SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
24 avril 2025
Développement
VAINCRE NOS VULNÉRABILITÉS POUR POURSUIVRE NOTRE MARCHE VERS L’ÉMERGENCE
L’ancien Premier ministre du Sénégal, et actuel ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République, Mahammed Boun Abdallah Dionne livre ici sa lecture de l’économie de guerre et de la dette publique
Depuis le déclenchement de la crise liée à la pandémie de la covid19, plusieurs pays, africains notamment, ont lancé des appels pour une annulation de leurs dettes. Il faut reconnaitre que le contexte particulier, marqué par le ralentissement, voir l’arrêt de l’activité économique, demande des mesures spéciales pour permettre aux économies africaines de s’en sortir. Connu pour ses analyses économiques pertinentes, l’ancien Premier ministre du Sénégal, et actuel ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République, Mahammed Boun Abdallah Dionne livre ici sa lecture de l’économie de guerre et de la dette publique.
En 1820, l’économiste et philosophe britannique, David Ricardo, disait qu’en cas d’éclatement d’une guerre et qui implique un supplément de dépenses de vingt millions par an, un pays libre de toute dette disposait de trois moyens pour fournir à ces dépenses :
« En premier lieu, les impôts pourraient être augmentés d’un montant de vingt millions par an, dont le pays serait totalement libéré au retour de la paix.
En second lieu, l’argent pourrait être emprunté chaque année et la dette consolidée ; dans ce cas, si l’on admet un intérêt de 5 pour cent, la première année de dépense entraînerait une charge perpétuelle d’un million ; une deuxième année de guerre entraînerait à nouveau la charge perpétuelle d’un million et ainsi de suite pour chaque année supplémentaire.
Le troisième moyen de financer la guerre serait d’emprunter chaque année les vingt millions nécessaires, comme ci-dessus, mais de constituer en outre un fonds d’amortissement, par l’impôt, qui, augmenté des intérêts composés, permettrait finalement de rembourser la dette.
De ces trois moyens, nous sommes résolument en faveur du premier. Alors, le fardeau de la guerre est sans doute très lourd tant qu’elle dure, mais il disparaît en même temps qu’elle. Du point de vue économique, il n’y a pas de réelle différence entre les trois moyens. Mais les personnes qui paient l’impôt ne raisonnent pas ainsi. Nous ne sommes que trop enclins à estimer le coût de la guerre à ce que nous payons comme taxes sur le moment, sans réfléchir à la durée probable de l’imposition ».
Selon le ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République du Sénégal, Mahammed Boun Abdallah Dionne, « ce texte éclaire notre compréhension des rapports politiques et économiques que les générations de citoyens d’un même pays entretiennent entre elles au fil du temps».
Dans une tribune publiée récemment, l’ancien premier ministre du Sénégal explique que pour Ricardo, toute augmentation de la dette aujourd’hui se traduit demain par une augmentation de l’impôt, pour rembourser cette dette. Plus tard, Barro complétera le travail de Ricardo et de cette réflexion, naîtra le théorème d’équivalence de Ricardo-Barro. « Ce théorème établit qu’il n’y a, d’un point de vue macroéconomique, pas de différence significative entre un financement par l’impôt et un financement par l’emprunt d’un montant donné de dépenses publiques ». explique l’économiste sénégalais.
Poursuivant son introduction, M. Dionne rappelle que Solow avait démontré par la suite, pour sa part, que le théorème de neutralité ricardienne ne se vérifie que dans des situations très particulières. Solow en conclut que l’Etat ne peut se contenter d’un rôle économique neutre. « Et il eut bien raison ».
Revenant sur le sujet de la dette et du déficit publics, M.Dionne affirme que la pertinence des politiques budgétaires ne se discute plus vraiment. « Par contre et surtout en temps de crise, ce qui est déterminant pour provoquer l’effet multiplicateur de Keynes sur les agents économiques déprimés, reste la qualité de la dépense publique » écrit-il en affirmant que s’endetter pour couvrir prioritairement des dépenses courantes sans impact sur la croissance économique ne paraît pas « raisonnable ».
Exemple à l’appui, l’économiste et homme d’Etat sénégalais confire que dans tous les pays du monde, le risque sur la dette est tributaire de plusieurs facteurs comme la nature de celle-ci, sa viabilité telle que perçue par les marchés financiers et les épargnants, sa dénomination, son taux d’intérêt, sa maturité, la réputation du pays, son niveau d’épargne intérieure et l’usage qui est fait des ressources qui sont tirées de la dette. « C’est pourquoi la dette publique de l’Italie ou du Japon qui se situent entre 150 et 200% du PIB, ne suscitent pas de débat particulier », souligne-t-il.
Pour expliquer cette situation, il affirme que « de tels pays ont atteint un palier qui leur permette de rembourser leurs emprunts passés par l’émission de nouveaux titres de dette, de plus en plus libellée dans leur propre devise. Ce renouvellement infini de la dette publique des Etats fait qu’en pratique elle n’est jamais remboursée ».
Comment reconquérir la capacité d’endettement des pays africains
« Imaginons à présent un pays endetté, aux capacités financières limitées, et qu’une guerre éclate qui implique un supplément important de dépenses, comment financer cette dépense de guerre qui lui est imposée ?
En instaurant un nouvel impôt pour gagner cette guerre, le pays court le risque d’une crise sociale intérieure et d’une récession dont les effets, se cumulant à celui de la guerre, entraîneraient la perte à court terme de celle-ci.
En second lieu, en réussissant à emprunter pour couvrir cet effort de guerre, le pays court toutefois à moyen terme le risque d’un défaut sur sa dette et la perte de la guerre surtout si elle devait perdurer.
Le troisième moyen pour financer la guerre est le renouvellement de la capacité d’endettement du pays. Ce renouvellement peut s’opérer grâce à la conversion du stock de dette du pays en rente perpétuelle ; plus la rente perpétuelle se rapprochera du taux zéro, plus vite le pays financera sa guerre surtout si les intérêts de ses créditeurs sont intriqués aux siens, partageant avec lui le même intérêt pour la victoire.
De ces trois moyens, nous sommes en faveur du troisième car l’emprunt perpétuel est une obligation sans date d’échéance, dont seuls les intérêts sont exigibles. Si le taux d’intérêt de la rente est nul, l’emprunteur n’a donc plus rien à payer. »
Se référant de nouveau à ce texte de Ricardo, Mahammed Boun Abdallah Dionne opte lui aussi pour le le renouvellement de la capacité d’endettement du pays. Selon lui, il s’agit la du meilleur moyen pour sauvegarder la réputation financière de l’Etat. « Il réduit significativement le service de sa dette, soulage sa trésorerie immédiate et renouvelle sa capacité d’investissement, en annulant de facto la dette publique, même si celle-ci continue d’exister perpétuellement de jure sur le papier », estime t-il.
En évoquant le cas de l’Afrique, continent qui a encore besoin d’emprunter massivement pour financer l’investissement productif et son industrialisation, M. Dionne explique que l’annulation directe de la dette reste la meilleure solution. C’est d’ailleurs cette solution qu’avait proposé le président de la République du Sénégal, Macky Sall et à juste raison. Sa proposition est appuyée par M. Dionne qui estime que le chef d’Etat « ne s’y est pas trompé en portant le plaidoyer de l’annulation de la dette publique africaine auprès de ses pairs du continent et du monde ».
Plus en détails, l’expert en économie précise qu’une annulation du stock de la dette ouvrirait la voie à la poursuite dans les meilleures conditions de l’investissement, dans les secteurs essentiels (i) de la santé et de l’éducation, (ii) des infrastructures, (iii) de l’agriculture, et (iv) des services d’appui à l’industrialisation.
Toutefois, si cette solution n’est pas envisageable, M. Dionne propose une voie médiane. Celle de l’allongement de la durée de la dette à cent (100) ans au minimum, voire sa perpétualisation, à un taux voisin de zéro. « Certains diront, comme en droit judiciaire, que la perpétuité évoque une contrainte dont on ne se libère jamais. Nous leur répondrons que comme s’agissant de la grâce, même si celle-ci entraîne la non-mise à exécution d’une peine, et qu’elle n’entraîne point son oubli que seule l’amnistie accorde, l’essentiel pour le condamné est de reconquérir sa liberté de mouvement », a-t-il expliqué. Il affirme dans ce sens que « l’essentiel pour l’emprunteur est qu’il n’ait plus rien à payer afin de reconquérir sa capacité d’endettement ».
Appelant les partenaires du G20, du Club de Paris, mais également les grands pays partenaires comme la Chine et ceux du Moyen Orient à travailler de concert avec les leaders africains afin que l’annulation du stock actuel de la dette publique extérieure du continent soit une réalité, M. Dionne rappelle que « c’est à ce prix que nous pourrons vaincre nos vulnérabilités exacerbées par la crise sanitaire et que nous serons en position de poursuivre notre marche victorieuse vers l’émergence »
SORTIE DU FCFA, CE QUE DIT LE PROJET DE LOI FRANÇAIS
Si les représentants de la France ne siègeront plus au sein des instances monétaires, Paris conservera un droit de regard, notamment en cas de crise, sur la gestion de la nouvelle monnaie
Jeune Afrique |
Alain Faujas |
Publication 22/05/2020
Deuxième étape vers la disparition du franc CFA et son remplacement par une monnaie unique baptisée Eco, le Parlement français devrait adopter avant la fin du troisième trimestre le projet de loi paraphé le 20 mai en conseil des ministres et destiné à ratifier l’accord de coopération monétaire conclu à Abidjan le 21 décembre 2019 avec les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa).
Deux changements majeurs y sont prévus : d’une part, il n’y aura plus de représentants de la France dans les instances techniques de gouvernance de la zone – où ils disposaient de voix non prépondérantes. D’autre part, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne sera plus obligée de déposer au moins 50 % de ses réserves en devises sur des comptes d’opérations du Trésor français. Deux points qui cristallisaient particulièrement les tensions autour de la monnaie ouest-africaine.
Le gouvernement français semble pressé de s’écarter de la mauvaise réputation du CFA. Paris a déjà cessé d’envoyer des représentants du Trésor et de la Banque de France dans les instances monétaires de l’Umoa.
La France deviendra « un strict garant financier de la zone », précise la note explicative publiée par le gouvernement. Deux piliers demeurent : « le régime de change, avec un maintien de la parité fixe avec l’euro [et] la garantie illimitée et inconditionnelle de convertibilité assurée par la France ».
Quel successeur aux comptes d’opérations ?
Bien qu’absente des instances monétaires, la France sera informée de l’état de santé de la nouvelle monnaie, précise le nouvel accord de coopération, qui prévoit qu’en cas de crise « sévère » (si le taux de couverture de la monnaie descendait en-dessous de 20 %, contre plus de 70 % en ce moment), « la France pourra désigner, à titre exceptionnel et pour la durée nécessaire à la gestion de la crise, un représentant au comité de politique monétaire de la BCEAO ».
« Il était illusoire de penser que le Sénégal gagne grand-chose du pétrole avant 2030. Et cela va encore être retardé »
Le rêve pétrolier et gazier s’éloigne encore un peu plus pour les Sénégalais. Initialement prévue en 2020, l’exploitation des deux principaux projets d’hydrocarbures, le champ pétrolier offshore Sangomar et le gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) partagé avec la Mauritanie – tous deux découverts en 2014 – avait déjà été retardée à trois reprises.
La pandémie due au Covid-19 vient à nouveau de repousser d’un an, à la fin de 2023, le lancement de la production commerciale. Un coup dur pour le pays qui compte sur ces ressources pour dynamiser son économie, créer des emplois et développer les infrastructures.
« L’effondrement des prix du pétrole brut ainsi que le ralentissement des activités du secteur (…) ont amené certains de nos partenaires à évoquer le cas de force majeure qui pourrait impacter les délais de livraison », indique un communiqué de Petrosen datant du 10 avril. La compagnie nationale sénégalaise reste tributaire des majors du pétrole et de leurs sous-traitants pour exploiter les 500 millions de barils de pétrole en réserve.
Ainsi, c’est un consortium de compagnies australiennes et britanniques qui détient près de 90 % des parts du projet Sangomar. Fin avril, l’australien Far, dont la participation s’élève à 15 %, a fini par se retirer du financement.
« Cas de force majeure »
Quant au gisement gazier GTA, le géant pétrolier britannique BP, qui en détient 60 %, a lui aussi brandi un « cas de force majeure » pour retarder d’un an l’installation de sa plate-forme offshore aux larges des côtes sénégalo-mauritaniennes.
Ce énième report inquiète Ndèye Fatou Ndiaye Diop, co-coordonnatrice de la plate-forme citoyenne Aar Linu Bokk (« Préserver nos biens communs », en wolof), mobilisée pour une gestion plus transparente des ressources pétrolières. « Malgré les incertitudes liées à ce projet, le Sénégal avait tout misé sur le pétrole. Il a perdu », estime la militante.
De fait, les conséquences économiques de ces nouveaux délais pourraient être lourdes. « Cette crise est un avertissement pour le Sénégal qui a emprunté une trajectoire d’endettement en se basant sur l’exploitation à venir des hydrocarbures », explique Luc Désiré Omgba, chercheur associé au laboratoire BETA-CNRS et spécialiste en économie de l’énergie. Le pays a d’ailleurs été parmi les premiers, au début de la pandémie, à faire campagne pour réclamer un allègement de la dette du continent africain.
Depuis 2012 et l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall, la dette publique du Sénégal est passée de 42,9 % à 67 % du PIB en 2020, selon le Fonds monétaire international (FMI). Cet accroissement s’explique d’abord par les investissements massifs dans des projets d’infrastructures et de développement réalisés dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE), mais pas seulement. « Le pays a augmenté les salaires des fonctionnaires dès 2018. Il a aussi mis en place des subventions en faveur du secteur énergétique, malgré une hausse des cours », précise M. Omgba.
Subir les contrecoups de la récession
Des dépenses engagées immédiatement alors que les retombées du pétrole sur l’économie ne sont pas prévues avant plusieurs années. « Il était illusoire de penser que le Sénégal gagne grand-chose du pétrole avant 2030. Et cela va encore être retardé », insiste Ousmane Sonko, président du parti d’opposition le Pastef.
EXCLUSIF SENEPLUS : Nous sommes en droit d’attendre que les partisans de l’ouverture des mosquées dans cette situation de pandémie présentent des versets du Coran et des ahadiss à l’appui de leur position
Voltaire en 1741 intitule une de ses pièces ‘’’Le fanatisme ou Mahomet le prophète’’. Montesquieu dans ‘’L’esprit des lois’’ en
1748 relie le fatalisme à l’Islam : « Cela est dans les décrets de Dieu, il faut donc rester en repos ». L’orientaliste Jacques Berque, dans sa traduction du Coran, a corrigé ces présentations déformées de l’Islam : « Je n’évoque pas ici la tendancieuse accusation de fatalisme que contredisent tant d’appels du Coran à la liberté et à la responsabilité humaine ».
Au Sénégal avec l’éclosion du coronavirus, une dissension est née entre les croyants à propos des lieux de culte : consensus chez les catholiques, mésintelligence chez les musulmans sur l’ouverture ou la fermeture des mosquées. Ce qui n’est pas sans rappeler le problème du fatalisme et du fanatisme qui vont de pair.
Le prophète (psl) exhortait de prier à la mosquée, disant que la prière en
groupe est 25 fois plus bénéfique que la prière faite tout seul, que chaque pas que fait le fidèle entre sa demeure et la mosquée est béni, de même que le temps qu’il reste assis dans la mosquée en attendant la prière. Il a même menacé, sans l’avoir jamais fait, de brûler les maisons des musulmans qui n’allaient pas à la mosquée (Sahih Bukhari, Mouslim). Mais toutes ces prescriptions ont été assorties de dérogations, c’est-à-dire exception à l’application pour cause de force majeure, toutes rapportées par Mouslim (1487-1491) :
En cas de forte chaleur, il recommandait de reculer la prière du milieu de la journée (tisbar). Lorsque le repas était servi, il demandait de manger avant de prier.
En cas d’intempéries (vents violents, pluies fortes …), il déconseillait d’aller à la mosquée. La prière du vendredi à la mosquée est une obligation pour le musulman qui n’a pas d’empêchement majeur, mais le prophète (psl) disait : « Je ne veux pas vous voir marcher dans la boue avec un sol glissant pour venir à la mosquée même pour cette prière». Dans de telles situations, il demandait au muezzin d’ajouter après l’appel à la prière : « Restez dans vos habitations ».
Le prophète (psl) demandait aux maris d’autoriser leurs épouses qui le désiraient, d’aller prier à la mosquée. Mais il conseillait aux femmes de prier à la maison, surtout avec les prières du matin et du soir pour une question de sécurité.
Le prophète (psl) qui recommandait aux musulmans de se dispenser d’aller à la mosquée pour ne pas être incommodés par des intempéries aurait-il demandé de les ouvrir dans une situation de pandémie comme le coronavirus qui peut conduire à la mort ? Les imams sénégalais qui ont fermé leurs mosquées n’ont fait que le suivre.
Lors de prière en mosquée, le prophète (psl) recommandait de serrer les rangs, de ne laisser entre les fidèles aucun espace où pourrait se glisser quelque dissension entre eux. Compte tenu du coronavirus, l’obligation faite de prier en mosquée à la condition de respecter la distanciation sociale fait fi de cette tradition prophétique. Raison majeure ? On accepte la raison majeure à l’intérieur de la mosquée, mais on la refuse en permettant d’y entrer. Et puis, avec la limitation du nombre de fidèles dans la moquée (comment sont-ils choisis ?) qu’en est-il de la frustration de ceux qui sont refoulés ?
Le prophète (psl) a certes dit que la prière en groupe est supérieure à la prière faite individuellement, mais la prière en groupe ne se fait pas uniquement en mosquée. Tout responsable de famille doit aussi être imam dans sa maison. Le prophète (psl) a aussi dit que « les lieux de la terre les plus chers à Allah sont les mosquées » (Mouslim), car c’est à Dieu qu’appartient toute mosquée comme le dit le Coran. Mais il a dit aussi : « la terre entière est une mosquée pour vous ; vous pouvez prier partout où vous vous trouvez à l’heure de la prière » (Mouslim). La prière (salat) figure 67 fois dans le Coran et la mosquée (masjid) 28 fois (sans la kaaba et la mosquée de Jérusalem).
Dans les pays occidentaux où le nombre de morts du coronavirus se compte par milliers, les foyers de propagation ont été des regroupements de personnes au mois de février 2020 : aux Etats-Unis, une cérémonie de mardi gras en Louisiane ; en France, les élections municipales, et une messe protestante à Mulhouse avec la présence de plus de 2 000 personnes ; les matches de football de huitièmes de finale de coupe d’Europe, en Angleterre, Espagne, Italie, France, Allemagne. Ces pays comptent pour plus de 80 pour cent des infections et décès du coronavirus dans le monde.
Le Coran a prévenu : « Et Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim, de perte de biens, de vies, et de récoltes, mais donne de bonnes nouvelles aux patients » (Coran 2 : 155). La patience n’est pas la résignation. Le Coran exhorte à l’action, à la précaution. Ce ne sont pas les versets qui manquent à cet effet :
- Et ne vous jetez pas par vos propres mains dans la destruction (Coran 2 : 195)
- Et ne vous tuez pas par vous-même (Coran 4 : 29)
Ô croyants ! prenez vos précautions … (Coran 4 : 71)
Allah vous veut la facilité et ne vous veut pas la difficulté (Coran 2 : 186)
Allah n’impose à personne ce qui est au-dessus de ses capacités (Coran 2 : 286 ; Coran 23 : 62).
Le prophète (psl) a poursuivi la sensibilisation sur la prise de précaution. Lors de la survenue d’une épidémie de peste, il lance cette mise en garde :
« Si vous êtes informés de l’éclatement de peste dans un lieu, n’y allez pas ; mais si la peste éclate dans un lieu pendant que où vous y êtes, ne le quittez pas (Boukhari, Mouslim) ».
C’est ainsi que le khalife Omar (rah), sur son chemin vers Cham (la Syrie) avec sa cavalerie, apprenant que cette région est infestée par la peste, fait demi-tour (rapporté par Mouslim).
Lors d’une épidémie, les autorités médicales conseillent d’éviter la transmission du virus d’une personne infectée à une personne saine. Le prophète (psl) ne dit rien de différent :
« Que celui qui croit en Allah et au jour dernier ne dérange pas son voisin » (Bukhari)
- « N’entrera pas au paradis celui qui inflige un tort à son voisin » (Sahih Mouslim n° 74, rapporté par Abou Huraira) ». Le terme utilisé dans le texte arabe est bawâ’iq traduit par le lexicographe anglais William Lane en ces termes : calamité, désastre, malheur, gêne… tout ce qui peut incommoder une personne pour lui rendre la vie difficile.
Selon le Coran, une calamité comme la pandémie peut survenir dans un monde et à une époque de perversité où l’on a oublié Dieu. Cette calamité se présente comme un démon, un compagnon dont personne ne veut. Et alors chacun pourrait dire :
« J’aurais aimé qu’il y ait entre toi et moi la distance séparant l'Est et l'Ouest ! Quel mauvais compagnon tu es ! » (Coran 43 : 38).
Le coronavirus est bien un compagnon dont personne ne veut, surtout qu’on ne le voit pas. C’est pour cela qu’il est recommandé la distance sociale entre les individus. Les lieux de culte (mosquées, églises …) sont des lieux appropriés de promiscuité entre les fidèles, avec forte propagation de virus. Au Sénégal, les musulmans qui s’opposent à la fermeture des mosquées s’en remettent à Dieu. Tout croyant s’en remet à Dieu, mais « Attache ton chameau, et place ta confiance en Allah ».
« Attache ton chameau, et place ta confiance en Allah ». Selon Anas ibn Malik, c’est un hadîss rapporté par At Tirmidji (sounan 2517) : il est tenu par le Prophète (psl) à un homme qui lui demande s’il peut entrer dans la mosquée et laisser son chameau libre. Il lui est ainsi enseigné que l’Islam n’a rien à voir avec le fatalisme, que le tawakul mentionné dans le Coran (distingué de tawaakul ) c'est-à-dire le fait de s’en remettre à Dieu, n’exclut pas la prise de précaution.
Le prophète (psl) en a donné l’exemple. Lorsqu’il décide d’émigrer à Médine, il prend toutes ses précautions, préparant son voyage méticuleusement dans le secret, demandant à Ali (rah) de dormir dans son lit, prenant un guide sûr, un compagnon sûr Aboubakr (rah) qu’il rassure. se basant sur ce verset : Une fois que tu as pris ta décision, place ta confiance en Allah (Coran 3 : 159). La prise de précaution précède la prise de décision.
Si les lieux de culte n’avaient pas été fermés ces derniers temps, le nombre d’infections et de décès aurait été beaucoup plus important. Des croyants infectés du coronavirus sans s’en rendre compte en auraient contaminé d’autres. La comparaison ne s’impose pas avec les épidémies de peste ou de grippe du passé ; celui qui en était atteint se savait malade et n’allait pas dans un lieu de culte qu’il n’était d’ailleurs pas besoin de fermer. Le problème avec la pandémie actuelle, comme nous le disent les spécialistes, est qu’une personne peut porter le virus sans se sentir malade.
Dans une période sans endémie, si une horde d’abeilles envahit une mosquée, personne ne voudra y entrer tant qu’elle n’aura pas été complètement désinfectée. Pourtant, une piqure d’abeille, même si elle peut être mortelle ne se transmet pas.
D’ailleurs, la fermeture des mosquées n’est en aucun cas définitive. Elle dure le temps que la pandémie soit maîtrisée. Les mosquées fermées restent en fait bien vivantes avec les appels à la prière (azann) qui y sont faites cinq fois chaque jour. Le azann est un condensé remarquable de l’enseignement de l’Islam : il contient les deux premiers piliers de l’Islam, et la wahdâniya (unicité de Dieu).
Cela dit, nous sommes en droit d’attendre que les partisans de l’ouverture des mosquées dans cette situation de pandémie présentent des versets du Coran et des ahadiss à l’appui de leur position. Même si nous la respectons.
Le verset (Coran 2 : 114) Y a- t-il plus injustes que ceux qui empêchent d’évoquer le nom d’Allah dans Ses mosquées et visent à les détruire ? n’a rien à voir avec la fermeture de mosquées en cas de force majeure et encore moins avec l’intention de les détruire. Le verset s’adressait aux païens idolâtres qui voulaient empêcher l’accès de la kaaba aux musulmans. Les appels à la prière qui sont maintenus lors de la fermeture des mosquées en cas de danger évoquent le nom d’Allah et font plus.
En cette occasion et en cette fin du mois béni de Ramadan au Sénégal surtout, il est opportun de rappeler ce propos du prophète (psl) :
‘’ J’ai demandé au Seigneur trois choses. Il m’a accordé les premières. Je Lui ai demandé que ma oumma ne soit pas détruite par la famine, Il me l’a garanti. Je Lui ai demandé que ma oumma ne soit pas détruite par des calamités naturelles, ni par une occupation étrangère, Il me l’a garanti. Je Lui ai demandé que ma oumma ne s’entredéchire pas, Il ne me l’a pas garanti ».
C’est peut-être, contrairement aux apparences, ce qui participe à ce renforcement de l’Islam partout dans le monde.
PS : C’est la tradition de rédaction en langue anglaise sur l’Islam qui a imposé la formulation hadîth (le th terminal anglais se prononce ss). Ce texte étant en langue française, il est plus logique d’écrire hadîss au singulier, ahadiss au pluriel.
par Siré Sy
MACKY ET LES JOURNALISTES
EXCLUSIF SENEPLUS - Pape Djibril Fall est parti pour être contre Macky Sall, ce que Latif Coulibaly et Souleymane Jules Diop fussent contre Abdoulaye Wade
Si Macky n’était pas géologue, certainement, il serait devenu un journaliste. N’est-ce pas ? Macky et les journalistes, c’est une longue histoire. Tantôt à crédit. Tantôt au débit. Mais toujours en équilibre. Comme ‘’il est Midi’’, ce beau temps qu’il fait toujours, au beau milieu de la journée. Tout en équilibre entre le jour et la nuit. Une certaine opinion disait que le président Macky Sall s’est fait entourer tellement de journalistes et de communicants en ce qu’il y avait d’aussi brillant (Hamidou Kassé, Abou Abel Thiam, Racine Talla, Abdou Latif Coulibaly, Souleymane Jules Diop, Madiambal Diagne, Yakham Mbaye, Mamadou Thiam, etc.) que ses pourfendeurs les plus virulents ne pourraient pas venir de la presse et des médias. Que nenni. En période électorale, c’est Ousmane Sonko qui empêche le président Macky Sall et son régime, de dormir du sommeil du juste. Exit le temps électoral, arrivent le temps politique et le temps médiatique. Et si tant est qu’il n’en ait jamais eu, ce sont, hélas, des journalistes, tout aussi brillants que les journalistes partisans et militants au régime de Macky Sall, qui empêcheraient le calme et le répit dans le maquis. Ils ont pour noms, Adama Gaye, Pape Alé Niang et Pape Djibril Fall.
Pape Alé Niang, le Chroniqueur ‘’critiqueur’’
Pape Alé Niang, dans le registre de la contestation et des attaques, est à l’image du noble charbonnier, chiffonnier et démineur. C’est lui qui va au front, descend dans les entrailles de la terre, pour dénicher les sujets à polémique. Même s’il ne se déclare pas organiquement militant de Pastef, à son corps défendant et à travers les actes qu’il pose, on pourrait dire que politiquement, ‘’Sonko est le plus grand bénéficiaire du travail de Pape Alé’’. A défaut d'être militant organique de Pastef, Pape Alé semble nourrir une certaine sympathie pour Ousmane Sonko. Toutefois, Pape Alé Niang est aussi dans le fond, dans son corpus et dans son argumentaire de contestation et d’attaques tous azimuts. Pape Alé s’interroge et nous interroge. Avec un verbe piquant et incisif. Dans ce Sénégal où parfois, des personnes laissent sortir de confuses paroles et posent souvent des actes difficilement explicables. Pape Alé Niang fait de la contestation sur pièce et sur place. Dans ses attaques tous azimuts, Pape Alé est dans la communication (le lien) quand le gouvernement est dans l’information (le message). Et c’est en cela que Pape Alé fait mouche dans chacune de ses sorties. Et pour réduire le gap creusé par Pape Alé, le gouvernement gagnerait à élever ses mots mais pas sa voix (disait Jalal Ad-Din Rûmi) parce que ‘’c’est la pluie qui fait grandir les fleurs, pas le tonnerre’’, enseignait Rûmi.
Pape Djibril Fall, le verbe en chantant
Pape Djibril Fall est la nouvelle coqueluche des téléspectateurs sénégalais et la nouvelle attraction à la télé au Sénégal. Dans l’espace audiovisuel, à chaque période, sa nouvelle figure et les Sénégalais aiment le nouveau, l’écarlate, le croustillant et l’étincelant, comme
l'est Pape Djibril Fall. Depuis un certain temps, le débat politique public s’est appauvrit. Il tourne autour d’un ordre du discours dénonciateur sans force de perspectives et d'espérances collectives (Opposition) et un ordre du discours de type message (information) sans croisement fertile, ni relations et ni mise en perspective pour nourrir et tisser le lien. Pape Djibril Fall fait du journalisme révolutionnaire : rebelle, originalité et imprévisibilité. Avec de (belles) idées devant la tête et un talent d’athlète du verbe…
Petit retour vers le futur. Au Sénégal, le journalisme (privé) est né et s'est nourri aux origines, dans une forme de conflictualité diffuse avec le pouvoir politique – quel que soit celui qui l’incarne -. Au point que dans l’imaginaire collectif, le ‘’bon journaliste’’ serait celui qui est dur et critique avec et envers le régime en place. N’importe lequel. En tout temps et en tout lieu. Le métier de journaliste et la profession de journalisme au Sénégal, sont fortement traversés et nourris par les idéaux de la Gauche, au point qu’en face du pouvoir, le journalisme doit choisir son camp qui ne saurait être que celui de la contestation et des attaques, celui de la sentinelle et de la vigie. Parce que le pouvoir et ceux qui l’incarnent, dans un imaginaire collectif et par un subconscient tenace, seraient par excellence, contre le peuple et seraient dans les combines et dans les calculs d’épiciers du dimanche, ne seraient pas de vrais patriotes, ont une courte vision des défis et ne seraient pas tout à fait au fait des véritables enjeux. Waw....! A l’époque, le journalisme était une stratégie de la Révolution qui elle-même reposait sur le triptyque : le Maquisard, le Guérillero et le Journaliste. Quand le Maquisard et le Guérillero traquent les corps ennemis par les armes, le Journaliste s’arme de sa plume et s’attaque aux esprits, en les travaillant corps à corps.
Et c’est sur cette vague que Pape Djibril Fall surfe et réussit si brillamment par son élégance dans sa posture, dans son éloquence dans le verbe et dans la suite dans ses idées. Depuis le repli stratégique d'un certain Abdou Latif Coulibaly et un abandon de combat d'un certain Souleymane Jules Diop, les consommateurs de produits, biens et services politiques, guettaient un nouveau messie. Car, la nature a horreur du vide. Et le vide fait le talent, dit-on. Et Pape Djibril Fall est parti pour être contre Macky Sall, ce que Latif Coulibaly et Souleymane Jules Diop fussent contre Me Wade. Pape Djibril est encore un verbe en chantant, un sophiste, et il a de la marge et le talent pour devenir philosophe. Le Sophiste convainc sans avoir raison et le philosophe cherche les chemins de la vérité. Parce que la critique est facile, mais l'art est difficile.
Siré Sy, Think Tank Africa WorldWide Group
par Souleymane Jules Diop
ÉPÎTRE À MON AMI ABDOURAHMANE SARR
EXCLUSIF SENEPLUS - Il n’existe pas de pays pauvres très endettés pour la bonne raison que ce sont les riches qui prêtent et ils ne prêtent pas aux pauvres. Quand ils le peuvent, ils les rançonnent
Tu sais jusqu’à quel point je te tiens en estime. Tu es, à n’en pas douter, un homme d’une grande stature intellectuelle et il m’est arrivé souventes fois, de faire appel à ton jugement en des matières relevant de ton domaine, l’Economie. Je pense que tu as été, de nous tous - n’en déplaise à tes contempteurs - celui qui a le plus influencé et donné de la crédibilité à notre marche vers une souveraineté monétaire, dont les premiers jalons viennent d’être posés.
Nous avons eu de longs échanges sur ces points qui longent ton curriculum. Je me suis rendu en ta résidence pour te les voir évoquer et j’en suis toujours revenu comblé, comme une abeille savourant son nectar.
En revanche, je te trouve, sur la question de la dette, d’un absolutisme qui frise l’arrogance et qui trahit ce que tu es vraiment : un homme à qui il a parfois manqué de la nuance, mais un homme ouvert quand même. Or, de la nuance, c’est ce que tu devrais apporter au jugement sévère que tu portes sur le texte de l’ancien Premier ministre Mohamed Dionne.
Que dit-il finalement ? Que nous sommes dans une crise (une guerre pour d’autres) et qu’il nous faudrait trouver le moyen de relancer nos économies par l’investissement public, après avoir financé cette sale guerre qui nous prend nos vies. En somme, nous devons faire du keynesianisme en 2020, dans un contexte de décapitalisation (les investisseurs ont retiré 90 milliards de dollars des marchés émergents). Nous ne pouvons le faire jusqu’ici (ou avons pensé pouvoir le faire) qu’en empruntant aux autres ou en taxant nos propres concitoyens. Leur reprendre par une main ce que nous leur avons donné par l’autre, au risque de soulèvements populaires, de licenciements massifs et de crises sociales. Cette dernière hypothèse nous semble inacceptable, parce qu’elle est injuste. Or donc, si les conditions de l’emprunt (que les citoyens paieront en dernier ressort par des impôts futurs) n’ont jamais été aussi favorables, nous ne pouvons y recourir sans remettre en cause nos grands équilibres et dégrader notre notation.
Au demeurant, les pays de notre espace économique et monétaire ne pourront plus respecter les critères de convergence hérités arbitrairement, tu le sais bien, de Maastricht. Y aurait-il une troisième voie ? C’est ce que Mohamed Dionne appelle « un troisième moyen terme ». Son inférence est donc nouvelle, tout comme la conclusion à laquelle il parvient. Il nous faut, dans un premier temps, accorder un moratoire aux pays africains pour que les ressources allouées traditionnellement au service de la dette servent à des besoins urgents dans les secteurs de la Santé, en soutien aux entreprises et aux ménages.
Ensuite, requalifier cette dette pour qu’elle ne devienne pas un frein à la relance de notre Economie. Il est devenu évident, pas seulement pour le Sénégal, mais pour le monde entier, mon cher Abdourahmane, qu’une réponse définitive doit être apportée à la question de la dette. En 2008, beaucoup de pays se sont endettés pour renflouer les banques et les grandes entreprises. Ce sont les contribuables qui ont finalement payé à la place des financiers, économistes qui ont promu et théorisé le laissez-faire dévastateur. En France, des acteurs politiques de premier plan posent avec pertinence la problématique d'une dette, de toutes les façons, impossible à payer par les Etats !
Les dettes des pays vont à nouveau exploser parce qu’il faut financer la « guerre » et financer la reprise. Bien avant la pandémie, le monde avait déjà un niveau d’endettement qui dépassait largement le PIB mondial. De nombreux pays ont dépassé les 100% de leur dette rapportée à leur PIB. Le Japon a dépassé les 200% suivi de pays comme l’Italie (150%), la France (115), les Etats-Unis dans les mêmes proportions.
Le débat sur la dette, mon cher Abdourahmane, devrait être abordé autrement. C’est une réflexion qui m’est venue quand Idrissa Seck, dont j’étais le conseiller, s’est félicité fièrement il y a bientôt 20 ans, du « point d’achèvement de l’initiative Pays pauvres très endetté. Il n’existe pas de pays pauvres très endettés pour la bonne raison que ce sont les riches qui prêtent et ils ne prêtent pas aux pauvres. Quand ils le peuvent, ils les rançonnent. Tous les pays très endettés sont des pays riches, figure-toi. Ensuite, aucun pays riche, en dehors de ceux qui vivent de rente pétrolière comme la Norvège, les pays du Golfe, qui sont créditeurs, ne s’est développé sans avoir eu recours à la dette.
A ce sujet, ton jugement selon lequel notre pays a accumulé un stock de dette sans résultats n’est pas juste : malgré les critiques bien justifiées sur nos choix en matière d’orientation, d’investissement, nous sommes plus riches que nous l’étions en 1960. Alors que nous n’étions qu’un million et que nous en faisons maintenant 15, nous sommes devenus plus riches en routes, en autoroutes, en infrastructure, en outils de production, en écoles, en universités, centres de formation, en entreprises, en entrepreneurs prospères et bientôt en rente gazière et pétrolière. En 1960, le goudron était une rareté et la voiture, un luxe réservé à de riches hommes.
Pour en revenir au sujet qui nous occupe, il va de soi que les Etats ne pourront jamais payer leurs dettes. Que faudrait-il faire ? Entrer dans un cycle de son remboursement par l’émission de nouveaux titres de dette ? Ou préconiser une solution durable comme celle qu’expose fort éloquemment Mohamed Dionne ?
Le vrai débat, celui qui doit nous occuper a été bien posé dans le cadre du PSE. Il nous faut créer les conditions d’une transformation structurelle de notre Economie, générer assez de valeur ajoutée dans nos secteurs les plus productifs, pour produire plus de richesse, taxer cette richesse pour faire face à nos besoins en développement et payer nos dettes.
Ce que la proposition de Mohamed Dionne a de pertinent, et il me semble que tu le restitues de manière injustement biaisée, c’est qu’elle apporte une réponse à une situation de pure aporie : les besoins urgents sont là, il faut les financer ; les intérêts de la dette sont échus, il faut les payer.
En ce qui me concerne, mon point de vue sur la question n’est pas d’ordre économique, il est moral. La dette des pays africains s’est constituée à partir du début des années 70, avec ce que Senghor a appelé « la détérioration des termes de l’échange ». Les règles imposées par les grandes puissances ont appauvri nos paysans et réduit au quart nos capacités budgétaires. Nous étions peu industrialisés, peu monétarisés pour faire face à une situation qui nous était imposée après trois siècles d’esclavage et un siècle de colonisation. Ensuite, les plus grandes victimes ont été les populations, pendant une longue période dite d’ajustement, qui a été une longue période de crises politiques et syndicales successives, parce que les populations ont légitimement refusé de se voir imposer le dictat du Club de Paris. Pourquoi les populations devraient-elles payer une dette à laquelle elles n’ont pas consenti et qui compromet tous leurs moyens de vivre ? Et en quoi demander son annulation peut-elle à ce point irriter ?
Mon cher Abdourahmane, il ne s’agit donc pas se ré-endetter comme tu sembles l’indiquer (ce sur quoi je suis d’accord avec toi). Il s’agit de se ré-endetter dans des conditions plus équitables pour des investissements dans des secteurs porteurs de notre économie, et rompre ainsi la chaîne de la dépendance aux facteurs exogènes qui nous inhibent.
Des économistes de votre trempe devraient justement faire preuve de courage en imaginant le monde d’après Covid, qui ne peut plus être celui d’avant, en rompant avec les paradigmes anciens. C’était le génie de Keynes de créer les conditions de la mise en place de l’Etat providence après la seconde guerre.
Le monde que nous imaginons doit être plus juste. Le PSE nouveau doit garder pour principale ligne directrice la réduction du gap entre riches et pauvres, villes et campagnes, réinventer les modalités de son financement, avec un rôle plus assumé de l’Etat dans ce domaine. C’est ce que nous avons voulu faire avec ce que j’ai appelé les 5P : Pse, Pudc, Promoville, Pumaf, Ppdc.
Et si le philosophe que je suis se mêle à ce débat d’initiés, c’est que vous êtes, Mohamed et toi, adeptes d’une discipline dont je conteste la dignité scientifique. Plus qu’une science qui a élaboré ses mécanismes de validation et de transmission, l’Economie est une pensée. Il existe chez vous comme chez les philosophes, des débats d’écoles et de pensée toujours remises en question.
Il s’y ajoute que les deux contemporains qui ont le plus marqué et infléchi vos méthodes d’analyse et vos moyens d’intervention n’ont rien à voir avec l’Economie. L’un est chimiste de formation, c’est Margaret Tatcher ; l’autre acteur de cinéma, c’est Ronald Reagan. Ils sont les deux parents de la « New Public Governement », que tu as dû approfondir lors de ton passage remarqué à Harvard. Nous sommes, Mohamed Dionne et moi, disciples d’un homme qui y a enseigné la philosophie politique jusqu’à sa mort en 2002. Il s’appelait John Rawls, auteur de « Justice as equity ».
DÉCÈS DE MORY KANTÉ
Le chanteur et musicien guinéen, connu pour le tube planétaire «Yéké yéké» dans les années 1980, est décédé d'une longue maladie vendredi à l'âge de 70 ans
Le chanteur et musicien guinéen Mory Kanté est décédé d'une longue maladie ce vendredi 22 mai à l'âge de 70 ans, dans un hôpital de Conakry. C'est ce qu'a annoncé son fils, Balla Kanté, à un correspondant de l'Agence France-Presse ce vendredi. La musique africaine et plus précisément, guinéenne, perd un monument, avec la disparition de l'interprète du titre "Yéké Yéké".
Mory Kanté s'est éteint "vers 9H45 ce matin à l’hôpital sino-guinéen", a dit son fils. "Il souffrait de maladies chroniques et voyageait souvent en France pour des soins, mais avec le coronavirus ce n’était plus possible", a-t-il ajouté. "On a vu son état se dégrader rapidement, mais j’étais surpris quand même car il avait déjà traversé des moments bien pires", a-t-il dit.
Mory Kanté, surnommé le "griot électrique", a contribué à populariser la musique africaine et guinéenne à travers le monde.
Après avoir quitté le Super Rail Band de Bamako, Mory Kanté a révolutionné dans les années 80 la musique ouest-africaine, en électrifiant son instrument et en ouvrant les musiques traditionnelles mandingues villageoises aux beats électroniques et aux "grooves" plus urbains.
"Yéké Yéké", sorti en 1987, s'est vendu à des millions d'exemplaires et a atteint les sommets des hit-parades dans de nombreux pays. Avec "Yeke Yeke", il a décroché en 1987 un tube planétaire et amené la musique mandingue sur les pistes de danse. Et l'album "Akwaba Beach" où figure cette chanson demeure l'une des plus grosses ventes mondiales dans le domaine des musiques d'Afrique noire.
Le grand public s'est ensuite lassé à partir de la décennie suivante d'un musicien employant toujours la même recette et ayant eu du mal à se renouveler. Malgré tout, Mory Kanté n'a jamais cessé de tourner. Il était une personnalité incontournable de la musique mandingue moderne.
Dans les années 2000, il s'était un temps orienté vers une musique plus acoustique, au sein d'un orchestre où prédominaient les cordes.
Dans "La Guinéenne" (Discograph), enregistré au pays, ce musicien a choisi la formule du grand orchestre, celle de l'âge d'or de la musique ouest-africaine moderne dans les années post-indépendances.
Ce disque, qui se veut un hommage aux femmes du monde, est une suite de mélodies mandingues entonnées sur des grooves occidentaux, aux accents funk, reggae, zouk, et un appel à "bouger".
Les notes cristallines de sa kora (instrument à cordes pincées emblématique du Mandé) y sont soutenues par une rythmique basse-batterie endiablée, les salves d'une section de cuivres répondent au balafon, et le synthétiseur se marie avec la flûte peule.
Mory Kanté, maître de la kora et chanteur-griot à la puissante voix de tête, renouait dans "La Guinéenne" avec la formule du grand orchestre, chère à la Guinée des années 60-70.
par la chroniqueuse de seneplus, Rama Salla Dieng
FÉMINISME, RELIGION ET CULTURE AU SÉNÉGAL
EXCLUSIF SENEPLUS - L’Islam est interprété pour asseoir la position dominante des hommes - Cette suprématie masculine est la cause de toutes nos revendications - ENTRETIEN AVEC MAIMOUNA E. THIOR ET ADAMA POUYE
Elles sont jeunes et pleines d’énergie. Débarrassées du complexe de la femme chosifiée auquel la gent feminine est souvent en butte dans la société sénégalaise, elles ont décidé d’épouser l’idéal féministe pour un changement de comportement à l'endroit de leurs paires. Entretien croisé avec Maimouna Eliane Thior, vivant en France et Adama Pouye, à Dakar.
Bonjour Maimouna et Adama, c’est un plaisir d’avoir récemment échangé avec vous au sujet de l’actualité sénégalaise. Pouvez-vous vous présenter s’il vous plait ?
Maimouna: Bonjour Rama, merci de nous offrir cette tribune pour pouvoir nous exprimer sur ces questions. Je m’appelle Maimouna Eliane Thior, j’ai vingt-six (26) ans. Je suis en deuxième année de doctorat en sociologie et je travaille sur l’histoire politique et socio religieuse des sénégalaises et leur rapport à la globalisation: entre féminisme occidental et féminisme islamique. Je m’intéresse à l’évolution et/ou au changement de l’identité des sénégalaises partagées entre la religion majoritaire du Sénégal qu’est l’Islam et le legs de la culture occidentale accentué par la mondialisation et la modernité à travers les médias sociaux.
Adama: Bonjour Rama, le plaisir est partagé. Je suis Adama Pouye et j’ai vingt-trois (23) ans. Je suis étudiante en master 2 communication, bibliothécaire de profession. J’ai commencé à réellement m’engager sur les questions féministes depuis peu. Je travaille actuellement, dans le cadre de mon mémoire de master, sur la place du corps féminin dans la publicité ces dernières années.
Quelle est votre définition du féminisme ? Et quelles sont vos influences et inspirations feministes ?
Maimouna: Ma définition du féminisme est très simple, j’emprunterai la réponse de Mariama Bâ dans Une si Longue Lettre: « Si défendre l’intérêt des femmes c’est être féministe, oui je suis féministe ». Je m’inspire des noires américaines, qui à elles seules peuvent subir toutes formes de discriminations qui puissent exister. Au-delà des discriminations dues aux rapports sociaux que chaque femme subit dans le monde, les américaines peuvent être confrontées aux discriminations liées à la race, à la religion, au capitalisme…Je vois les africaines en situation d’immigration subir ces mêmes injustices, et cela qu’elles veuillent conserver leur culture d’origine ou pas. Je convoque très souvent l’outil “intersectionnalité”, qui est en sociologie une notion de réflexion politique développée par une universitaire américaine (Kimberlé Crenshaw) pour évoquer la situation des personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification. Ce concept me permet donc, d’analyser les différentes oppressions des sénégalaises à un niveau local mais aussi les situer dans la hiérarchisation mondiale en terme de race.
Adama: Pour moi, le féminisme est une revendication des droits de la femme, une aspiration vers l’équité. Equité au lieu d’égalité pour être plus juste. L’équité fera que dans tous les domains, on verra la femme au-delà de son genre, rien ne sera plus basé sur le sexe. Le féminisme est une dénonciation pour tendre vers une société plus juste et plus humaniste. Une de mes grandes influences est Chimamanda Ngozi Adichie avec son “happy feminism” qu’elle a mentionné dans “nous sommes tous féministes”
Chaque mois, nous remarquons des scandales sexistes sur les plateaux d’émission télé. Nous nous rappelons toutes avec émoi l’affaire Songué, et il y a eu cette semaine l’émission de Sen TV qui a aussi été le théâtre de propos misogynes intolérables, quelle lecture faites-vous de ces événements?
Maimouna: Je trouve que ces émissions reflètent la réalité de nos sociétés actuelles. La plupart des « expressions choquantes » est ce que pense vraiment la majorité. Cela nous choque parce c’est à la télé et qu’on met des visages sur ces mots. Il faut regarder ces émissions pour savoir comment les gens pensent pour trouver des solutions de sensibilisation afin de changer certaines visions. La dernière émission sur le féminisme sur la SenTV a fait voir qu’il y avait différentes catégories de femmes, celles qui défendent la polygamie, celles qui veulent un époux possessif et rigoureux, celles qui ne travaillent pas pour être au service exclusif de l’époux, les plus diplomates, les féministes radicales… Sans oublier les deux hommes qui s’accrochent à leur pouvoir. Cela devrait nous rappeler qu’il y a encore du travail à faire en occupant l’espace public, les médias et même impacter l’éducation nationale. Nous n’avons plus le droit de baisser les bras et écourter les travaux entamés par nos aînées qui nous ont permis d’aller massivement à l’école. Maintenant qu’on a toutes massivement été l’école jusqu’à un certain niveau, le défi serait de rendre la prochaine génération plus autonome et plus libérée dans leurs choix de vie.
Adama: Ces nombreuses sorties scandaleuses peuvent être vues comme encouragées par le peuple sénégalais lui-même. Plus les émissions choquent plus elles attirent le grand public. Les offenses faites aux femmes ne se limitent pas à la presse audiovisuelle. En décembre passé, le quotidien L’observateur, l’un des journaux les plus lus au Sénégal avait à sa une “Objet de tous les désirs: IPhone fait perdre la tête aux sénégalaises. Elles sont capables de vendre leur corps pour un IPhone”, quelques jeunes ont dénoncé par-ci par-là à travers Twitter, entre autres média social, mais sans résultat. Les auteurs s’en sortent pratiquement toujours indemnes. Pour revenir sur le plateau de cette semaine sur la SenTV, il y avait des femmes qui étaient sur le plateau qui semblaient même encourager ces dires. Une des femmes a d’ailleurs dit ouvertement “dama bëgg goor bu tang”, comme quoi certains sévices dont sont victimes nombre de femmes sont normalisés et mêmes appréciés. Un plateau où il y avait plus de cinq femmes n’a guère découragé le monsieur qui a comparé les femmes à des chiennes.
J’ai personnellement partagé les passages en question sur mon compte Twitter et sur mon statut Whatsapp pour m’en indigner. La majeure partie des réactions étaient du genre: “ils n’ont rien dit de grave, c’est à prendre au sens figuré”. Notre société elle-même a associé aux femmes l’acceptation, le silence et ces dernières l’ont accepté de la manière la plus naturelle.
Ces propos ne sont-ils que le reflet de la société sénégalaise? Pensez vous qu’ils sont dus à l’ambivalence de notre société à califourchon entre culture islamique et occidentale? Doit-on parler d’un patriarcat ou de plusieurs patriarcats?
Maimouna: Comme je l’ai dit plus haut, ces propos ne sont pas des révélations exclusives. Les personnes invitées dans ces émissions donnent leurs avis sincères sur les sujets liés aux rapports sociaux. En effet, le Sénégal est partagé entre héritage islamique et occidental. Ces propos choquent très souvent parce que dès lors qu’on évoque des questions féminines, nous sommes souvent renvoyé.es à des références religieuses pour essayer de bloquer un débat. Une bonne partie des sénégalais.es ont grandi donc avec ces rhétoriques et ont fini par croire qu’il n’y avait d’autres versions en dehors de celles rattachées à la religion. Or, j’estime que les sources religieuses font l’objet d’interprétations diverses dépendant de la culture, de l’époque, de la position géographique, etc. Il y a aussi ces sénégalais.es foncièrement coutumiers (ères) qui peuvent faire des amalgames entre des traditions et les préceptes de l’Islam. Ils/Elles ne croient pas à une quelconque évolution de la culture au nom de la modernité ou de la mondialisation. De la même façon, ils conservent le traitement d’un verset concocté pour un contexte ou une situation précise. Dans ces cas-là, le cocktail des us et de la religion peut être explosif.
Pour ce qui est des influences occidentales, bon nombre de sénégalais sont allergiques à des concepts modernes comme le féminisme. Il est vu comme un outil péjoratif qui cherche à détruire l’écosystème sénégalais. Dakar peut vivre au rythme de Paris en termes de mode, d’actualité, de façon de parler, de manger dans une famille nucléaire, mais se rétracte dès qu’il s’agit d’émanciper les femmes ou leur donner du pouvoir. Encore que le pouvoir des femmes dans des sphères professionnelles peut-être bien vu, mais la phobie réside principalement dans les répercussions au niveau des ménages ou la répartition des rôles.
Adama: Effectivement, comme l’a dit Maimouna, ces sorties reflètent la réalité sénégalaise. La condition de la majorité des femmes reste précaire malgré que les femmes ells-mêmes pensent le contraire. Beaucoup d’anti-féministes se fondent sur la religion pour rejeter la place que la femme doit occuper dans la vie sociale, professionnelle, religieuse. L’Islam est interprété pour asseoir la position dominante des hommes, assouvir les envies d’un mari irresponsable qui ne se base sur la religion que quand il a tort, conserver des privilèges qui ne reposent sur aucun mérite. La religion musulmane peut être vue comme l’une des plus féministes qui soit, la femme y occupe une grande place. D’aucun.es diront que la femme ne doit pas occuper de hautes responsabilités ou diriger un homme ; pourtant le prophète Mouhamed PSL travaillait pour celle qui devint son épouse (Khadija). Cette dernière était une très grande commerçante à l’époque et donc une entrepreneure ou businesswoman à la nôtre, pourtant elle était la femme modèle en Islam. Voyez la contradiction avec ce que veulent nous faire croire les prêcheurs et prêcheuses. Certaines sources notamment du côté du sociologue britannique et australien Bryan Turner en matière de sociologie des religions nous révèlent qu’avant l’arrivée de l’Islam, dans certaines tribus arabes, existaient des pratiques d’infanticides de filles et que le statut de la femme y était médiocre. Cela a été d’ailleurs rapporté que Ibn Abbas, un des compagnons du Prophète (PSL) en avait parlé « Si vous voulez découvrir l’ignorance des Arabes (avant l’Islam), lisez le verset de la sourate « El An’am» : « Ils sont perdus ceux qui ont tué leurs enfants par sottise et par ignorance et qui déclarent illicites les choses que Dieu leur a dispensées. Ils sont égarés et ne suivent point la bonne direction. » (Coran 6.140). L’Islam a permis d’abolir ce genre de pratiques, de valoriser la femme. La culture islamique ne peut donc être la raison d’une si grande méprise des relations de genre dans le discours de certains Sénégalais.
Nous devons dès lors chercher les raisons de cet acharnement du côté de la tradition sénégalaise et du côté des valeurs qu’elle inculque. Kocc Barma, cité comme une référence en matière de sagesse disait “Jigeen sopal te bul woolu”(Oumar Sall, a récemment montré qu’il pourrait s’agir d’une déformation, et plutôt: “Jigeen soppal, du la woolu”). D’autres expressions comme celles-ci sont répétées à longueur de journée aux hommes et aux femmes le fameux “jigeen moytul” ou encore “jigeen day mugn ngir am njabott bu baax” ou encore lorsque l’enfant commet des maladresses “doom ja, ndey ja”. Tous ces messages misogynes véhiculés dans l’apprentissage de comment devenir un(e) adulte, durant la circoncision (neegu goor), les discussions avant mariage pour la femme (yebb) et notamment dans l’affectation des tâches ménagères instaurent un subconscient arrêté qui ne peut concevoir une certaine égalité en droit, en dignité entre sexe féminin et masculin. C’est un message implicite, subtil, que les Sénégalais(es) se passent de génération en génération sans forcément s’en rendre compte.
Au Sénégal, quels sont les stéréotypes les plus établis qui sont associés aux féministes (colériques, mal-baisées, anti-hommes)? Qu’est-ce qui les explique? Pensez-vous qu’ils soient dus à la pseudo incompatibilité entre culture africaine ou sénégalaise et féminisme?
Maimouna: Je pense qu’on cherche à nous rabâcher un cliché qui vient d’ailleurs. Les premières féministes européennes étaient traitées d’hystériques, aujourd’hui on leur reproche de trop réfléchir parce que le féminisme est devenu un outil intellectuel admis à l’université. Dans une société où le mariage détermine la valeur de la femme, je ne vois pas comment les Sénégalaises peuvent être anti-hommes. Dans une société où l’éducation sexuelle (même sous l’angle religieux) est taboue, où l’aspect érotique du couple est réservé qu’aux femmes, je ne pense pas qu’elles se connaissent assez pour savoir si elles sont bien ou mal baisées. Les sénégalais.es ont besoin d’une définition spécifique du féminisme pour pouvoir l’adopter. Ce qui est très normal parce qu’il y a autant de féminisme(s) que de pays, il s’adapte selon les besoins et les urgences de chaque société. Si les sénégalais.es ont besoin qu’on leur explique que les féministes sénégalaises ne cherchent pas à copier le modèle occidental, nous devons recommencer à zéro. Il est très souvent dit que les africaines ont toujours été féministes dans la pratique, là où les européennes ont eu une liberté d’expression. Nous avons alors une base sur laquelle il faut ajouter des notions modernes à l’image des réalités de notre époque.
Adama: Il faut savoir que la mentalité populaire sénégalaise place toute l’essence de la femme chez l’homme. Pour elle, femme épanouie est surtout une femme mariée avec des enfants. Toujours si l’on s’y base, lorsqu’une femme est heureuse elle n’a pas besoin de se plaindre et donc de se soucier de questions féministes “importées”. Le travail des féministes sénégalaises contemporaines devra s'intéresser à un processus de déconstruction de toutes ces idées faites. Le féminisme est large et mène plusieurs combats. A nous de contextualiser chacune des revendications, que les problèmes féministes soulevés soient les nôtres, conformes à notre société et exprimés dans un langage qui parle au Sénégalais. Ainsi, je pense qu’au fur et à mesure le large public s’y retrouvera et ces clichés disparaîtront peu à peu. Persévérance !
Un mot sur les violences basées sur le genre?
Maimouna: Les violences basées sur le genre sont de plus en plus dénoncées, la parole se libère avec l’arrivée des médias sociaux et des dispositifs mis en place par des hommes et des femmes pour éradiquer ce fléau. Cependant, il s’agit d’informer et d’éduquer les femmes afin qu’elles connaissent leurs droits juridiques pour leur propre bien-être mais aussi pour leur progéniture. Beaucoup de femmes hésitent à quitter leurs foyers, si oppressées, par faute de moyens. Elles ne savent pas si elles doivent bénéficier de pension ou non. Je suis contente de constater qu’il y a une sensibilisation progressive sur ce domaine parce que les violences physiques et sexuelles des femmes sont une atteinte à leur dignité, leur sécurité et leur autonomie.
Adama: Injustes ! Elles sont récurrentes, que ce soit dans la presse ou à travers les histoires rapportées dans les quartiers. Le travail à faire consiste à faire comprendre les limites du “muugn” et du”sutura” qui retiennent certaines femmes dans les ménages où elles en sont victimes. Les violences ne sont pas que physiques, elles peuvent être orales et tout aussi destructrices. Il faut que chaque femme soit consciente que c’est une offense à sa dignité qui doit être dénoncée, que la peur du “xawi sa sutura” ou du “je n’ai pas les moyens” ne soit pas une entrave à la traduction en justice. Les associations de femmes doivent réfléchir à un appui pour leurs paires, que ce soit en logement, en apprentissage de métier, ou sous forme de soutien social, moral et psychologique.
A votre avis, comment changer le discours, les normes et valeurs, et les réalités patriarcales?
Maimouna: Sensibiliser, communiquer, débattre. Ce sont les mots-clés pour un changement de paradigme social. Une culture n’est pas figée, mais un changement brusque pourrait heurter. Nous avons beaucoup de bonnes valeurs à conserver et à partager avec le reste du monde, ce qui ne devrait pas nous empêcher de nous ouvrir aux autres pour nous enrichir et évoluer dans le temps et l’espace.
Adama: Je dirai aussi qu’il faudra remonter jusqu’aux racines, changer l’éducation. Il est important, avant de dénoncer qu’on puisse comprendre et faire comprendre ce qu’est le patriarcat, ce qu’est le féminisme. Dans les foyers, il faudrait équilibrer les droits des uns et des autres et apprendre les tâches ménagères aux femmes comme aux hommes. Il est aussi important d’omettre ou de reformuler tous les proverbes sexistes du dictionnaire Wolof et d’avoir des interprétations du Coran faites par des femmes averties. Dans les écoles aussi, Il faut avoir des cours via lesquels faire passer des messages d’égalité homme/femme.
Quel est le rôle et la place de l’hégémonie masculine, acceptée et magnifiée par les femmes, et du capitalisme dans cette critique sociale de la société sénégalaise ?
Maimouna: Je dis très souvent que le patriarcat est une machine nourrie par des hommes et des femmes contre toutes les femmes. Ce sont les femmes qui entretiennent le patriarcat de façon consciente et/ou inconsciente pour véhiculer depuis plusieurs générations des pratiques qui portent atteinte à l’intégrité morale et physique des femmes. Même les hommes sénégalais sont victimes de ce système parce qu’ils sont élevés par les mères comme des rois, ne devant participer à aucune tâche domestique, entre autres. Les rares hommes qui participent aux tâches domestiques sont vus comme des peureux ou des « toubabs », d’autres pensent qu’ils « aident » ou font une « faveur » à leur épouse alors que c’est leur foyer à eux deux, leurs enfants à eux deux si progéniture il y a. Cette suprématie masculine est la cause de toutes nos revendications, mais je pense que les hommes sont tout autant prêts à en découdre avec nous pour préserver leurs privilèges.
Adama: Je suis d’accord avec Maimouna. C’est justement ce sur quoi toute cette critique est basée.
Pourquoi, à votre avis, y a t-il un tel tabou à parler de sexe et de plaisir féminin, entre femmes sénégalaises plus jeunes ?
Maimouna: Euuuh, personnellement je ne vois pas qu’il y’a un tabou à parler sexe. J’ai l’impression d’ailleurs qu’on ne parle que de sexualité dans les réseaux sociaux. Les jeunes filles en âge de se marier ont des bons plans pour attiser leur intimité. Si jadis, on préparait sérieusement les filles à affronter le mariage selon les règles de leur ethnie ou de leur famille, aujourd’hui on les outille de « feem » ou astuces pour retenir leur homme. C’est mon impression.
Adama: Tout ce qu’a dit Maimouna, en plus de la peur d’être taxée de “tiaga”, de dévergondée. La peur que les propos tenus soient rapportés aux parents (qui témoignerait d’une vie sexuelle active), le focus sur la chasteté de la femme. Le débat est pensé comme réservé aux femmes mariées.
Comment, à votre avis, la pandémie du coronavirus a-t-elle renforcé les inégalités de genre au Sénégal où vous vivez Adama? Et en France où vous vivez Maimouna?
Maimouna: En France, j’ai remarqué que les secteurs qui n’étaient pas concernés par les arrêts d’activité étaient souvent des lieux où travaillent des femmes. Parmi ces femmes-là, il y a beaucoup de noires ou racisées. Je les ai remarquées dans les grandes surfaces, les deux femmes de charge de mon immeuble n’ont pas été concernées par le confinement et une jeune étudiante d’origine sénégalaise à la station d’essence. Il y a aussi le taux de violence conjugale qui a accru à cause de la promiscuité. Des numéros secours ont été mis à disposition pour dénoncer son conjoint ou même sa voisine en situation de danger. Je n’aurai pas hésité à appeler au besoin parce que rien ne justifie une forme de violence basée sur le genre.
Adama: Déjà les femmes sont très exposées par rapport à cette maladie. Le corps sanitaire est majoritairement composé de femmes (53% de l’effectif global, selon l’audit genre du ministère de la Santé, 2015), elles sont donc au chevet des malades et fragilisées. Dans les ménages, c’est aussi les femmes qui font les courses au marché, s’occupent des tâches domestiques et sont encore fragilisées face à la menace. Un passage d’un article intéressant du Dr Selly Ba nous ramène aux effets de la «féminisation de la pauvreté ". En effet, dans ce récent article, elle analyse le fait que “ Covid-19 peut davantage renforcer la féminisation de la pauvreté qui à son tour peut limiter la participation des femmes au marché du travail et l’inégalité devant l’accès aux ressources et la jouissance de celles-ci”.
A celà s’ajoute les violences domestiques accentuées par la promiscuité de certains ménages où les humeurs ne tiennent plus avec la cohabitation familiale imposée par le couvre-feu.
Quelle est votre routine de bien-être?
Maimouna: Ma première source de bien-être, est de beaucoup communiquer avec mes proches au Sénégal. Le fait d’échanger avec mes parents me fait beaucoup de bien, ils supportent tous mes projets, connaissent toutes mes activités au détail près. Le simple fait de savoir que je peux compter sur eux à mon grand âge me fait beaucoup de bien.
Je suis passionnée d’images et de videos « vintage », j’aime tout ce qui est images, films, musiques rétro ayant trait au Sénégal. Je passe du temps à collecter ces belles archives.
La lecture et l’écriture sont aussi des thérapies pour l’apprenante que je suis. J’essuie mes larmes avec l’écriture, parce que je pleure très souvent quand je suis déprimée par la solitude, la morosité, la routine de la France.
J’aime aussi la mode, je tiens beaucoup à mon style vestimentaire parce que c’est une partie de mon identité. Dès que la météo me le permet, j’enfile mes tenues cousues au Sénégal et qui renvoie à l’Afrique de façon générale. Savoir que je fais des choses pour le Sénégal, au Sénégal, savoir que je m’habille Sénégal, que mes turbans renvoient au Sénégal… Tout cela me procure beaucoup de bien. Je suis une Sénégalaise dans l’âme, après plusieurs années en France, j’ai toujours l’impression de laisser mon âme à Dakar, et qu’elle ne se reconnecte à mon physique que quand je foule le sol dakarois. En gros, ma vie n’a de sens qu’au Sénégal.
Adama: Je n’en ai pas vraiment, je suis une grande “viveuse au jour le jour”. Ma routine du lundi peut différer de celle du mardi et de tous les autres jours de la semaine. Je suis mes envies au réveil, quand bien même je peux dire qu’un bon sommeil réparateur, une bonne douche chaude, une mise impeccable me font me sentir la plus heureuse !
Mes petits plaisirs tournent autour de la lecture, des photos, de la mode, des conversations avec mes proches.
Dr. Rama Salla Dieng est écrivaine, universitaire et activiste sénégalaise, actuellement maîtresse de conférence au Centre d'études africaines de l'Université d'Édimbourg, Ecosse.
Cette interview fait partie de la série d’entretiens sur les féminismes en Afrique: Talking Back, éditée par Rama Salla Dieng sur Africa Is A Country. Il sera publié en anglais sous peu. Rama est aussi la co-éditrice de Feminist Parenting: Perspectives from Africa and beyond avec Andrea-O’Reilly, ouvrage collectif qui a reçu les contributions de parents feministes du monde entier.
par Moustapha Boye
L’ECO, LA FAUSSE SORTIE DE LA FRANCE
La fin du Franc CFA annoncée par la France n’est qu’un faux affranchissement puisque l’ancienne puissance coloniale continuera en réalité à entretenir de très fortes relations monétaires avec les quinze pays de la CEDEAO
Ce mercredi 20 mai 2020 devait rester dans l’Histoire comme la date de la vraie indépendance économique des pays africains d’expression française utilisant le franc CFA. Ces pays se trouvent en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale en plus des Comores. Hélas, la fin du Franc CFA annoncée par la France n’est qu’un faux affranchissement puisque l’ancienne puissance coloniale continuera en réalité à entretenir de très fortes relations monétaires avec les quinze pays de la CEDEAO qui ont décidé de lancer en juillet 2020 une monnaie unique dénommée ECO.
La décision du gouvernement français qui va être soumise à son Parlement s’inscrit dans un calendrier global mis en œuvre par les 15 chefs d’Etat de la CEDEAO lors du sommet d’Abuja du 29 juin dernier. A cette occasion, les dirigeants de la zone étaient tombés d’accord pour mettre sur pied une monnaie unique, l’ECO, en juillet 2020.
Les discussions entre la France et ses « partenaires » africains de l’Umoa ont abouti à une proposition commune de réforme des instances et du fonctionnement de la coopération suivant quatre axes :
(i) le changement de nom de la devise, les autorités de l’Umoa indiquant leur souhait de passer du « franc CFA » à l’« ECO7 » ;
(ii) la suppression de l’obligation de centralisation des réserves de change sur le compte d’opérations au Trésor ;
(iii) le retrait de la France des instances de gouvernance de la Zone et
(iv) la mise en place concomitante de mécanismes ad hoc de dialogue et de suivi des risques (notamment reporting, échanges et rencontres techniques).
La signature le 21 décembre 2019 de l’accord de coopération entre les états membres de l’Umoa et la France, est la concrétisation de cette proposition. Cet accord viendra remplacer l’accord existant de 1973. Cet accord doit être complété courant 2020 par une convention de garantie, texte technique d’application, conclue avec la Banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Deux mois restant à la France pour prononcer la mort du FCFA, il fallait arranger les deux agendas du FCFA et de l’ECO qui n’avaient pas les mêmes paramètres monétaires. Le facteur handicapant, le Franc CFA est imprimé en France (Chamalières et Pessac), 50% des réserves de l’Uemoa étaient gardées par la France, la politique monétaire de nos pays était aussi décidée depuis Paris. Or dans le schéma d’Abuja, dans un premier temps, les 8 pays membres de l’Uemoa doivent commencer en juillet à utiliser l’ECO du fait qu’ils sont proches des critères de convergence (déficit inférieur à 3%, inflation inférieure à 3%, endettement inférieur à 70 %).
Ensuite, les deux grandes puissances de la zone Cedeao, notamment le Nigéria et le Ghana, deux pays anglophones il est bon de le préciser, ont conditionné leur adhésion à la monnaie unique à la coupure par la France du cordon ombilical la liant à ses anciennes colonies. Ce de manière à ce puisse être mise en place une banque centrale fédérale. La dernière étape devait consister en la mise en place d’une politique économique et commerciale, la signature des traités et du statut de la Banque centrale.
Seulement à deux mois de la date de juillet 2020, les dirigeants de la CEDEAO n’ont pas encore défini la politique monétaire à mener, encore moins le statut de la Banque centrale de la CEDEAO. A deux mois de l’échéance de juillet 2020, il ne sera pas possible d’opérer toutes ces ruptures qui devraient accompagner l’avènement de l’Eco. La servitude monétaire avec la France va alors continuer puisque le seul changement opéré sera celui du nom de la monnaie.
Divorce officiel d’un mariage de 47 ans
La coopération monétaire actuelle entre la France et l’Umoa repose sur un accord de coopération monétaire signé le 4 décembre 1973 par les ministres des Finances de l’Umoa et de la France, qui posait le cadre général de la coopération. Cet accord est complété par une convention de compte d’opérations, signée en décembre 1973 et modifiée par deux avenants de 2005 et 2014.
Sous ce régime (accord de coopération, complété par la convention de compte d’opérations et ses deux avenants), la France est représentée dans des instances techniques de gouvernance de la zone (Conseil d’Administration et Comité de politique monétaire de la Banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Commission bancaire de l’Umoa). La BCEAO est l’institut d’émission commun aux états membres de l’Umoa et jouit du privilège exclusif de l’émission monétaire sur l’ensemble de ces états membres.
La Commission bancaire de l’Umoa, présidée par le Gouverneur de la BCEAO, est l’autorité de supervision bancaire de l’Union. Les représentants de la France y disposent d’un droit de vote sans voix prépondérante. Il est à noter que la France ne participe pas aux instances politiques (Conférence des chefs d’état, Conseil des ministres). « Le positionnement de la France évolue pour devenir celui d’un strict garant financier de la Zone. Les paramètres fondamentaux de la coopération ne sont toutefois pas modifiés : le régime de change demeure inchangé, avec un maintien de la parité fixe entre l’euro et la devise de l’Union tout comme la garantie illimitée et inconditionnelle de convertibilité assurée par la France » souligne « le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des Etats membres de l’Union monétaire ouest-africaine » déposé à l’Assemblée nationale française par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère de l’Economie et des finances. « La transformation du rôle de la France en celui d’un strict garant financier se traduit ainsi par la fin de sa représentation dans les instances techniques de gouvernance de la Zone où elle ne disposera plus, hors cas de crise, de droit de vote.
La réforme maintient inchangés les paramètres essentiels à la stabilité macroéconomique et monétaire de l’UMOA : maintien de la parité fixe de la monnaie commune de l’UMOA avec l’euro et de la garantie illimitée et inconditionnelle de convertibilité assurée par la France. La garantie apportée par la France fonctionnera sur le même principe qu’aujourd’hui : si la BCEAO fait face à un manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises, elle pourra se procurer les euros nécessaires auprès de la France.
La crédibilité de l’ancrage de la monnaie de l’Union sur l’euro est donc préservée. La fin de l’obligation de dépôt des réserves de change de la BCEAO permettra à la Banque centrale de disposer de la totalité de ses réserves et de décider de leur allocation et de leur placement, avec, dans l’environnement de taux actuel, un impact probable sur la rémunération de ces avoirs » indiquent les auteurs du projet de loi.
Par Serigne Saliou Guèye
LES ENSEIGNANTS NE SONT PAS DES FLEMMARDS !
C'est dans l'air du temps de cracher ou de taper sur les enseignants. Quoi qu’ils fassent, même s’ils se préoccupent de conditions sanitaires optimales pour mener à bien cette reprise tant annoncée, c’est toujours la même caractérisation péjorative.
C'est dans l'air du temps de cracher ou de taper sur les enseignants. Quoi qu’ils fassent, même s’ils se préoccupent de conditions sanitaires optimales pour mener à bien cette reprise tant annoncée, c’est toujours la même caractérisation péjorative. Ils sont considérés comme des feignasses, des cupides voulant jouir des voluptés des vacances procurées par la pandémie du Covid-19. Aussi, ils sont toujours en proie à un déchaînement injustifié de médisance et de diatribes acerbes.
Dans un éditorial corrosif, mon directeur Mamadou Oumar Ndiaye (MON) s’est attaqué sans aménités aux enseignants les traitant de flemmards qui multiplie tous les prétextes pour ne plus reprendre le chemin des classes tant que sévit la pandémie du Covid-19 et qui parallèlement veulent être payés aux frais de la Reine.
Une telle accusation désinvolte manque de profondeur et de méconnaissance de la vraie réalité de la situation. Il suffit de voir l’embrasement inextinguible que cette sortie malheureuse de MON a suscitée dans les réseaux sociaux pour mesurer le degré du choc et d’indignation des enseignants meurtris et blessés au plus profond de leur chair et de leur conscience. Face à une reprise des cours impensée et précipitée, sans l’aval du Comité national de gestion des épidémies (CNGE), sans consensus avec les véritables acteurs (je ne parle pas de ces vieillards cacochymes se prélassant et se sucrant de subsides corruptifs de l’Etat dans de soi-disant structures, appendices de l’Etat, et appelé pompeusement associations des parents d’élèves), sans un protocole sanitaire clair, n’est-il pas légitime et humain que les enseignants exigent des gages de sécurité sanitaire pour eux et pour leurs apprenants ?
L’Oms nous dit que les écoles sont un endroit propice à la contagion, que les plus jeunes, même quand ils sont asymptomatiques, peuvent diffuser le virus. Alors n’est-il pas risqué devant des mesures sanitaires encore floues de favoriser une explosion des contaminations en rouvrant précipitamment les écoles ? C’est un mensonge si les autorités serinent que toutes les dispositions sanitaires sont mises en place pour assurer une bonne reprise des cours le 2 juin. Rien qu’à Fatick, ville du président Macky sall, 67 écoles qui doivent recevoir les apprenants et enseignants ne disposent même pas de toilettes. Certainement qu’on va mettre à leur disposition des toilettes mobiles et démontables. De qui se moque-t-on ?
Les enseignants sénégalais ont bon dos mais ils ne sont pas les seuls à exiger des garanties de sécurité sanitaire pour être d’attaque sur le champ des enseignements le 2 juin. Des parents d’élèves inquiets de même des apprenants ont décliné la proposition irréfléchie et fantasque du Président. MON fait erreur en parlant de reprise des cours quasi-généralisée un peu partout. Au Cameroun et au Niger, en RDC les cours n’ont pas repris. Le Togo et la Guinée n’ont pas encore fixé de date pour la réouverture des classes. Au Gabon et au Ghana, écoles et universités sont encore fermées. Le mali rouvre ses écoles à partir du 2 juin prochain. En Côte d’Ivoire, la reprise des cours prévue le lundi 18 mai est ajournée. L’Algérie opte pour la reprise en septembre. En Tunisie, tous les élèves inscrits dans les différentes classes ne reprendront pas les cours cette année.
Seuls les élèves inscrits en 6e et 9e passeront directement les examens, les 2 et 3 juillet 2020, sur le contenu étudié durant les premier et second trimestres. Le mardi 12 mai, le ministre tunisien de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Said Amzazi, a annoncé que les élèves ne rejoindront les écoles qu’à la rentrée prochaine de septembre, afin de préserver leur santé. Tout en assurant que le baccalauréat aura lieu en juillet dans le strict respect des mesures sanitaires. Le ministre a assuré que, puisque 75 % du programme de l’année a été dispensé avant la suspension des cours, il n’y aura pas d’année blanche. L’Afrique du sud qui prévoit le retour à l’école le 1er juin se heurte au niet catégorique du syndicat démocratique des enseignants d’Afrique du sud (SADTU).
Et la liste est loin d’être exhaustive. L'Italie, l'Espagne et la province du Brunswick au Canada et l'Etat de New York ont acté leur fermeture jusqu'en septembre. Le Japon a rétropédalé dans l’ouverture partielle des classes pour avoir subi une seconde vague de contamination. Au Royaume-Uni, le gouvernement, qui a fermé les écoles depuis mi-mars, a annoncé que les examens de fin d’année sont supprimés. Les épreuves du General Certificate of secondary Education (GCsE) sanctionnant la fin du collège (autour de 16 ans) et celles du A Level, validant la fin des études secondaires, n’auront pas lieu.
Au Danemark, les cours ont repris chez les tout-petits seulement avec des mesures sanitaires précautionneuses très strictes. En classe, chaque enfant doit être assis à deux mètres de ses camarades. Les élèves et les enseignants sont invités à passer le plus de temps possible en extérieur, dans la cour de récréation. Chaque enfant doit se laver les mains au moins une fois toutes les deux heures. De leur côté, les professeurs sont tenus de désinfecter régulièrement les poignées de porte, les interrupteurs, mais aussi les tables, les souris et les claviers d'ordinateur. La Biélorussie, le Tadjikistan, le Turkménistan, ainsi que le Nicaragua ont opté depuis le début pour un non confinement, laissant leurs écoles ouvertes depuis le début de la pandémie. La suède a fermé lycées et universités, mais a maintenu ouverts crèches, écoles et collèges.
La vraie question que MON doit se poser est celle relative aux autres 4 millions d’apprenants qui ne sont pas concernés par cette reprise et pour qui aucun plan de reprise n’est conçu. La seule réponse péremptoire du Président est celle du télé-enseignement. si le téléenseignement était opératoire, pourquoi ne pas laisser les élèves de Cm2, 3e et terminales acquérir intra-muros ce qu’ils vont chercher à l’école le 2 juin à leurs risques et périls ?
Macky Sall, élève qui a appris avec des lampes-tempête, des bougies ou même sous des poteaux électriques, ignore-t-il, aujourd’hui qu’il est président de la République, que plusieurs sénégalais n’ont pas encore accès à l’électricité ? Sait-il que la télévision et l’ordinateur sont des luxes dans ce pays qui se nimbe d’une émergence fantasmagorique ? Il ne faut pas se voiler la face ! Il appert que la volonté de ce gouvernement, qui ne se soucie pas de ses apprenants et de ses enseignants, n’est pas de sauver l’année scolaire mais de sauver les milliards dépensés en termes de salaires, de fonctionnement et primes dans le département de l’Education. Et il faut que le ministre de l’Education et ses caudataires panurgistes cessent de colporter que reprendre les cours au mois de septembre équivaut à une année blanche. Une année blanche ne dépend que d’un seing de l’autorité présidentielle.
En 1997, le bac a été organisé en septembre à cause d’une longue crise scolaire et l’année n’avait pas été déclarée blanche. Le seul but de ce gouvernement, c’est de distribuer, après l’organisation de simulacre d’examens, des « coronadiplômes », c’est-à-dire des diplômes au rabais. Pour mieux vitrifier le corps enseignant, MON met en parallèle la frousse des enseignants au courage du personnel soignant et des forces de défense et de sécurité (FDs). Pourtant on a entendu le coup de gueule des médecins du sames qui ont demandé en quantité et en qualité des équipements de protection individuelle (EPI).
A l’hôpital Idrissa Pouye de Grand-Yoff, un médecin chef a menacé de fermer son département si les mesures de protection sanitaire n’étaient pas garanties à son personnel. sa menace mise en exécution pour 24h et voilà subséquemment ses doléances satisfaites par les autorités de la santé. Les enseignants, loin d’être des pétochards, affichent de la prudence et font preuve de responsabilité. Les magistrats refusent de reprendre les audiences si le maximum sanitaire ne leur est pas garanti. Beaucoup de chefs religieux chrétiens comme musulmans ont décidé de ne pas rouvrir les lieux de culte placés sous leurs responsabilités.
Alors MON, pourquoi refuser aux enseignants ce que l’on admet pour les autres ? Certes le Covid-19 est une maladie bénigne mais impitoyable chez tous les patients qui présentent des comorbidités. Et c’est une erreur que de soutenir dans l’absolu que le taux de létalité est de 1 %. Le Covid-19 n'est pas meurtrier partout avec la même intensité. Il n’a pas la même gravité et la même létalité partout où existent des foyers et des chaînes de transmission. Au jour du 21 mai, avec 329.799 morts et 5.049.390 cas d’infection officiellement diagnostiqués dans le monde, le taux de létalité est de 6,53 %.
Au Sénégal, la létalité qui est encore faible pourrait du jour au lendemain exploser si les clusters se multiplient. Et l’analyse de la courbe épidémique, dans sa phase ascensionnelle actuellement, indique qu’il n’est pas à écarter un nombre plus important de décès dans les jours à venir. Et c’est aussi une erreur de dire que le palu est plus mortel que le Covid. Il est avéré aujourd’hui (bilan total du 9 février au 13 mai) que le Covid-19 est devenu la 3e maladie infectieuse la plus mortelle du monde derrière l’hépatite et la tuberculose. Suivent le sida et la malaria. En cinq mois, le Covid a fait plus de 300 mille morts au plan mondial. Le palu en douze mois (année 2019) a tué près de 450 mille personnes dans le monde. Il est temps de conclure cette réaction qui n’est point une apologie. Les enseignants sont loin d’être des pantouflards ou des froussards.
Quand certains fonctionnaires de l’Etat, valorisés ostensiblement aujourd’hui, désertaient les zones de guerre lors de la crise casamançaise, seuls les enseignants, par devoir et par conscience professionnelle, restaient à leurs lieux de travail. Après les FDs, le corps enseignant a payé le plus lourd tribut parmi les autres catégories socio-professionnelles. Pendant des années, les enseignants ont eu à faire les frais de cette guerre dévastatrice du sud. Certains d’entre eux ont été sauvagement trucidés, d’autres devenus éclopés et invalides à cause des mines antipersonnel, et les plus chanceux étaient dépouillés de leurs biens. A ceux-là s’ajoutent les traumatisés psychologiques. Ils sont nombreux ces soldats de la craie qui ont payé de leur vie en voulant façonner des vies dans des zones où les irrédentistes faisaient la loi. Et in fine, aucun hommage posthume n’a été rendu aux enseignants qui ont été victimes de cette guerre sénégalo-sénégalaise. Et Mariama Ba a vu juste quand elle dit dans son best-seller Une si longue lettre que « les enseignants forment une armée noble aux exploits quotidiens, jamais chantés, jamais décorés ». Les régimes successifs ont tout fait pour dévaloriser la fonction enseignante en confinant les enseignants dans le registre des sempiternelles revendications. Et malheureusement, c’est cette image caricaturale de l’enseignant grognon, paresseux, rouspéteur en toute occurrence distillée par l’Etat dans la société que MON retient de ces soldats du savoir qui se donnent quotidiennement pour la grandeur de leur patrie sans attendre des passe-droits particuliers en contrepartie.