SAVOIR QUAND SE TAIRE ET QUAND S'EFFACER
EXCLUSIF SENEPLUS - S’effacer pour donner l’opportunité aux choses de se rééquilibrer d’elles-mêmes permet de rompre le cycle des privilèges. C'est pour moi une stratégie prometteuse et peut-être nécessaire pour allié.e.s potentiel.le.s à une cause
Savoir quand se taire et quand s’effacer : une stratégie efficiente pour des allié.e.s potentiel.le.s dans la recherche d’une société égalitaire?
Il arrive souvent, lorsque l’on aborde la question des allié.e.s, c’est-à-dire des personnes qui pourraient amplifier l’attention à une cause, de (leur) recommander de soutenir sans effacer ou silencier d’autres voix actives dans la lutte pour cette cause. Je me suis demandée s’il arrive aussi à ceux et celles qui se battent sur le terrain ou par la plume pour une cause de s’interroger sur leurs privilèges.
‘Ku weet xam sa bopp’, dit l’expression Wolof pour rappeler que toute fidélité est d’abord fidélité à soi, et donc pour moi, tout exercice d’évaluation de notre action ou de notre inaction commence forcément au niveau individuel.
Au cours des derniers mois, j’ai beaucoup réfléchi à mon niveau personnel aux différentes causes qui me sont chères et comment je les sers ou s’il m’est arrivé de les desservir.
Au cours des trois derniers mois, j’ai pris part successivement à un festival féministe à Dakar, et à un Forum féminin à Saint-Louis. Durant trois jours d’échanges riches passés avec d’autres camarades, j’ai pu continuer cette réflexion intérieure et à voix haute.
Chaque fois que je reçois une invitation de prendre part à un événement, je passe en revue mes privilèges et me pose la question de savoir :
- S’il est nécessaire que ce soit moi qui y prenne part, ou s’il y a des personnes que je connais qui ont moins d’opportunités de faire partie de ce genre d’événement qui pourraient aussi prendre la parole ;
- Si les personnes ou organisations derrière la cause en question sont fiables et ne sont pas dans des logiques contradictoires par rapport à la cause qu’elles prétendent servir ;
- Si le programme de l’événement en question ne renforce pas des inégalités par rapport aux causes qu’elles prétendent servir ;
- Qui d’autre est invité.e (et par ricochet, qui n’est pas invité et gagnerait à l’être) ? Quelle est la composition des panels, et comment participe-t-on de l’invisibilisation et de la silenciation d’autres voix ?
Et donc lorsque j’ai reçu l’invitation pour cet événement, mon premier réflexe a été de la décliner pour laisser la place à d’autres. Puis je me suis rendue compte que décliner pourrait apparaître comme une dé-solidarisation. J’ai décidé de changer d’avis mais de ne pas prendre part à certains des événements comme panéliste quoiqu’étant férue du débat contradictoire en tant qu’universitaire. Je décidai donc de participer mais comme membre du public pour juste m’asseoir, écouter activement et apprendre, et désapprendre. Et je n’ai pas regretté car m’effacer volontairement pour donner l’opportunité aux choses de se rééquilibrer d’elles-mêmes m’a permis de rompre, même momentanément le cycle des privilèges.
C’est par l’écriture que mon engagement féministe s’exprime primordialement et c’est par la lecture, les conversations avec d’autres et par le silence actif et recherché d’autres pour apprendre et désapprendre que souvent je commence l’auto-évaluation. Au terme de ces trois jours riches, j’ai donc continué cette exploration à mon niveau personnel.
J’ai activement pris part à la réflexion sur quelques questions féministes au cours des dernières années : que ce soit dans mon travail académique y compris l’enjeu des approches féministes et décoloniales ou à des tribunes sur l’affaire Songué au sens du 8 mars, des événements de mars 2021 aux explorations des réalités féministes en Afrique y compris sur la possibilité d’une parentalité féministe. Ma dernière réflexion, à paraître, porte les mobilisations féministes en Afrique.
Tout en continuant d’observer et de lire de manière critique sur ce qui se fera, se dira et s’écrira sur les questions féministes au Sénégal, je pense qu’il est temps pour moi de faire un pas en arrière et de contribuer à amplifier et faire émerger d’autres voix sur ces questions importantes sans forcément occuper l’espace.
Amplifier et se faire le relai d’une cause, faire activement de la place à, savoir se taire et s’effacer pour que d’autres puissent s’exprimer et s’interroger sur ses privilèges est pour moi une stratégie prometteuse et peut-être nécessaire pour allié.e.s potentiel.le.s à une cause.