MACKY ET LE PS
EXCLUSIF - Le Président dans l'ombre, l'inquiétude est palpable - Le parti de Tanor doit choisir entre devenir un parti d'opposition ou se contenter d'une participation presque invisible à l'attelage présidentiel
Depuis plusieurs décennies, l'un des grands intellectuels du Parti socialiste, l'un des ses idéologues, diront certains, Ousman Blonding Diop donne de la voix pour se prononcer sur l'actualité politique du Sénégal et se penche en particulier sur l'avenir de son parti politique. Un édito SenePlus sous forme d'interview.
Quelle est votre analyse des résultats du référendum du 20 Mars ?
L’indicateur le plus significatif, à mes yeux, restait le taux de participation au référendum. Or, il s'est révélé particulièrement faible même dans un pays où les gens ne votent pas autant que peut le laisser croire le dynamisme démocratique sénégalais. Ce faible taux, selon moi, arrange le pouvoir car une plus grande participation pouvait conduire à un "Non".
D'ailleurs, selon mes informations, les derniers jours de campagne ont été marquées par un léger vent de panique parce que le "Non" semblait poindre à l'horizon. C'est cette crainte qui a motivé l'investissement personnel du Président Macky Sall.
La victoire du " Oui" reste du coup ambiguë compte tenu du "brouillage" de la question principale par l'adjonction d'autres questions subsidiaires. Cette tactique a eu un double effet : d'une part, les électeurs et les partis politiques n'ont pas pu prendre clairement position sur 15 questions, rendant la campagne insipide et molle; et, d'autre part, ce climat délétère a servi à faire remonter à la surface les ambiguïtés et contradictions internes de la coalition qui avait soutenu le candidat Macky Sall.
C'est en ce sens que le référendum doit s'analyser par rapport à la séquence qui l'a précédé et au regard de celles qui vont lui succéder. En effet, jusqu'à l'annonce du référendum, le Président et ses alliés semblaient travailler en bonne intelligence, même si on peut regretter l'absence de rencontres formelles "au sommet" entre la Direction de l'APR et les autres formations membres de Benno. Mais l'occasion du référendum a servi de révélateur de la volonté hégémonique et du comportement unilatéral du parti du Président. Ce qui n'a pas manqué de créer du trouble voire même de l'irritation dans les rangs de certains des partis alliés.
C'est ce qui me laisse penser que la prochaine séquence sera celle du moment de vérité dans les rangs des partis alliés qui vont, chacun selon ses attentes et stratégies, connaître des soubresauts voire des crises ouvertes comme cela est déjà le cas au PS.
C'est dire que d'un référendum rendu confus et confusionniste, on peut déboucher sur une clarification inattendue du rapport des forces au sein de l'alliance Benno comme au sein de l'opposition dont le PDS reste le principal parti.
Selon vous, le compagnonnage du PS avec le Président Macky Sall pourra-t-il survivre à cette épreuve ?
De toute évidence, il ne s'agit pas d'un attelage historique mais de circonstances dans le seul but de pousser le Président Wade vers la sortie.
Ensuite, le PS a été très sensible aux nombreux actes pleins de sollicitude et de considération du Président Macky Sall à l'égard de l'ex président Abdou Diouf. Vu que le PS est une formation de pouvoir et de gestion du pouvoir, le président Macky Sall comme le Secrétaire Général Tanor Dieng ont conclu un pacte non écrit de solidarité réciproque dans la gestion des affaires du pays. Tanor apportant sa longue pratique, son expérience et sa connaissance des dossiers à un jeune Président élu contre toute attente à la fonction suprême. Il s'y ajoute l'utile carnet d'adresses de Tanor et ses relations personnelles avec les socialistes français.
Ce compagnonnage vient de connaître ses premières fissures à l'occasion du référendum et de ses suites, sans compter la perspective des prochaines échéances électorales qui va certainement en ouvrir d'autres au sein du PS dont aucun cadre n'accepte à l'avance de ne pas présenter de candidat aux présidentielles. Le maire de Dakar, Khalifa Sall étant la figure de proue de cette position que partagent beaucoup d’autres socialistes.
De tout ceci, il ressort que le Secrétaire Général du PS, selon plusieurs sources, semblerait vouloir préparer sa retraite de la direction du PS pour occuper une fonction prestigieuse, soit comme Président de l'Assemblée nationale, soit Président du futur Haut Conseil des Collectivités Territoriales. Cet agenda personnel est considéré par nombre de ses camarades comme la principale préoccupation de leur Secrétaire général et non plus l'avenir du PS.
Il reste à savoir comment le Président Macky Sall va hiérarchiser ses prochaines cibles politiques en vue de la présidentielle. Si son objectif majeur est de rallier à lui des militants PDS afin d'isoler le Président Wade et les Pds irréductibles, il faudra bien leur prévoir des compensations d'importance. Tout dépendra encore une fois du poids électoral des uns et des autres dont on devrait avoir une première mesure aux législatives de 2017, si, bien évidemment, elles ont lieu à cette date.
Vous semblez suggérer que le Référendum a affaibli le Président Macky Sall...
Disons que je voudrais retenir que le président Macky Sall a bénéficié d'un très fort "crédit d'ouverture " dès sa prise de fonction et qu'il a été soutenu dans toutes ses initiatives par de nombreux secteurs de la société et de l'opinion, y compris de la part de personnes qui n'avaient pas voté pour lui, tel que l'auteur de ses lignes. Il faisait passer le Sénégal de l'ombre (celle des derniers mois du mandat du Président Wade) à la lumière, par sa volonté de transparence, de travailler de transformer les choses et les mentalités.
Il lui a manqué, lors du référendum, des conseillers pour lui rappeler que la pratique référendaire sous la Vè république à la française vise à renouveler le pacte de confiance entre un homme et le peuple qui l'a élu : cela requerrait une question claire et donc une réponse non moins claire. Malheureusement au sortir de ce référendum, le Président Macky se trouve plongé dans l'ombre !
Aussi faudrait t-il rappeler aux hommes du Président de méditer désormais cette phrase de François Mitterrand qui disait à propos de tout référendum que "les gens ne répondent pas le plus souvent à la question qui est posée, mais à celui qui la pose !"
Dans le camp présidentiel, l'inquiétude est palpable, selon diverses sources concordantes, et les interrogations portent sur les causes réelles de cette désaffection des électeurs à l'endroit du président, malgré le travail qui se fait sur le plan économique et social.
Dans le camp des partis de la coalition qui l'ont porté au pouvoir, il y a un début d'interrogation sur l'avenir de leur compagnonnage avec l'APR, tandis que dans l'opposition on commence à affûter les armes politiques en vue des prochains rendez-vous électoraux.
Pensez-vous qu'il y ait des chances que nous ayons une cohabitation après les législatives de 2017 ?
Voyons d'abord quelles sont les forces en présence. Il faut, tout d'abord, distinguer entre les formations politiques à forte implantation organisationnelle et sociologique qui sont au nombre de deux: le PS et le PDS, et dans une moindre mesure l’AFP, et les formations dirigées par des leaders à forte personnalité mais sans implantation significative.
L'enjeu dans le camp présidentiel dépendra du respect du calendrier électoral. Si le pouvoir maintient les législatives en 2017, il y a un risque réel d'une coalition contre l'APR et donc d'une cohabitation.
Si le pouvoir reporte les législatives, il devra mettre à profit cette prolongation du mandat des députés pour revoir ses relations avec ses alliés, par exemple, en créant un cadre plus formel et structuré de leur alliance, et surtout en élaborant une perspective de programme commun pour l'avenir.
Dans le camp de l'opposition, animé principalement par le PDS historique et les différents "héritiers de Wade", il est peu probable d'aboutir à une unité, ce qui permettra au pouvoir d'opérer quelques " débauchages" mais ouvre, à l'inverse, la porte à des candidatures surprise, comme celle de l'ancien Premier ministre Abdoul Mbaye.
Le paysage politique reste, en fin de compte, assez composite et traduit une recomposition inaccomplie depuis l'arrivée du Président Wade et du PDS au pouvoir, qui a vu des partis de la gauche sénégalaise historique assis à la même table du gouvernement aux côtés de libéraux et de leaders Ps en rupture de parti. Il y avait là une circonstance historique inédite que le pays et sa classe politique auraient pu saisir pour construire un projet politique sans précédent en Afrique. Malheureusement, les ambitions des uns, les égos des autres et les impatiences de tous ont pris le dessus et relégué au second plan cette perspective historique.
Quel est l'avenir du PS et de son Secrétaire général ?
La question devrait être posée en des termes inversés, à savoir: quel Ps et pour quel avenir ? Explicitons notre approche: le principal mérite de Tanor aura été d'empêcher le Ps de sombrer totalement après la défaite de 2000; Le risque était réel de voir le PS disparaître du paysage politique pour de longues années. Or, cela ne s'est pas produit. Aujourd'hui, le PS est en phase de renaissance active mais autour d'un agenda dont il n'a pas la maîtrise même en tant que membre éminent de la coalition Benno; En clair, la question qui se pose au PS est de choisir entre devenir le parti leader de l'opposition, ce qui n'est pas dans son ADN, ou se contenter d'une participation presque invisible à l'attelage présidentiel qui œuvre, lui, à un élargissement de ses alliances.
Une voie d'avenir pour le PS consisterait à reprendre le chemin de son mouvement de refondation engagé par Tanor en 1996 par une actualisation des défis et des questions qui assaillent le Sénégal et le PS aujourd'hui. Une telle reprise de la refondation devrait viser les questions de restructuration du parti compte tenu, en particulier, de la forte municipalisation du pays et développer, en conséquence, des formes adaptées de militantisme; travailler à l'élaboration d'un projet d'avenir économique, social, culturel pour le Sénégal qui porte l'empreinte distinctive du PS et le faire valider par la base puis les instances supérieures du parti; enfin, travailler à la prise en compte de ce projet-programme par les autres partis membres de la coalition Benno.
En réengageant un tel processus, le PS pourra retrouver le chemin d'une dynamique qu'il est en train de perdre d'élection en élection et se réinventer un avenir pour le XXIè siècle.