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1 décembre 2024
Opinions
Par Bougane Guèye Dani
M. LE PRESIDENT MACKY SALL VOUS N’AVEZ PAS CE DROIT
La transparence, simple filtre pour honorer votre conscience !» Cette phrase pouvait suffire pour rappeler au Président Macky Sall les règles élémentaires pour mener le bateau Sénégal au port de la transparence, de la bonne gouvernance.
«La transparence, simple filtre pour honorer votre conscience !» Cette phrase pouvait suffire pour rappeler au Président Macky Sall les règles élémentaires pour mener le bateau Sénégal au port de la transparence, de la bonne gouvernance.
Mais aussi et surtout de l’éthique et du respect des engagements, qui au-delà d’être personnels, engagent toute une nation. Monsieur le Président de la République, rappelez-vous vos prises de position lorsque vous cherchiez le pouvoir.
Monsieur le Président de la République, rappelez-vous vos appels, vos cris de détresse lorsque vous pensiez que le Président Abdoulaye Wade allait vous mettre en prison.
Monsieur le Président de la République, rappelez-vous vos sueurs, votre fatigue à combattre l’injustice. Monsieur le Président de la République, rappelez-vous vos moments d’intense combat pour vouloir redonner aux Sénégalais l’espoir d’une démocratie debout !
Monsieur le Président de la République, rappelez-vous du soutien constant du peuple sénégalais dans votre descente en enfer. Monsieur le Président, rappelez-vous de vos propos lorsque vous disiez que vous alliez déloger du Palais le Président Wade. Monsieur le Président, rappelez-vous lorsque vous appeliez les jeunes à mener le combat au nom de la révolution démocratique. Monsieur le Président, l’histoire est récente pour l’oublier.
Tout cela s’est passé entre 2007 et 2011. Malgré le fait d’avoir été le principal bras armé du régime libéral dans plusieurs dossiers, les Sénégalais vous ont pourtant pardonné en vous mettant au plus haut sommet de la pyramide.
Malheureusement, l’ivresse du pouvoir semble vous avoir détourné du pacte constitutionnel. Aucune règle de transparence n’est respectée depuis votre accession à la magistrature suprême. Toutes les règles sont bafouées et l’impunité dans vos rangs est devenue la règle. C’est véritablement le parti avant la patrie !
Comment dans un pays normal, les services de votre beau-frère peuvent-ils emprunter 98 milliards de francs CFA, au nom du Sénégal sans validation du ministère des finances, pire le trésor public n’a jusqu’ici pas vu la couleur de cet argent logé pourtant en toute illégalité dans le compte bancaire d’une société privée à Dakar, et que vous ne réagissiez point ! C’est grave monsieur le Président.
Comment pouvez-vous recevoir la cheffe de l’opposition de votre homologue français en catimini. Marine Le Pen pour la nommer, qui insulte l’Afrique et son histoire, qui travaille à rapatrier les noirs vivant en France, qui voue une haine viscérale à notre race a été honorée par vous.
Pire, l’ancien Premier ministre du Sénégal, ancien président de la Commission de l’Union économique monétaire ouest africaine (UEMOA), Cheikh Hadjibou Soumaré vous interpelle sur un cadeau que cette dame aurait reçu.
Et l’on parle de plus de 8 milliards francs CFA que vous lui aurait gracieusement offerts. Pourquoi ? La renforcer dans son opposition contre Emmanuel Macron ? La renforcer dans son combat contre l’émigration de nos compatriotes en France et des africains en général ?
C’est grave ! Et, monsieur le Président, vous n’avez pas ce droit. Vous n’avez pas le droit de fouler au pied les règles en matière de gouvernance économique. Vous n’avez pas le droit de violer le droit. D’ailleurs, vous vous préparez à le faire avec cette troisième candidature anticonstitutionnelle. Mais, retenez qu’elle ne passera pas. A vrai dire, vous n’en avez pas le droit. Vous n’avez également le droit de manipuler la justice.
Actuellement, des dizaines de jeunes opposants croupissent en prison. D’ailleurs, que leur reproche-t-on, si l’on sait que dans votre camp, quelques-uns de vos lieutenants ne cessent de remettre en cause notre commune volonté de vivre ensemble.
Qui a appelé à tuer un opposant ? Qui a accusé des opposants d’avoir attenté à la vie de deux éléments de nos forces de défense et de sécurité ? Qui a défendu qu’il mobilisera cinq milles jeunes pour ligoter un opposant et le mener au tribunal ? Monsieur le Président vous n’avez pas le droit d’orienter la justice. Vous n’avez ce droit, comme vous n’avez pas le droit d’essayer de museler des journalistes. Ça suffit ! Être Président, ne vous donne pas tous ces droits. Vous n’avez pas le droit !
par Mohamed Gueye
HADJIBOU SOUMARÉ DOIT ÉCLAIRER L'OPINION
Ce pays a-t-il encore une administration fiscale ? Il faudrait demander à Cheikh Hadjibou Soumaré où et par quels artifices le président a pu trouver plus de 7 milliards de francs Cfa à offrir à une personne, fût-elle la première opposante de France
Ce pays a-t-il encore une administration fiscale ? Si on y répond par l’affirmative, on pourrait alors demander à Cheikh Hadjibou Soumaré, qui a blanchi sous le harnais de l’Inspection du Trésor du Sénégal, avant de devenir ministre délégué au Budget du Sénégal, où et par quels artifices le président de la République a pu trouver, en une journée, plus de 7 milliards de francs Cfa à offrir à une personne, fût-elle la première opposante de France.
Cette question n’est pas anodine, quand on sait que ce monsieur, qui fait des déclarations de ce genre, a été le second personnage de l’Etat du Sénégal. On pourrait imaginer qu’il ne prononce pas de paroles à l’emporte-pièce sur des sujets aussi sensibles. Car l’argent dont il parle, en donnant plein d’exemples de ce à quoi il pourrait servir, n’a pas été inscrit dans le Budget. Et Macky Sall ne dispose pas de planche à billets. D’où le sortirait-il donc ? Même le président de la République doit faire valider ses frais à chacun de ses voyages, et M. Soumaré le sait. Un ancien président de la Commission de l’Uemoa, qui se «méfie des ragots et des médisances», devrait-il interpeller le chef de l’Etat de son pays sur la base de ragots et médisances ?
Mais au journal Le Quotidien, aucune sortie de Hadjibou Soumaré ne pourrait nous surprendre, nous qui l’avons déjà pris en flagrant délit de mensonge publique sur sa candidature à l’Uemoa.
Par Madiambal DIAGNE
LES PREMIERS ÉCHECS DE SONKO À ZIGUINCHOR
La grosse pomme de discorde entre l’État du Sénégal et la Mairie de Ziguinchor risque de venir de la question de l’adoption du budget de l’exercice 2023
Lui maire, Ousmane Sonko s’était juré de gérer la ville de Ziguinchor mieux que tout autre de ses devanciers. L’engagement était touchant et le nouveau maire, élu le 23 janvier 2022 avec 56,31% sous la bannière de la Coalition Yewwi askan wi (Yaw), a été installé le 10 février 2022. Un an après sa prise de fonction, force est de constater que le bilan qu’il pourra présenter à ses concitoyens est loin d’être reluisant. Les Ziguinchorois peuvent même se dire quelque peu désabusés.
La première promesse que Ousmane Sonko a trahie est celle d’être un maire résident, qui partage le quotidien de ses administrés. En tout cas, il ne semble pas faire de la ville de Ziguinchor sa priorité, alors que les Pastéfiens voyaient l’exemple de Ziguinchor comme leur laboratoire ou leur modèle de savoir-faire en gestion publique. Le maire avait battu sa campagne autour de ce principe, on ne peut plus logique, d’être sur place et de rester accessible aux populations. Mais les jours de présence de Ousmane Sonko au niveau de sa commune sont à compter, et les autres membres de sa famille, épouses et enfants, trouveraient difficilement le chemin de la résidence du maire de Ziguinchor dans le quartier de Néma. Les absences du maire sont surtout remarquées à l’occasion des grands évènements religieux ou sociaux. Le maire a manqué l’inauguration de la cathédrale Saint-Antoine de Padoue, ainsi que les différentes cérémonies de prières rituelles à la Grande mosquée lors des fêtes de la Tabaski ou de la Korité. Le célèbre humoriste français Guy Bedos, disait la belle formule qu’«être prêt à mourir pour le peuple, ça ne signifie pas qu’on est prêt à vivre avec». Le nouveau maire disait nourrir de grandes ambitions pour sa commune et avait décliné une feuille de route, certes controversée avec notamment son idée mort-née d’instituer une monnaie locale en Casamance. Mais le nouvel élan, qui avait fait naître beaucoup d’espoir, semble retomber, pour ne pas dire se briser. Le calendrier du maire dans sa ville est rythmé par ses activités politiques, pour briguer la présidence de la République ou pour organiser des marches. L’opposition avait fini d’introniser Ziguinchor comme sa nouvelle capitale et tous les grands rendez-vous des leaders s’y tenaient, et la ville abritait leurs marches nationales à l’occasion desquelles des biens publics et privés ont pu être détruits. Tout cela n’a aucune prise sur l’amélioration des conditions de vie des populations. Bien au contraire ! «Le maire n’a encore rien fait» est le maître-mot des habitants de Ziguinchor. Seulement, l’exaspération les gagne et même plus, certaines décisions soulèvent de la colère.
Les concerts de casseroles des étudiants et des commerçants pour huer le maire
Ces deux catégories de la population se sont le plus fait entendre dans une opposition bruyante contre certaines décisions de la nouvelle équipe municipale. Le maire a fait passer du simple au double, les taxes municipales relatives aux activités commerciales, notamment les taxes pour «occupation du domaine public». Le courroux des commerçants est d’autant plus vif que le maire a rompu avec la pratique établie par l’équipe de l’ancien maire Abdoulaye Baldé, d’une programmation calendaire des foires. Désormais, les foires peuvent être organisées à tout moment et en tout temps, pourvu simplement de s’acquitter des taxes instituées. Or, la fréquence des foires concurrence les commerces traditionnels établis dans la ville. Il faut relever que l’un des premiers actes publics posés par le maire, a été d’annuler une foire, le 11 mars 2022, parce que la promotrice Mme Ramatoulaye Sow aurait manqué de préciser dans les documents présentés à la mairie que la foire avait une vocation commerciale, alors que les services du maire lui avaient déjà délivré une autorisation en bonne et due forme et que les taxes exigées étaient acquittées. Mme Ramatoulaye Sow avait brandi ses différents documents devant les médias pour s’offusquer du tâtonnement. Le maire a dû renoncer à son idée d’instaurer une taxe exceptionnelle pour les débits de boissons, car ses proches lui ont fait comprendre que toucher à cette activité dans la ville pourrait susciter un mécontentement.
Des étudiants de Ziguinchor, inscrits notamment dans des universités à Dakar, avaient eux aussi exprimé leur mécontentement par un bruyant concert de casseroles, lequel s’était terminé par des échauffourées qui avaient contraint le maire à aller trouver refuge à la gendarmerie pour se sauver de leur furie. Le maire avait vite accusé ses adversaires politiques d’instrumentaliser les commerçants et les étudiants. Ces derniers protestaient, le 4 janvier 2023, contre la décision de leur maire d’annuler le contrat de location d’un immeuble qui les abritait à Dakar depuis plusieurs années. Le leader de ce mouvement de colère, Mamadou Badji, se verra agressé nuitamment par des hommes en scooter, lui occasionnant de nombreuses blessures.
Les relations entre le maire et les jeunes de la ville commencent à être heurtées. Les jeunes n’avaient pas accepté de participer à des travaux de curage des canaux de la ville et en guise de représailles, le maire refusa de libérer les subventions aux Associations sportives et culturelles (Asc) de la ville, alors que ce soutien au mouvement associatif est régulièrement prévu dans le budget municipal. La traditionnelle compétition de football baptisée Coupe du maire a aussi été supprimée. Le maire, dans une démarche nihiliste, a arrêté les activités du Programme d’appui aux communes et agglomérations (Pacasen), mises en œuvre par l’Etat dans la commune, et qui prévoyaient l’érection d’un complexe sportif, culturel et socio-économique baptisé Zig Center, sur le terrain du foirail des grands ruminants.
Il reste que les activités de curage des canaux n’avaient pas été réalisées l’année dernière et si cette situation perdure, des quartiers comme Belfort, Goumel, Santhiaba, seront exposés à des inondations récurrentes aux prochaines pluies.
Les jeunes dits «jakartamen», qui exploitent l’activité de mototaxis, sont aussi remontés contre les mesures d’augmentation de la patente et de la taxe municipale. Durant la campagne électorale pour les Locales, le candidat Ousmane Sonko leur avait promis la gratuité de leurs activités. Le licenciement d’une cinquantaine de jeunes travailleurs du Fonds d’entretien routier autonome (Fera) est une autre décision du maire qui fâche des populations. D’autres personnels de la mairie ont été licenciés. Ils appartiendraient au camp de Abdoulaye Baldé. Cela fait dire aux détracteurs du maire qu’il «nous avait promis le Burok (travail en langue Joola), mais nous découvrons le Buyok (la fatigue, le désespoir)». Au demeurant, le maire a institué un service civique communal où de nombreux jeunes engagés s’investissent pour la collectivité. Le maire avait baptisé son programme municipal «Burok», pour l’inscrire sous le sceau du travail et des réalisations. Les premiers camions de ramassage d’ordures qu’il avait réceptionnés dans le cadre d’un don fait par la commune catalane Vic (Espagne) à la ville de Ziguinchor, alors dirigée par le maire Baldé, ont été repeints aux couleurs de ce slogan.
Le 12 mai 2022, le maire a suspendu les lotissements des quartiers de Djibock, Kandialang et Kénia, au motif d’irrégularités qui seraient relevées. Des bénéficiaires avaient été convoqués à la mairie pour s’expliquer sur les circonstances dans lesquelles les terrains leur avaient été attribués. Ils attendent toujours le dénouement de cette affaire pour laquelle le maire avait menacé de déposer une plainte. Les populations espèrent voir se concrétiser la promesse électorale de l’électrification de certains quartiers périphériques. Le maire n’arrive pas encore à mettre en œuvre sa promesse de construire dans certains quartiers, des classes préscolaires communautaires et de recruter du personnel. Dans l’optique, dit-il, de rationaliser les dépenses, certains avantages sociaux pour les personnels municipaux, comme le paiement d’heures supplémentaires et les primes des agents de la mairie affectés dans les dispensaires, ne sont plus payés. Ces employés rouspètent. De même, le soutien au personnel pendant la Fête du travail du 1er Mai avait été supprimé en 2022.
Une gestion solitaire et inexperte de la mairie
Ils sont nombreux, les conseillers municipaux qui affirment n’avoir pas de contacts avec le maire, qui travaille en solitaire. Les réunions du Bureau municipal ne sont pas tenues et des adjoints au maire soutiennent que le maire ne les reconnaitrait même pas, faute d’occasions de les rencontrer. Les dotations de carburant allouées aux adjoints sont supprimées alors que le maire, à en croire certains conseillers municipaux, continue lui de percevoir régulièrement son salaire de 900 mille francs. Les adjoints touchent une indemnité mensuelle de 90 mille francs. Le 11 mai 2022, lors de la semaine citoyenne, Ousmane Sonko avait annoncé renoncer à son salaire de maire et à certains autres avantages comme la dotation mensuelle de carburant. L’information semble alors n’être pas bien passée quelque part.
De toute façon, la Cour suprême semble confirmer la situation d’une gestion non inclusive et conforme aux bonnes règles. Par des décisions en date du 7 décembre 2022, la haute juridiction a retoqué de nombreuses délibérations de la mairie de Ziguinchor, au motif d’irrégularités ou d’absence de convocation du Conseil municipal. La Cour n’avait pas besoin d’examiner l’affaire dans le fond. C’est ainsi que les décisions du 17 février 2022, de création d’une mutuelle de crédit, d’une coopérative d’habitat et de procéder au changement de nom de quatre rues, ou encore l’instauration d’un nouvel organigramme dans la mairie, ont été, suite à des recours du Préfet de Ziguinchor, invalidées par les juges administratifs. Le représentant de l’Etat avait demandé en vain une seconde lecture de la part du Conseil municipal, mais le bureau ne l’a pas suivi, l’obligeant ainsi à déférer les décisions pour annulation devant la Cour suprême. Reste à savoir : après ce revers survenu depuis le 7 décembre 2022, Ousmane Sonko se résignera-t-il à ravaler sa fierté et réunir le conseil municipal dans les règles, ou boudera-t-il la mise en œuvre de ses projets ainsi recalés ? La conduite du volet de la coopération décentralisée fait grincer les dents de certains conseillers municipaux. Par exemple, la mairie de Ziguinchor était pendant plusieurs années, membre de l’Association internationale des maires francophones (Aimf) et en était un vice-président, poste perdu désormais car Ousmane Sonko, qui était encore abreuvé aux idées de «France dégage», avait refusé la participation à l’Assemblée générale de renouvellement tenue à Abidjan. Il a en effet décidé de ne plus répondre aux invitations de l’Aimf. Par ailleurs, les autorisations de construire sont en souffrance dans le Cabinet du maire, faute d’avoir des ressources humaines compétentes pour traiter les dossiers. En attendant, les populations voulant construire se retrouvent bloquées.
Risque de blocage du Conseil municipal de Ziguinchor
La collaboration entre le maire de Ziguinchor et les services de l’Etat s’avère difficile, même si le ramassage des ordures ménagères est effectué normalement par une structure sous l’égide du ministère de l’Urbanisme, de l’habitat et de l’hygiène publique. L’Etat du Sénégal, estimant que les mairies des villes ne trouveraient pas les ressources suffisantes pour réaliser cette mission, se substitue aux collectivités locales. Toutefois, le refus absurde du maire de Ziguinchor de continuer de respecter la convention signée par son prédécesseur avec la commune d’Enampor pour se servir d’un site au village de Mamatoro comme décharge finale, ne manquera pas à terme de provoquer des difficultés pour le ramassage des ordures.
Mais la grosse pomme de discorde entre l’État du Sénégal et la Mairie de Ziguinchor risque de venir de la question de l’adoption du budget de l’exercice 2023. Le conseil municipal a voulu porter à 5 milliards de francs Cfa le budget qui était de l’ordre de 2 milliards de francs, soit une hausse de quelque 150%. Le préfet a refusé d’approuver le nouveau budget qu’il ne juge pas sincère. En effet, le maire compte sur des levées de fonds par des opérations de souscriptions populaires volontaires, qui semblent assez aléatoires. L’équipe municipale ne s’inscrit pas dans une logique de revoir sa copie et une fois la date du 31 mars 2023 passée, le Préfet aura la latitude de prendre une décision pour imposer un budget à la Mairie. Il n’est pas sûr que l’une ou l’autre partie acceptera de lâcher du lest, ce qui pourrait conduire à une impasse.
Par Félix NZALE
UN PEU DE RETENUE, LES GARS !
C’est dire que pendant que le Président Sall pédale dans la semoule, certains de ses camarades à l’esprit biscornu se font plaisir en jetant de l’huile sur le feu.
Dans une de ses récentes sorties, le Directeur général de la Radio Télédiffusion Sénégalaise (Rts), Racine Talla, a déclaré que si jamais il arrivait au Président Macky Sall de vouloir renoncer à briguer un troisième mandat, ils (les membres de l’Apr et de Benno) n’auraient d’autre choix que de lui tordre le bras afin de l’y contraindre.
Souleymane Ndiaye, Directeur général de la Société d’Aménagement de la Petite Côte (Sapco), d’être plus délirant. Pour lui, le Président Sall doit absolument se représenter. Et si le pays doit brûler, eh bien qu’il brûle, a-t-il asséné.
MM Talla et Ndiaye mettent tous deux en avant le fait que, selon eux, la candidature du Président Sall est une «exigence sociale» à laquelle ce dernier ne saurait se soustraire. De ce point de vue, d’ailleurs, on aimerait bien savoir quelles études et quels sondages attestent de cette «exigence sociale» qui, nous l’espérons, ne se fonde pas uniquement sur des illusions d’optique.
Les points de vue de Talla et Ndiaye sont partagés par l’essentiel des membres du camp présidentiel où la question du troisième mandat (et plus) du patron de l’Apr est un absolu et une idée fixe. Pas de plan A, ni de plan B, encore moins de plan C, ont ils dit. Il faudra juste rappeler ici à nos «amis» de Benno que rien n’est plus dangereux qu’une idée quand on a qu’une… idée.
C’est dire que pendant que le Président Sall pédale dans la semoule, certains de ses camarades à l’esprit biscornu se font plaisir en jetant de l’huile sur le feu. Les propos de Souleymane Ndiaye sont tout simplement inadmissibles parce que tout à fait irresponsables. Ils témoignent d’un manque de respect à l’égard de nos institutions, puisque c’est le Conseil Constitutionnel qui, in fine, est a priori désavoué.
Mais le Dg de la Sapco a clairement conscience, en tenant ce discours calembredaine, que rien ne pourrait lui arriver du fait qu’il se situe du «bon côté». Parce que dans ce pays, l’indignation est sélective et les interpellations arbitraires et ciblées. Jusqu’à quand ?
Par Henriette Niang KANDE
DEMOCRATIE TROUBLEE
Faut-il donc qu’il y ait une malédiction de la fonction présidentielle pour qu’en quelques mandats, après avoir cru échapper au Charybde de Maitre Abdoulaye Wade, et Diouf avant lui, on soit contraint de craindre le Scylla de Macky Sall ?
Alors que nous étions censés avoir réglé la question constitutionnelle depuis notamment les réformes des années 90, nous revenons fréquemment sur nos textes. Avant l’alternance intervenue en mars 2000, nous avions connu la vulgate du « régime parlementaire », combat que l’opposition de l’époque menait alors de toutes ses forces.
La Constitution de 2001, outre qu’elle n’a pas d’un point de vue formel et scientifique, opéré une quelconque rupture par rapport à sa devancière, vient à l’épreuve de sa pratique, nous rappeler cruellement que nous n’avons pas tellement avancé sur ce point.
S’il est vrai que la consolidation démocratique a été évoquée en 2016, parce qu’elle devait constituer un préalable à l’assainissement des mœurs politiques, économiques, il va de soi que la prépondérance du chef de l’Etat qui prend des décisions impériales au nom du peuple, enracinée dans notre pays dès après les évènements de décembre 1962, et qui s’est dangereusement accrue, a quelque chose d’ubuesque, de caricatural même, et ne s’inscrit nullement dans la modernité politique.
Aujourd’hui, observateurs et analystes s’accordent à dire que dans l’approfondissement de la démocratie, l’essentiel n’est pas uniquement dans le texte. Il est aussi un esprit. La démocratie est une affaire d’hommes et de femmes, sans doute plus que d’arrangements institutionnels ou de réformes constitutionnelles. Il importe que les hommes politiques aient une certaine culture de la démocratie, qui, à l’échelle des individus, se traduit par l’exemplarité des comportements, l’ouverture à l’autre, le sens de l’écoute et des nuances, toutes choses qui manquent certainement aujourd’hui dans notre pays, et dont le déficit pourrait, demain, même si l’on changeait encore de Constitution, nous jouer à nouveau de vilains tours. Avouons-le : c’est bien la qualité des ressources humaines qui est en cause, une certaine manière de faire de la politique dans notre pays. La démocratie est une éthique, elle n’admet ni les coups bas ni les hommes petits. « Quelques-uns naissent dans la grandeur, d’autres conquièrent la grandeur et elle se donne librement à certains autres », écrivait Shakespeare qui aurait dû ajouter : « certains n’y parviendront jamais ».
Et Ismaïla Madior Fall, ci-devant ministre de la Justice, principal rédacteur de la réforme constitutionnelle de 2016, à force de la retourner dans tous les sens, en a affaibli la légitimité. Lui, qui s’est essayé à la politique en se présentant aux élections locales puis législatives s’est vu habillé d’une selle de cheval taillée pour un veau. Paralysé par la défaite, il a fini par faire considérer à quelques-uns, que notre Constitution est réduite à une simple matérialité : de l’encre sèche sur du papier glacé, ou pire encore, une illusion textuelle. Quand ceux qui enseignent dans les universités sont les mêmes qui participent, par leur tortuosité active, leurs accointances ou leur silence complice, aux mille indigences qui déshumanisent, il est impossible d’espérer que les générations futures soient des citoyens conscients de leurs devoirs et de leurs droits. A cela, il faut ajouter la pauvreté des débats actuels. D’ailleurs, avons-nous souvenir d’une aussi grave défaillance du débat démocratique aux cours des crises traversées ? Face aux attaques ad hominem qui agitent quelques garants de la bonne ou de la mauvaise conscience, il semble urgent de faire un point sur la vie intellectuelle aujourd’hui. L’absence de règles de retenue mutuelle représente un facteur de risques.
La crispation sur les questions d’actualité brûlante atteste, contrairement à ce qu’on dit souvent, que notre démocratie reste à parfaite. Les plus pessimistes disent même qu’elle est en voie de déclassement. Les cahots qui secouent le pays présentement, oscillent entre une pluralité débridée de plus de 300 partis politiques reconnus, les tentations de coalitions, la mise du pouvoir judiciaire sous la coupe de l’exécutif, le rôle ambigu des médias, mais surtout celui des réseaux sociaux, ( les uns donnent des news, les autres donnent des views), tenant lieu de nouveaux comptoirs de café, où l’on refait le Sénégal, et qui ne sont, en fin de compte pas si indépendants, par rapport aux « factions » politiques qui s’affrontent.
C’est ainsi qu’il est difficile de décrypter, tant le brouillage des pistes est flagrant, chacun y allant de ses invités ou de ses commentaires, le plus souvent navrants, avec parfois des saltimbanques de service qui font l’opinion, la pensée commune à laquelle chaque citoyen est prié de se conformer.
La mayonnaise a fini par prendre en constituant deux camps, assez inégaux mais pareillement odieux dans leur manière de penser l’autre. Dans ce délire collectif, la violence s’est insinuée partout, dans toutes les strates de la société et des affaires sordides éclatent chaque jour, à nous étalées, en long et en large, avec parfois des situations inimaginables, quand on pense à ce qu’était la vie plus réservée d’avant. Entre un Macky Sall qui sait où il va, mais refuse jusqu’ici de le faire savoir, lui, le candidat de la rupture en 2012, que quelques esprits soupçonnent de vouloir être dans la continuité, et un grand corps malade mais exalté dans un salon de massage, en soustrayant la richesse du sentiment (?), sujet d’une histoire haute en couleurs qui se raconte en noir et blanc, la tension qui couvait, a engendré une qualité de haine parfaite, qui était sûrement latente. On a l’habitude de dire que la politique est un jeu d’échecs. Il peut également être un jeu de dames.
AU-DELA DE L’ALTERNANCE
De cette crise que nous vivons, des ingrédients sont distillés, d’abord pensés pour fracturer la société, insuffler la peur, la méfiance et la suspicion, quelques esprits évoquent, « une transition armée ». Si le cas se présente, il est clair qu’il s’agira d’une reculade, d’une régression majeure que l’on ne peut même pas imaginer, même dans ces instants troubles que traverse le pays. L’irruption de l’armée sur la scène politique résonnerait comme une éruption volcanique. Même si elle devait durer le temps d’une rose, une mainmise de l’armée sur l’Etat aurait des effets catastrophiques : comme un hymen perdu et l’exception sénégalaise rangée dans un musée. Une telle expérience s’accompagne toujours de l’abrogation, à tout le moins la suspension de la Constitution, emporte le chef de l’Etat, les institutions et la légalité se fait la malle en prenant le large. Si cette armée, qui a su résister au fruit défendu en 1962 dans le choc Senghor/Dia, puis en 1968 et dans d’autres circonstances, succombe au pouvoir, elle ferait pareil qu’ailleurs : travailler à être crainte par les populations et surveiller ses propres rangs au sein desquels quelques autres auraient compris que le pouvoir est au bout du fusil.
Dans cette crise qui fait que le Sénégal semble être dans une zone d’indétermination définie par une absence de marqueurs délimitant un espace où normes, droits, responsabilités, sanctions et récompenses perdent toute signification et à une année de l’élection présidentielle qui à elle seule pourrait constituer un quinquennat, les candidatures se font jour. Déjà, parmi les postulants et d’après leurs prises de parole respectives, certains, se réunissant avec eux-mêmes, croient dès à présent aboutir à une unanimité, dispersant la nuit et accompagnant la course du soleil, arrogants et fiers comme Artaban. Même Dieu est plus modeste. Un autre, amène à se poser des questions. Habitant dans une cité résidentielle, il refusa de payer sa quote-part du gardiennage, sous prétexte qu’il n’était qu’un locataire. Ce sont les détails qui font les grandes choses. D’autres, encore frileux, attendent « d’être poussés », confirmant leur nature : le jour où ils se mouillent, c’est soit il pleut, soit le matin sous leur douche. Il faudrait aussi craindre la candidature de quelques « hardis », gardant l’habit dans le meilleur des cas, décoloré, ou dans le pire des cas, à l’envers. Talleyrand soutenait, lui qui était un spécialiste, que la trahison n’était qu’une affaire de dates. On pourrait soutenir que la politique en général ne relève que de la chronologie et du bon choix des séquences. De pompeux cornichons dont la déclaration de candidature aura l’effet d’un clapotis dans un verre d’eau, prétendront vouloir nous diriger, ignorant leur capacité à créer un souffle national, et d’autres profitant de l’occasion, lanceront leur propre marque sur le « marché », pour faire croire que rien que leur nom correspond à la substance, la façade à l’intérieur et le panache externe à l’éclat interne.
Il n’y aura pas que des « cas », me retorquerez-vous avec juste raison. Mais à cela, je cite l’ancien président Gbagbo : « Miss Côte d’Ivoire n’est pas la plus belle fille de Côte d’Ivoire, c’est la plus belle de celles qui se sont présentées ». Nous, on ne demande des candidats qui sauront panser et penser notre pays. Pas de séducteur (trice) narcissique, ni protecteur (trice) sur-agité (é), ni maman-berceuse. Un homme (ou femme) politique en somme.
Si les Sénégalais ont démontré leur capacité à provoquer le changement politique, jouant sur les ressources à leur disposition qu’ils ont accumulées dans les combats des régimes de Diouf, de Wade et qu’ils redéploient face à Macky Sall, peuvent-ils aller plus loin que faire tomber le régime et s’offrir une alternance tous les 7/ 5 ans ? Si alterner l’alternance de l’alternance devient la seule finalité peut-on s’attendre à autre chose que la déception ? Faut-il donc qu’il y ait une malédiction de la fonction présidentielle pour qu’en quelques mandats, après avoir cru échapper au Charybde de Maitre Abdoulaye Wade, et Diouf avant lui, on soit contraint de craindre le Scylla de Macky Sall ?
par Boubacar Boris Diop
LE SÉNÉGAL ENTRE CHEIKH ANTA DIOP ET SENGHOR
Que deux personnalités d´une telle envergure et si radicalement différentes aient émergé au sein d´une même nation, en dit beaucoup sur l'ambiguïté de celle-ci. C´est également un problème et il faut oser l´affronter
L´année à venir ne sera pas, pour le Sénégal, tout à fait pareille aux autres. Le pays va en effet célébrer en février 2006 le vingtième anniversaire de la mort de Cheikh Anta Diop et en octobre le centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor. Tout le pays s´y prépare déjà. Ce sera l´occasion pour chacun de se rendre compte à quel point la rivalité entre ces deux grandes figures reste vivace, même après leur disparition. Personne ne redoute certes une guerre civile mais il y a déjà pourtant comme de l´électricité dans l´air. De fait, l´enjeu est de taille : une nation tout entière va faire le point sur son aventure intellectuelle au vingtième siècle, symbolisée de façon significative par l´homme de science et le poète.
Il faut souligner par ailleurs que leurs divergences philosophiques se sont doublées d´une adversité politique aussi forte qu´active. Premier président du Sénégal, Senghor a toujours eu en face de lui un irréductible opposant en la personne de Cheikh Anta Diop. Les débats, voire les polémiques à venir, seront surtout intéressants par ce qu´ils vont révéler aux Sénégalais sur eux-mêmes.
Le destin semble avoir pris, dès l´origine, un malin plaisir à opposer les deux hommes. Si l´un est catholique et séeréer, le second est mouride et wolof. Force est pourtant de reconnaître que ces différences-là n´ont jamais été sérieusement prises en compte, ni par les intéressés ni par leurs partisans. On le sait : les Sénégalais aiment faire d´eux-mêmes un autoportrait plutôt flatteur. Cela agace à juste titre beaucoup de monde. Il est toutefois difficile de mettre en doute leur esprit de tolérance. Ce pays musulman à 95% a été dirigé pendant deux décennies – sous Senghor justement – par un catholique. Ses deux successeurs sont certes musulmans mais ils ont occupé le palais présidentiel avec leurs épouses catholiques et cela n´a jamais gêné personne.
L´absence de focalisation ethnique ou confessionnelle dans le long duel entre Diop et Senghor n´en étonne pas moins, car ils ont été, à certaines étapes de leurs parcours, de véritables ennemis. L´auteur de ´Nations nègres et culture´ a connu les rigueurs d´un mois de détention préventive à la prison de Diourbel durant l´hivernage 1962 et le ´système Senghor´ a essayé de contrer autant que possible, parfois par des manœuvres mesquines, la diffusion de sa pensée.
Il est vrai que celle-ci était l´exact opposé de la vision senghorienne du monde. Leurs divergences intellectuelles étaient aussi tout simplement liées à leurs cursus.
Même s´il a suivi à la Sorbonne une filière de sciences humaines, Cheikh Anta Diop est surtout un scientifique formé à Henri IV, puis plus tard auprès de Frédéric-Joliot Curie, en physique et en chimie nucléaires. Il reste d´ailleurs dans l´imagerie populaire africaine la figure même du savant, austère, désintéressé et sage. Quand il se demande dans un texte de 1975 ´Comment enraciner la science en Afrique noire´, Senghor s´était déjà rendu célèbre par une de ses formules les plus connues et les plus controversées : ´L´émotion est nègre comme la raison hellène´. Ancien de Louis-Le-Grand, agrégé de grammaire en 1935, Senghor se veut un humaniste plutôt hybride, du genre négro-latin. Prisonnier de guerre pendant deux ans, il stupéfie le gardien de son stalag qui le surprend en train de lire dans le texte les auteurs grecs et latins. La légende veut d´ailleurs que le soldat allemand se soit pris d´amitié pour Senghor à partir de ce moment et l´ait pris sous sa protection.
Les deux intellectuels sont également séparés par le fossé psychologique que l´on peut aisément pressentir entre l´homme de pouvoir et l´opposant. Senghor a conduit le Sénégal à l´indépendance en avril 1960 et en a été le premier chef d´État jusqu´en décembre 1981, date de son retrait volontaire du pouvoir. Il avait été auparavant, pendant plusieurs décennies, une des plus importantes personnalités politiques sénégalaises. Fondateur du Bloc Démocratique sénégalais dans les années cinquante, député au Palais-Bourbon et secrétaire d´État dans un gouvernement français dirigé par Edgar Faure, il avait su mener de pair, avec constance, son combat politique et de rudes batailles philosophiques.
Cheikh Anta Diop a, quant à lui, créé plusieurs partis politiques et le plus important d´entre eux a sans doute été, le 3 février 1976, le Rassemblement national démocratique. Il aurait été intéressant d´examiner en profondeur chacune de ces lignes de fracture. On s´en tiendra au seul aspect intellectuel. Au demeurant, ce n´est là qu´un artifice : les champs de conflits ne sont pas rigoureusement fermés les uns aux autres. Les lignes de clivage peuvent se frôler et s´estomper avant d´émerger inopinément de nouveau ailleurs, à la faveur de tel ou tel événement majeur.
Que reste-t-il aujourd´hui des héritages respectifs de Diop et Senghor dans la mémoire collective sénégalaise ? Lorsque Senghor se retire avec sagesse et panache du pouvoir en 1981, il n´est pas certain que ses administrés aient envie de le retenir. Son geste leur inspire respect et admiration mais sans doute se sentent-ils secrètement soulagés.
L´homme avait un côté père de la Nation, ni violent ni arrogant mais peut-être quelque peu abusif. Il avait été pendant si longtemps présent au-devant de la scène politique que son départ pouvait être vécu comme le début d´une nouvelle ère. Son successeur ne s´y trompe d´ailleurs pas qui déclare aussitôt : ´Plus rien ne sera comme avant.' La société sénégalaise espérait-elle un de ces mystérieux déblocages dont rêvent tous les peuples après un règne politique trop long et pour cela même quelque peu suffocant ? L´aggravation de la crise économique elle-même justifiait, après plusieurs années de sécheresse, des attentes nouvelles. Comment pouvait-il en être autrement ? Il suffit d´observer ceci, qui est hautement symbolique : lorsque Senghor passe le témoin à Abdou Diouf, les Sénégalais nés avec l´indépendance viennent d´avoir exactement vingt et un ans, l´âge même de la majorité légale. Comme par hasard…
Aujourd´hui, avec le recul, on peut dire de Senghor qu´il a essayé de faire de son mieux dans des conditions politiques extrêmement difficiles. Ses funérailles et l´extraordinaire émotion qu´elles ont suscité ont bien montré la gratitude du Sénégal à son égard. Il n´est pas rare d´entendre dire qu´il a gouverné le Sénégal avec un certain esprit de justice et forgé un État moderne et bien organisé. Cela est d´autant plus remarquable qu´il lui a fallu faire face à des adversaires de grande envergure intellectuelle. Sans parler d’Abdoulaye Ly, Cheikh Anta Diop ou Mamadou Dia, il a dû ferrailler avec nombre d´autres théoriciens résolus et énergiques. Il faut rappeler que le Sénégal – où a été créé l´un des tout premiers partis communistes d´Afrique au sud du Sahara – a une forte tradition de controverses intellectuelles parfois byzantines. Pendant toute l´ère senghorienne et même après, les variantes les plus obscures et les plus énigmatiques du marxisme-léninisme y ont prospéré dans une clandestinité toute relative. Il a fallu à Senghor beaucoup de courage pour oser naviguer à contre-courant. L´histoire de la répression politique pendant ces années-là reste cependant à écrire. Les militants du Parti africain de l´Indépendance (PAI, marxiste-léniniste) ont été en maintes circonstances sauvagement torturés par la police et, on l´a vu, Cheikh Anta Diop lui-même a été détenu à la prison de Diourbel.
On a parfois l´impression que les Sénégalais, si fiers de la douceur poétique de leur premier président et de l´image d´oasis démocratique de leur pays, préfèrent ne pas trop s´attarder sur cette période de leur histoire. Par exemple, personne n´a vraiment jamais cru à la thèse du suicide du jeune opposant maoïste Omar Blondin Diop en prison. Mais qui a envie de savoir ce qui s´est réellement passé au cours de cette terrible nuit sur l´île de Gorée ? Il en est de cette affaire comme de quelques autres que l´on préfère ne pas mettre au passif du bilan de Senghor. Des hommes politiques d´aujourd´hui, dont certains ont beaucoup souffert du système à l´époque, préfèrent apparemment ne plus se souvenir de leurs épreuves. C´est peut-être parce qu´il leur arrive de faire des comparaisons somme toute flatteuses pour le Sénégal : selon eux, ailleurs en Afrique et dans le Tiers-monde, des dirigeants comme Mobutu et Pinochet se comportaient bien plus mal.
On a ainsi entendu un ancien farouche adversaire de Senghor déclarer avec un fort accent de sincérité que, au regard de l´histoire, le président-poète s´était montré bien plus clairvoyant sur les grandes questions de notre temps que ses adversaires d´extrême gauche, pour ne nommer que ceux-là. C´était – le détail mérite d´être noté – peu de temps avant la mort de l´ancien président du Sénégal. On peut présumer que tous ces hommes politiques très expérimentés savent d´instinct à quel point le pouvoir, surtout dans un pays pauvre et dominé, expose à la tentation de la répression aveugle. On ne peut décemment reprocher à Senghor d´y avoir succombé.
Il est toutefois indéniable qu´il a mis sa haute position politique au service de sa carrière d´écrivain. Pendant tout le temps où il a dirigé le Sénégal, les cadres de son parti et les autorités administratives des localités les plus reculées du pays croyaient devoir disserter longuement - et à vrai dire de manière bien confuse - sur le parallélisme asymétrique ou sur l´itinéraire spirituel du Père Pierre Teilhard de Chardin. Avec le recul, une telle attitude paraît à fois comique et hallucinante. Cette façon abusive de chercher à imposer la négritude comme une idéologie nationale a au demeurant tourné court. Dès que Senghor s´est retiré de la vie publique, plus personne au Sénégal n´a évoqué le socialisme africain ou seulement utilisé le mot négritude.
On peut penser que l´homme en a conçu à la fin de sa vie quelque amertume, dans la mesure où il n´a jamais rien négligé pour laisser à la postérité une image de grand penseur. La série d´essais intitulée ´Liberté´, où sont exprimées ses vues essentielles sur la culture et la politique, témoigne de cette ambition. Ces textes ne sont certes pas négligeables mais ils retiennent l´attention davantage par la qualité du style que par la profondeur et la rigueur de la pensée. Ils révèlent une vaste culture et un attachement sincère de Senghor à son terroir mais il y a en eux quelque chose de confus et de creux. Ils ont été presque complètement oubliés.
De toute façon, Senghor n´avait guère besoin de cela pour mériter la reconnaissance internationale qui est aujourd´hui la sienne. De ´Chants d´ombre´ en 1945 à ´Nocturnes´ en 1961, il n´est pas facile de surpasser sa production poétique. Et comme il l´a souvent rappelé, rien n´a jamais eu pour lui autant d´importance que la poésie.
C´est du reste autour de cet art majeur que sa rencontre à Paris avec le grand écrivain martiniquais Aimé Césaire prend tout son sens. Il en est né un mouvement d´idées, qui a donné lieu à une formidable effervescence intellectuelle sur tout le continent africain et parmi sa diaspora. Dans ces rudes batailles, Senghor a eu plus que sa part de coups. Stanislas Adotevi, Pathé Diagne, Mongo Beti et quelques autres lui ont en effet mené la vie dure, mettant tous en exergue sa trop grande proximité avec la France. Et ce n´était tout de même pas sans raison que le chantre de la culture négroafricaine était aussi suspecté d´être le plus dévoué – pour ne pas dire le plus servile - collaborateur de l´ancienne puissance coloniale.
On sait le rôle important que joue la francophonie au service des desseins hégémoniques de la France en Afrique et dans le reste du monde. Senghor ne s´est pas contenté d´être un de ses pères-fondateurs – avec Habib Bourguiba de Tunisie et Hamani Diori du Niger. Il en a été le défenseur acharné au point de laisser sans doute parfois un peu perplexes les Français eux-mêmes par ses débordements amoureux à leur égard. Il en a tant fait que très tôt des doutes sérieux se sont élevés sur sa véritable nationalité.
Tous les anciens militants du Rassemblement national démocratique (RND) se souviennent sans doute de la question régulièrement posée à chaque livraison de Taxaw, le journal du parti dirigé par Cheikh Anta Diop : « Est-il vrai que le président de la République du Sénégal a la nationalité francaise ? » En outre, dans toutes ses déclarations publiques, Cheikh Anta Diop dénonçait une indépendance purement nominale d´un pays où l´assistance technique française, constituée en ´gouvernement parallèle´ détenait sous de dérisoires grimaces de souveraineté, la réalité du pouvoir. Une universitaire française a récemment résumé le cas du poète de Joal – au cours d´une discussion amicale - par cette formule lapidaire et cruelle : « Senghor, c´était le colonisé introuvable. » S´il a été inhumé à Dakar, au cimetière catholique de Bel-Air à Dakar, c´est à Verson qu´il a passé les vingt dernières années de sa vie. C´est dans cette même petite ville normande que se trouve, contre tout bon sens, le ´fonds Senghor´.
Quand il y est mort le jeudi 20 décembre 2001, une polémique très révélatrice a éclaté dans les médias. L´absence totale d´intérêt des autorités françaises pour l´événement a choqué de très nombreuses personnes au Sénégal et à l´étranger. L´écrivain Erik Orsenna a ainsi signé dans le quotidien français Le Monde un article intitulé : « J´ai honte ! » On ne s´arrêtera pas sur l´hypocrisie de ce texte et de quelques autres de même inspiration. Il importe surtout de noter à quel point cette controverse est un aveu : au moment même où les Sénégalais pleuraient Senghor, il semblait évident pour tout le monde qu´il devait l´être autant dans toutes les chaumières de France et de Navarre. Se plaindre d´une telle ingratitude à son égard revenait à reconnaître avec une certaine candeur que Senghor avait toujours été au service de ce pays étranger. Avait-il servi ce pays davantage que son Sénégal natal ? Là est toute la question. Qu´il soit si malaisé d´y répondre suffit à montrer l´extrême complexité du personnage. Il faut, en tout cas, se garder de le simplifier. Le peuple sénégalais a probablement toujours vu en lui un homme d´une double fidélité. Il a préféré ne pas faire trop attention à sa troublante part d´ombre.
On a parfois envie de penser à une réconciliation dans l´au-delà entre Cheikh Anta Diop et Senghor. Cette idée est agitée de temps à autre par les héritiers partisans d´un cessez-le-feu posthume. Elle est non seulement noble et séduisante mais elle n´est pas absurde a priori. D´une certaine façon, les deux hommes de culture étaient au service du monde négro-africain, en utilisant chacun ses armes propres. Et de fait, les Sénégalais ont très souvent une égale admiration pour eux.
Mais s´en tenir à cela c´est perdre de vue d´autres aspects, tout aussi importants, du problème. Que deux personnalités d´une telle envergure et si radicalement différentes aient émergé au sein d´une même nation, en dit beaucoup sur l´ambiguïté de celle-ci. C´est également un problème et il faut oser l´affronter.
Chercher coûte que coûte à concilier les points de vue de Diop et Senghor équivaut à un refus d´assumer les contradictions, les paradoxes voire l´essentielle perversité de la société sénégalaise. Il ne s´agit certes pas de jouer l´un contre l´autre mais surtout de respecter la vie et la vision de chacun d´eux. Cheikh Anta Diop, homme d´un seul combat - mené sur plusieurs fronts - est né le 29 décembre 1923 à Céytu - environ 150 kilomètres à l’Est de Dakar. A l´inverse de Senghor, personne n´a jamais pu déceler chez lui la moindre ambiguïté intellectuelle ou politique. Cela ne signifie nullement que l´homme était dogmatique. Il était au contraire très nuancé et prudent en dépit de la force contagieuse de ses convictions. Il est impossible de nos jours de parler du panafricanisme ou de l´origine négro-africaine de la civilisation égyptienne sans rattacher l’analyse à Cheikh Anta Diop. Il en est de même des langues qui sont dans sa pensée politique un facteur stratégique de la libération des peuples africains et de leur unité culturelle.
Diop est venu très tôt à Dakar, dès l´âge de treize ans. Il y a vécu auprès de sa mère dans le quartier populaire de la Médina et fréquenté le lycée Van Vollenhoven - aujourd´hui Lamine Guèye – qui était à l´époque et jusqu´à une date récente l´établissement secondaire le plus prestigieux de l´Afrique noire sous occupation française. Il est à signaler que Cheikh Anta Diop en sort en 1945 titulaire des deux baccalauréats, scientifique en juin et littéraire en octobre. Le fait est exceptionnel mais peu surprenant : aux yeux de tous ceux qui l´ont approché au cours de ces années, le jeune Cheikh Anta Diop était un surdoué. Dès la classe de troisième, l´adolescent invente un alphabet destiné à une transcription unifiée de toutes les langues africaines. L´ affaire n´a pas de suite mais montre l´enracinement précoce des idées de Cheikh Anta Diop ainsi que son attrait pour la recherche scientifique.
Il se rend en France grâce à une bourse de la municipalité de Dakar et se fait remarquer dans les milieux africains de Paris tant par son parcours universitaire exemplaire que par son activisme politique dans les mouvements anticolonialistes. Le 9 janvier 1960 reste une date majeure dans sa vie intellectuelle. C´est le jour de sa soutenance de thèse de doctorat d´État sur le sujet suivant : « Étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l´Europe et de l´Afrique, de l´Antiquité à la formation des États modernes ». Il convient de signaler que Diop avait dû renoncer à son sujet initial de recherche. Les opinions qui y étaient développées attaquaient de front celles en vigueur dans le monde académique dominant. Le jury n´avait pu être constitué en raison du caractère par ailleurs pluridisciplinaire de ce travail de recherche. Il sera très vite publié en 1954 sous le titre Nations nègres et Culture aux éditions Présence africaine.
Quant à la présentation de la thèse signalée plus haut, elle est un événement tout simplement colossal. Tout ce que la France compte d´étudiants africains turbulents et progressistes était présent. Chacun comprenait bien que la démarche intellectuelle de Cheikh Anta Diop était un défi à la toute puissante institution universitaire française. Les débats sont houleux et anormalement longs – plus de six tours d´horloge. L´étudiant Diop se défend pied à pied. Il n´est pas du tout impressionné par ces enseignants habitués à semer la terreur autour d´eux. Le moins que l´on puisse dire c´est que ce n´est pas une soutenance ordinaire, car les jeunes Africains présents en masse dans la salle Louis Liard de la Sorbonne expriment bruyamment leurs opinions, nettement favorables au candidat Cheikh Anta Diop, bien entendu.
La mention honorable qui est attribuée à son travail équivaut, dans le système français, à une interdiction d´enseigner pure et simple. C´est une double infamie. D´abord la Sorbonne ferme les yeux sur les mérites d´un des penseurs les plus profonds et féconds de son temps pour sanctionner de manière mesquine son esprit rebelle.
En second lieu, Cheikh Anta Diop rêvait de pouvoir transmettre ses connaissances aux jeunes Africains. Cela ne lui est pas permis. Le président Senghor n´hésitera pas plus tard à s´appuyer sur cette décision inique d´un jury de la Sorbonne pour lui interdire d´exercer toute fonction d´enseignement à l´université de Dakar. Par une de ces ironies dont l´Histoire a le secret, cette université porte aujourd´hui son nom. Il en est de même de l´Institut de recherche où Cheikh Anta Diop a travaillé – l´Institut fondamental d´Afrique noire, IFAN – et aussi, accessoirement, de la plus longue avenue de Dakar, celle qui passe justement devant l´université… !
Au-delà de ces hommages posthumes, il importe surtout de relever que l´interdiction d´enseigner a stimulé les ardeurs pédagogiques de Cheikh Anta Diop. L´homme n´était en effet pas du genre à se laisser abattre par l´adversité. Le jour même de sa soutenance, Cheikh Anta Diop annonce dans la presse qu´il va rentrer au Sénégal. Il sait que d´autres combats l´y attendent. Au plan politique, pour une véritable indépendance du Sénégal mais également pour un État fédéral en Afrique noire. Au plan culturel – mais peut-on séparer ces deux instances ? – pour donner ou redonner aux Africains la fierté d´être eux-mêmes en leur montrant que leur civilisation est non seulement à l´origine mais aussi au cœur de toute l´évolution humaine.
De cet esprit d´une rare puissance, Césaire dira dans Discours sur le colonialisme : « Je ne m´étendrai pas sur le cas des historiens, ni celui des historiens de la colonisation, ni des égyptologues, le cas des premiers étant trop évident, dans le cas des seconds, le mécanisme de leur mystification ayant été définitivement démonté par Cheikh Anta Diop, dans son livre : Nations nègres et Culture – le plus audacieux qu´un nègre ait jusqu´ici écrit et qui comptera, à n´en pas douter, dans le réveil de l´Afrique. »*
Le savant sénégalais ne se contente pas de faire comme tant d´autres le constat que l´Afrique n´a jamais été une tabula rasa. L´intelligentsia occidentale dite éclairée était sans doute disposée à faire une telle concession. Diop ne veut pas se suffire de cela, il n´hésite pas à aller plus loin et à battre en brèche les idées les plus profondément ancrées dans la pensée de l´époque. Avec le recul, on est frappé par tant de témérité. Mais il ne s´agit ni d´un délire solitaire ni d´affirmations abstraites : Cheikh Anta Diop fournit des arguments de très grande valeur scientifique à ce qui, au mieux, était avancé jusque-là par les intellectuels africains sur un mode purement émotionnel.
Il est aussitôt marginalisé par l´égyptologie occidentale. Le plus frappant est le refus de prendre en compte son existence même. Mais Cheikh Anta Diop et leschercheurs africains acquis à ses thèses – en particulier le Congolais Théophile Obenga – continuent à creuser leur sillon. Lorsque l´Unesco lui demande de s´associer à la rédaction du volume de L´histoire générale de l´humanité relatif à l´Afrique, il assortit son accord d´une condition expresse : une rencontre scientifique doit réunir tous les égyptologues vivants et les résultats de leurs travaux discutés. L´Unesco se range à son avis et organise le colloque du Caire du 28 janvier au 3 février 1974 sur le thème : « Peuplement de l´Égypte ancienne et déchiffrement de l´écriture méroïtique. »
C´est un véritable défi intellectuel que Cheikh Anta Diop s´impose. Le cadre restreint de cet exposé ne permet pas de s´étendre sur les discussions menées à cette occasion avec courtoisie, dans la pure tradition scientifique. A l´issue de cette rencontre, les thèses de Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga se sont imposées. La conclusion officielle du colloque ne laisse planer aucun doute à ce propos. Voici le résumé qu´en donne le biographe de Cheikh Anta Diop : « Le colloque du Caire marque une étape capitale dans l´historiographie africaine, c´est-à-dire le travail d´écriture de l´histoire africaine. Pour la première fois des experts africains ont confronté, dans le domaine de l´égyptologie, les résultats de leurs recherches avec ceux de leurs homologues des autres pays, sous l´égide de l´Unesco. Les participants... ont été frappés par la méthodologie de recherche pluridisciplinaire introduite par Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga...
Les recommandations du colloque reflètent la solidité de l´argumentation présentée par les deux Africains au cours des exposés et des débats et traduisent l´avancée scientifique qui en découle. Si le désaccord a persisté sur la composition ethnique de l´ancienne Égypte, en revanche il a été clairement reconnu que pour la langue et sur le plan culturel en général, l´Égypte pharaonique appartient à l´univers négro-africain. En particulier, l´égyptologue Serge Sauneron (décédé accidentellement quelques années après le colloque du Caire), spécialiste de la langue égyptienne, grammairien, initiateur de la réédition de l´imposant Catalogue de la fonte hiéroglyphique de l´Institut français d´Archéologie orientale, reconnaît que l´égyptien ancien n´est pas apparenté aux langues sémitiques. Il souligne, se ralliant à leur méthode de recherche, tout l´intérêt des travaux de comparaison linguistique présentés par Théophile Obenga et Cheikh Anta Diop. »*
Il n´est pas étonnant qu´un tel homme ait été distingué déjà en 1966 - conjointement avec l´Africain-Américain William B. Dubois - comme l´écrivain dont l´œuvre a eu la plus grande influence sur la pensée nègre. Cela se passait à Dakar, pendant le 1er Festival mondial des arts nègres. Tout le monde parle aujourd´hui de ´renaissance africaine´ - en particulier le président sud-africain Thabo Mbeki – comme d´un idéal à atteindre. Cheikh Anta Diop a non seulement forgé le concept dès 1948* mais a aussi insisté sur la restauration de la conscience historique et le rétablissement de la continuité historique qui en sont pour les Africains la condition sine qua non.
Il n´est pas sans intérêt de rappeler que Cheikh Anta Diop est ainsi publiquement honoré à l´occasion du Festival mondial des Arts nègres, organisé par le président Senghor... Cela montre à quel point les relations entre les deux hommes étaient complexes. Mais sur l´essentiel le francophile Senghor et l´anti-colonialiste Diop ne pouvaient guère s´entendre. Esprit tranquillement rebelle pendant toute sa vie, Diop a été une des grandes figures du Rassemblement démocratique africain (RDA).
*Quand pourra-t-on parler d´une renaissance africaine ? in Le Musée vivant, numéro spécial 35/37, novembre 1948
La lutte entre Senghor et lui atteignit des sommets quand il fonda le 3 février 1976 le Rassemblement national démocratique (RND). Toute la vie politique du Sénégal tourna alors pendant quelques années autour des tentatives faites par Senghor pour priver Diop de toute possibilité d´expression dans un cadre organisé. Senghor prit prétexte d´un prétendu non-respect des normes... grammaticales (!) pour faire interdire Siggi, le journal créé par Diop. De son côté, ayant réussi à réunir autour de lui des courants significatifs de la gauche intellectuelle sénégalaise, Diop continua à dénoncer sans relâche le régime néocolonial incarné par Senghor. Le pays était supposé souverain mais il abritait – cela n´a d´ailleurs pas encore changé en cette année 2005 – des bases militaires françaises et restait, aux plans économique et culturel, une chasse gardée de la France.
Cependant, vers la fin de sa vie, notamment avec le départ de Senghor du pouvoir, Diop perdit un peu de son influence politique. Son parti est miné par des dissensions internes et on peut dire de cet héritage-là qu´il est éclaté. Avec le recul on est frappé par le fait que dès le départ de Senghor du pouvoir, l´activité scientifique de Diop prend nettement le pas sur les préoccupations politiques immédiates. Est-ce une simple coïncidence ? On ne peut l´exclure a priori. Mais il est également possible que Diop ait préféré, avec l´arrivée d´une nouvelle génération aux affaires, prendre de la hauteur. Le fait est que certaines de ses conférences publiques les plus mémorables ont eu lieu entre 1982 et sa disparition en 1986. Il se rend à Londres, Niamey, Alger, Pointe-à-Pitre et Atlanta. Yaoundé est, en janvier 1986, son tout dernier déplacement, trois semaines avant sa mort. Il y est porté en triomphe à l´issue de sa conférence par des jeunes Camerounais aujourd´hui encore acquis à ses idées, comme presque partout en Afrique centrale. Entre deux voyages à l´étranger il avait, au Sénégal même, multiplié les interventions publiques à caractère scientifique : au colloque organisé par les Éditions Sankoré, à des Journées de réflexion sur les relations entre la religion et la philosophie et à la Semaine culturelle de l´École normale des Jeunes Filles de Thiès où il traite du thème « Làmmiñi réew mi ak gëstu ». Au-delà du thème abordé - langues nationales et recherche scientifique - cette conférence résume avec clarté les thèses centrales de la pensée de Cheikh Anta Diop.
Diop meurt brusquement à Dakar le 7 février d´une crise cardiaque. Une foule immense le conduit à Céytu, son village natal. Son tombeau est devenu un lieu de pèlerinage pour toute l´Afrique noire et sa diaspora. Peut-être est-il prématuré de vouloir juger dès à présent de l´impact de Diop et Senghor sur leur peuple. On partira modestement de décembre 1981 : Senghor vient de se retirer du pouvoir et il ne reste à Cheikh Anta Diop que quatre années à vivre. Dès que le poète désencombre l´horizon, a lieu une discrète désenghorisation. Les sous-préfets commencent à s´intéresser beaucoup moins à Leo Frobenius et aux grands orgues de la poésie claudélienne. Senghor va d´ailleurs passer les vingt dernières années de sa vie à Verson, en Normandie. Avec une élégance rare, il tiendra le pari de ne jamais intervenir dans la vie politique du Sénégal.
Quand il est élu le 29 mars 1984 à l´Académie française les Sénégalais en éprouvent, dans leur majorité, une grande fierté. Lorsqu´il lui arrive de revenir au Sénégal pour participer à une manifestation culturelle, sa présence, dans un théâtre ou ailleurs, provoque des attroupements : les citoyens ordinaires tiennent à lui marquer leur sympathie. Les hommes de culture, en particulier les artistes plasticiens, se mettent à regretter publiquement son départ. On sent comme une discrète nostalgie de l´ère senghorienne, surtout en raison de ses réalisations en faveur de la culture. A l´inverse, son successeur Abdou Diouf passe pour un technocrate froid et peu intéressé par les œuvres de l´esprit. Il faut ajouter à tout cela un signe qui ne trompe pas : aujourd´hui encore, les vrais inconditionnels de Senghor sont ceux qui l´ont pratiqué au quotidien. Ils n´ont absolument rien de commun avec les flagorneurs qui sévirent jadis dans l´entourage présidentiel. Leur sincérité ne peut être mise en doute. Et eux se souviennent d´un leader politique d´une certaine rigueur morale, attentif à tout et à tous mais surtout d´une exquise courtoisie. On peut ajouter que malgré ses longues années à la tête de l´État du Sénégal, Senghor ne s´est pas enrichi.
Enfin, pour les jeunes qui ne le connaissent que de nom, il est une figure tutélaire, celle du grand écrivain. Nombre d´entre eux savent par cœur ses poèmes Femme noire et Joal. Ses dernières années n´ont peut-être pas été faciles. D´après les confidences d´un critique littéraire sénégalais qui a eu le privilège d´être en contact avec lui jusqu´au bout, Senghor a presque douté au soir de sa vie de sa place dans l´histoire. Il lui est arrivé, semble-t-il, de souffrir de la solitude et d´un certain sentiment d´abandon. Ses funérailles grandioses ont montré que c´était sans raison. Tout un peuple a rendu hommage à un homme qui avait forgé un État et su gouverner son pays, à un moment délicat de son histoire, avec équité et équilibre. Et son ouverture d´esprit peut être mesurée au fait que lui, le catholique, ait su être le symbole de l´unité nationale d´un Sénégal très majoritairement musulman.
Mais il est également juste de dire que la pensée philosophique de Senghor n´a pas laissé de trace profonde sur la société sénégalaise d´aujourd´hui et a fortiori en Afrique. Comme cela a été signalé plus haut, son travail théorique riche en formules brillantes est plutôt pâteux et un peu flasque.
Et il faut bien le dire : sa francophilie n´était pas un innocent amusement. A l´heure des grands choix, il a toujours été du côté de la France contre les intérêts de l´Afrique. Mandela en porte d´ailleurs pudiquement témoignage dans son autobiographie, A long way to freedom. Le grand homme n´a pas toujours non plus su échapper à une certaine petitesse dans son combat contre Cheikh Anta Diop. Mais voici ce qui nous semble le plus difficile à accepter : après avoir dirigé le Sénégal pendant vingt ans, Senghor n´a pas hésité à se prévaloir d´une nationalité étrangère. Et pourquoi donc ? Pour entrer à l´Académie française...
Quel que soit l´angle sous lequel on envisage la question, c´est là une gifle au peuple sénégalais. Elle est d´autant plus humiliante que la réputation de l´Académie française est largement surfaite. Et eût-elle été le plus haut lieu du savoir et de la réflexion sur terre, cela n´aurait rien changé : un chef d´État est un symbole, il ne peut jeter au diable sa patrie par envie d´endosser, sur le tard, un habit vert. Cela ne se fait tout simplement pas. On ne sait si Cheikh Anta Diop a publiquement évoqué cette affaire. On peut cependant supposer qu´elle lui a arraché un petit sourire amer.
Lui-même a dû faire face au reproche de culturalisme. Au symposium organisé par les Editions Sankoré en 1982, il a été obligé d´argumenter à fond pour vaincre certaines résistances parmi le très nombreux public venu l´écouter. A cette époque du marxisme triomphant, il était suspect de chercher à s´émanciper, si peu que ce soit, du dogme sacro-saint de la lutte des classes. Toutefois la vivacité même du débat était la preuve d´une vraie appropriation critique du travail de Cheikh Anta Diop par les universitaires sénégalais. Le fait que cette œuvre soit en permanente discussion témoigne de sa vitalité. Les découvertes scientifiques les plus récentes dans les domaines les plus divers confirment sa thèse centrale. Il est essentiel pour s´en convaincre de revenir au colloque du Caire.
Le rapport du professeur Jean Devisse dit clairement ceci : « La très minutieuse préparation des communications des professeurs Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga n´a pas eu, malgré les précisions contenues dans le document préparatoire envoyé par l´Unesco, une contrepartie égale. Il s´en est suivi un véritable déséquilibre dans les discussions.» Loin de démentir les démonstrations de Diop et Obenga, nombre de ses plus farouches adversaires en ont accepté la validité. Trente après, rien de probant n´est venu annoncer un renversement de situation.
Il serait cependant contraire à la démarche même de Cheikh Anta Diop de chercher à sanctifier sa pensée. Il a mis en avant, sa vie durant, des faits et non des émotions. Il a parlé de ce qui est et non de ce qui aurait mérité d´être. Et à notre avis on commet souvent l´erreur de limiter son apport intellectuel aux recherches sur l´antériorité des civilisations nègres. C´est une approche dangereusement réductrice. Même si Cheikh Anta Diop n´avait pas écrit une seule ligne sur l´Antiquité égyptienne, cela ne l´aurait pas empêché d´être un intellectuel d´une importance capitale.
S´il est impossible de compartimenter sa réflexion, il faut souligner la fonction stratégique qu´il assigne aux langues nationales africaines. Il est presque le seul, de toute sa génération, pourtant riche en Africains illustres, à avoir été constamment préoccupé par cette question. Il a beaucoup insisté sur le fait que sans la langue une identité tourne à vide. La prise de conscience de cette dimension de l´être est indissociable de son idéal panafricaniste en ce sens qu´elle fonde l´unité culturelle du continent.
Contrairement à une idée répandue, Diop n´était pas un homme de science fourvoyé en politique. Chez lui ces deux aspects de l´activité humaine font un tout. Les arguments qui lui étaient opposés par ses adversaires étaient politiques. Il se sentait tenu de les combattre sur ce terrain tout en poursuivant son travail de recherche purement scientifique dans la plus grande rigueur. Pour lui, il était essentiel de ne pas perdre cela de vue dans une Afrique prise en otage par les ´élites décérébrées´ dont parle Césaire dans Discours sur le colonialisme.
Dans son entendement, l´Afrique avait besoin de leaders de type nouveau pour retrouver liberté, mieux-être et fierté. Il a aussi prêché d´exemple : ceux qui ont pu le voir à l´œuvre sur le terrain peuvent témoigner qu´il n´a jamais accepté de séparer la politique de l´éthique. Près de vingt ans après sa mort son image est celui d´un homme qui s´est imposé une tension morale permanente, loin des vulgaires tentations de l´argent et des honneurs.
On lui a fait parfois grief d´un certain manque de réalisme. Étonnant ´rêveur´ pourtant, qui disait toujours des choses frappées au coin du bon sens ! Que, par exemple, aucun pays africain ne peut résoudre à lui tout seul ses problèmes économiques ou politiques. Cet impératif de l´unité africaine était commandé par ce qu´il nommait, en une expression pleine de saveur mais tout aussi profonde, ´l´égoïsme lucide´. Pour toutes ces raisons je peux dire, à titre personnel, que je suis un disciple de Cheikh Anta Diop.
Si je n´ai jamais eu l´occasion de rencontrer Senghor - dans un sens je le regrette - je suis en revanche souvent allé voir Cheikh Anta Diop dans son laboratoire de Carbone 14 de l´Institut Fondamental d´Afrique noire – IFAN, qui porte aujourd´hui son nom. J´y étais en sa compagnie le 6 février 1986, veille de sa mort. Bien qu´ayant milité un temps dans le Rassemblement national démocratique, le plus important pour moi était d´aller écouter le penseur et l´aîné.
Rien n´était plus facile que d´accéder à lui. A partir de midi, la porte de son bureau était symboliquement ouverte. Il recevait tout le monde. Il suffisait de s´installer sur un banc dans le couloir et d´attendre son tour, sans nul besoin d´être annoncé. Les visiteurs étaient souvent des hommes du peuple, arrivés de l´intérieur du pays. Cheikh Anta Diop ne faisait pas peur à ces paysans, membres de son parti ou simples parents. Venu lui-même à Dakar très jeune, il n´a au fond jamais quitté, mentalement, son Bawol natal. Il est resté, plus que Senghor sans doute, l´homme de son terroir. Il connaissait et parlait à la perfection le wolof du pays profond, poussant souvent la malice – en privé ou pendant ses meetings politiques – jusqu´à le prononcer exactement à la manière de ceux qui n´ont jamais mis les pieds dans une école française...
Selon le joli mot du philosophe, « L´avenir dure longtemps.» Il nous arrive de tendre l´oreille à ses murmures, qui restent confus et comme venus de trop loin. Ce n´est pas une raison pour le brusquer. Pour l´heure il importe juste que chacun dise nettement sa préférence entre Senghor et Cheikh Anta Diop. Sans doute ne faut-il pas enfermer pour toujours les deux hommes dans une vaine adversité. Il serait toutefois malhonnête de faire comme s´il n´y avait jamais eu de désaccord sérieux entre eux. En fin de compte, on peut dire que si Senghor a des admirateurs – le grand poète les mérite largement – Cheikh Anta Diop, lui, a des disciples. Ceux-ci s´emploient à tirer toutes les conséquences de son enseignement ouvert à tant d´aventures et à la fierté d´être soi-même.
Il faut ajouter que l´influence de Diop s´est très vite étendue loin au-delà de l´espace francophone pour s´imposer dans le monde entier. Sur ce plan, aucune comparaison ne semble possible entre son éternel rival et lui. Senghor est un nom. Cheikh Anta Diop renvoie à une œuvre colossale et féconde.
Ce texte de Boubafar Boris Diop a été publié pour la première fois en janvier 2005.
PAR Francis Laloupo
WAGNER EN AFRIQUE, LIAISONS DANGEREUSES
Une question émerge peu à peu : est-il seulement raisonnable pour un Etat digne de ce nom, de s’en remettre quasi exclusivement à une organisation de cette nature pour la gestion de questions essentielles que sont la défense et la sécurité ?
Dans un rapport publié en février, l’organisation internationale Global Initiative apporte un précieux éclairage sur la nature et la structure du Groupe de sécurité privé Wagner pièce maîtresse d’un vaste réseau de criminalité transnationale, et dont les actions façonnent aujourd’hui la politique et l’économie de plusieurs pays africains. Un phénomène qui pourrait s’inscrire dans la durée…
L’ambiguïté est soigneusement entretenue par Moscou. La société paramilitaire Wagner agit-elle officiellement au nom de l’Etat russe auprès des pouvoirs africains ayant sollicité l’aide militaire de la Russie ? Oui, et… non, selon les voix officielles du Kremlin. D’abord qualifié de « société commerciale privée », Wagner devient opportunément, dans le discours officiel, un « atout majeur » pour l’aide que la Russie souhaite apporter à ses partenaires africains. Au Mali où la milice compte près de 2000 hommes aujourd’hui, les autorités du pays continuent de les désigner comme des « instructeurs ». Comment s’en étonner au fond, lorsque l’on sait que par nature, une entreprise de mercenaires n’avance jamais à visage découvert ? L’anonymat, le camouflage ou la clandestinité constituent l’apanage du mercenariat. Et ceux qui y ont recours endossent à leur tour ces caractéristiques, telle une inconfortable complicité.
De l’activité militaire à la « capture de l’Etat »
Mais Wagner apparaît comme une organisation d’un genre inédit, ayant peu de ressemblance avec les sociétés de mercenariats du siècle dernier. Selon le rapport de Global Initiative publié fin février 2023 (1), « le Groupe Wagner est unique en tant qu’organisation par l’ampleur, l’échelle et l’audace de ses activités (…) Wagner n’a pas émergé dans le vide : les activités et les caractéristiques du Groupe reflètent des tendances plus larges dans l’évolution des oligarques et des Groupes criminels organisés russes, leurs relations respectives avec l’État russe et leurs activités en Afrique ». Le rapport analyse, sur la base d’enquêtes et de faits documentés, « la dynamique complexe entre la Russie, ses oligarques et ses réseaux criminels et sur la façon dont ils interagissent avec les gouvernements, les entreprises et les populations africaines. » Global Initiative rappelle que le Groupe Wagner, créé en 2014 par Evgueni Prigojine, un allié proche de Vladimir Poutine, est aujourd’hui « accusé d’utiliser tous les moyens nécessaires, y compris de nature criminelle, pour atteindre ses objectifs : du recours aveugle à la violence contre les civils dans ses actions militaires, aux campagnes de désinformation et à la fraude électorale, en passant par le trafic à l’échelle industrielle de ressources naturelles, comme l’or et les diamants. Le Groupe opère dans la zone grise, qui inclue à la fois l’économie légale et illégale. » Wagner apparaît ainsi comme une entreprise à ressorts multiples dont les activités et les objectifs dépassent largement le seul cadre de « l’assistance militaire ». Une mégastructure agissant comme le prolongement d’un Etat, mais aussi de divers réseaux d’intérêts qui, de manière ouverte ou occulte, participent de la viabilité du régime Poutine. De l’assistance militaire à l’exploitation minière, en passant par les stratégies d’influence et les diplomaties de l’ombre, Wagner couvre un large spectre d’activités en principe réservé aux territoires régaliens. Au bout de quelques années sur le sol centrafricain, le constat est à tout le moins alarmant, selon le rapport de Global Initiative : « La Centrafrique est l’exemple le plus avancé du modèle économique de Wagner en Afrique, au point que ses interventions pourraient être décrites comme une capture de l’État. » Et ce, du fait notamment que « la dépendance militaire de l’administration centrafricaine vis-à-vis de Wagner se traduit par un rôle politique très influent pour l’organisation mercenaire. »
Organisation criminelle transnationale
En tout cas, dans les pays où Wagner apporte son expertise militaire, que ce soit en Centrafrique, au Mali, ou au Soudan, l’exploitation des ressources minières ou la rétribution de ses services par les pouvoirs locaux semblent prévaloir sur le recul de l’insécurité. En Centrafrique comme au Mali, les « avancées significatives » escomptées dans la lutte contre le terrorisme demeurent dans le registre des bonnes intentions des autorités, en attendant le constat d’échec. Dans ce contexte, de quelles options disposent les missions des Nations unies présentes en Centrafrique ou au Mali pour contrer les activités criminelles et les violations des droits de l’homme perpétrées par Wagner, et que plusieurs enquêtes et rapports ont signalées au cours des trois dernières années ?
Le 23 janvier 2023, le gouvernement américain a désigné Wagner comme une « organisation criminelle transnationale », et annoncé des mesures de sanctions contre l’organisation russe Wagner et ses facilitateurs, notamment en Centrafrique. Dans la même semaine, L'Union européenne a annoncé de nouvelles sanctions contre Wagner pour ses « violations des droits humains en Afrique. » Les précédentes sanctions avaient été diligentées par l’UE en 2021. Selon le Conseil européen, « ces nouvelles sanctions ont été décidées au vu de la dimension internationale et de la gravité des activités du Groupe, ainsi que de son impact déstabilisateur sur les pays où il est actif ». Plusieurs personnalités sont nommément visées par ces sanctions, ainsi que des entités liées au Groupe, notamment des sociétés aurifères et diamantaires opérant en Centrafrique et au Soudan.
Eu égard à toutes les alertes à propos du Groupe Wagner, une question émerge peu à peu : est-il seulement raisonnable pour un Etat digne de ce nom, de s’en remettre quasi exclusivement à une organisation de cette nature pour la gestion de questions essentielles que sont la défense et la sécurité ? Face à une telle interrogation, certaines voix s’élèvent au sein des opinions pour objecter, sur un mode incantatoire que les Etats ont bien le droit de « choisir leur partenaires », et ce, au nom de leur « souveraineté ». On pourrait alors se demander si l’affirmation de la souveraineté autorise toutes les aventures, y compris les plus préjudiciables à l’intégrité des Etats.
Francis Laloupo est journaliste, essayiste, enseignant en Géopolitique.
(1) « La Zone Grise - L’engagement militaire, mercenaire et criminel de la Russie en Afrique », Février 2023. Global Initiative / L’Initiative mondiale – Against Transnational Orgarnized Crime.
(Organisation indépendante de la société civile)
par EL HADJI BOCAR LY
QUI POUR SAUVER LE SÉNÉGAL DÈS 2024 ?
Le Sénégal est devenu méconnaissable sur bien des plans à cause d’eux. La prochaine équipe devra cerner les vrais enjeux du développement. Inconnu au bataillon, le nouveau Président aura les coudées franches pour redresser enfin ce pays.
« On ne reconnait plus nos hommes politiques. Le Sénégal est devenu méconnaissable sur bien des plans à cause d’eux. La prochaine équipe devra cerner les vrais enjeux du développement. Inconnu au bataillon, le nouveau Président aura les coudées franches pour redresser enfin ce pays. Pour tous ces aspects, il est attendu un outsider à la tête de l’Etat en 2024 ». C’est du moins le constat fait par l’ingénieur informaticien, El Hadji Bocar Ly.
Ça vole bas dans le landerneau politique. Entre propos orduriers, manipulations et autres contre-vérités dans les rapports entre acteurs politiques, les Sénégalais, dans leur majorité, aspirent à des changements profonds et veulent du neuf. «C’est même une exigence et un désir collectif profond de voir les prochaines échéances électorales s’inscrire dans une nouvelle dynamique ou le renouveau apparaîtra dans l’offre programmatique, tout comme le profil des nouveaux aspirants à la magistrature suprême», préconise-t-il dans un communiqué.
Il ajoute : « De nos jours, on assiste, impuissant, à une désacralisation continue de ce qui a toujours fait objet de valeurs dans ce pays. C’est inconcevable. Ce n’est pas normal. Et à ce rythme, si on n’y prend garde, le pays, beau de sa laïcité, risque d’aller loin dans la déviance. Nous gardons encore, heureusement, les repères, mais qui pour les véhiculer »? A cette question, El Hadji Bocar Ly soutient que «le constat est que les politiciens doivent céder la place aux politiques véritablement. Et en urgence. Car, 2024 se pointe à l’horizon. Nous ne devrions manquer cette occasion de mettre enfin le Sénégal sur les rampes de l’émergence tant attendue».
Pour l’informaticien, les Sénégalais doivent revoir en profondeur les dysfonctionnements sociétaux observés depuis un certain temps, dans le pays. «C’est comme si nous sommes guidés par des personnes qui ne se soucient pas trop des écarts observés dans la conduite des citoyens.
Qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition, on ne reconnait plus nos hommes politiques. Chaque jour qui passe édifie l’opinion nationale sur les manquements notoires auxquels ils nous ont habitués. Pour preuve, nous avons tous noté avec regret la recrudescence des accidents sur la route malgré la prise de mesures pour épargner aux Sénégalais ces nombreux décès, qui pourtant, pourraient être évités si l’Etat veillait à leur application. Les politiques ont tous démissionné. Ils sont tous en perpétuelle campagne. Ils nous servent que de la politique, jour et nuit», fustige-t-il.
A l’en croire, « le Sénégal est devenu méconnaissable sur bien des plans qui faisaient jadis notre singularité. Et l’exception sénégalaise n’est plus de mise et se confond dans les fortes généralités».
Toutefois, El Hadji Bocar Ly estime qu’il n’est pas encore trop tard « pour remettre le Sénégal sur son orbite, c’est-à-dire là où il a toujours logé en termes de pays imbu de valeurs cardinales de »Kersa », »jom », »ngor », »fulla ak fayda, » etc. ». « Il nous faut simplement, dès le début de la prochaine ère présidentielle, impulser à la future équipe, les nouveaux enjeux et paradigmes de développement pour installer, de manière définitive, sur la voie du salut.
Pour lui, «le nouvel homme fort du régime devrait présenter le profil d’un inconnu afin d’avoir les coudées franches pour redresser enfin ce pays. Ce n’est certes pas une consigne de vote, mais les Sénégalais devraient accorder leurs suffrages à un outsider à la tête de l’Etat en 2024».
par Aminata Touré
LES ACCOINTANCES DU PDS AVEC MACKY SALL
Il est impossible au PDS de s’attaquer au président puisse qu’il est en collaboration secrète avec ce dernier tout en se déclarant dans l’opposition. Je les invite à se prononcer sans ambages sur l’impossibilité de Macky de briguer un troisième mandat
Je ne compte pas entretenir de querelles personnelles publiques à ce moment crucial de la vie et de l’avenir de notre pays. Je voudrais seulement dire que le Sénégal est à un tournant important de son histoire avec la tentative du président Macky Sall de se présenter pour un troisième mandat juridiquement et moralement inacceptable. Toutes les forces démocratiques de ce pays doivent se mobiliser dans un large rassemblement pour que le Sénégal ne connaisse ni de recul démocratique encore moins d’instabilité dans notre contexte sous-régional déjà fragile. La direction du PDS est dans des négociations avancées avec le président Macky Sall et tout le monde le sait. C’est leur deal en parachèvement avec le président Macky qui les empêche de pouvoir prendre part à la construction du large front de l’opposition et des forces vives de la Nation en gestation pour empêcher une troisième candidature du president Macky Sall. Ainsi, le PDS n’a “courageusement” rien trouvé de mieux que de vouloir me faire passer pour la raison de leur défection au combat que compte mener les démocrates sénégalais.
Je tiens à rappeler que le PDS a eu à gérer l’Etat du Sénégal pendant 12 ans, par conséquent, ses responsables connaissent son fonctionnement , les prérogatives du président de la République qui définit la Politique de la Nation, ils connaissent aussi les prérogatives des Ministres qui mettent en application la politique du président de la République dans leur secteur respectif. Le PDS devrait avoir le courage de s’en prendre d’abord au président Macky Sall dont j’étais le ministre de la Justice et j’assume pour ce qui me concerne les actes que j’ai eu à poser dans l’exercice de mes fonctions en rapport avec les exigences de bonne gouvernance.
Il est impossible au PDS de s’attaquer au président Macky Sall puisse qu’il est en collaboration secrète avec ce dernier tout en se déclarant dans l’opposition. Depuis l’installation de l’Assemblee Nationale, le PDS s’est systématiquement démarqué de toutes les initiatives de l’opposition et s’est aligné sur la décision du président Macky Sall de me retirer illégalement mon mandat de député. En définitive, le PDS étant dans un deal avec le président Macky Sall il ne peut pas se prononcer sur le débat national du 3 ème mandat qui intéresse les Sénégalais préférant se cacher derrière des débats personnels. Il ne s’agit pas de nos personnes respectives mais de notre démocratie bâtie à la sueur et au sang de plusieurs générations.
Au lieu des attaques personnelles, je les invite à se prononcer sans ambages sur l’impossibilité du président Macky de briguer un troisième mandat.
par Ousseynou Nar Gueye
ÉLOGE FOURRÉ DU SADO-MASOCHISME ANTI-DÉCOLONIAL
Ce sont les prosateurs d’abord qui sont passés au scalpel d’Elgas, qui fouaille leurs entrailles pour y lire ce qui y est d’Afrique et ce qui est de cet ailleurs qu’on aime tant détester : la France
Il est sorti en librairie ce jeudi 2 mars en France. Et il sera chez tous les bons libraires du Sénégal pour le 15 mars. « Les bons ressentiments, essai sur le malaise post-colonial » (Paris, Riveneuve, 2023, 219 p.) est un livre qui peut se commencer, quelle que soit la page où on l’ouvre. Le « dernier Elgas », où foisonnent les noms propres, aurait gagné à avoir un lexique de tous ces patronymes, à la fin, avec renvoi aux pages où les acteurs de ce bestiaire africain tout-monde sont évoqués.
Pour paraphraser la boutade qui dit que certains « sont pessimistes dans la pensée et optimistes par l’action », Elgas est crépusculaire dans les jugements et solaire dans la démonstration. Il se sait redevable de ses différentes racines, mais il voit bien que ce qui sont les pieds de l’arbre qu’il est, ne plongent pas dans les mêmes humus. Mais elles y sont pourtant en même temps, toutes à la fois. Certaines débordent d’un pot de fleurs d’appartement parisien, d’autres nous ramènent aussi loin que le village casamançais de Coubanao, sorte de ‘‘Niafoulène-Les-Bains » dont même nous Sénégalais ignorons l’exacte localisation, d’autres au lieu d’enfouissement de son ombilic de naissance à Ndar, Saint-Louis, la ville des Signares, celles qui ont inventé le sado-masochisme avant la lettre.
Lorsqu’il a publié son premier ouvrage, « Un Dieu et des Mœurs, carnet de voyage», qualifié en couverture de récit, mais dans lequel il y avait aussi bien de l’autofiction que de l’essai, j’avais prié à voix haute et écrit pour souhaiter que le futur docteur en sociologie qu’il devait devenir l’année suivante n’enterre pas le volcanique et coruscant écrivain qu’il fut dès ce premier livre, en amoureux fou de la belle langue et amateur de la décomplexification de la pensée complexe, qui sont ses marques de fabrique. Il ne m’a pas écouté et il a bien fait.
Depuis son entrée en littérature officielle, toute de fulgurances, avec « Un Dieu et des Mœurs », Elgas a publié un roman (son premier, par acception tacite et explicite - ce dont je ne suis pas d’accord ), « Mâle Noir » ; une biographie, « Fadilou Diop, un juste » ; un recueil de chroniques dont je m’honore d’avoir participé à la parturition, ce qu’Elgas me reconnait avec gentillesse : « Inventaire des idoles - Le Sénégal de profil » . Tout cela au nom de la liberté. Liberté qui fait qu’il n’est même pas plus que ça fidèle à un éditeur. Alors que nos littérateurs basanés (ou caucasiens d’ailleurs !) font carrière chez le même éditeur pendant dix ans avant de seulement songer à aller voir si l’herbe a une encre plus verte ailleurs, depuis 2015, Elgas a ainsi successivement publié chez Présence Africaine, chez Éditions Vives Voix, chez Ovadia de Nice, puis dans une co-édition de ce dernier avec les éditions Sedar, et maintenant chez Riveneuve. Tout cela renseigne à souhait que la liberté chez Elgas n’est pas une posture. Mais une urgence irrépressible de son être au monde. Il le sait, avec la lucidité qui n’est jamais loin de l’aveuglante lumière qui fit qu’Icare se brûla les ailes et les yeux de s’être trop approché du soleil céleste, et il en rend compte en page 217 de ce présent ouvrage, dans « Perspective Personnelle ». Si l’auteur satiriste Pierre Desproges, qu’Elgas révère, a pu dire que « l'ouverture d'esprit n'est pas une fracture du crâne » ; mon propre paternel menaçait les membres de ma fratrie d’un : « tu veux être libre ? le chemin de perdition est devant toi ! Mais je ne te laisserai pas y aller, sans passer par mon corps ! ».
En octobre 2022, j’avais omis de commettre une note de lecture pour le recueil de chroniques tout juste publié, « Inventaire des Idoles - le Sénégal de Profil » : sans doute me croyais-je exonéré de cela par un totem d’immunité, ayant écrit la postface du recueil en question. Mon site d’info Tract.sn avait donc juste publié dans ses colonnes la recension de l’ouvrage faite par un journaliste, qui n’était même pas de notre rédaction ! Mea culpa. Ce dernier Elgas donc, je tenais ardemment à le recenser.
Cet essai d’Elgas, « Les bons ressentiments - essai sur le malaise post-colonial », est un « must-read » (voilà que je m’échappe de la langue française, oups !). Cet essai est le pendant sociologique du conte philosophique où l’enfant dans la foule d’adultes, voyant le monarque prétendument habillé des atours les plus beaux que son tailleur s’est évertué à lui trouver et qui se pavane dans la foule éberluée dans ce qui n’est autre que sa tenue d’Adam, s’écrie : « Mais, le roi est nu ! ». Il est dur d’être le premier à dire « le roi est nu », mais on peut vite faire école avec, une fois les yeux de la plèbe d’adultes dessillés.
Nos rois, nos idoles de la prose, de la poésie et de l’imprécation sociologisante anti-néo-coloniale, désormais dite décoloniale, mode dictatoriale de nos tristes temps, sont nus. Parce que quand ils sont contre l’ennemi tout désigné, l’Occident au sens large, la France pour faire court, ils sont « tout contre ». C’est-à-dire arrimés à elles et bien au chaud, vivant des prébendes et subventions de sa politique d’« exception culturelle », de sa validation de la production de leur pensée. Jusqu’au sportifs, biberonnés par le système stipendié des clubs de football européens, que l’Africain du continent suit avec enthousiasme les jours de match, depuis le continent noir. Sportifs qui, quand ils viennent à la grand-messe africaine de la CAN « Total Énergies », sous les emblèmes de leurs équipes à nom de fauves (même les Écureuils béninois sont devenus les Guépards, par décret ministériel récent), voient inaugurer leurs agapes footballistiques par un mini-concert d’ouverture du rappeur Booba, le Bounty qui n’a de Sénégalais que le nom et dont le dernier voyage en Afrique doit remonter aux olympiades gréco-romaines.
Mais ce sont les prosateurs d’abord qui sont passés au scalpel d’Elgas, qui fouaille leurs entrailles pour y lire ce qui y est d’Afrique et ce qui est de cet ailleurs qu’on aime tant détester : la France. « L’Afrance », serai-je tenté d’écrire, pour reprendre le cinéaste Alain Gomis, est leur patrie d’adoption, de collusion, d’ambition, où leurs ancêtres sont les Gaulois, pardon, les geôliers, qui laissent les portes de cette prison à ciel ouvert, pas fermées du tout. Le cinéaste Gomis qui fait œuvre d’Afrique mais est plus vu en France que sur le continent noir (Tout comme Maty Diop), à part dans les festivals qui sont autant de sépultures de la culture.
« Par essence consubstantielle, la France est l’oppresseur de l’Afrique subsaharienne francophone » : les premiers de ces prosateurs nègres à avoir rué dans ces brancards les emmaillotant portés vers on ne sait où par de bonnes âmes françaises ont connu un destin de météore ou de paria : Yambo Ouologuem, Mongo Beti. Axelle Kabou aussi, pour l’exact contraire : avoir écrit trop tôt que les Africains étaient pas mal responsables de leurs propres maux. Leurs lointains successeurs des années 90 et de la période 2000-2023 ont plus de chance, adoubés par une certaine France – la gauche bobo ? - qui tient là l’occasion de jouir de son besoin de repentance, dose que lui administre les écrivains négropolitains. Calixthe Beyala fait de son crime de plagiat l’emblème du racisme qu’on lui inflige, et continue de vivre à Paris depuis trois décennies, uniquement de ses droits d’auteur plus abondés par des lecteurs français que d’Afrique.
Si le Sénégalais Boubacar Boris Diop répond, fort à propos, dans un collectif d’auteurs de « Négrophobie » au « Négrologie » de Stephen Smith, et qu’il écrit de plus en plus en wolof à l’instar de Ngugi Wa Thiongo, le Kenyan qui rejeta l’anglais, on ne peut s’empêcher de trouver son roman inaugural, « Le cavalier et son ombre », très à cheval dans les clous de ce qu’on attend d’un écrivain africain francophone.
Par peur de passer pour « le nègre de maison », des plumitifs starisés comme l’écrivain-sapeur Alain Mabankou sont finalement revenus de leur rêve de réenchantement de la devise française (Liberté-Égalité-Fraternité) pour donner des gages à la cause décoloniale et mordillent désormais la main (la langue ? comme chez les coucous ? ) qui les nourrit. Car tout ce beau monde, y compris les rebelles professionnels que sont les musiciens Awadi (rappeur) et Tiken Jah Fakoly (reggaeman) ont pour cathédrale d’adoubement Paris et ses extensions du domaine de la lutte jamais finale, que sont le concours RFI Découvertes, RFI, France 24, la BBC ( tiens, des Anglos !), la Sacem, les instituts français en Afrique, l’AFD et tutti quanti.
Une écrivaine trouve grâce aux yeux d’Elgas, pour son parcours littéraire, tout en pas de côté : Léonora Miano. Après des romans crépusculaires et presque victimaires, Miano a commis une dystopie, « Rouge Impératrice », qui renverse le paradigme de l’inégalité des termes de l’échange : un roman dépeignant une Afrique riche désormais assiégée par des Européens pour qui c’est l’Eldorado. Mais, même là, elle n’est pas la première à y avoir pensé, nous fait remarquer espièglement Elgas. L’écrivain, tout ce qu’il y a de Blanc, Pierre Jourde, l’a fait avant elle. Tout de même, Miano a le mérite de voter avec ses pieds et elle prouve le mouvement en marchant : si elle écume toujours les librairies et festivals littéraires de France, la Camerounaise ne s’en est pas moins établie au Togo, à Lomé, depuis quelques années. Le retour à l’Afrique mère de Marcus Garvey est-il la solution ?
Miano et Elgas pourraient tous les deux se retrouver à porter haut le flambeau de cette nouvelle race (pour autant que les races humaines existent…), puisqu’on n’échappe à une assignation que pour tomber dans une autre : la race mutante des Afropéens. A côté des Africains, des Caucasiens, des Asiatiques… Par cette pirouette, on en revient à ce métissage cher à Léopold Sédar Senghor et même, pourquoi pas, à un Cheikh Anta Diop dont on est pourtant moins enclin à penser qu’il puisse avoir eu des faiblesses dans son essentialiste « struggle for black Egypt ». De Léonora Miano, qui fut ma condisciple au lycée de New-Bell à Douala au Cameroun, je peux affirmer qu’elle est née écrivaine : à 16 ans, elle me faisait lire ses manuscrits dans des cahiers à la belle écriture ordonnée. Le jazz coule également dans ses veines : en ces années lycéennes, elle me prêta souvent des disques de vinyle, dont l’un que je fus fort marri d’avoir brisé en deux par négligence, et que je tentai de remplacer par un autre de la même veine du « Rebirth of the Cool ». Miano n’a donc pas échappé à son destin. Destin d’Afropéenne ?
Afropéens, c’est peut-être la voie de l’apaisement et de la médiété, qui manque tant à un Kémi Seba, prompt à brûler en public un billet de Franc CFA, mais avec son passeport français bien au chaud dans sa poche (c’est pratique pour passer les frontières, hein ?). Destins de passe-murailles éternels ou de contrebandiers, alternative qui est celle des intellectuels africains francophones ?
L’essai d’Elgas ne fait pas, non plus, l’impasse sur ces indépendances africaines octroyées (circa 1960 : le péché originel) d’où est née la Françafrique ex-foccartienne, qui continue de tenir les peuples africains subsahariens francophones à bonne distance des lieux de pouvoir économique les plus élevés, le seul important à l’ère où les multinationales sont plus puissantes que les États. Mais tout ayant une fin, serai-je tenté de dire, BNP Paribas se désengage de l’Afrique au moment où le dernier discours du Président Macron appelle les entreprises françaises à aller batailler pour plus de parts de marchés en Afrique, désormais trustées par la Chine et autre pays émergents qui lui taillent des croupières.
L’historienne et journaliste franco-tunisienne juive (ça en fait, des identités !) Sophie Bessis, qui préface, avec une plume au laser, cet essai d’Elgas est en terrain connu. Ex-rédactrice en chef du magazine hebdo-parigot « Jeune Afrique » (autre antre du diable pour les décoloniaux, qui ne peuvent pourtant pas s’empêcher de bicher quand ils figurent dans ces pages), elle a surtout commis successivement, et dans une belle constance, ces titres évocateurs : La Dernière frontière : les tiers-mondes et la tentation de l'Occident, (Paris, Jean-Claude Lattès, 1983, 298 p.), L'Occident et les Autres : histoire d'une suprématie, (Paris, La Découverte, 2003, 350 p.), « La Double impasse : l'universel à l'épreuve des fondamentalismes religieux et marchand, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2014, 240 p.).
Chercheuse associée à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) de Paris, Sophie Bessis est en parenté d’esprit et de complicité avec Elgas : à désormais 76 ans, elle semble lui transmettre le bâton de maréchal de la (re)conquête de l’illustration et de la défense de l’identité afropéenne.
L’album du Sénégalais Wasis Diop, « De la glace dans la gazelle », dont les paroles sont uniquement en français (une première !), vient de s’achever de tourner, dans la nuit dakaroise où j’écris cette note de lecture. Restons-en donc là : la messe est dite, mais les yeux de Chimène de Paris valent bien une sarabande de messes africaines.