«POURQUOI LE GOUVERNEMENT DE DIOMAYE DEVRAIT TOURNER AUTOUR DE 20 MINISTRES !»
C’est la conviction profonde du professeur El Hadji Abdoulaye Seck, chercheur canadien d’origine sénégalaise dans les universités du Québec.
Le prochain gouvernement de Bassirou Diomaye Faye devrait tourner autour de 20 ministères. C’est la conviction profonde du professeur El Hadji Abdoulaye Seck, chercheur canadien d’origine sénégalaise dans les universités du Québec. Ce diplômé en économie de l’École nationale d’administration publique du Québec et à l’Université Queens ainsi qu’à l’Université du Québec à Chicoutimi explique pourquoi la nouvelle équipe de Bassirou Diomaye Faye devrait tourner autour de 20 ministères. Dans la même lancée, à travers cet interview exclusive accordé au Témoin, il trace les perspectives économiques incontournables qui s’imposent au nouveau gouvernement. Cette analyse approfondie de la situation économique actuelle du Sénégal met en lumière les défis majeurs auxquels le pays est confronté. Le chercheur économiste examine également l’impact potentiel des initiatives présidentielles sur l’économie mondiale, tout en explorant les opportunités de croissance liées à l’exploitation future du gaz et du pétrole. En outre, El Hadj Abdoulaye Seck évoque le rôle des politiques économiques dans la promotion de la croissance et du développement, les effets de la mondialisation sur les citoyens ordinaires et les mesures nécessaires pour stimuler l’investissement et encourager l’entrepreneuriat.
LE Témoin - El Hadj Abdoulaye Seck, en tant qu’universitaire, pouvez-vous nous donner votre analyse de la situation économique actuelle du Sénégal par rapport au reste du monde ?
Le meilleur baromètre est le rapport 2023-2024 du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qui vient de paraitre. Ce rapport a pour objectif de classer 193 pays suivant leur niveau de développement à travers le revenu national brut/habitant, l’espérance de vie à la naissance et la scolarisation. Concrètement, le Sénégal est logé à la 169ème place avec un IDH (Indice de Développement Humain) de 0.517. La signification économique de ce score est que le Sénégal fait partie des 25 pays au niveau de développement humain les plus faibles dans le monde. Nous relevons aussi qu’entre 2015 et 2022, le Sénégal n’a gagné en moyenne qu’une place. Ces résultats font ressortir les réalités socio-économiques ressenties par les Sénégalais et qui se cachent derrière le bilan matériel du président sortant..
Quels sont les principaux défis auxquels l’économie du pays est confrontée en ce moment ?
À la page 82 du document pluriannuel budgétaire 2024-2026, l’état du Sénégal évoque une dépendance vis-à-vis de l’extérieur à réduire. Vous avez là le principal goulot d’étranglement de l’économie sénégalaise. Succinctement, nous pouvons l’illustrer à travers l’endettement et le solde de la balance commerciale. Pour l’endettement, le Sénégal est à un ratio dette publique (strictement état central pour respecter les normes de l’UEMOA) /PIB de 68% pour un plafond communautaire de 70%. L’évolution rapide de ce ratio durant ces dernières années a précipité une certaine détérioration de notre signature. En effet, le Sénégal a quitté le cercle des pays à niveau de surendettement faible pour rejoindre celui des modérés. De plus, le rapport pluriannuel budgétaire 2024-2026 stipule que 78% de l’encours de la dette est détenu par des non-résidents. Aussi, nous relevons que 70% de cette dette est libellé en dollars et en euros. Les situations évoquées montrent pourquoi le Sénégal subit difficilement les différentes crises mondiales (Guerre Russie-Ukraine, conflit Palestine-Israël, Covid19, etc.) se traduisant par des inflations et déficits budgétaires hors normes UEMOA. Ces différents développements ont motivé les dernières missions du FMI au Sénégal pour essayer de stopper l’hémorragie. Pour ce qui est du solde de la balance commerciale, le Sénégal a enregistré un déficit commercial de 3984 milliards de FCFA en 2023.Ce résultat vient confirmer la longue tradition sénégalaise en matière de déficit commercial. Il faut comprendre par là qu’un déficit commercial est synonyme d’exportation d’emplois au reste du monde au moment où notre jeunesse brave la mer Méditerranée, le désert du Sahara et le chemin du Nicaragua.
Que vous inspire le programme économique du Président Diomaye Faye ?
Nous constatons une volonté de sa part de mettre en œuvre la vision politique du Pr Cheikh Anta Diop. En effet, il a évoqué dans sa profession de foi l’objectif de lancer au niveau de la CEDEAO un vaste programme de développement des énergies renouvelables. Une politique recommandée par Cheikh Anta Diop dans son livre «Fondements économiques et culturels d’un état fédéral». Cette vision pourra permettre à la région ouest africaine de maitriser les coûts de production et donc de développer amplement son potentiel industriel, gage d’une meilleure prise en charge de la question du chômage. Il est aussi revenu sur sa volonté de collaborer avec tout état respectueux du principe d’une coopération mutuellement avantageuse. Suivant cette orientation diplomatique, nous pouvons assister à une redéfinition des relations avec le bloc occidental et/ou le renforcement du partenariat avec les pays du BRICS. D’ailleurs, la structure de notre commerce extérieur en 2023 montre que la Chine et la Russie font partie du top 4 de nos principaux partenaires en matière d’importations et que l’Inde et la Chine se positionnent dans le top 4 des exportations. Dès lors, le Sénégal sera sans aucun doute le terrain de la confrontation Est/Ouest d’où l’importance d’avoir une bonne équipe assez imprégnée de la géopolitique mondiale dans le but de positionner le Sénégal dans une voie résolument souveraine et ambitieuse.
Quelles sont, selon vous, les opportunités de croissance économique pour le Sénégal avec l’exploitation du gaz et du pétrole dans les années voire les mois à venir ?
Durant la campagne électorale, certains candidats ont fait de la surenchère sur le pétrole et le gaz. Bien évidemment, toute ressource naturelle est économiquement importante pour un pays mais nous devons revenir à la raison : le pétrole et le gaz sont des ressources non renouvelables. Nous nous devons d’éviter ce qu’on appelle en économie la maladie hollandaise avec nos nouvelles ressources naturelles. Après avoir assisté à plusieurs reports de l’exploitation de ces hydrocarbures, le ministère des Finances table sur des recettes moyennes annuelles de 414 milliards de FCFA sur la période 2024-2025, ce qui fait le tiers des envois des Sénégalais de la Diaspora (circuit officiel). Dès lors, pour pouvoir profiter pleinement des opportunités de croissance économique du pétrole et du gaz, il faudra d’une part revoir dans la mesure du possible les contrats existants et d’autre part tirer profit du contenu local. En effet, le président Macky Sall a laissé un excellent cadre législatif avec la loi sur le contenu local. Il faudra maintenant travailler à faire profiter à notre secteur privé national les opportunités de croissance économique qui gravitent autour du pétrole et du gaz. De plus, le Sénégal pourra en profiter aussi pour diminuer le coût de l’électricité afin de soulager les consommateurs et les industriels.
Quel rôle jouent les politiques économiques actuelles dans la promotion de la croissance et du développement économique ?
Le président sortant avait une vision orientée vers les infrastructures dans le but de créer un environnement des affaires propice à la croissance économique. Les investissements en infrastructures (captés majoritairement par les multinationales) ont grandement tiré la croissance économique du Sénégal depuis 2014 avec le lancement du PSE. Il faut savoir que l’investissement de l’état est comptabilisé dans la mesure de la croissance économique. C’est pourquoi nous n’avons jamais remis en question les chiffres sur la croissance économique. En revanche, le problème se pose au niveau de la contribution du secteur privé à cette croissance. C’est pourquoi l’objectif du PAP2 à son lancement était de céder le lead de la croissance économique au secteur privé. Malheureusement, nous n’avons vu qu’une timide participation du patronat couplée à une continuité de l’interventionnisme de l’état pour faire face aux différents chocs externes qui se sont succédé. Les résultats du PNUD montrent dans ce sens que la croissance économique est certes importante mais insuffisante à elle seule pour atteindre le développement.
Quelles sont les mesures qui pourraient être prises selon vous pour stimuler l’investissement et encourager l’entrepreneuriat au Sénégal ?
Le président sortant avait une vision orientée vers les infrastructures dans le but de créer un environnement des affaires propice à la croissance économique. Les investissements en infrastructures (captés majoritairement par les multinationales) ont grandement tiré la croissance économique du Sénégal depuis 2014 avec le lancement du PSE. Il faut savoir que l’investissement de l’état est comptabilisé dans la mesure de la croissance économique. C’est pourquoi nous n’avons jamais remis en question les chiffres sur la croissance économique. En revanche, le problème se pose au niveau de la contribution du secteur privé à cette croissance. C’est pourquoi l’objectif du PAP2 à son lancement était de céder le lead de la croissance économique au secteur privé. Malheureusement, nous n’avons vu qu’une timide participation du patronat couplée à une continuité de l’interventionnisme de l’état pour faire face aux différents chocs externes qui se sont succédé. Les résultats du PNUD montrent dans ce sens que la croissance économique est certes importante mais insuffisante à elle seule pour atteindre le développement. Quelles sont les mesures qui pourraient être prises selon vous pour stimuler l’investissement et encourager l’entrepreneuriat au Sénégal ? Le grand défi sera de réussir le pari de l’assainissement de notre environnement des affaires. Il nous faut définir avant tout notre modèle d’affaires. Concrètement, il s’agira d’opter pour un modèle libéral porté par l’entreprenariat des privilégiés ou pour un modèle social et solidaire tiré par des coopératives au niveau communautaire. Suivant la réalité historique et sociologique de la société sénégalaise, nous pensons que la voie de l’économie sociale et solidaire à travers le modèle des coopératives est la meilleure solution pour sécuriser les investissements et permettre un véritable développement économique profitable à tous. Donc nous invitons le nouveau président à suivre cette orientation jadis déclinée par feu Mamadou Dia.
Quels sont les secteurs de l’économie qui offrent le plus grand potentiel de création d’emplois présentement ?
Selon l’ANSD, le premier employeur au Sénégal est le secteur informel. Ce dernier porte 97% des emplois au Sénégal. Là nous voyons l’énorme contribution du secteur informel à l’économie sénégalaise d’où l’importance de mieux réfléchir sur son organisation. Pour ce qui est du secteur moderne (hors administration publique, agriculture et pêche), nous constatons que c’est le secteur des services (49%) qui tire la création d’emplois, suivi du secteur industriel (30%), du secteur du commerce (16%) et du secteur de la construction (5%).
Enfin, quelles sont vos recommandations au nouveau gouvernement en vue et aux décideurs économiques afin de favoriser une croissance économique durable et inclusive ?
Parmi les priorités listées par le nouveau président élu, Son Excellence Bassirou Diomaye Diakher Faye, nous retenons la nécessité de procéder à une réforme desinstitutions et à une évaluation sectorielle des différentes politiques publiques. Ces deux préalables sont très importants afin de faire le point sur les différents projets et de rétablir la confiance des Sénégalais envers les institutions de la République. Nous suggérons par la suite au président de matérialiser sa vision des pôles de développement régionaux pour un développement économique endogène et inclusif. Actuellement, le plus important sera de concocter une excellente équipe gouvernementale qui lancera le tempo de la cadence économique. Dans ce sens, nous proposons au président Faye de poursuivre la logique de regroupement des ministères constatée lors du dernier remaniement. Dès lors, par souci d’efficience, nous proposons les 20 départements ministériels suivants :
1/ ministère des Forces armées et de la Citoyenneté;
2/ministère de la Justice;
3/ministère de l’économie, des Finances et de l’économie sociale et solidaire;
4/ ministère des Affaires étrangères et développement international;
5/ministère de l’Intérieur;
6/ministère de l’éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle;
7/ ministère de la Santé et du Sport;
8/ ministère de la Famille et de la Jeunesse;
9/ ministère de la Culture et du Tourisme;
10/ ministère du travail et de l’emploi;
11/ ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement;
12/ministère du Développement territorial;
13/ ministère des Ressources naturelles;
14/ ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme;
15/ ministère des Transports terrestres, maritimes et aériens;
16/ ministère des Pêches;
17/ ministère de l’Agriculture et de l’élevage (en économie l’agriculture et l’élevage constituent l’agriculture au sens large);
18/ ministère du Commerce, des PME/PMI et de l’Artisanat;
19/ ministère de la Fonction publique et de la Promotion de la bonne gouvernance;
20/ ministère de la Communication et des Relations publiques. »