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30 novembre 2024
Femmes
«LE SENEGAL EST EN GUERRE CONTRE SES FEMMES»
Le Collectif des féministes du Sénégal a envoyé une lettre au chef de l’Etat pour dénoncer leur situation , avec des mots-clés qui montrent la gravité du moment : «Alerte, on nous viole et on nous tue ! Le Sénégal en guerre contre ses femmes !»
Face au «silence» des autorités, le Collectif des féministes du Sénégal a envoyé une lettre au chef de l’Etat pour dénoncer la situation des femmes dans le pays, avec des mots-clés qui montrent la gravité du moment : «Alerte, on nous viole et on nous tue ! Le Sénégal en guerre contre ses femmes !»
Comme une épitaphe, les noms des dernières victimes de féminicide se suivent ainsi : Woury Mané, Yoba Baldé, Ndioba Seck, Khady Sèye, Aminata Ka, Yacine Sané, Bineta Camara, Lobé Ndiaye, Fatou Kiné Gaye, Khady Badiane, Athia Ba, Léna Gomis, Dieynaba Déme… Et la liste est encore longue. Le Collectif des féministes du Sénégal, qui a envoyé une lettre au président de la République, a utilisé des mots durs et aussi évocateurs du drame auquel les femmes font face : «wóoy walloo! Président noo ngi jeex ! Wallu ñu ! (Au secours Président, on nous extermine)».
Le constat du collectif de la situation actuelle est accablant : «Alerte, on nous viole et on nous tue ! Le Sénégal en guerre contre ses femmes !» Que faire ? Il demande au chef de l’Etat de prendre des mesures contre la culture d’impunité masculine. «La lutte pour le respect des droits de la femme est une composante essentielle de la bonne gouvernance et de la démocratie. On ne peut pas continuer à bafouer les droits de 52% de la population et espérer être pris au sérieux par nos pairs dans le monde. Nous ne voulons plus être célébrées, chantées, fêtées le 8, mars puis tuées les 364 jours qui restent dans le silence le plus total», note le collectif dans sa lettre.
Pour les femmes, angoissées par les derniers crimes, «il est primordial de mettre en place un fonds d’appui pour les victimes de violences sexuelles et sexistes et leurs familles. Souvent, les familles des défuntes ne peuvent ni payer un avocat ni élever correctement les orphelins (es) que ces femmes laissent derrière elles». «Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer le dispositif d’accueil, d’orientation et d’appui aux victimes de violences sexuelles et sexistes sur toute la chaîne et de documenter régulièrement les cas de violences sexuelles et sexistes et de féminicide. Des mesures adéquates pour leur diminution et in fine leur arrêt devraient s’en suivre. Cela passe sans nul doute par l’application de la loi dans toute sa rigueur et une politique zéro clémence pour les auteurs de tels crimes», poursuit le collectif. Il est surtout interloqué par le silence présidentiel. «Réagissez Monsieur le Président ! Votre silence renforce la discrimination et l’impunité envers les femmes et les filles de ce pays face aux violences masculines. Que l’âme des victimes repose en paix. Que Justice leur soit rendue», poursuit le collectif. Lequel regrette aussi que le ministère de la Femme «soit très souvent aphone devant le nombre important de femmes tuées».
Pour ces dames, «aller visiter les familles des victimes ou les survivantes ne règle pas vraiment le problème. Les cas de viol et de meurtre de femmes sont devenus des faits anodins et ne semblent émouvoir personne, surtout la classe dirigeante sénégalaise dont vous êtes le chef de file». Pour le collectif, sur la période de janvier à novembre 2019, 14 cas de meurtre de femmes ont été répertoriés par le Comité de lutte contre les violences faites aux femmes. «Une liste qui ne cesse de s’allonger. Depuis le début de l’année 2022, nous avons recensé plus de dix (10) meurtres de femmes et de filles, tuées sauvagement. Rien que les deux dernières semaines du mois d’octobre, nous avons enregistré les meurtres d’au moins quatre femmes. Il est malheureux de remarquer que ces féminicides n’ébranlent que les femmes», regrette le collectif. «Que leurs noms ne tombent point dans l’oubli», dit-il.
par Texte Collectif
NON À LA PROMOTION DE LA CULTURE DU VIOL DANS LE CINÉMA AFRICAIN
Nous dénonçons avec la dernière énergie les organisateurs du salon du cinéma au feminin qui laissent concourir un court métrage propageant de fausses informations sur le viol et nourrit la culture du viol au Togo
Quoique nous soyons toutes favorables au développement d’initiatives visant à promouvoir le travail des femmes dans tous les secteurs de la vie économique et sociale, il n’est pas question de cautionner des travaux qui portent atteinte directement aux lois que nous avons adoptées, dans nos pays respectifs, pour protéger les femmes et les filles des violences sexistes et sexuelles. Cela d’autant plus lorsque ces mises en images attentent à la dignité humaine en faisant porter aux victimes de crime de viol la charge de la faute.
À ce jour, le monde dénombre 205 230 viols déclarés, pour la seule année 2022. Selon ONU femme, une femme sur trois est victime de violences physiques et/ou sexuelles dans le monde tous les jours. Ce phénomène criminel n'est donc pas un enjeu mineur que l’on peut se permettre de traiter avec légèreté ou par des personnes n'en ayant manifestement aucune connaissance. C’est pourquoi nous dénonçons avec la dernière énergie les organisateurs du salon du cinéma au feminin qui laissent concourir un court métrage qui propage de fausses informations sur le viol et nourrit la culture du viol au Togo.
Nous avons été stupéfaites de constater ce jour, la mise en circulation dans les réseaux sociaux, du trailer d’un film dont le titre est Mea culpa. Il s’agit de la bande annonce d’un film dans lequel une jeune fille victime de viol fait son mea culpa auprès de ses parents pour avoir été violée du fait de ses agissements sur les réseaux sociaux, jugés non conforme à l’attendu social. Il est explicitement fait mention d’un lien de causalité entre sa présence sur les réseaux sociaux et son travail d’influence et le viol qu’elle a subi de deux hommes, de nuit, en extérieur.
Au Togo, l’article 211 et suivants disposent que : Le viol consiste à imposer par fraude, menace, contrainte ou violence des relations ou pénétrations sexuelles à autrui. (Art 212) : Toute personne auteur de viol est punie d’une peine de réclusion criminelle de cinq (05) à dix (10) ans et d'une amende de deux millions (2 000 000) à dix millions (10 000 000) de francs CFA. S’agissant de la relation sexuelle imposée par la violence, la contrainte ou la menace par un conjoint à un autre, elle est punie d’une amende de deux cent mille (200 000) à un million (1 000 000) de francs CFA ou de sept cent vingt (720) heures de travail d’intérêt général. En cas de récidive, la peine est de dix (10) à douze (12) mois d’emprisonnement et d’une amende d’un million (1 000 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA. (Art 213) : Les peines prévues à l’article précédent sont la peine de réclusion criminelle de dix (10) à vingt (20) ans et une amende de cinq millions (5 000 000) à vingt millions (20 000 000) de francs CFA si : 1) les relations sexuelles ont été imposées par plusieurs auteurs à une même victime ; 2) le viol a occasionné une grossesse ; 3) les violences exercées ont occasionné une maladie ou une incapacité de travail excédant six (06) semaines ; 4) le viol est commis par une personne agissant en état d'ivresse manifeste ou sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants. 5) par une personne qui a abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. (Art 214) : La peine prévue à l’article précédent est également appliquée lorsque le viol a été commis : 1) sous la menace d’une arme ; 2) par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la victime ou les ascendants directs de ceux-ci ; 3) par une personne ayant autorité sur la victime ; 4) par une personne qui a abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. (Art 215) : Lorsque le viol est commis sur une personne particulièrement vulnérable, en raison notamment de sa minorité, son âge avancé, un état de grossesse, une maladie, une infirmité ou une déficience physique ou psychique, l’auteur est puni d’une peine de vingt (20) à trente (30) ans de réclusion criminelle. (Art 216) : Toute personne coupable de viol est punie du maximum de la réclusion criminelle à temps lorsque le viol est précédé, accompagné ou suivi d'actes de torture ou de barbarie ou a entraîné la mort de la victime.
La loi ne retient que la fraude, la menace, la contrainte ou la violence exercées sur la victime qui ne sont pas corrélatives à un comportement ou à un autre de celle-ci mais aux torts exclusifs de l’auteur. Elle sous-entend de plus le non-consentement de la victime peu importe le ou les comportements précédents qui ne valent pas consentement à être agressée quels que soient les liens qui unissent les deux personnes. Enfin, la loi considère que cette infraction a des conséquences sur la santé de la victime et des conséquences psychosociales avec la survenue d’une grossesse au décours de ce crime. Dès lors supposer que la victime aurait d’une manière ou d’une autre demandé à se faire agresser sexuellement ne repose sur aucun fondement juridique. Supposer que la victime par son comportement a incité l’auteur de viol à commettre sur sa personne un acte d’une telle gravité ne repose pas plus sur un fondement légal. Supposer que la victime devrait se sentir coupable d’une agression qu’elle a subi est donc d’une inanité sans borne.
Outre les effets susmentionnés concernant la santé physique d’une victime de viol, il n’est pas fait mention que ce crime enlève vingt (20) années d’espérance de vie à une victime. De plus les effets psychiques à long terme ne sont pas plus connus par la loi togolaise. Or le viol induit chez 80% des victimes des troubles psychiques graves pouvant aller d’un état de sidération mentale à l’éclosion de maladies mentales du registre psychotique, qui sont les maladies mentales chroniques les plus difficiles à traiter. Au surplus, le viol modifie les perceptions de soi et de l’environnement des victimes et conduit ces dernières à adopter des comportements allant de l’évitement et du repli social aux conduites à risque suicidaire voir au suicide.
Pour les personnes ayant vécu ce traumatisme grave, les suites psychosociales sont tout aussi graves car, dans nos sociétés ultra violentes avec les femmes, il est parfaitement connu et documenté que les victimes de viol sont discriminées, pointées du doigt et exclues du groupe social. Cela sous le prétexte qu’il leur revient de s’assurer que rien de fâcheux ne leur arrive. Comme si elles pouvaient être tenues responsables des actes posés par des agresseurs. Cet état de fait pèse comme un poids permanent sur la santé mentale de toutes les femmes togolaises et sa stabilité mais encore davantage s’agissant des victimes.
En conséquence, il est bien évident que lorsque des victimes de viol sont exposées à un environnement ultra violent à leur égard, véhiculant des représentations fausses, dégradantes et humiliantes à leur endroit, il existe des processus sociaux de re-victimisation qui obèrent leurs possibilités de sortie du trauma. En effet, cela met à feu la totalité des troubles dont elles souffrent voire fixe les traumatismes de manière quasi irréversible. Ces représentations erronées équivalent à une réédition de leur propre traumatisme pour certaines et/ou à des traumatismes cumulatifs pour d’autres. La prise en charge psychologique et psychiatrique s’en trouve particulièrement mise à mal. Nous sommes donc toutes et tous responsables par nos paroles, nos actes, nos pensées, nos représentations de l’aggravation ou non de leur état. Au surplus, on ne peut valablement pas leur demander de se sentir coupables d’un crime qu’elles ont subi ni dans la réalité ni même dans une fiction quel que soit l’angle que le cinéaste ait voulu adopter pour évoquer ce sujet. Ainsi il n’est pas pensable de laisser développer des supports cinématographiques qui ruinent les efforts de ces femmes pour se remettre de leurs traumatismes, pas plus que de ruiner les efforts consentis par le gouvernement et toutes les organisations des droits humains concernant cette question.
En derniere analyse, nos sociétés sont héritières de traumatismes graves dont l’exacerbation de la violence à l’égard des personnes vulnérabilisées est symptomatique. Il nous appartient de faire un travail urgent sur nous-mêmes et de freiner tout comportement visant à porter atteinte à notre dignité humaine et particulièrement à l’intégrité de nos corps. Pour ce qui concerne le viol des femmes, il est implicitement et explicitement autorisé par la permissivité de nos sociétés aux traitements dégradants à l’égard des femmes. Il est autorisé par l’idée de la domination d’un genre humain sur un autre genre humain lui octroyant des privilèges de droits divins. Il est autorisé par le rapport de force existant entre les hommes et les femmes glorifié et valorisé dans des productions culturelles (tel que le cinéma) ou des traditions qui tardent à disparaitre. Il est autorisé par l’idée généralement admise que le corps des femmes est à la libre disposition des hommes mais qu’elles sont responsables de ce qui leur arrive. Il est encore autorisé par l’idée répandue d’une pulsionnalité masculine conquérante, violente et sans limite au risque de l’homosexualité. Il est autorisé par l’idée qu’une jeune fille/femme par sa vêture, ses fréquentations, son travail ou tout autre velléité d’indépendance est responsable du viol qu’elle subit. Il est autorisé par l’indifférence réservé aux crimes et délits commis contre des femmes et des filles. Il est autorisé par le sensationnalisme des médias qui exposent les victimes plus que les auteurs. Il est autorisé par la clémence réservée à ces actes quand ils arrivent devant nos juridictions. Il est enfin autorisé parce que la sociologie, depuis les années 70, ne cesse de rappeler derrière le concept de culture du viol.
Si nous ne voulons pas assumer que nos sociétés promeuvent le viol, il nous faut travailler tous ensemble à éradiquer tout comportement, toute idée, toute croyance, toute norme sociale qui encourage implicitement ou explicitement le viol. C’est pour toutes ces raisons que nous demandons solennellement, nous toutes féministes africaines, le retrait du film Mea culpa du concourt du court-métrage de l’édition togolaise du salon du cinéma au féminin.
Naya Nakeba Yamina Goudiaby, étudiante en droit, féministe radicale
Elgas, journaliste et écrivain
Jean Noël Mabiala, PhD en sciences du langage – Président fondateur du centre de recherche et de formation FC-ONLY, spécialiste des questions d’interculturalité et du rapport à l’autre
Pour les Pays-Bas
Loes Oudenhujisen, doctorante en études africaines, Féministe
LE SÉNÉGAL, UNE SOCIÉTÉ VIOLENTE
C’est comme si tuer une femme est la chose la plus banale au Sénégal. Inconsciemment, l’homme a commencé se sentir frustré devant cette femme qui va et qui vient. À ce rythme, toutes les femmes sont en danger - ENTRETIEN AVEC KEN BUGUL
Dans les premières années de la crise casamançaise, les femmes de la région avaient opté pour une manifestation radicale de leur ras-le-bol en se présentant sans vêtement face aux Forces de l’ordre. Aujourd’hui, le contexte est tout aussi lourd de violence et l’écrivaine de renommée, Ken Bugul, n’exclut pas de recourir au même procédé pour dire son ras-le-bol face aux meurtres récurrents de femmes au Sénégal.
Ces derniers jours, le Sénégal a connu une série continue de meurtres de femmes. Comment réagissez-vous à cela ?
Depuis l’assassinat de la jeune fille dont on a retrouvé le corps vers Kaolack, près de chez moi, je suis révoltée. Ça pouvait être une de mes nièces. Ensuite, une 2e parce qu’elle n’a pas d’enfant, son mari la tue, et une 3e, balle en pleine tête, une 4e… il y a eu une manifestation à Saint-Louis où les femmes se sont réunies dans une rue, où les femmes se sont assises autour de 7m de percale, pour exprimer leur ras-le-bol, leur révolte. Ce qui m’horripile le plus, c’est le fait qu’il n’y ait aucune mention de ces crimes. Ça n’a pas fait l’objet d’une réaction des autorités politiques de ce pays, la ministre de la Femme, du gouvernement en général, le chef de l’Etat, des autorités religieuses, des partis politiques. C’est comme si tuer une femme est la chose la plus banale au Sénégal et dans l’indifférence totale. Il faut absolument faire quelque chose pour que ça s’arrête. Il faut marquer le coup, parce qu’à ce rythme, toutes les femmes sont en danger, nos filles, nos petites filles sont en danger et la société est en danger.
Il y a eu plusieurs cas de violence sur lesquelles on n’a pas réagi. N’avez-vous pas l’impression que ces meurtres sont la suite logique de cela ?
L’indifférence ! Avant, il y avait même plus de réactions, mais devant cette succession, je ne comprends pas le silence. Les radios et télés en parlaient, on faisait des éditions spéciales. Mais là, c’est l’indifférence et c’est ce que je trouve révoltant. Il faut quand même porter un coup fort, organiser des manifestations dans tout le pays. Je n’ai pas encore vu un programme spécial sur ça, à part ce que le Comité des féministes du Sénégal a fait à Saint-Louis. On va passer à autre chose après ça, et ce n’est pas normal.
On a l’impression que la société sénégalaise est devenue très violente et que cette violence est en premier dirigée contre les femmes…
La société sénégalaise a toujours été violente, ça ne date pas d’aujourd’hui. C’est une société violente, parce que c’est une société répressive. Moi qui suis née il y a très longtemps, j’avais réalisé déjà cela très jeune. A 5 ans, ma mère m’avait laissée. C’est violent ça ! Et à 11, 12 ans, dès qu’une fille a ses règles, on pense déjà à la marier. Il y a même quelqu’un qui avait été identifié dans mon village et j’avais refusé. Et il y a toute cette morale : attache bien ton pagne, etc. Ce sont des violences psychologiques. C’est une société violente en plus d’être répressive, une société avec de la morale. Et maintenant, c’est la violence physique qui est apparue quand les femmes ont commencé à s’émanciper, à aller à l’école. Quand elles ont commencé à gagner un peu d’argent, quand elles ont osé s’exprimer un peu dans les médias. Déjà du temps de la Fédération des associations féminines du Sénégal (Fafs), qui était dirigée par Annette Mbaye d’Erneville, ensuite Aminata Mbengue Ndiaye, le volet des violences physiques commençait à apparaître parce que les femmes sortaient, se regroupaient, etc. Où tu étais ? Pourquoi tu rentres à cette heure ? Ensuite des gifles. Tout simplement parce que la femme commençait à regarder un programme à la télé, parlait avec sa copine ou osait se regrouper. C’était dans les années 75 je pense, et à partir des années 80, 90, où les femmes ont commencé à être des productrices de développement et de richesse, ont commencé à gagner par elles-mêmes de petits sous, il y avait violences physiques suivies de divorces. Mais maintenant, la violence est passée à une vitesse supérieure. C’est assassiner des femmes maintenant.
Où faut-il chercher les racines de cette violence ?
Les facteurs endogènes, c’est peut-être la situation des hommes. Inconsciemment, l’homme a commencé se sentir frustré devant cette femme qui va et qui vient. Surtout quand je vois des femmes de mon village qui font un petit commerce et arrivent à s’en sortir, et qu’on dise qu’elles sont émancipées ! Mais elles sont toujours à la maison, elles travaillent toujours, sont dans des ménages très compliqués, mais elles ont de petits business, vont acheter des choses à Kaolack ou Dakar, qu’elles viennent revendre. Et les hommes se sont sentis humiliés parce que compte tenu de la précarité économique, elles contribuaient à améliorer la nourriture. Toutes ces générations d’enfants nés depuis les années 90 à nos jours, on le voit avec les lutteurs et les chanteurs, un enfant qui réussit jusqu’à l’université, dit d’abord, je remercie ma mère. Pareil pour le lutteur, le chanteur, etc. On ne se rend pas compte, mais le père… De notre temps, c’était le père, ensuite la mère. Barké baye comme on disait, mais maintenant c’est le contraire. La mère est célébrée par toute une génération, parce que ces jeunes ont été élevés par les recettes du petit commerce qu’elles ont fait.
C’est la fragilité des hommes qui se manifeste donc…
En plus des facteurs internes, psychologiques. Mais les facteurs exogènes qui sont des influences, il y a les violences à la télévision. Les mardis, on regardait des pièces de théâtre avec les Daraay Kocc, etc. Les programmes étaient éducatifs et humoristiques avec les Abou Camara, les Makhouredia Guèye et Baye Peul. Mais maintenant, les séries sénégalaises… il y a cette violence dans les médias, les séries américaines et l’instabilité dans la sous-région qui favorisent la circulation des armes. Tous ces facteurs exogènes n’influent pas sur la violence, mais permettent de commettre un meurtre tout de suite.
Il y a aussi le silence des religieux…
Les hommes politiques, les religieux musulmans comme chrétiens, les associations de femmes, tout le monde doit se lever, se révolter. Quelqu’un m’a dit hier que les violences contre les femmes, ce sont les féministes qui doivent s’en occuper. C’est qui les féministes ? Ce sont nos enfants qui sont assassinés. Il y a tous ces facteurs et en face, l’impunité et la banalisation des meurtres de femmes, comme si les femmes les gênaient ! Moi en tout cas, je suis prête à me mettre toute nue, de la Place de l’indépendance à l’Obélisque, au Rond-point Yoff et devant la présidence de la République, pour exprimer toute l’horreur que je ressens face à ces meurtres de femmes de plus en plus récurrents et de plus en plus dans l’indifférence et l’impunité totale.
LE CORPS DES FEMMES SERT D’ARENE DE LUTTE
Pour être violente, la société sénégalaise l’est. Les meurtres de femmes s’ajoutent au spectacle triste de ces très jeunes enfants livrés à la rue. La face hideuse d’une société qui n’assume pas ses tares
Pour être violente, la société sénégalaise l’est. Les meurtres de femmes s’ajoutent au spectacle triste de ces très jeunes enfants livrés à la rue. La face hideuse d’une société qui n’assume pas ses tares.
La société sénégalaise est violente. Et cette violence est surtout dirigée contre les femmes et les enfants. Comme le répète souvent la chercheure sénégalaise, Maram Guèye, c’est une société qui a «glamourisé» la souffrance des femmes.
Et selon Adama Sow, les germes de cette violence sont profondément implantés dans notre déterminisme culturel. «La conception que nous avons, c’est que brimer ou battre la femme, c’est accepté. Il est coutumier de battre sa femme, mais les voisins ne réagissent même pas. La violence est en nous», s’indigne Adama Sow. «On sait qu’on vit dans des sociétés violentes, et ça ne date pas d’aujourd’hui. Faire mal, tuer sont devenus des actes banals, mais ce n’est pas normal. Et ce qui est énervant, c’est de vouloir en faire une question de féministes. Dès qu’on tue une femme, les gens demandent où sont les féministes ! Mais tout le monde, hommes et femmes, doit se lever pour dénoncer quand une femme est tuée. Religieux, politiciens, artistes, tous doivent dénoncer. Une femme tuée, c’est beaucoup de gens autour dont la vie est bouleversée, sa famille, ses enfants, etc.», dénonce Coumba Touré.
Le même constat est fait aussi par Dr Rama Salla Dieng, maîtresse de conférences à l’Université d’Edimbourg au Royaume-Uni. «Je me rends compte à chaque fois qu’il y a une sorte de schizophrénie. La société est tellement dans le masla, dans les apparences, alors qu’elle est profondément violente, patriarcale et que le corps des femmes sert d’arène de lutte, de domination d’un sexe sur l’autre. Et le féminicide est le paroxysme de cette violence-là. Que chaque jour, notre corps soit mutilé, que nous soyons tuées juste du fait de notre genre ou de notre sexe, n’est pas acceptable», indique-t-elle.
Avant d’en arriver là, les meurtriers sont pourtant passés par différents stades. Le plus souvent, l’on parle de violences conjugales répétées, de confrontations physiques dans lesquelles la femme est toujours sermonnée. A elle, revient le rôle de la «mougnkat», celle qui doit supporter. Et le silence de la famille vient renforcer ce carcan d’insécurité tissé par la société tout entière. «Beaucoup de victimes sont allées à la police maintes fois sans résultats, parce qu’on leur dit d’arranger les choses en complicité avec la famille. C’est un problème d’hommes, pas un problème de femmes», indique Ndèye Debbo Seck, éducatrice et féministe. Que faire ? Comme dans d’autres pays, propose Adama Sow, il faut mettre en place des dispositifs de prévention. «Il faut prévenir les féminicides et en parler. Les médias doivent jouer un rôle important. L’année dernière, quand il y a eu près de 250 féminicides en France, ils en ont parlé, ils ont mis en place des numéros courts avec les commissariats et les gendarmeries, et même des bracelets. Il y a un certain nombre de dispositifs qui existent dans beaucoup de pays et l’Etat pouvait s’en inspirer. Mais ne rien faire, ça me gêne», souligne Adama Sow.
21 CAS DE FÉMINICIDES AU SÉNÉGAL ENTRE 2019 ET 2022
La société civile Féminine se prononce sur la recrudescence des violences faites aux Femmes. Entre 2019 et 2022, plus de 20 femmes ont été tuées, d’après la féministe Maïmouna Yade
De la gifle au coup de poing en passant par l’accrochage et l’empoignade, les femmes sont aujourd’hui battues à mort pour un oui ou un non et jusque dans leur foyer souvent par leurs propres conjoints. Les chiffres émeuvent. Entre 2019 et 2022, plus de 20 femmes ont été tuées, d’après la féministe Maïmouna Yade.
Rien que dans l’imaginaire, on a l’impression d’avoir une arête de poisson au travers de la gorge. Des femmes enceintes battues par leurs propres époux pour des histoires banales mais qui finissent souvent dans la tragédie. En 2020, le gynécologue Dr Abdoulaye Diop avait écrit un texte pour s’indigner des violences conjugales sur des femmes en gestation. Des brutalités infligées par leurs conjoints. Une épreuve très difficile à supporter. A l’en croire, « il ne se passe plus une semaine sans qu’on reçoive une patiente qui saigne en début ou en fin de grossesse à cause de coups portés par un conjoint ivre ou simplement contrarié. Battre une femme enceinte. Il s’agit là de la pire attitude possible en termes de bassesse, de sadisme ou de lâcheté. De plus, ces coups sont portés à ces êtres sans défense pour des raisons le plus souvent fallacieuses. Les causes de ces violences sont plus révoltantes que l’acte luimême. (...) C’est vraiment révoltant ! Nous constatons des blessures physiques souvent graves et aboutissant à un avortement ou un accouchement prématuré parfois ! Nous sommes tenus au secret médical mais désormais, personnellement, je dénoncerai aux autorités compétentes toute violence physique constatée sur une patiente pour le motif justifié de mise en danger de la vie de la mère et de l’enfant qu’elle porte. Vous, femmes, prenez aussi vos responsabilités et n’acceptez plus de subir ces violences d’un autre âge malgré la pression de votre famille de rester coûte que coûte dans votre foyer infernal et de risquer de mourir sous les coups d’un type qui ne vous mérite pas et de laisser orphelins des enfants qui continueront à subir la tyrannie de leur indigne père ». Dans ce texte, le médecin a d’abord choisi d’alerter, puis de s’indigner pour ensuite sensibiliser sur un phénomène qui tend à se répandre dans notre pays. Au-delà des coups portés sur des femmes en gestation, le phénomène des violences conjugales, et des violences faites aux femmes en général, a d’ailleurs pris une allure plus qu’inquiétante.
Deux années après cette publication du Dr Abdoulaye Diop, le phénomène des violences sur les femmes ne faiblit pas. Au contraire, il devient de plus en plus traumatisant. Au Sénégal, presque chaque jour, un cas d’agression ou d’abus sexuel, de viol ou de violence physique suivi de meurtres est ébruité. Cette année, octobre n’est pas si «rose» que ça! Au cours du seul mois en cours, cinq femmes ont été tuées. Des féminicides dont la plupart sont commis par des époux.
Octobre 2022, un mois sombre
Octobre 2022 aura été un mois sombre pour les femmes. Ce, dès le premier jour. Le 01er octobre, la dame Nafissatou Diedhiou a été retrouvée pendue dans sa chambre à Grand Yoff. Son époux a été arrêté pour meurtre. Deux jours après cet acte ignoble, un maçon a été accusé d’avoir asséné une dizaine de coups de couteau à son épouse. Le 15 octobre, une autre dame de 26 ans, qui demandait le divorce, a été froidement tuée par balle à Matam par son époux. Le 19 octobre, une fille de 16 ans, Fatou Samb a été décapitée et abandonnée dans la brousse à Kaolack entre Ndiockel Peulh et Diomkhèle. Aïssatou Cissé demande le divorce, son époux Oumar Sano la poignarde à mort. La scène s’est passée à Madina Wandifa, département de Bounkiling dans la région de Sédhiou. Sans compter le cas d’une directrice d’école qui a été tuée et abandonnée dans les buissons à Thiès. « Entre 2019 et le premier trimestre de 2022, plus de 21 cas de féminicides ont été enregistrés. Durant le premier trimestre de l’année en cours, 5 femmes ont été tuées. L’année 2019 a été la plus meurtrière pour les femmes. Entre janvier et novembre 2019, on a répertorié 14 cas de meurtres de femmes. Le taux de prévalence des violences faites aux femmes et aux filles avoisine les 60 % et varie d’une région à une autre». Ce sont les estimations de Maïmouna Yade du Collectif des féministes du Sénégal. Féminicide, un mot qui choque !
La présidente du comité de lutte contre les violences sur les femmes et les enfants se dit effectivement choquée. Elle alerte sur la recrudescence des violences faites aux femmes. « Nous sommes plus que choquées dans la mesure où, depuis que nous sommes dans la lutte contre les violences faites aux femmes, c’est la première fois que nous vivons ce que nous sommes en train de vivre au Sénégal. Ça dépasse l’entendement. Des femmes étaient violentées mais à des temps très espacés qui permettaient aux organisations de la société civile de faire le travail, de sensibiliser, d’aller vers les populations, les familles pour parler avec elles ou même dénoncer et prendre en charge les victimes. Mais actuellement, on ne peut pas rester un jour sans pour autant entendre un cas de viol suivi de meurtre, ou carrément de meurtre ou d’autres types de violence », s’est indignée la présidente du comité de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, Ndèye Fatou Sarr. Ce qui, à son avis, nécessite une meilleure protection des femmes. « Les nouvelles formes de violences, nous ne les connaissions pas avant. Elles méritent une attention particulière de la part des organisations de la société civile, mais également de la part de l’Etat. Nous sommes en train de voir comment partir ensemble, comment voir pour développer des stratégies conjointes de lutte pour nous faire entendre et développer des actions fortes pour non seulement informer les populations, mais également sensibiliser les jeunes et les hommes. Nous préparons la deuxième conférence des chefs d’Etat sur une masculinité positive. Là, nous allons lancer le plaidoyer qui nous permettra d’aller ensemble. La loi s’applique mais nous ne comprenons pas cette recrudescence des violences. Ça mérite d’être documenté et de mener une étude sur les causes de cette recrudescence de ces violences », a-t-elle expliqué.
La féministe Maïmouna Yade dit « constater avec regret le silence de nos autorités face à une si tragique situation ». Se disant plus que déterminée à combattre le phénomène, elle dénonce le mutisme des autorités particulièrement celui du ministre en charge de la Femme. « Le ministère de tutelle est restée aphone », a-t-elle déploré au cours de la conférence sur le féminicide au Sénégal.
Sa camarade Coumba Touré, un autre membre du collectif des féministes du Sénégal, dénonce, elle aussi, ce mutisme des autorités et interpelle le chef de l’Etat. « On ne peut pas continuer à tuer, à violer, on n’a entendu aucune autorité. On ne peut plus le supporter. On a décidé de déranger tous les jours pour être entendu. Quelque chose doit être fait. L’interpellation va à l’endroit de toutes les autorités du pays à commencer par le chef de l’Etat. Nous voulons une mobilisation générale pour stopper net le phénomène » crie Coumba Touré.
«ON NE DOIT PLUS PARLER D’EGALITE DANS NOS SOCIETES, CE SONT DES CONCEPTS QUI NOUS ONT ETE AMENES DE L’OCCIDENT»
Selon Mariétou Mbaye «Ken Bougoul», il ne s’agit nullement de discuter des conditions de la femme.
Pour la 2e édition du Forum Exclusivement Féminin (Fef), des centaines de femmes venues d’horizons divers se sont réunies à Saint-Louis pour discuter du thème : «Défaire les codes et repenser l’équité ». Les membres du FEF ont passé en revue les difficultés auxquelles sont confrontées leurs sœurs et réfléchir sur les actions à mettre en œuvre pour encore faire valoir l’ensemble de leurs droits et exiger l’équité.
Les participantes ont décodé et trouvé de nouvelles stratégies de déconstruction ou de déconditionnement pouvant permettre à la femme de s’épanouir et de participer au développement du Sénégal. Selon Mariétou Mbaye «Ken Bougoul», qui a pris part à la rencontre, il ne s’agit nullement de discuter des conditions de la femme. «Il s’agit plutôt de parler du statut de la femme dans nos sociétés. On ne doit plus parler d’égalité dans nos sociétés, parce que ce sont des concepts qui nous ont été amenés de l’Occident. Même en Occident, on ne peut parler d’égalité et c’est dommage ! Ce qui est important, c’est de tout faire pour qu’il y ait équité par rapport à la condition de la femme. Mais pour y arriver, il faut surmonter beaucoup de facteurs culturels, religieux, traditionnels et refuser la fatalité», a indiqué l’écrivaine.
Poursuivant son argumentaire, Mariétou Mbaye recommande de mettre en œuvre toutes les initiatives pour favoriser équité dans l’éducation, entre hommes et femmes, entre adultes et enfants parce que tout le monde est concerné». S’ l’on en croit l’auteure du livre «Baobab fou», ce processus nécessite une déconstruction sociale et économique qui implique une volonté politique. Devant l’assistance féminine acquise à sa cause, l’écrivaine trouve qu’il beau de faire des discours, mais ceux-ci «doivent être accompagnés d’une volonté politique manifeste. Parce que l’application sur le terrain sera très difficile. Pour réaliser l’équité entre hommes et femmes dans nos sociétés, il faut briser le plafond de verre et refuser la fatalité».
La position de Mariétou Mbaye est partagée par les autres femmes panelistes. Selon Ndèye Marème Thiam, directrice des Arts et des Cultures Africains, les travaux de la 2e édition du Forum Exclusivement Féminin de Saint-Louis permettent de mieux revaloriser le statut social des femmes. «Il est temps qu’on démystifie certains aspects culturels pour remettre la femme à la place qu’elle mérite. Puisque, c’est elle qui a révolutionné le monde, en étant dans les champs, au foyer et dans tous les domaines de la vie économique, sociale, politique, culturelle, environnementale, sportive», souligne Isabelle Boiro Gruet. La Directrice Déléguée de l’ICL de Saint-Louis soutient que les participantes de la seconde édition du forum exclusivement féminin « incarnent, par des voix différentes et de diverses manières, un exemple de réussite et les jeunes filles de la nouvelle génération pourront s’en inspirer pour affirmer leurs multiples talents avec confiance et fierté ». Le mois Octobre Rose a été mis à profit par les initiateurs de la rencontre pour sensibiliser davantage les femmes sur les ravages des cancers du sein et du col de l’utérus.
Par Madiambal DIAGNE
MILLE COUPS DE FOUET À COMBIEN D’HOMMES SÉNÉGALAIS ?
Se faire tuer pour avoir demandé le divorce, se faire flageller pour avoir prétendument forniqué... La façon dont le Sénégal traite ses femmes illustre la perte de la promotion de valeurs humanistes dans le pays
Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux et autres sites d’informations, depuis quelques jours, montre une séance de punition publique d’une femme prise pour des faits d’adultère dans le village de Guédé Bousso, une bourgade à la lisière de Touba. Un châtiment de cent coups de fouet lui a été infligé, devant les caméras et des personnes conviées comme témoins pour faire l’exemple. La première question qui viendrait à l’esprit est de se demander si la femme a commis l’adultère seule. Bien sûr que non ! Quel sort a été réservé à son partenaire ? Seule la femme a été jetée en pâture, humiliée ainsi publiquement et violentée. Son partenaire de l’autre sexe est épargné, sans doute protégé par ces juges qui sont tous des hommes. Une certaine forme de discrimination à moins qu’on ne considère que la femme pécheresse aurait violé son partenaire. Mais l’histoire ne le dit pas ; comme elle ne dit pas non plus comment le bourreau a installé la condamnée sur ses propres cuisses et ne s’est nullement pressé que la drôlesse se lève.
L’autre problème moral est de savoir si le ou les bourreaux eux-mêmes peuvent lever la main pour dire n’avoir jamais péché car dans ce bas monde, chacun a ses petits ou grands péchés à l’occasion. Mais là n’est pas le propos. Il se trouve que personne ne pourra dire n’avoir pas regardé cette vidéo, mais tout le monde semble détourner le regard, faire comme si le fait ne le regardait pas, ne le concernait pas. Pourtant si…
L’Etat ne peut pas faire la politique de l’autruche
Au premier chef, les autorités de l’Etat ne peuvent pas faire le dos rond devant une telle situation attentatoire aux droits humains. Ce traitement cruel, inhumain et dégradant est aux antipodes de la règle de droit dans notre pays. Plus grave, en laissant s’installer et prospérer cette forme de Justice privée ou parallèle, l’Etat se dépouille de l’une de ses principales missions régaliennes. L’acte de flagellation de personnes adultérines à Guédé village ne serait pas le premier. Les médias avaient relayé un acte similaire dans le village de Thiénaba en novembre 2020. On évoque aussi les mêmes pratiques dans d’autres contrées comme dans le village de Maîmounatou (Sagatta) et à Médina Gounass dans la région de Kolda. On voudrait qu’une loi islamique, la charia, y soit de rigueur, or les seuls cas recensés d’application de cette charia sont relatifs à des affaires de sexualité. Cela pousse à se demander si ces mollahs ne se préoccupent que des questions de sexualité ? L’urgence pour les autorités républicaines d’intervenir pour mettre un terme à de telles pratiques s’impose d’autant que le risque est encore grand que d’autres échelles de peines édictées par cette charia pourraient se voir appliquer un jour dans ces localités. Que dira-t-on si demain un voleur se fait amputer d’une main ou des deux mains ? Ou encore que la lapidation à mort ou la pendaison publique soit appliquée pour punir un quelconque crime ? Dans quelles conditions cette forme de Justice s’exerce-t-elle ?
Assurément, la passivité de l’Etat a fait le nid de la prolifération de milices d’obédience religieuse qui ont fini par se muer en polices religieuses pour arrêter et bastionner jusqu’à des personnes trouvées en train de fumer une cigarette ! Des femmes présumées être des travailleuses du sexe, trouvées dans des lieux privés, ont été molestées et certains de leurs bourreaux les ont punies en profitant de ces proies pour satisfaire leur libido. D’autres femmes mal vêtues à leur goût, se font arracher publiquement leurs coiffures ou leurs faux-cils. Quid de ces gaillards, torse nu, avec toute leur masculinité offerte aux regards de femmes et qui passent pour être des fidèles dévoués ? C’est une certaine forme d’injustice de sexe qu’on constate jusqu’à voir des femmes abattues d’une balle dans la tête ou éventrées par leur époux pour avoir osé demander le divorce. Ces féminicides passent presque inaperçus alors que l’indignation, la réprobation et la condamnation sont systématiques et générales, à chaque fois qu’un homme a eu le malheur d’être ébouillanté ou même battu par sa femme.
Les autorités publiques marchent sur des œufs et poussent le «ponce pilatisme» jusqu’à proscrire l’intervention des Forces de l’ordre dans des localités. On a vu des milices religieuses arrêter (on ne sait dans quelles circonstances et conditions) des personnes et les conduire, dans un rare instant de mansuétude, devant la police d’Etat qui prend ainsi la suite. Quelle forme de coopération pourrait-on envisager entre une police religieuse et une police républicaine d’un Etat démocratique, alors qu’elles ne partagent pas les mêmes règles de droit positif ? Le Président Abdou Diouf avait eu l’habileté de convaincre le Khalife général des Mourides, Serigne Abdoul Ahad Mbacké (1968-1989), à installer les forces de police d’Etat dans la ville de Touba, qui tendait à devenir un repaire de malfrats, de bandits de tout acabit et de trafiquants de drogue. Par exemple, quand des unités cynophiles avaient été déployées dans la ville, l’émoi était tel que le khalife a pu instaurer d’autorité et faire accepter la présence des chiens renifleurs dans toute l’enceinte de la ville, avec une formule restée dans les mémoires : «Ces chiens ne traquent que leurs semblables !»
Se faire tuer pour avoir demandé le divorce, se faire flageller pour avoir forniqué
Le Sénégal a la particularité de compter de nombreux militants des droits de l’Homme, qui ne relèvent que les exactions présumées imputables à la puissance publique. Encore que sur ce registre, leurs sujets de prédilection sont les questions électorales. Ainsi, aucune de nos célèbres grandes organisations humanitaires ne s’est sentie concernée par la dernière flagellation publique fort médiatisée de Guédé Bousso. On a aussi du mal à trouver une déclaration condamnant ou s’émouvant des derniers cas de crimes contre des femmes qui n’en pouvaient plus de rester dans leur ménage et qui souhaitaient le quitter. Les organisations de droits des femmes sont encore devenues plus discrètes ou aphones, depuis qu’elles avaient fait montre d’une lâcheté qui leur collera éternellement à la peau dans l’affaire opposant la dame Adji Sarr au leader du Pastef, Ousmane Sonko.
La série macabre est sans fin. En l’espace de quelques jours, Nafissatou Diédhiou a été tuée par son époux à Grand-Yoff (Dakar), Fatou Samb a été enlevée, séquestrée, violée à Kaolack, S. Barro a reçu, à Matam, une balle dans la tête du fait de son époux qui lui refusait le divorce, Aminata Touré a été tuée à Saré Mbemba Touré (Kolda). Dieynaba Sané a été éventrée à Bounkiling (Sédhiou) par son époux qui lui refusait le divorce. Le plus triste est qu’on en oublie ou que de nombreux cas du genre ne sont pas signalés, camouflés, cachés par les familles. La bonne preuve que ces pauvres victimes avaient bien raison de chercher à quitter leurs maris est que ces derniers ont montré leur véritable nature de bourreau en leur ôtant la vie.
Elles agonisaient dans leur ménage, mouraient, et leur mort a été précipitée par leur demande le divorce. Leur supplice se révèle être une certaine forme de quadrature du cercle car les rares femmes qui échapperont à l’emprise de leur mari seront flagellées publiquement si elles s’aventuraient à refaire leur vie. Par contre, les hommes pourront continuer allégrement de tout se permettre. Si l’adultère devait être puni de cent coups de fouet, ils seraient bien nombreux à essuyer des milliers de coups.
La façon dont le Sénégal traite ses femmes donne l’impression que la promotion de valeurs humanistes et le combat pour la préservation de la dignité de tous se perdent. Notre consœur, Mame Woury Thioubou, n’a pu retenir un coup de gueule dans l’édition du journal Le Quotidien du 21 octobre 2022 quand elle écrit : «Sont-elles insensibles, apathiques ou simplement indifférentes au sort des femmes de ce pays ? Le silence de cathédrale, que servent les autorités de ce pays depuis qu’une suite d’assassinats de femmes a lieu, interroge.» Un pays ne peut se dire juste envers toutes et tous, si la moitié des citoyens qui le composent, est la première victime sans protection. Des hommes puissants, fortement présumés agresseurs sexuels, se baladent en bombant le torse parce qu’en définitive, toute la société est complice !
par la chroniqueuse de seneplus, rama salla dieng
SAVOIR QUAND SE TAIRE ET QUAND S'EFFACER
EXCLUSIF SENEPLUS - S’effacer pour donner l’opportunité aux choses de se rééquilibrer d’elles-mêmes permet de rompre le cycle des privilèges. C'est pour moi une stratégie prometteuse et peut-être nécessaire pour allié.e.s potentiel.le.s à une cause
Rama Salla Dieng de SenePlus |
Publication 23/10/2022
Savoir quand se taire et quand s’effacer : une stratégie efficiente pour des allié.e.s potentiel.le.s dans la recherche d’une société égalitaire?
Il arrive souvent, lorsque l’on aborde la question des allié.e.s, c’est-à-dire des personnes qui pourraient amplifier l’attention à une cause, de (leur) recommander de soutenir sans effacer ou silencier d’autres voix actives dans la lutte pour cette cause. Je me suis demandée s’il arrive aussi à ceux et celles qui se battent sur le terrain ou par la plume pour une cause de s’interroger sur leurs privilèges.
‘Ku weet xam sa bopp’, dit l’expression Wolof pour rappeler que toute fidélité est d’abord fidélité à soi, et donc pour moi, tout exercice d’évaluation de notre action ou de notre inaction commence forcément au niveau individuel.
Au cours des derniers mois, j’ai beaucoup réfléchi à mon niveau personnel aux différentes causes qui me sont chères et comment je les sers ou s’il m’est arrivé de les desservir.
Au cours des trois derniers mois, j’ai pris part successivement à un festival féministe à Dakar, et à un Forum féminin à Saint-Louis. Durant trois jours d’échanges riches passés avec d’autres camarades, j’ai pu continuer cette réflexion intérieure et à voix haute.
Chaque fois que je reçois une invitation de prendre part à un événement, je passe en revue mes privilèges et me pose la question de savoir :
S’il est nécessaire que ce soit moi qui y prenne part, ou s’il y a des personnes que je connais qui ont moins d’opportunités de faire partie de ce genre d’événement qui pourraient aussi prendre la parole ;
Si les personnes ou organisations derrière la cause en question sont fiables et ne sont pas dans des logiques contradictoires par rapport à la cause qu’elles prétendent servir ;
Si le programme de l’événement en question ne renforce pas des inégalités par rapport aux causes qu’elles prétendent servir ;
Qui d’autre est invité.e (et par ricochet, qui n’est pas invité et gagnerait à l’être) ? Quelle est la composition des panels, et comment participe-t-on de l’invisibilisation et de la silenciation d’autres voix ?
Et donc lorsque j’ai reçu l’invitation pour cet événement, mon premier réflexe a été de la décliner pour laisser la place à d’autres. Puis je me suis rendue compte que décliner pourrait apparaître comme une dé-solidarisation. J’ai décidé de changer d’avis mais de ne pas prendre part à certains des événements comme panéliste quoiqu’étant férue du débat contradictoire en tant qu’universitaire. Je décidai donc de participer mais comme membre du public pour juste m’asseoir, écouter activement et apprendre, et désapprendre. Et je n’ai pas regretté car m’effacer volontairement pour donner l’opportunité aux choses de se rééquilibrer d’elles-mêmes m’a permis de rompre, même momentanément le cycle des privilèges.
C’est par l’écriture que mon engagement féministe s’exprime primordialement et c’est par la lecture, les conversations avec d’autres et par le silence actif et recherché d’autres pour apprendre et désapprendre que souvent je commence l’auto-évaluation. Au terme de ces trois jours riches, j’ai donc continué cette exploration à mon niveau personnel.
Tout en continuant d’observer et de lire de manière critique sur ce qui se fera, se dira et s’écrira sur les questions féministes au Sénégal, je pense qu’il est temps pour moi de faire un pas en arrière et de contribuer à amplifier et faire émerger d’autres voix sur ces questions importantes sans forcément occuper l’espace.
Amplifier et se faire le relai d’une cause, faire activement de la place à, savoir se taire et s’effacer pour que d’autres puissent s’exprimer et s’interroger sur ses privilèges est pour moi une stratégie prometteuse et peut-être nécessaire pour allié.e.s potentiel.le.s à une cause.
Chercheuse et Dr en Géosciences, Ndèye Marame Ngom a soutenu une thèse sur la problématique de l’orpaillage artisanal au Sénégal en vue de proposer une solution de gouvernance dans ce secteur.
Dans le but de valoriser ses résultats, la jeune chercheuse a créé une application afin de suivre en temps réel l’exploitation artisanal de l’or au Sénégal en utilisation les outils des sciences spatiales au Sénégal l’exploitation minière artisanale et ses impacts. Ndèye Marame est l'une des spécialités de l'intelligence artificielle.
Nous l’avons interviewée lors de la conférence mondiale des journalistes scientifique de l’espace francophone tenu du 10 au 17 octobre à Dakar.
LE LEADERSHIP DES FILLES MIS EN AVANT
Plan international Sénégal a tenu à célébrer la journée internationale de la fille par l’organisation à Kédougou d’un atelier d’échanges qui a permis aux filles de mener un plaidoyer pour de meilleures conditions d’études et la promotion de leur leadershi
Plan international/Sénégal a tenu à célébrer la journée internationale de la fille par l’organisation à Kédougou, d’un atelier d’échanges qui a permis aux filles de mener un plaidoyer pour de meilleures conditions d’études et la promotion de leur leadership. Plan international invite ainsi les autorités à renforcer les capacités des filles pour leur permettre d’occuper des postes de responsabilité.
KEDOUGOU– L’adjoint au gouverneur de la région de Kédougou chargé du Développement, Georges Faye a indiqué au sortir de la rencontre que c’est une journée importante dans le sens où elle nous permet de faire l’état des lieux, de revenir tour à tour sur toutes les difficultés que rencontrent les jeunes filles au quotidien. “Dans l’atelier que nous venons de clore, beaucoup de points ont été soulevées. Les filles ont eu l’opportunité de dialoguer avec l’autorité administrative, de poser des questions sans censure. C’était en présence de toutes les autorités et plan international a eu une bonne idée de nous permettre de célébrer cette journée ici à Kédougou” a indiqué Georges Faye.
“Nous avons choisi Kédougou, ce 20 octobre, pour marquer la célébration de cette journée dont le thème au niveau de plan international tourne autour de “pouvoir égal, maintenant la participation politique des filles dans les instances de décisions”. C’est une thématique importante pour nous parce que nous croyons aux filles, nous croyons au potentiel que détiennent les filles, nous croyons aussi que la société a une part de responsabilité dans cet engagement politique des filles” a expliqué Mbaye Kébé, coordonnateur national de l’engagement des jeunes au niveau de plan international. Il a renchéri : “aujourd’hui il y a des comités de quartiers, le gouvernement scolaire. Il y a des comités mis en place par les différentes autorités. Et ces autorités peuvent s’engager aujourd’hui à accorder au minimum, 40 % de représentativité des jeunes dans les différents comités, dans les différentes instances qu’ils mettront en place. Et ces autorités ont la possibilité d’encourager les filles dans leur engagement politique par le renforcement de capacités des filles pour pouvoir occuper des postes de responsabilité”. Tout au plus “les filles aussi ont un rôle essentiel à jouer et ce rôle c’est d’être conscientes de leur engagement, être conscientes que leur voix compte et qu’elle doit être entendue dans toutes les instances de décision” a-t-il appuyé.
Par ailleurs l’adjoint au gouverneur chargé du développement a informé qu’il y a eu une foule de questions, de préoccupations surtout par rapport au la question de l’électricité du lycée Maciré Ba. ‘Depuis la rentrée on a donné instruction pour que tout soit fait et peut-être que dans les meilleurs délais le lycée soit électrifié. Sur la question de l’engagement des filles, il y a eu des pistes qui ont été suggérées dont celle de l’engagement pour son pays.
L’idée c’est vraiment de prendre ses responsabilités. Sur la problématique de l’hygiène publique dans les établissements, c’est une réalité. On en a débattu et tout sera fait pour que cette problématique soit un vieux souvenir’ a-t-il rassuré.
Pour le tout, dans leur plaidoyer, les filles ont appelé, entre autres, à la valorisation des organisations de filles et de jeunes femmes, leur implication dans la conception, la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques, le renforcement du leadership des filles.