LES PROMESSES DU CHANGEMENT MISES À L'ÉPREUVE
Les premiers choix opérés par le président Diomaye Faye suscitent déjà la polémique au Sénégal. Si certains regrettent le non-respect des promesses électorales, d'autres soulignent le parcours des personnalités nommées
Moins d’un mois après sa prise de fonction, Bassirou Diomaye Diakher Faye cherche des combinaisons pour honorer ses promesses électorales faites aux Sénégalais. Depuis la formation de son gouvernement, le 5 avril dernier, la communication bat son plein. Cependant les actes concrets tardent à se manifester, alimentant l’impatience de compatriotes désireux de voir le changement promis se concrétiser. La non-application de la promesse d’appel à candidatures a installé la polémique. En effet, lors du Conseil des ministres de ce mercredi, on a assisté à une fournée de nominations directes sans donc passer par ce fameux appel à candidatures !
Moins d’un mois après la prise de fonction du nouveau président de la République, les attentes persistent quant à la mise en œuvre effective des réformes annoncées et de la rupture tant promise par le candidat Bassirou Diomaye Faye durant sa campagne électorale. Selon certains de nos compatriotes, ces promesses d’instaurer un appel à candidatures systématique pour certains postes clés de l’administration suscite des attentes importantes, notamment après les déclarations de Ousmane Sonko, leader de Pastef les patriotes, et du président élu lui-même. Ce mode de recrutement était censé être la pierre angulaire de la réforme des institutions et garantir une égalité d’accès aux emplois publics, comme stipulé dans le programme électoral intitulé «Le Projet» de la coalition «Diomaye Président».
Lors de son premier Conseil des ministres, le président Diomaye Fall a d’ailleurs chargé le Premier ministre, Ousmane Sonko, de préparer un projet de décret pour mettre en œuvre cet appel à candidatures pour certaines fonctions importantes dans les secteurs public et parapublic. De même, le Président a demandé au Premier ministre et au ministre de la Fonction publique, Olivier Boucal, d’accélérer l’élaboration d’un projet de loi visant à garantir l’égalité des chances dans l’accès à la fonction publique.
Cependant, les nominations intervenues cette semaine ne semblent pas être en accord avec ces engagements, ce qui a déclenché une polémique dans l’opinion. Les mesures individuelles prises lors du dernier Conseil des ministres ont concerné la nomination de plusieurs personnalités à des postes stratégiques, suscitant des doutes quant au respect des promesses électorales et à la volonté réelle de rompre avec les pratiques politiques du passé.
« Trahison des promesses électorales » : les réactions de citoyens
Dans les rues animées du marché Tilène, au cœur de la Médina, El Hadj Matar Cissé, coiffeur de profession, exprime son désarroi suite aux récentes nominations effectuées par le gouvernement. Pour lui, ces nominations vont à l’encontre des engagements pris par le nouveau président lors de la campagne électorale et soulèvent des questions quant à la sincérité des dirigeants. « Il faut saluer la volonté du Président par rapport à la rupture promise, mais il faut être aux aguets et dénoncer quand on voit que des promesses sont en train d’être trahies », confie le coiffeur exprimant ainsi son soutien à la politique de rupture promise tout en exprimant sa méfiance à l’égard des hommes politiques.
El Hadji Cissé se dit particulièrement surpris par ces nominations, rappelant les promesses de Ousmane Sonko concernant l’introduction d’un processus d’appel à candidatures pour les postes de directeurs, directeurs généraux et chefs d’agence, avec des comités chargés d’examiner les dossiers de manière impartiale. Pour lui, cette approche aurait permis de sélectionner les meilleurs candidats en fonction de leurs mérites professionnels, sans favoritisme ni parti pris.
Le coiffeur exprime sa déception personnelle, expliquant qu’il avait fondé des espoirs sur cette innovation pour retrouver un emploi correspondant à ses compétences et à son expérience professionnelle. « Je suis coiffeur, mais j’ai un master en droit public et six ans d’expérience professionnelle. J’avais l’espoir de participer à des appels à candidatures pour retrouver un travail à la hauteur de mes compétences », confie-t-il, laissant transparaître sa frustration.
Le visage marqué par l’amertume, ElHadj Cissé exprime un sentiment de désillusion quant à la situation politique actuelle. « Tous les politiciens sont les mêmes. Depuis un mois rien ne bouge à part des discours et aujourd’hui je suis déçu. Je perds espoir avec ces nominations politiques que le gouvernement a effectuées », conclut-il, illustrant ainsi le scepticisme de nombreux citoyens face à la réalisation des promesses électorales.
Babacar Mall espère un changement malgré tout
Babacar Mall, un jeune étudiant résidant près du lieudit Poste Médina partage le point de vue du coiffeur Cissé sur les récentes nominations gouvernementales tout en exprimant à la fois sa prudence et sa reconnaissance envers ceux qui ont participé activement à la lutte pour le changement. « Pour moi, ce gouvernement vient tout juste de commencer, attendons de voir. Ils ont cinq ans devant eux et les Sénégalais ont changé. Si nous ne voyons pas les promesses se réaliser, la rue est à nous », déclare-t-il, demandant ainsi une attitude d’observation vigilante face aux actions du nouveau gouvernement.
Babacar Mall critique néanmoins les nominations politiques, soulignant le non-respect de la promesse d’appel à candidatures pour les postes clés de l’administration. Cependant, il souligne également l’importance de reconnaître le sacrifice et l’engagement des personnes nommées, qui ont été des pionniers de la lutte pour le changement, malgré les risques encourus. « Ces personnes nommées à ces postes sont les pionniers de la lutte pour le changement. Elles ont mené le combat au risque de leur vie, ont été emprisonnées, radiées de leurs fonctions pour certaines d’entre elles. Si on ne les laisse pas gérer, ce serait de l’ingratitude et une injustice totale à leur endroit », affirme-t-il, mettant en avant le mérite de ceux qui ont porté le flambeau de la contestation. Babacar Mall prend l’exemple de Pape Alé Niang pour illustrer son propos, soulignant que malgré son propre engagement dans les luttes estudiantines, il reconnaît que des hommes comme Pape Alé Niang ont assumé un rôle de premier plan dans des moments difficiles. «Pape Alé Niang, je dis qu’il a plus de mérite que moi, même si je n’ai raté aucun combat à l’UCAD. Lui s’est exposé, a pris parti et a assumé de mener le combat très difficilement. Aujourd’hui, sa nomination était une demande sociale », conclut Baba Mall soulignant ainsi la nécessité de récompenser les sacrifices consentis durant la lutte pour le changement.
Mère Ramatoulaye Bangoura entre déception et reconnaissance
Ramatoulaye Bangoura, une septuagénaire qui gère une agence de Multiservices près du boulevard de la République, exprime sa déception face aux premières nominations effectuées par le Gouvernement, tout en reconnaissant le mérite des figures de proue du combat pour la rupture qui ont été promues. « Je suis un peu déçue de ces premières nominations à coloration partisane, néanmoins je reconnais le mérite de ces figures de proue du combat pour la rupture qui ont été promues », déclare-t-elle, exprimant ainsi un sentiment mitigé entre déception et reconnaissance.
Selon « Mère » Ramatoulaye Bangoura, la promesse d’appel à candidatures était un espoir pour la jeunesse compétente et diplômée, dépourvue de bras longs ou de relations politiques. « Aujourd’hui, c’est bien qu’ils soient nommés, mais imaginez que cette situation fasse penser à nos enfants qu’il faut se battre et aller en prison pour réussir. C’est cela qui me tracasse et c’est ce que je dis dans les discussions depuis ce matin », explique-t-elle, la tête courbée, témoignant ainsi de son inquiétude face aux messages que ces nominations pourraient envoyer aux générations futures. Dans un contexte où les attentes étaient élevées, « Mère » Ramatoulaye Bangoura exprime sa surprise et son étonnement face à ces premières nominations.
Mame Fatou Dia entre des critiques constructives et attente de résultats concrets
Mame Fatou Dia, infirmière travaillant juste au rez-de-chaussée du parking public d’un grand centre commercial du centre-ville, exprime sa surprise et sa déception concernant les récentes nominations, en référence à la promesse électorale faite par Ousmane Sonko. «Pour moi, les politiciens ont un vrai problème avec la vérité une fois arrivés au pouvoir, mais cela ne me surprend plus car nous, Sénégalais, sommes habitués à cela », déclare-telle tout en exprimant un sentiment de résignation face aux politiciens. D’après Mame Fatou Dia, son principal souci réside dans les résultats concrets. Selon elle, certains des profils nommés, des ministres aux directeurs généraux, manquent d’expérience réussie et de diplômes avérés dans les domaines où ils ont été nommés à des postes de haute responsabilité. « J’espère seulement qu’ils seront à l’image des Américains. On dit que le diplôme n’est pas important, mais les résultats. Alors, je les jugerai sur leurs performances », confie l’infirmière. Cependant, Mame Fatou déplore également le sentiment que la formation du gouvernement semble être une affaire propre à Pastef plutôt qu’à l’ensemble du Sénégal. Elle conclut avec humour en plaisantant sur son potentiel engagement politique et son intention de déchirer ses diplômes d’infirmière, soulignant ainsi son désir de voir une véritable prise en compte de l’intérêt national dans les décisions que prennent les dirigeants du pays.
Diversité des opinions attentes et préoccupations
Soumaïla Diarra, un acteur culturel proche du centre culturel Blaise Senghor, exprime son inquiétude quant au caractère « oligarchique » des nominations effectuées cette semaine par le Gouvernement. Selon lui, ces nominations ne sont pas simplement politiques, mais témoignent d’une montée en puissance d’une grande oligarchie qui pourrait avoir des conséquences désastreuses si les résultats escomptés ne suivent pas. « Nous assistons à la formation d’une grande oligarchie qui risque de faire très mal au pays si les résultats ne suivent pas », déclare-t-il, soulignant ainsi le risque d’une concentration excessive de pouvoir entre les mains d’une élite restreinte. Pour Soumaïla Diarra, les discours politiques actuels laissent à désirer et en porte-à-faux avec la vérité, car les actions posées par le gouvernement semblent aller à l’encontre des promesses électorales faites par les nouveaux dirigeants. Il conclut en citant un proverbe bambara « Ni yamin ibi ka nônô bila aka kumun, ibê dôta kênê de kan....», pour exprimer son scepticisme quant à la sincérité des dirigeants actuels. « J’espère seulement qu’ils ne décevront pas les Sénégalais ainsi que le reste de l’Afrique », conclut-il.
Djibril Thiam, un forgeron trouvé en pleine activité, partage un point de vue différent car disant être intéressé par les résultats concrets plutôt que sur les critères de sélection des dirigeants des sociétés nationales. Pour lui, peu importe le profil des personnes nommées pourvu que les résultats soient au rendez-vous. « Pour moi, qu’ils nomment même des fous, je n’ai pas de problème avec ça. Je suis à 200% pour Pastef mais j’attends des résultats », déclare-t-il, soulignant ainsi son engagement envers le parti tout en exprimant son exigence en matière de résultats concrets. Djibril admet que les nominations ont toujours eu une dimension politique, mais il reconnaît également que l’absence de respect des promesses électorales peut susciter des frustrations au sein de la base du parti. Il conclut en affirmant que si les résultats ne sont pas au rendez-vous, il montera lui-même en première ligne pour mener la lutte contre Pastef.
Le point de vue du socio-anthropologue A. Diouf
Pour finir, A. Diouf, un socio-anthropologue, décortique ce débat passionné provoqué par les nominations des premiers directeurs généraux de sociétés nationales et d’agences sans passer par la procédure d’appel à candidatures en évoquant une dynamique de la politique politicienne qui semble dépasser toutes les générations. « De 1960 à nos jours, tous les opposants ont promis monts et merveilles aux populations assoiffées de changement mais, une fois au pouvoir, ils constatent que la réalité est tout autre, les obligeant à réviser leurs promesses électorales », analyse-t-il. Pour Diouf, le parti Pastef est confronté à la difficulté d’effectuer cette transition politique, ayant recouru à la méthode politique du populisme, une tendance appréciée dans la géopolitique mondiale actuelle. Cependant, l’épreuve du pouvoir s’avère être le premier adversaire du populisme politique car les réalités sont bien différentes entre la posture d’opposant et celle de gestionnaire d’un Etat. Les nouvelles générations panafricanistes, radicales ou souverainistes manquent souvent des compétences intellectuelles et de l’expérience nécessaires pour diriger un pays. « C’est un noble combat mais qui devient impossible car la plupart de ces combattants trahissent leurs serments », déplore-t-il. Le socio-anthropologue A. Diouf souligne également la formation de puissantes sectes incassables qui, une fois au pouvoir, s’efforcent de réprimer toute voix dissidente. Cette dynamique n’est pas unique au Sénégal mais se retrouve dans de nombreux pays africains et du monde entier. « Nos gouvernants ont l’opportunité de revoir leur stratégie dès maintenant », encourage Diouf. Selon lui, le gouvernement d’Ousmane Sonko pourrait bénéficier d’une ouverture et d’une inclusivité accrues afin de tirer profit de toutes les expertises disponibles pour réaliser les attentes de l’électorat. « Nous leur souhaitons bon vent mais les exhortons à abandonner le populisme, les postures d’opposants, et à endosser le rôle de « Père de la nation» plutôt que celui de «Père des Pastefiens », conclut-il.