SUR LES HAUTEURS DE LA MONTAGNE SAINTE
Le carême chrétien s’impose dans la marche liturgique de l’Eglise comme d’une piqûre de rappel qui inocule dans nos veines ce désir ardent de se retirer dans le désert pour faire le vide en nous et laisser Dieu nous parler et nous remplir de sa présence
Le carême chrétien s’impose dans la marche liturgique de l’Eglise comme d’une piqûre de rappel qui inocule dans nos veines ce désir ardent de se retirer dans le désert pour faire le vide en nous et laisser Dieu nous parler et nous remplir de sa présence au moyen d’une expérience personnelle et communautaire.
C’est aussi un moment fort de catéchèse où la sainte Eglise, avec une pédagogie toujours imitée mais jamais égalée, instruit ses enfants sur leur vocation véritable et le sens ultime de leur destinée comme héritiers du royaume. C’est du moins ce qui transparait dans les Messages circonstanciés du Pape et de nos Evêques du Sénégal pour le Carême 2023.
En effet, dans son traditionnel Message de Carême, signé le 25 janvier 2023, le pape François, s’appuyant longuement sur l’épisode de la Transfiguration au sommet du Mont Tabor (Mt 17/1-9), invitait à garder le cap et à considérer l’ascèse de carême comme un itinéraire synodal.
Une telle isomorphie trouve sa justification dans le fait que, Carême ou Synode, l’objectif poursuivi est partout le même : une transfiguration personnelle et ecclésiale ! Entrer en carême dans la mouvance du synode sur la Synodalité qu’il a lui-même convoqué en octobre 2021, pour trois années successives, c’est reprendre, ensemble, dans la communion qu’impose la Mission, les chemins de la foi et de l’espérance qui nous mènent en hauteur, au sommet de la montagne où Dieu parle au cœur qui écoute.
Cette anticipation de la gloire pascale, qui eut pour cadre le sommet de la montagne sainte, les trois (03) disciples, Pierre, Jacques et Jean, tels des privilégiés parmi les douze, l’ont vécue aux côtés du Maître ; à leur suite et à leur exemple, tel un alpiniste de l’espérance, en ce temps béni de carême, le chrétien est aussi appelé à emprunter le chemin exigeant, difficile parfois mais toujours salutaire du renouveau spirituel et de la conversion véritable.
Et pour atteindre ces hauteurs, la voie royale reste le jeûne, l’aumône et la prière qui sont les trois (03) instruments classiques que l’église, experte en humanité, donne pour anéantir nos penchants mauvais et tout ce qui conduit au péché, partager avec la veuve, l’orphelin ou l’étranger qui symbolisent le pauvre sans défense, mais également pour entrer en intimité avec Dieu, le Dieu de Jésus-Christ qui nous aime d’un amour de prédilection.
En proposant la fresque évangélique de la Transfiguration pour alimenter notre méditation et baliser notre chemin ascétique de carême, le Pape ne manque pas, cependant, de nous mettre en garde contre la tentation pressante de nous réfugier dans une religiosité faite d’événements extraordinaires, d’expériences suggestives, par peur d’affronter la réalité avec ses efforts quotidiens, ses duretés et ses contradictions.
Le carême chrétien n’a donc rien d’une fashion way, d’un mode de vie cyclique pour faire dans l’air du temps et paraitre aux yeux des autres comme un parfait dévot à la mine triste, au geste ostentatoire et au pharisaïsme répugnant d’hypocrisie ; il nous tient aux entrailles par des exigences pratiques de charité fraternelle auxquelles nous ne pouvons nous soustraire sans trahir notre identité de configurés au Christ, notre espérance et notre paix définitive.
Comment ne pas alors faire le lien avec ces mises en garde qui reviennent comme des ritournelles à chaque mercredi des cendres pour nous distinguer fondamentalement et nous définir le cadre de convenances et d’intelligibilité dans lequel nous devons inscrire notre démarche de carême : « et toi, quand tu jeûnes… et toi, quand tu fais l’aumône…et toi quand tu pries… ».
Oui, le garant de notre oblation totale et sincère, Celui qui seul peut jauger de la sincérité de notre démarche de conversion n’est pas le curé aumônier, ni le frère ou le collègue grand épieur devant l’éternel ; c’est le Dieu de miséricorde qui nous entraine au large et que nous servons chaque fois que, dans un élan de charité fraternelle, nous délions les liens de servitude qui plombent nos frères, nous relevons le pauvre abandonné, nous partageons le pain avec celui qui a faim, chaque fois que nous laissons nos œuvres témoigner de l’espérance qui nous habite. Et alors pour sûr, la nuit de nos combats sera lumière de midi…
Cette lecture intelligente de la lettre du Pape pour le Carême 2023 jette un faisceau lumineux sur les préoccupations pastorales de nos Evêques du Sénégal qui, le 12 novembre 2022, au terme de leur première session ordinaire tenue à Kolda, ont signé une exhortation somme toute prophétique intitulée « Soyons témoins de l’espérance qui habite en nous » (1P3/15) et insérée dans le Mandement de Carême 2023.
Cette exhortation (nous y reviendrons) mérite le détour puisqu’elle renseigne à suffisance sur la sagesse de nos pasteurs et la résilience de notre Eglise locale au beau milieu de la tempête que furent la Covid 19 et ses conséquences funestes sur notre triple rapport à nous-mêmes, à l’autre et à Dieu, le Tout autre !