COMMENT LE DISPOSITIF MÉDICAL DE KAFFRINE A MONTRÉ L'IMPORTANCE DES STRUCTURES HOSPITALIÈRES DE PROXIMITÉ
Le relèvement urgent du plateau technique des structures sanitaires régionales est assurément un impératif.
Il y a tout juste quelques années encore, presque toutes les évacuations sanitaires suite à des accidents de la route survenues dans les régions de l’intérieur se faisaient vers Dakar. Aujourd’hui, avec le relèvement du plateau technique et la création de nouvelles infrastructures sanitaires régionales répondant aux normes, la prise en charge sur place des blessés sur nos routes a connu une amélioration significative. Exemple par le nouvel hôpital de Kaffrine et le dispositif médical mis en place suite à l’accident de Sikilo ayant fait 39 morts et une centaine de blessés...
Le relèvement urgent du plateau technique des structures sanitaires régionales est assurément un impératif. Ce de manière à diminuer la pression sur les établissements hospitaliers de la capitale et aussi pouvoir prendre en charge plus rapidement, et dans les meilleures conditions possibles, les accidentés de la route. Lesquels ne seraient plus trimballés sur des centaines de kilomètres dans des conditions souvent éprouvantes, avant de bénéficier de la moindre prise en charge. Une question remise sur le devant de la scène par le drame de Sikilo qui a fait 40 morts et plus de 100 blessés. Un drame qui montre l’importance de disposer d’un plateau technique relevé et d’un personnel compétent dans les régions.
En effet, malgré la gravité de l’accident, l’afflux massif de blessés a pu être absorbé par l’hôpital régional de Kaffrine implanté il y a quelques années dans la zone. Presque tous les blessés ont été pris en charge sur place. Seule une poignée a été évacuée à Kaolack et un seul sur Dakar. Pour le gouverneur de région, l’hôpital de Kaffrine a été une bouffée d’oxygène dans la prise en charge des victimes de cet accident de Sikilo. N’eut été cet hôpital de niveau 2, dit-il, «on» allait référer presque tous les blessés vers Kaolack voire Dakar. «Mais l’hôpital a permis de prendre en charge toutes les victimes et dès les premières heures. C’est après qu’il y a eu une évacuation de quelques personnes, -4 au total-, entre Kaolack et Dakar. Pour dire l’importance de cet hôpital qui a permis d’avoir un plateau technique relevé, surtout en orthopédie» s’est félicité M. William Manel.
L’hôpital de Kaffrine venu à son heure
Même satisfecit du secrétaire général du Syndicat autonome des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes du Sénégal (Sames)selon qui « l’hôpital de Kaffrine a très bien fonctionné ». C’est donc peu dire que Dr Mamadou Demba Ndour apprécie positivement le dispositif sanitaire comme administratif mis en place pour gérer le drame de Sikilo dans l’arrondissement de Gniby. Selon le nouveau secrétaire général national du syndicat de médecins, rien n’a été improvisé. «Le dispositif a toujours été là. C’est le lieu de féliciter le Samu national. Depuis plusieurs années, dans certains Eps (établissements publics de santé) de niveau 2, 3 ou même 1, il y a des plans blancs mis en œuvre et qui font constamment l’objet de simulations. Le plan blanc consiste d’une manière globale à préparer les équipes. C’est un dispositif prêt à accueillir d’une manière brusque un afflux massif de blessés. Au niveau de Kaffrine, les équipes ont été déjà préparées à cela. C’est pourquoi, dès l’alerte à 3 heures du matin, le plan blanc a été déployé. Il consistait, en premier lieu, à faire appel à toutes les ressources humaines, matérielles disponibles dans la région et celles environnantes. Nous avons tenu une réunion du bureau exécutif national le même jour. Le chef du service Sau (Service d’accueil des urgences), le Dr Sadikh Top, qui est membre du bureau, était avec nous à Dakar jusqu’à 17 heures. Fort heureusement, il est rentré à minuit. C’est juste après son arrivée qu’il a reçu l’alerte. Il est le chef du Sau (service d’accueil d’urgence) et se charge aussi du déploiement du dispositif au niveau local. Tout ceci est articulé avec une coordination de l’autorité administrative dans la zone, qui est le gouverneur et qui mobilise toutes les ressources disponibles à savoir les sapeurs-pompiers, les services de sécurité et tous les autres services. A Kaffrine, étant donné le nombre élevé de blessés, ils ont mis en place un dispositif sur site, sur le lieu même de l’accident. Parce qu’il s’agissait de procéder à un triage, identifier les patients à prendre en charge aussitôt, in situ, ceux qu’il faut déployer vers les structures en retrait, et sérier la prise en charge en termes d’urgence. Au niveau de l’hôpital aussi, il y a un même dispositif qui est remis pour pouvoir, pour ceux qui sont arrivés, orienter ceux qui doivent aller en salle, en attente assise, en attente couchée, ainsi de suite». Compte tenu des moyens en termes de ressources humaines, d’équipements, de logistique, Dr Ndour dit penser «humblement» que le dispositif de Kaffrine a très bien fonctionné.
Se réjouir de la création de l’hôpital régional de Kaolack
En résumé, la démarche aurait donc bien payé parle fait que le plan de riposte de l’hôpital de Kaffrine est régulièrement mis en alerte pour des exercices de simulation. «Les EPS ont des directives qui les invitent à organiser régulièrement des exercices de simulation. Si Kaffrine n’avait pas l’habitude de ces exercices, on n’allait pas s’en sortir facilement. Il y a même une extension du service vers les autres unités de l’hôpital. C’est ça l’intérêt de l’exercice que nous avons hérité des militaires. A l’hôpital Principal, ils sont très habitués à ce type de management, d’incident. Ils sont préparés à recevoir un afflux massif de blessés. Quand vous avez un afflux massif, le dispositif classique n’est plus opérant. Le défi, c’est de continuer à prendre en charge les autres urgences. Un malade qui ferait un infarctus du myocarde devrait être pris en charge, et que, en même temps, le dispositif le prenne en charge. Cela ne doit empiéter en rien sur le dispositif de prise en charge de l’afflux massif des blessés de traumatologie. C’est ce qui fait que, dans la structure, on identifie très bien, avant l’arrivée des sinistres, le plan de circulation qu’il faut faire, les zones d’extension en termes de lits supplémentaires qu’il faut mobiliser, et même s’il faut faire bouger un certain nombre de malades qu’il faut référer vers des unités, des centres ou postes de santé voire vers d’autres structures réquisitionnées par l’autorité administrative. Par exemple, un malade qui était perfusé pour un paludisme simple ou maitrisé pourrait être ramené vers une autre structure et laisser la place à un traumato ou un polytrome qui fait appel à un bloc opératoire». Selon Dr Ndour, ces exercices régulièrement faits à Kaffrine et au niveau des hôpitaux militaires comme Principal de Dakar sont à préconiser dans beaucoup de structures sanitaires. «C’est le lieu aussi, d’une manière ferme, de dire à toutes les structures que c’est devenu une obligation. Nous devons nous préparer à ce genre de situation», estime-t-il. Au-delà de ce «plan blanc», le secrétaire général du Sames pense qu’on devrait surtout se réjouir de la création de l’hôpital régional de Kaffrine. Ce pour un motif bien valable. «N’eut été cet hôpital, le bilan aurait pu être plus lourd. Cet accident-là serait survenu dans une région comme Matam, le bilan allait être beaucoup plus lourd. C’est pourquoi, il faut saluer la création de cette nouvelle infrastructure. C’est un hôpital qui répond aux normes. Un hôpital, du point de vue de l’infrastructure, qui est flambant neuf et qui est bien construit».
L’importance des structures hospitalières de proximité
C’est aussi l’avis de son camarade Dr El Hadj Ndiaye Diop. Le médecin de l’hôpital Ndamatou de Touba considère que cet accident de Sikilo montre l’importance des structures hospitalières de proximité. Pour cela, Dr Diop rappelle que « la Covid-19 est une bonne leçon pour ne compter que sur soi-même». Mieux, soutient-il, il faudrait aujourd’hui penser à doter tous les départements comme Bambey, Podor, Bakel... d’un hôpital de référence. Déjà pour Kaffrine, dit-il, on évacuait vers l’hôpital le plus proche, à Kaolack. Maintenant, la structure la plus proche «c’est Kaffrine qui dispose de centre hospitalière aux normes», s’est-il félicité même s’il déplore un effectif suffisant.
Malheureusement, se désole Dr El Hadj Ndiaye Diop, notre pays fait encore face à un énorme gap en ressources humaines de qualité aussi bien dans le corps médical que celui des paramédicaux. «Il faut le dire quand même. On apprend de ces évènements. La difficulté majeure, c’était qu’au début, le personnel, l’effectif était un peu insuffisant. C’est ce qui a expliqué un appui en ressources humaines venant de Dakar, Diourbel, et autres. Parce que, à Kaffrine, je le rappelle, au niveau du Sau, nous avons trois collègues qui sont là-bas: deux médecins urgentistes et un médecin généraliste. Vous comprenez que, s’ils doivent faire face à tout cet afflux avec les infirmiers ainsi de suite, tous les autres corps de la santé, ça fait un peu de difficultés, une surcharge de travail». C’est pourquoi il demande plus d’efforts dans la dotation en ressources humaines qualifiées et en nombre suffisant de tous les établissements hospitaliers surtout ceux de l’intérieur. «J’ajoute, en tant que syndicaliste, suffisamment motivés»
L’expert en gynécologie obstétrique trouve qu’il y a toute une panoplie à mettre en œuvre en cas de catastrophe et que tout le monde pourrait être appelé à la rescousse. «En cas de catastrophe de ce genre, un certain nombre de spécialistes sont mobilisés en plus de tout le personnel paramédical (infirmiers, aide- infirmiers, brancardiers...).Mais, pour le personnel médical mobilisé, on aura besoin d’urgentistes (ce sont eux qui font le tri, qui stabilisent, qui font les évacuations), de traumatologues... Pour le cas de Kaffrine, on a vu que même les chirurgiens généralistes ont opéré des malades. C’est dire qu’il y a toute une panoplie. Ce sont tous des spécialistes qui peuvent être appelés. Même un gynécologue-obstétricien pour les femmes enceintes en même temps sinistrées. A un certain niveau de compétence, il faut appeler à la rescousse». Sur ce, il dit ne toujours pas comprendre qu’en 2022 il y ait des régions où il y a encore un manque criant de spécialistes. Or, explique Dr El Hadj Ndiaye Diop, «en médecine, il y a un paquet minimum de spécialistes à avoir dans les régions. Cela dit, aucun effectif ne suffira jamais pour faire face à de pareilles situations exceptionnelles qui n’arrivent pas tous les jours. Maintenant, si on a un dispositif fluide, cohérent, à chaque fois qu’on a un appel en ressources humaines, le dispositif aux alentours devrait pouvoir répondre et qu’on puisse d’une manière centripète venir et renforcer les équipes». Ce qui, de l’avis de notre gynécologue-obstétricien, pourrait «grandement» faciliter les choses.
Toujours dans cette problématique liée au déficit en personnel médical qualifié, Dr Ndour du Sames révèle que Kaffrine ne dispose que d’un seul orthopédiste traumatologue. Il s’agit du Dr Ibrahima qui est membre du syndicat qui était mobilisé dès les premières heures. « Sur un axe aussi accidentogène, vous n’avez qu’un seul spécialiste en orthopédie, l’autre étant à Kaolack, ça pose problème. Après, il faut aller jusqu’à Tambacounda pour en trouver un. Même ceux qui ont été référés vers Kaolack ou Dakar, c’était des demandes en réanimation. C’est le lieu de dire qu’il faut tirer une leçon de ce drame, et de rappeler que Kaffrine est sur un corridor très accidentogène qu’on a tous constaté. Je viens de Kédougou, il y a moins de trois mois, j’avoue que la route qui est empruntée par de gros porteurs n’est pas très sinueuse. Quelle que soitla nature de la chaussée, il faut encore prévoir. Au niveau de ce corridor, au-delà de Kaffrine, de Tamba et de Kédougou, il faut qu’on ait des moyens en termes de prise en charge de traumatologie de dernière génération pour un déploiement très rapide et très efficace en cas de catastrophe».
Dr Mamadou Demba Ndour plaide ainsi pour un renforcement du capital humain. «Nous avons assez de jeunes Sénégalais qui sortent de nos universités, de nos facultés de médecine publique, maintenant on en a quatre. Il y a d’autres privés. Il faut que l’Etat puisse accompagner cette volonté des jeunes médecins à se spécialiser. Que le processus de recrutement puisse être transparent, clair et automatisé. Et que ces jeunes puissent aller occuper au niveau de nos Eps, les postes quisont les leurs», a-t-il sollicité. Le nouveau secrétaire général du Sames demande à l’Etat d’accompagner la politique des jeunes médecins aspirant à la spécialisation.