DR MOMAR THIAM EXPLIQUE LES RAISONS
L’expert en communication politique explique dans cet entretien les raisons qui ont amené l’opposition à quitter sa posture de boycott systématique pour répondre présente mais aussi le refus du Pds, des partisans de Khalifa Sall et autres.
Après le lancement officiel des concertations politiques dont la cérémonie de partage des termes de référence a enregistré la présence des représentants de l’opposition, à l’exception de ceux du Pds, de Rewmi, des partisans de Khalifa Sall et autres Sonkoïstes, le Dr Momar Thiam apporte son éclairage sur les contours de ce premier pas vers le dialogue national prévu le 28 mai prochain. L’expert en communication politique explique dans cet entretien les raisons qui ont amené l’opposition à quitter sa posture de boycott systématique pour répondre présente mais aussi le refus du Pds, des partisans de Khalifa Sall et autres à honorer l’invitation du ministre de l’Intérieur.
Comment appréciez l’ouverture des concertations politiques avec cette fois-ci la participation de l’opposition, excepté le Pds, les partisans de Khalifa Sall et autres ?
J’apprécie cette rencontre sous deux angles. D’abord, je pense qu’il n’ya rien de plus normal et de plus naturel qu’un dialogue politique dans une démocratie qui se respecte et qui se veut être un exemple au niveau africain dans le sens où notre pays est toujours vu comme une vitrine en matière de démocratie. Vu sous cet angle, forcément, le président Macky Sall s’est inscrit dans cette dynamique. Ensuite, ce qu’il faut savoir, c’est que nous sommes dans le domaine de la politique où s’affrontent des rapports qui, souvent, choisissent des occasions pareilles pour s’affirmer en faisant acte de présence et dire ce qu’ils pensent ou bien s’affirmer différemment. Autrement dit, en ne faisant pas acte de présence, histoire de montrer leur désapprobation par rapport à la manière de faire les choses. Si vous regardez bien autour de ces concertations, l’organisateur lui-même en l’occurrence, le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, désigné par le président de la République, est plus ou moins désapprouvé par une bonne partie de l’opposition et cela n’a pas commencé maintenant mais bien avant les discussions autour du fichier électoral jusqu’au déroulement des élections.
Il y a donc une certaine opposition qui est dans une ligne radicale, bien déterminée pour dire qu’elle n’est pas d’accord sur la manière de faire ces concertations d’autant plus que celui qui dirige ce processus est disqualifié à leurs yeux. On est donc dans une bataille, une confrontation politique où chaque acteur essaie d’afficher ses armes, surtout du point de vue de la communication, de mettre en avant des arguments pour être mieux entendus et mieux compris. C’est le cas pour les partisans de Khalifa Sall et les responsables du Parti démocratique sénégalais (Pds) qui ont respectivement posé comme préalable la libération de l’ancien maire de Dakar et une révision du procès de Karim Wade. C’est donc sous ces deux angles qu’on pourrait apprécier le démarrage de ces concertations politiques dans le cadre du dialogue national appelé par le chef de l’Etat. Pour me résumer, je dirais donc d’un point de vue démocratique, cette rencontre est une bonne chose puisqu’elle s’inscrit dans la marche normale du système démocratique qui veut que les acteurs politiques se concertent en vue de trouver des solutions autours des enjeux de notre société. Ensuite, c’est une bataille de positionnement politique. Pour l’opposition, c’est une occasion de s’affirmer soit, de manière radicale, soit de manière très peu suffisante en envoyant à cette rencontre des émissaires à la place des leaders pour faire acte de présence.
Peut-on s’attendre à une Loi d’amnistie pour Khalifa Sall et Karim Wade aux termes de ces concertations ?
Écoutez, il faut d’abord se replacer dans les propos que le président de la République avait tenus sur le plateau, je pense, de France 24 ou Tv5 Monde à la veille de l’élection présidentielle du 24 février dernier. Il (président de la République) disait que s’il est réélu, il va réfléchir à l’éventualité d’une amnistie pour Khalifa Sall et pour Karim Wade. Aujourd’hui, l’opposition forte de ces propos, a donc effectivement saisi la balle au bond qu’elle renvoie au chef de l’Etat, histoire de lui rappeler effectivement ces propos qu’il avait tenus pour l’inviter à acter cela. À mon avis, les conditions posées par cette partie de l’opposition visent à inviter le chef de l’Etat à inscrire la question d’amnistie pour ces deux responsables politiques à la table des concertations. Puisque comme je vous l’ai déjà dit, on est dans une bataille politique où les leaders, notamment de l’opposition, cherchent à s’affirmer davantage pour être entendu puisqu’on a noté qu’ils étaient plus ou moins aphones depuis la présidentielle.
Je pense donc si le président de la République compte tenu de ses propos tenus la veille de l’élection présidentielle dans les médias français décide de mettre sa parole en pratique, il n’est pas exclu une concertation autour de cette question pour déterminer les modalités dans lesquelles cet élargissement pourrait se faire. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’il y a un tiraillement entre pouvoir et opposition autour de cette question de révision du procès de Karim Wade et libération de Khalifa Sall et on ne sait pas qui sortira gagnant. Il faut espérer que les seconds couteaux qui ont été envoyés à la rencontre d’hier, jeudi, soient entendus par le pouvoir en place pour qu’enfin le processus de décrispation politique soit enclenché avec la libération de Khalifa Sall et peut-être la révision du procès de Karim Wade.
À votre avis, quelles conséquences le boycott du Pds pourrait avoir sur le déroulement ou l’issue de ces concertations ?
Le Pds est plus moins dans une situation que j’estime floue. Si vous regardez bien, lors du vote du projet de Loi constitutionnelle pour la suppression du poste de Premier ministre, une partie de la presse avait épilogué sur cette position de ni pour ni contre la suppression du poste de Premier ministre du Pds. À la limite, on ne savait pas forcément la position des libéraux par rapport à ce projet de Loi même si leurs députés au niveau de l’hémicycle ont affirmé de manière ferme que cette suppression était une manœuvre du pouvoir en place notamment du président Macky Sall.
Et dans le cadre de ces concertations politiques en cours, je dirais qu’on est encore dans l’expectative pour ce qui est de la position du Pds parce que ce parti s’est enfermé depuis la veille de la dernière présidentielle dans une espèce d’ambiguïté pour ne pas dire de connivence souterraine de sorte qu’une partie de l’opinion pense que la position du Wade et du Pds était de manière à favoriser le président Macky Sall. On ne sait donc pas exactement à quoi joue le Pds aujourd’hui avec le président Sall. Car la position de ce parti n’a jamais été claire sauf pour le cas Karim Wade ou le président Wade a toujours dit que son procès et sa condamnation étaient politiques et qu’il est temps de revoir son procès. Pour le reste, je veux dire que la gestion du pouvoir, les concertations politiques, l’élection présidentielle, je suis de ceux qui pensent qu’on est circonscrit parce que je ne vois pas de manière claire et nette la position du Pds concernant ces questions.
Après ce refus commun de participer au dialogue, peut-on s’attendre à un nouveau front Pds-Khalifa ?
Vous savez, quand une opposition est dans une sorte de bataille où elle s’entend sur l’essentiel et naturellement, il y a un front qui se constitue. On a l’impression qu’il y a aujourd’hui le Front de résistance nationale (Frn) et autour de ces concertations un autre front qui réunit et le Pds et les partisans de Khalifa Sall qui pourrait demain accoucher d’une sorte de partenariat mais je précise sur les deux points communs qu’ils ont évoqués. Car, je ne pense pas que le Pds va nouer une alliance durable avec les partisans de Khalifa Sall puisqu’on sait très bien que l’ancien maire de Dakar avait soutenu la candidature d’Idrissa Seck, lors de la dernière présidence.