remplit d’aise leurs compatriotes.
Le Président Abdou Diouf avait imprimé la marque du Sénégal sur le fronton de l’Organisation de l’Unité africaine (Oua) en 1985 et en 1992. Aussi, le mandat que vient de terminer Macky Sall comme président en exercice de l’Union africaine est une preuve éclatante. Le chef de l’Etat sénégalais a élevé la barre très haut en permettant à l’organisation panafricaine de mieux peser sur la scène internationale. Le succès de Macky Sall était tel que de nombreux pays du continent avaient cherché à le pousser à garder le poste pour une année supplémentaire. Les divergences entre le Kenya et les Comores, pour assurer le tour des pays d’Afrique de l’Est et de l’Océan indien, pouvaient constituer une autre bonne raison. Seulement, le Président Sall a fort à faire dans son propre pays.