IL N’Y A PAS DE DYARCHIE AU SOMMET DU POUVOIR!
Dans un entretien exclusif accordé au « Témoin », Abdou Aziz Mbaye, membre de la conférence des leaders de «Diomaye président», et président du mouvement «FUTURSEN », assure que toutes les promesses du nouveau régime seront tenues.
Lors de la dernière élection présidentielle, qui s’est tenue le 24 mars, vous avez soutenu le candidat Bassirou Diomaye Faye à travers la coalition éponyme. Quelles sont les raisons d’un tel choix au vu de la multiplicité de candidats qui sollicitaient alors les suffrages de nos compatriotes ?
Abdou Aziz MBAYE – À côté de mes activités professionnelles, j’ai toujours mené une réflexion politique. J’ai d’abord voulu m’engager en politique après la présidentielle de 2000 mais, avec la défaite du président Abdou Diouf que je soutenais, j’ai préféré prendre du recul et m’occuper de mes affaires. J’aurais pu soutenir son successeur, le président Abdoulaye Wade, que je connaissais et qui avait été professeur invité dans l’Université où j’étudiais mais, moralement, je ne pouvais pas le faire compte tenu de tout ce qui me liait aux socialistes !
Par la suite j’ai aidé, y compris financièrement, le candidat Macky Sall qui lui a finalement succédé, et qui était porteur d’immenses espoirs au début de son magistère, mais il y a eu des blocages. Des responsables avec qui j’entretenais pourtant de très bons rapports n’ont pas voulu que je l’approche. La fin de son « règne » a été ce que tout le monde sait et je n’ai pas besoin d’y revenir. Pour participer à ma manière à l’animation du débat démocratique, j’ai créé un mouvement de réflexion appelé FUTURSEN.
En tant que socialiste, je ne pouvais pas comprendre, encore moins accepter, que l’on mène des politiques libérales dans des pays pauvres comme les nôtres. Il fallait mener des réflexions sur des problématiques comme le chômage endémique des jeunes avec son corollaire, l’émigration massive et périlleuse vers l’eldorado européen, mais aussi sur la santé, l’éducation, l’économie etc. Les pouvoirs libéraux ont fait beaucoup d’investissements dans ce pays. Malheureusement, ces investissements n’étaient pas productifs pour la plupart. Or, j’ai connu durant mon adolescence un Sénégal industrialisé notamment dans des filières comme le textile (Sotiba Simpafric et Icotaf entre autres), le cuir (Bata), les huileries (Sonacos, Pétersen) etc. L’ajustement structurel est venu casser tout cet outil industriel. Nous n’avons pas su nous insérer dans la division internationale du travail comme disait le président Senghor. Au rendez-vous du donner et du recevoir, nous n’avions rien à offrir. Sur le plan de l’intégration économique africaine, Air Afrique était un magnifique symbole hélas cassé lui aussi.
Vous ne nous dites toujours pas pourquoi est-ce que vous avez choisi de soutenir Bassirou Diomaye Faye…
Il faut dire que j’avais voulu me présenter à la présidentielle mais j’ai buté sur l’écueil des parrainages. Etant donné que j’étais déjà dans l’opposition, j’ai été séduit par l’éthique de conviction et de responsabilité du candidat Bassirou Diomaye Faye et de son mentor. Sur le plan professionnel, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, qui ne font en réalité qu’un, sont non seulement très compétents mais aussi faisaient preuve d’une intégrité sans faille dans le travail. Vous me permettrez à ce propos de raconter une anecdote : J’ai un ami qui est un cadre dirigeant dans une très grosse entreprise de la place. Bassirou Diomaye Faye y a effectué une mission de vérification fiscale au terme de laquelle il a infligé un redressement salé à l’entreprise. On lui a proposé une très grosse enveloppe pour qu’il ferme les yeux mais il l’a refusée en disant : « le produit de ce redressement, c’est pour la Patrie ». Et croyez-moi, il n’est pas facile de rejeter le montant qu’on lui proposait ! Diomaye c’est Sonko et Sonko c’est Diomaye. Leur engagement pour le peuple leur a fait subir les foudres répressives du régime du président Macky Sall. Malgré tout, ils ont tenu sans jamais rompre. Tout cela a fait que mon choix s’est porté sur Bassirou Diomaye Faye. Lui et Sonko sont porteurs d’espoirs.
Justement, ces espoirs ne sont-ils pas en train d’être déçus deux mois après leur accession au pouvoir quand on voit qu’une bonne partie de l’opinion leur reproche de ne pas avoir tenu leurs promesses relatives à l’appel à candidatures pour certaines fonctions, à la réduction du prix des denrées ou à la reddition des comptes pour ne prendre que ces trois exemples ?
Mais ils viennent seulement d’arriver au pouvoir ! Et puis, ils ont trouvé une situation économique et financière très difficile. Il leur faut du temps pour tenir leurs promesses. Les populations qui les ont élus massivement doivent être patientes. S’agissant du coût de la vie, il y a des paramètres extérieurs à prendre en compte, la plupart de ces denrées sont importées et leurs cours sont fixés sur les marchés internationaux. Et il y a aussi les accords avec le FMI et la Banque Mondiale à respecter. C’est compliqué mais ils y parviendront. Toutes les promesses seront tenues au fil du temps. Sans compter que le président Bassirou Diomaye Faye ne dispose pas de majorité à l’Assemblée nationale pour pouvoir faire voter toutes ses réformes. Pour ce qui est de la reddition des comptes, le président de la République et son Premier ministres de même que leurs ministres sont en train de faire l’état des lieux. D’ores et déjà, ils ont fait savoir qu’aucun rapport des corps de contrôle ne sera mis sous le coude. La justice fera son travail sans entrave et à son rythme. En ce qui concerne les appels à candidatures, tout nouveau pouvoir a besoin de gouverner avec des gens de confiance dans un premier temps. Là aussi, la promesse sera tenue. L’essentiel c’est de donner du temps au temps comme disait un grand homme politique français.
A côté de ces « mauvais points » décernés par la nouvelle opposition, pouvez-vous nous citer quelques bons points à l’actif du nouveau pouvoir que vous soutenez ?
Dans le domaine de l’agriculture, le président de la République et le Premier ministre ont pris toutes les dispositions pour que, pour la première foire, tous les intrants parviennent directement jusqu’aux véritables ayants droit que sont les paysans. Ce en éliminant les intermédiaires parasites. Pour cela, ils ont mis à contribution l’Armée. Surtout, ils ont honoré leur promesse de régler — et à bonne date — tous les arriérés dus aux fournisseurs de semences et d’engrais. Ensuite, il y a les Assises de la justice qui viennent de s’achever avec des recommandations saluées par tout le monde qui devraient se traduire par une modernisation de notre justice et sa réconciliation avec le peuple au nom duquel elle est rendue. Le Président a donc tenu sa promesse de tenir des assises inclusives sur la justice en profitant de la journée nationale du dialogue fixée au 28 mai de chaque année. Pour dire vrai, il s’agissait juste de parfaire notre système judiciaire car le Sénégal bénéficiait déjà d’une bonne justice reconnue en Afrique et dans le monde entier. Une justice et, surtout, d’excellents magistrats à l’image de feus Kéba Mbaye et Youssou Ndiaye pour ne citer que ceux-là. Destinataire des recommandations, le Président Bassirou Diomaye Faye va prendre les mesures qui s’imposent
Il y a aussi la lutte sans merci que lui et son Premier ministre mènent contre la maffia des prédateurs du foncier. Il y a eu une gestion scandaleuse du foncier sous les deux précédents régimes avec notamment l’accaparement du Littoral et du domaine public maritime privatisé au profit de privilégiés de ces régimes. Le Président s’est rendu lui-même dans la région de Thiès, sur le site du projet dit Mbour IV pour arrêter une véritable mise sous coupe réglée du patrimoine foncier de cette zone au profit de quelques individus. Le Président et le Premier ministre ont martelé leur volonté ferme de mettre un terme à ce banditisme foncier. Ce sont là quelques bons points seulement à l’actif des nouvelles autorités.
Deux mois après son arrivée aux affaires, le nouveau pouvoir a déjà à son actif — à son passif devrait-on dire ! — des arrestations d’activistes et des gardes-à-vue de journalistes. Les défenseurs des libertés s’inquiètent d’une reproduction des dérives de l’ancien pouvoir. Que leur répondez-vous ?
Il faut remettre les choses dans leur contexte. Ceux que vous appelez des activistes, plutôt que de mener des batailles d’idées ou de faire des dénonciations à caractère politique, agressent verbalement d’honnêtes citoyens en déversant des insanités sur eux et en les accusant de choses que la morale réprouve. Tout cela sur la base d’un tissu de mensonges. Plus que des blessures résultant d’agressions physiques qui peuvent cicatriser et guérir, les dommages psychologiques et moraux causés par les calomnies de ces pseudo-activistes sont indélébiles et ne s’effaceront jamais. Ils détruisent des vies. Ce genre d’individus, la justice a le devoir de sévir contre eux. Quant aux journalistes, ils doivent s’assurer de la véracité des informations qu’ils publient ce qui est le B-A Ba de leur métier. Les journalistes incriminés n’ont même pas cherché à s’assurer de l’existence du site d’où ils prétendent avoir tiré l’article qu’ils ont commenté. Heureusement que le CORED, qui est le tribunal des pairs, a fait son travail et a estimé que des erreurs ont été commises. L’Armée, le secret de l’instruction, ce sont des choses très sensibles. Le général Kandé n’a parlé à aucun de ces journalistes. Nous avons une Armée républicaine et loyale. Une Armée « fidèle » disait le président Senghor. Constitutionnellement, le président de la République nomme aux emplois civils et militaires.
Pour en revenir aux arrestations, c’est la justice qui s’est autosaisie. Ce n’est pas le président de la République ou le Premier ministre qui ont demandé d’arrêter tel ou tel. Il ne faut pas ouvrir la boite de Pandore des insultes, des injures et des calomnies.
En tant que membre de la conférence des leaders de la coalition « Diomaye Président », quels conseils donneriez-vous aux nouveaux dirigeants de notre pays dans le sens d’une plus grade réussite de leur mission ?
Il faut qu’elles prennent à bras le corps le problème de l’insécurité. Aujourd’hui, les Sénégalais sont attaqués à coups de machettes en plein jour voire égorgés comme des moutons de Tabaski. Dans certaines zones, les habitants n’osent plus sortir la nuit. Toutlemonde a peur. Des voyous circulant à bord de motos attaquent des citoyens, arrachent leurs téléphones ou leurs sacs, les sabrent s’ils résistent. Il s’y ajoute que notre pays est devenu une plaque tournante du trafic de drogues dures et du faux monnayage. Les saisies records succèdent aux saisies records et elles sont désormais devenues hebdomadaires voire quotidiennes. Et encore ces saisies de drogue et de fausse monnaie effectuées ne sont que la face visible de l’iceberg. L’ampleur de la circulation de faux billets de banque est telle qu’il faudrait songer à doter tous les commerçants de détecteurs. Il faut aussi mettre en place un système d’identification pour qu’on puisse savoir qui est qui surtout les étrangers. Je leur conseillerais aussi de sortir de leurs bureaux le plus souvent possible et d’aller en contact avec les réalités du terrain. Il ne faut surtout pas qu’ils acceptent de se faire isoler des populations qui les ont élus. Last but not least, il me semble qu’il commence à y avoir un peu trop de ministres conseillers. En réalité d’ailleurs, dans l’orthodoxie républicaine, un ministre conseiller, c’est le numéro 2 d’une ambassade. A la Présidence de la République, on doit plutôt trouver des conseillers spéciaux, c’est ce qui avait cours sous le président Abdou Diouf. Et même dans le cabinet du président François Mitterrand, le tout-puissant Jacques Attali avait le titre de conseiller spécial. On peut avoir rang et avantages de ministre sans en avoir l’appellation. Je comprends que tout le monde veuille se faire donner du « Monsieur le ministre » ou « Mme le ministre », mais ce n’est pas orthodoxe. Et il faut mettre fin à cette inflation.
Et que pensez-vous de la dualité qui s’et installée au sommet de l’Etat entre le président de la République et son Premier ministre ?
Il n’y a pas de dyarchie au sommet du pouvoir ! D’ailleurs, j’ai eu à interpeller un jour le Premier ministre — c’était à l’hôtel Azalaï — sur la banalisation des symboles de l’Etat, notamment les flèches tricolores sur les flancs des bus ou des trains voire des avions de la compagnie nationale, et il m’a répondu que cette question relevait des prérogatives du président de la République. Il m’a précisé que lui, Ousmane Sonko, n’est que le Premier ministre nommé par le président Bassirou Diomaye Faye. De même, quand on le voit recevoir des ambassadeurs, il le fait à la demande du Président car il s’agit souvent de discuter de questions économiques ou sectorielles, ce qui relève de ses compétences. La diplomatie, elle, et la défense relèvent du domaine réservé du Président. La relation entre le Président et le PM est fusionnelle et ils travaillent en parfaite complicité.
Pour le reste, comme je le disais tantôt, le Président n’a pas encore de majorité à l’Assemblée. Nous devons donc préparer les législatives et ne pas oublier que si nous avons bénéficié de votes-sanctions contre le précédent régime et aussi de votes d’adhésion au Projet, il y a eu aussi et surtout des votes d’espoir. Cet espoir ne doit pas être déçu. Il faut donc préparer les législatives sous la conduite du député Ayib Daffé, qui est le secrétaire général de Pastef, un homme très ouvert et lucide. L’Opposition qui a reçu un coup KO le 24 mars dernier fait tout pour nous déstabiliser mais ça ne passera pas.
UN FAMILIER DES ARCANES DE L’ETAT
Abdoul Aziz Mbaye est un économiste spécialiste des relations internationales diplômé de Paris Dauphine. Il est titulaire d’un troisième cycle de sciences politiques de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. En France, il a travaillé aux Caisses d’Epargne Ecureuil puis a été chargé d’études au BIPE (Bureau d’Etudes et de Prévisions économiques). Il a aussi effectué un stage à l’ACCT (Agence de coopération culturelle et technique, ancêtre de l’Agence française de développement ou AFD). Rentré au Sénégal, il a dirigé l’Agence d’information et de promotion diplomatique logée à la présidence de la République et dont la mission était de fournir des informations utiles et faciliter l’accueil des investisseurs mais aussi de leur fournir des informations sur les opportunités d’affaires au Sénégal, l’environnement économique, les institutions etc. Bref, une sorte d’Apix avant la lettre. Dans le cadre de son travail à la tête de cette agence, Abdou Aziz Mbaye a été en relation avec les conseillers diplomatiques, en communication du président Abdou Diouf, à qui il voue une admiration sans bornes, mais aussi avec l’ambassadeur Bruno Diatta, le secrétaire général de la présidence de la République, l’amiral Ousmane Sall, aide de camp du Président etc. Mais son plus grand pote à la Présidence, pour ne pas dire son mentor, c’était Cheikh Tidiane Dièye, le très discret journaliste et philosophe conseiller spécial numéro 1 du président Abdou Diouf chargé de la communication et rédacteur de la plupart des brillants discours de ce dernier. Des grands commis qui lui ont fait connaître les arcanes de l’Etat et lui ont appris à connaître au plus haut niveau ce monstre froid. Ils lui ont également inculqué le culte du secret. De ses incursions profondes à la Primature, il a été profondément marqué par de grands Messieurs, des personnalités remarquables comme l’ambassadeur Paul Badji, conseiller diplomatique du Premier ministre, ou le colonel (promu général par la suite) Alioune Samba. Inutile de dire que le très élégant et policé Abdou Aziz Mbaye est nostalgique de cette belle époque aujourd’hui révolue d’un Etat majestueux, solennel et impérial incarné par des personnages d’exception !