HUMAN RIGHTS WATCH ACCABLE LE SENEGAL
Simple coïncidence ou programmation ? Alors que le Sénégal s’apprêtait à passer son Examen périodique universel (EPU) devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le même jour, Human Rights Watch (HRW) a rendu public son rapport
Simple coïncidence ou programmation ? Alors que le Sénégal s’apprêtait à passer son Examen périodique universel (EPU) devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève (Suisse), le même jour dans l’après-midi, Human Rights Watch (HRW) a rendu public hier, lundi matin 22 janvier 2024, un rapport accablant sur les atteintes des droits et libertés fondamentaux, les «arrestations et détentions arbitraires», les répressions et persécutions de l’opposition, des médias et de la société civile… en 2023. Non sans suggérer des voies et moyens notamment le ressaisissement des autorités pour «des élections libres et équitables…»
«Les Sénégalais se rendront aux urnes le mois prochain, et les signes ne sont pas bons. (...) Il est difficile d’imaginer que des élections libres et équitables puissent avoir lieu sans que les autorités ne fassent rapidement marche arrière. Elles devraient enquêter sur les violences commises parles forces de sécurité, libérer les personnes détenues à tort et garantir les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, autant d’éléments essentiels à la tenue d’élections véritablement libres et équitables.» C’est Human Rights Watch (HRW) qui, dans son rapport publié à Nairobi (Kenya) hier, lundi 22 janvier 2024, peint ainsi un tableau peu reluisant de la situation et de l’exercice des droits et libertés fondamentaux au Sénégal, accusant les autorités de répression contre l’opposition, les médias, la société civile, entre 2021 et 2023. Coïncidant avec le passage de la délégation du ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Aïssata Tall Sall, au nom du gouvernement, devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève (Suisse), pour l’Examen périodique universel (EPU) sur les droits humains dans notre pays, dans «le Brief du Jour» sur la «Crise pré-électorale au Sénégal», posté sur son site, HRW espère que les gouvernants vont se ressaisir d’ici le scrutin. «Bien entendu, nous espérons que les autorités sénégalaises reviendront sur leurs pas, mais il reste peu de temps avant le jour de l’élection».
«LES AUTORITES ONT UTILISE LE SYSTEME JUDICIAIRE POUR CIBLER LES OPPOSANTS POLITIQUES ET LES DISSIDENTS»
En attendant, HRW relève, entre autres, que les autorités sénégalaises répriment l’opposition, les médias et la société civile, à l’approche des élections générales qui doivent se tenir le 25 février 2024… En effet, selon le rapport, entre novembre 2023 et janvier 2024, Human Rights Watch a interrogé en personne et par téléphone 34 individus, dont 9 membres de partis d’opposition, 13 membres de groupes de la société civile sénégalaise, 6 journalistes, 2 professeurs d’université, 3 avocats sénégalais et 3 proches de militants. HRW a également examiné des reportages de médias nationaux et internationaux, des photographies montrant les blessures d’un manifestant à la suite d’actes de torture en juin 2023 et son dossier médical, ainsi qu’une vidéo montrant des gendarmes qui torturent un manifestant, également en juin. Le 9 janvier 2024, HRW a envoyé un e-mail à Julien Ngane Ndour, directeur de la Division des droits humains du ministère de la Justice, partageant ses conclusions et demandant des réponses à des questions spécifiques. Seulement, HRW n’a pas reçu de réponse. «Les autorités ont utilisé le système judiciaire pour cibler les opposants politiques et les dissidents. Au moins 37 personnes sont mortes pendant les manifestations et aucun de ces décès n’est encore élucidé par la justice. Human Rights Watch dénonce aussi les affaires Pape Abdoulaye Touré, torturé puis envoyé en prison et les journalistes en détention ou interpellés par la justice», rapporte la source.
«LA REGRESSION DU PAYS EST PROFONDEMENT TROUBLANTE »
En outre, l’organisation internationale de défense des droits de l’homme souligne qu’elle a précédemment documenté «l’emploi d’une force excessive par les forces de sécurité, y compris des balles réelles et un usage inapproprié de gaz lacrymogène, pour disperser des milliers de manifestants dans tout le pays, en mars 2021 et juin 2023».
HRW indique que «la régression du pays est profondément troublante. La répression a commencé en 2021, dans le contexte des procédures judiciaires concernant l’éminent leader de l’opposition Ousmane Sonko et de préoccupations suscitées par l’éventualité d’un troisième mandat du président Macky Sall, contraire à la Constitution. Mais il y a eu une vague d’arrestations d’opposants politiques et de dissidents au cours des derniers mois. Elle s’est poursuivie avec la dissolution forcée du part d’opposition de Sonko l’année dernière». Et Ilaria Allegrozzi, Chercheuse senior sur le Sahel à HRW, de noter que «les forces de sécurité ont ciblé des dirigeants, des membres et des partisans du parti d’Ousmane Sonko (arrêté le 20 juillet), pour incitation à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’État, provocation de troubles politiques graves et association de malfaiteurs, entre autres. Bassirou Diomaye Faye, Secrétaire général du Pastef dissous, en détention depuis le 14 avril, devant répondre de chefs d’accusation similaires à la suite d’un message critiquant les magistrats qu’il avait publié sur son compte Facebook».
Et pour corser l’addition, le 31 juillet 2023, mentionne HRW, le ministre de l’Intérieur du Sénégal a annoncé la dissolution du Pastef, au motif que ce parti aurait mobilisé ses partisans lors de manifestations violentes en juin 2023 et en mars 2021. Ce qui tranche net, constate Mme Allegrozzi, avec «la promesse du président Macky Sall d’organiser des élections libres et équitables ».
APPEL A GARANTIR LES LIBERTES FONDAMENTALES, METTRE FIN AUX ARRESTATIONS ARBITRAIRES ET PERSECUTIONS
Pour HRW, «les autorités devraient enquêter sur toutes les violences commises par les forces de sécurité, libérer les personnes détenues arbitrairement (près de 1 000 membres et militants de l’opposition ont été arrêtés dans tout le pays depuis mars 2021), y compris pour des raisons politiques, et garantir les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, essentiels à des élections véritablement libres et équitables».
De même, «Les autorités devraient garantir les libertés fondamentales, et mettre fin aux détentions et poursuites arbitraires», en ouvrant des «enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces sur tous les cas d’usage de la force par les forces de sécurité tout au long de la crise pré-électorale et veiller à ce que les forces de sécurité respectent le droit de manifester pacifiquement», appelle l’organisation. Et d’ajouter : «La promesse du président Macky Sall d’organiser des élections libres et équitables est en contradiction avec le fait que les autorités remplissent les prisons de centaines d’opposants politiques depuis trois ans».
Précisant que, «Alors que le Sénégal s’apprête à tenir des élections, les enjeux pour sa démocratie sont élevés». Dès lors, conclue Ilaria Allegrozzi, «Les autorités devraient s’assurer que tous les Sénégalais sont en mesure d’exprimer librement leurs opinions et d’exercer leur droit de vote de manière équitable et pacifique».