BASSIROU DIOMAYE FAYE, UN PRISONNIER-CANDIDAT EN CAMPAGNE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’alter ego de Sonko est obligé de se mouvoir dans un système juridique complexe afin d’obtenir l'approbation du juge d'instruction pour chaque action politique. Une liberté provisoire en cas de second tour
Fondateur de l’École d’Art Oratoire et de Leadership (EAO-Afrique), Dr Cheikh Omar Diallo, Expert en Communication et Chercheur en Science Politique évoque brièvement pour nos lecteurs, la complexité de la campagne électorale du candidat à la présidentielle du 25 février 2024, Bassirou Diomaye Faye, en détention préventive depuis 9 mois à la prison du cap manuel de Dakar.
SenePlus : Bassirou Diomaye Faye, candidat à la présidentielle, en détention préventive. Comment battra-il campagne depuis sa cellule. Une première n’est-ce pas ?
Une première oui et non. Certains candidats, confrontés à des obstacles juridiques majeurs, ont bravé les limites de la politique en menant des campagnes électorales depuis leur lieu de détention. Rappelez-vous, Luiz Inacio Lula da Silva, le président brésilien condamné pour corruption en 2018, a tenté de se présenter depuis sa cellule, mais sa candidature a été abruptement invalidée en raison de sa condamnation définitive.
Quant à Evo Morales, leader bolivien, il a remporté un siège de député en 2002 alors qu'il était en détention préventive, mais a été libéré avant d'assumer ses fonctions.
À l'inverse, le célèbre opposant Hama Amadou, candidat à la présidentielle nigérienne en 2016, a été confronté à des défis majeurs. Inculpé et détenu dans une affaire complexe, il devait obtenir l'autorisation du juge d'instruction pour chaque initiative politique, une permission qui lui fut refusée.
Plus récemment, l’exemple de Khalifa Sall, ancien maire de Dakar. Incarcéré lors des élections législatives de 2017, il jouissait de ses droits civiques et politiques en tant qu'électeur et éligible, n'ayant pas encore été condamné. Mais il n’a pu battre campagne.
En comparaison, comment le candidat incarcéré Bassirou Diomaye Faye pourra-t-il mener sa campagne électorale depuis sa cellule de prison ?
La situation du candidat Bassirou Diomaye Faye, détenu depuis avril 2023, pose effectivement un défi majeur en termes de participation à la campagne électorale depuis la prison. Cette situation inédite qui suscite des interrogations légitimes sur les conditions de faisabilité de sa campagne électorale depuis sa cellule. Une première au Sénégal pour ce qui est de la présidentielle.
Plusieurs contraintes entravent cette démarche. En tant que détenu de droit commun, l’homme de confiance et second d'Ousmane Sonko est assujetti aux dispositions restrictives du Code pénal sénégalais. Ainsi, toute activité politique liée à la campagne électorale nécessitera une autorisation préalable du juge d'instruction en charge du dossier. En l'absence de liberté provisoire, le détenu ne pourrait pas participer aux meetings, ni faire des déclarations publiques, voire bénéficier de temps d'antenne sans l'aval du tribunal.
Malgré les obstacles, existe-t-il des moyens pour mener une campagne électorale ?
On va dire que le prisonnier-candidat a quelques rares options pour faire campagne. J’y vois deux pistes : des actions médiatiques à distance ou en ligne - à condition que les autorités judiciaires l’acceptent - ensuite la délégation des porte-parole.
D’abord des actions médiatiques contrôlées : les avocats de Bassirou Faye commenceront par solliciter auprès du juge d’instruction, des autorisations pour des interventions médiatiques spécifiques (temps d’antenne accordé par le CNRA, interventions par visioconférence, entretiens téléphoniques, etc).
Ensuite, la délégation de parole. Les porte-parole et membres de son directoire vont augmenter le flux d’informations et des consignes au cours des meetings et manifestations politiques, au nom et pour le compte du méta-pivot Ousmane Sonko représenté dans la personne de Bassirou Faye.
C’est alors que les réseaux sociaux se révèlent de puissants outils pour le candidat-détenu. Son staff gérera ses comptes sociaux pour diffuser largement ses messages, déclarations et autres mots d’ordre.
Toutefois, il faut noter que la difficile collaboration entre les avocats du candidat et les autorités judiciaires compliquerait la mise en œuvre de ces stratégies.
En vérité, l'exercice du droit de faire campagne en étant incarcéré oblige l’alter ego de Sonko à se mouvoir dans un système juridique complexe afin d’obtenir l'approbation du juge d'instruction pour chaque action politique.
Nous voilà au carrefour entre le respect des droits civiques et les contraintes juridiques liées à la détention préventive.
Si M. Faye se qualifie au second tour, il pourrait obtenir la liberté provisoire pour battre dignement campagne.