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30 novembre 2024
Opinions
par Amadou Tidiane Wone
S'ENTENDRE SUR LES MAUX
À force de sévir à tort, l’État perd du crédit. Par abus de complaisance partisane, il entretient le doute puis la révolte. La bonne gouvernance se trouve dans la juste mesure : faire respecter les devoirs par une saine jouissance des droits
À force d'user abusivement de certains mots et concepts, on les banalise. On les verse dans le langage commun et, au fil du temps, ils perdent la charge de sacré qui en faisait la force et le mystère. Il en est ainsi, malheureusement, du « Secret défense » dont la seule évocation valait clôture des débats. Fermeture des portes.
Qu'en est-il de nos jours ?
Des informations d'une navrante banalité et, parfois d'un caractère plutôt suspect, tentent de trouver refuge derrière un concept dont la manipulation ne devrait pas être triviale. Ni quotidienne. Et il va falloir siffler la fin de la récréation ! Non pas en s’attaquant aux robinets qui coulent, mais en reprenant totalement la tuyauterie. C’est-a-dire reprendre en mains de manière vigoureuse et définitive les chaînes d’émission, de transmission et éventuellement de diffusion, autorisée et limitée, d’un certains nombre d’informations susceptibles d’être classées « Secret défense ». Et cela est une responsabilité régalienne de sécurité publique. À cet égard, l’Inspecteur du Trésor Mamadou Abdoulaye Sow vient de livrer une réflexion qui devrait susciter…réflexion !
En vérité, l’urgence de rétablir les principes de bonne gouvernance et de respect de l’État de droit revient en priorité à ceux qui sont dépositaires de la légitimité de servir, de défendre et d’illustrer les principes fondateurs de la République. Les fonctionnaires réputés avoir été formés pour cela doivent inspirer respect et…crainte ! Mais lorsqu’ils sont les premiers à transgresser les lois ou tout simplement la bienséance, ils sapent l’aura qui doit, nécessairement, entourer le prestige sans lequel le mythe de la notion d’État tombe en déliquescence. Et c’est alors la porte ouverte à la désobéissance civile puis à l’anarchie ! En vérité, à force de sévir à tort, l’État perd du crédit. À l’inverse, par abus de complaisance partisane, il entretient le doute puis la révolte. La bonne gouvernance se trouve donc dans la juste mesure : faire respecter les devoirs par une saine jouissance des devoirs. En toutes circonstances.
En sommes-nous capables ? That is the question !
Il suffit de regarder autour de soi le comportement de certains agents en uniforme sur la voie publique pour être saisi d’un doute….
Les dents de l’insouciance repoussent dans notre pays. L’indolence gagne de larges secteurs de la société abasourdie par des bruits ambiants que secrètent et entretiennent avec ardeur les réseaux sociaux.
Les dents de l’insouciance repoussent dans notre pays. L’indolence gagne de larges secteurs de la société abasourdie par des bruits ambiants que secrètent et entretiennent avec ardeur les réseaux sociaux. Ils montent en puissance et révèlent l’affaissement des valeurs morales.
La pudeur a volé en éclat. L’indifférence au sort des autres prend des proportions inquiétantes. Certains exhibent leur misère et en font un fond de commerce. D’autres, par contre, la dissimulent du mieux qu’ils peuvent pour dévier le regard. Ce regard malsain, méchant, médisant perce les secret et les dévoile à des fins de plaisirs sombres.
Qui n’a pas été victime de propos malveillants ? Qui n’a pas tenté de révéler les défauts d’autrui dans le seul but de nuire ? Affolant ? Sûrement. On se calme. Car les crises actuelles nourrissent et alimentent les peurs. Néanmoins, la précaution a valeur de symbole pour éviter le chaos qui s’annonce. Pas besoin de sondage pour constater l’effritement du tissu social sénégalais. Il s’effiloche.
Alors, s’il y a un malaise, au demeurant réel, par quel bout le prendre ? Le pays n’évolue plus sur sa vraie valeur. Il a dévié de sa trajectoire lorsque tout est prétexte aux commérages, aux spéculations et aux parlottes sans fin. Parce que ces travers nous côtoient, ils nous incitent à la paresse et à la mollesse.
Le champ d’action se rétrécit alors que les opportunités d’agir fleurissent pour transformer en mieux son monde. En évitant sur une longue durée de se donner de la peine, le Sénégal fait pâle figure aujourd’hui dans le concert des pays qui prônent des ruptures. Les Cassandres et les prophètes de malheur existent et prospèrent en ces temps de crise. Ils se vantent de porter la « bonne parole » ou se proclament détenteurs de la « vérité révélée ».
L’impasse sociale nous guette. Et avec elle, la complaisance constitutive d’une « identité meurtrière », expression chère à Amine Maalouf, écrivain libanais. La progression de ces antivaleurs sonne le recul de la démocratie, moins attractive, plus exposée aux « attentats ». Elle se déploie sans énergie, à moins que ce ne soit celle du désespoir…
Mais dans la vie ordinaire des gens ordinaires, les incohérences économiques produisent leurs effets. Le petit commerçant ne parvient plus à vendre « correctement » pour s’offrir des marges et entretenir modestement sa famille. La profession « chauffeur de taxi » risque de disparaître avec l’implosion des transports soumis à un désordre permanent.
Quant aux salariés des entreprises, ils se lamentent de la perte de pouvoir d’achat rendu possible par la conjonction de deux facteurs : la hausse des prix et le gel du point d’indices du traitement. Dans le secteur hallucinant des logements, prévaut une situation ubuesque. Les bailleurs fixent les prix qui ne baissent jamais. Les locataires subissent faute de protection agissante.
Le coût du loyer absorbe les revenus sans aucune logique. De telles pratiques échappent à toute rationalité et la puissance publique est… impuissante pour sévir en frappant là où ça fait mal : le portefeuille. Il est incompréhensible que les propriétaires dictent leurs lois en invoquant des arguments pour le moins fallacieux. S’ils obtiennent des crédits longs pour financer leur projet immobilier, ils ne peuvent répercuter la charge sur des locataires pressurisés. Haro sur les marchands de sommeil !
Sans illusion, deux figures marquent les esprits à la veille de la coupe du monde au Qatar. Pour ne pas les nommer, Sadio Mané et Aliou Cissé constituent des « cas » rares pour être relevés compte tenu de l’exemplarité qu’ils incarnent.
Visage lisse et œil rieur, la jeune star, volontaire à souhait, reste inaccessible à l‘abandon. Il a le mental fort et s’abreuve au réalisme. Son vécu et ses attaches ainsi que ses racines paysannes le prédisposent à la mesure, à la sobriété et surtout à la retenue pour dissocier ce qui relève du divin et de l’humain. Cette vision l’habite. Le champion d’Afrique en a fait une règle de vie.
Sa blessure au genou a tenu tout un peuple en haleine. C’est dire l’affection et l’estime que lui manifestent les Sénégalais surtout en ces temps de doute lié à l’hypothèque pesant sur son improbable participation à la Coupe du monde au Qatar. Seule certitude : son classement reste incertain. En clair, sa santé avant tout.
Visage émacié, regards vifs et chevelure en bataille, Aliou Cissé dissimule ses sentiments. Il parle peu. Ses conférences de presse d’avant et d’après match sont un modèle de concision et de sobriété, qualité qu’il partage avec son joueur fétiche Sadio Mané. A deux, ils sont connus pour avoir un mental d’acier. Mais le coach, par ses silences, se protège et évite les apartés de circonstances, occasion rêvée par les « buzzeurs » pour brandir des scoops qui n’en sont pas avec des risques de quiproquo qui l’indisposeraient.
Lorsqu’il a appris la nouvelle de la blessure de son joueur vedette, Cissé ne s’est pas épanché pour autant dans les médias. Il s’est retenu de réagir sans céder à la pression ambiante, préférant ne s’exprimer à ce sujet que lors de la publication vendredi dernier de la liste des Lions sélectionnés pour Qatar 2022. Ce geste est éloquent. Mieux : il est élogieux. Sans conteste, Aliou Cissé est un leader.
Sénégalais dans le repli de son âme, il se différencie de ses compatriotes par sa propre résilience face aux effets de modes. Il s’évertue à garder cette ligne de conduite, sans doute un trait d’éducation et de caractère pour cet entraîneur atypique adepte du jeu efficace. Peu importe s’il est moins beau.
Tout au long de sa carrière (footballeur et coach à la fois), Cissé a enchaîné victoires et défaites. Ces dernières ont pour lui un goût amer. Mais le dépassement et la revanche se télescopent dans cet esprit conquérant, travailleur et tenaillé par la revanche. Par sa ténacité et son sens de l’étape, il est parvenu à forger un « collectif Lions » devenu une signature et une marque très prisée sur le marché.
Pour preuve, les maillots se vendent comme de petits pains malgré le prix élevé que la Fédération justifie par le nécessaire attachement à l‘équipe nationale.
Mais l’incohérence pointe le bout du nez avec l’absence de boutiques de vente sur toute l’étendue du territoire. L’économie de sport ne se fait pas sentir. En cette période de coupe du monde, le Sénégal se devait de vibrer à l’unisson avec une embellie économique à l’arrivée.
Dans l’air, devraient flotter une atmosphère et une ambiance de coupe du monde. Les posters géants à l’effigie des Lions auraient pu tapisser les panneaux et les façades des grands immeubles. Idem dans les médias qui, à leur corps défendant, articulent des contenus appropriés. Quand c’est tard, c’est déjà trop tard pour le coup. Place au jeu…
Par Melusine BOON-FALLEUR et Coralie CHEVALLIER
TROIS LEVIERS ESSENTIELS POUR LUTTER CONTRE LA CRISE CLIMATIQUE
Une étude publiée dans le prestigieux journal The Lancet montrait que plus de la moitié des jeunes entre 16 et 25 ans – et ce dans toutes les régions du monde – souffraient d’éco-anxiété
Melusine BOON-FALLEUR et Coralie CHEVALLIER |
Publication 15/11/2022
En 2019, des millions de personnes manifestaient pour le climat dans le monde entier. En 2020, en pleine crise Covid, l’urgence climatique restait une préoccupation majeure pour les Français. L’année suivante, une étude publiée dans le prestigieux journal The Lancet montrait que plus de la moitié des jeunes entre 16 et 25 ans – et ce dans toutes les régions du monde – souffraient d’éco-anxiété.
Comment se fait-il que cette prise de conscience généralisée, et le désir authentique de préserver notre avenir climatique, ne se traduisent pas par des actions concrètes, telles que devenir végétarien ou soutenir des politiques climatiques plus volontaristes ? On peut dire, tout d’abord, qu’un certain nombre de barrières structurelles limitent les possibilités d’agir pour le climat. De nombreuses personnes n’ont pas d’alternatives à la voiture pour se rendre au travail, ou n’ont pas les capacités physiques d’utiliser un vélo pour se déplacer.
Sur un plan plus psychologique, le manque d’information sur les solutions les plus efficaces pour limiter son empreinte carbone, la difficulté perçue pour mettre ces solutions en place, ou encore le manque de motivation lié au décalage entre le moment où les efforts doivent être consentis (aujourd’hui) et les bénéfices de ces efforts (une réduction du réchauffement climatique sur le long terme) sont autant de facteurs qui freinent les changements de comportements.
BENEFICES PARTAGES, EFFORTS INDIVIDUELS
Mais au-delà de ces barrières structurelles et psychologiques, l’urgence climatique présente un défi supplémentaire : les bénéfices sont partagés alors que les efforts sont individuels. Par exemple, renoncer à prendre l’avion entraîne une réduction des émissions de CO2 qui bénéficie à tous, alors que le sacrifice, lui, est individuel. Ce problème d’action collective – aussi appelé « tragédie des communs » – mobilise le cerveau social, et en particulier la psychologie de la coopération.
À première vue, les extraordinaires capacités sociales de l’espèce humaine devraient faciliter la lutte collective contre le changement climatique. Malheureusement, les choses sont compliquées par le fait que la capacité humaine à coopérer dépend d’un certain nombre de conditions qui ne sont pas nécessairement remplies par les actions de lutte contre le réchauffement climatique.
Tout d’abord, les citoyens sont plus enclins à contribuer à l’effort commun s’ils ont la preuve que les autres en font de même, et ils ajustent leurs comportements aux normes sociales prévalentes. Si tout le monde jette ses déchets par terre, la probabilité qu’encore plus de déchets soient jetés augmente. Si, au contraire, il y a des indices que tous participent à un effort collectif de propreté, la probabilité que des déchets soient jetés diminue. C’est ce que les psychologues appellent la « conditionnalité de la réciprocité ».
RENDRE VISIBLESLES COMPORTEMENTS COLLECTIFS
Dans le cas de la crise climatique, la conditionnalité de la réciprocité pose un certain nombre de problèmes. Tout d’abord, certaines normes sociales sont difficiles à observer. Ma voisine a-telle modernisé son système de chauffage pour qu’il soit plus efficace ? Est-ce que mon collègue soutient les politiques de rénovation thermique ? Or, en l’absence d’informations sur le comportement des autres, nous avons tendance à sous-estimer leur niveau d’engagement…
La bonne nouvelle est que les normes sociales évoluent rapidement dès lors que les comportements vertueux sont rendus plus visibles. Par exemple, informer les personnes du fait qu’elles consomment plus de gaz ou d’électricité par rapport à leurs voisins fait baisser la consommation énergétique.
Le besoin de réciprocité peut par ailleurs créer un problème d’amorçage. Si les normes jouent un tel rôle moteur, comment passer d’une minorité d’acteurs engagés dans des comportements vertueux à une majorité ? Heureusement, notre cerveau n’est pas seulement attentif au pourcentage de gens qui font une action, mais aussi à la dynamique des efforts collectifs. Autrement dit, si l’on observe que les comportements sont en train d’évoluer, alors nous sommes prêts à évoluer aussi. Là encore, cette dynamique est facilitée si les changements de comportements sont rendus visibles.
COMMUNIQUER SUR SES PROPRES HABITUDES
Les citoyens sont par ailleurs plus enclins à contribuer à l’effort commun si leurs propres actions sont visibles. Audelà du geste sincère, cela peut motiver à entretenir son jardin, décorer sa maison ou encore s’habiller élégamment. Il en va de même pour les actions écologiques vertueuses : les individus semblent plus motivés à faire des actions visibles, comme se déplacer à vélo, que des actions invisibles, comme remplacer une chaudière. C’est ce que les psychologues appellent la gestion de la réputation, qui opère souvent inconsciemment dans nos comportements. Donner la possibilité de rendre les gestes vertueux plus visibles est donc un levier intéressant.
En Angleterre, les plaques d’immatriculation des voitures hybrides et électriques peuvent ainsi obtenir une pastille verte, rendant leur faible niveau d’émission visible de tous. Cependant, faire une action écologique peut parfois entrer en conflit avec d’autres actions désirables. Par exemple, il est important de ne pas arroser sa pelouse lors d’une sécheresse pour préserver les ressources en eau. Mais cet effort de sobriété peut venir en conflit avec d’autres objectifs, comme celui de contribuer à l’effort collectif d’entretien du quartier. Pour qu’un quartier soit globalement attrayant, chacun peut en effet se sentir le devoir de bien entretenir sa pelouse. Il y a alors un conflit entre la motivation à préserver les ressources et la motivation à apparaître comme un bon voisin. Pour réconcilier ces deux motivations, certaines communes aux États-Unis distribuent des panneaux indiquant « Je fais ma part pour préserver la planète » que les citoyens peuvent planter sur leurs pelouses jaunies par la sécheresse. Ces panneaux permettent à chacun d’indiquer qu’il contribue à l’effort collectif de préserver les ressources en eau : ce n’est donc pas par négligence que la pelouse peut sembler mal entretenue.
SATISFAIRE LE SENTIMENT D’EQUITE
Un dernier facteur qui conditionne la motivation à coopérer est le sentiment d’équité. Les citoyens sont prêts à faire des efforts, seulement si ces efforts sont proportionnels aux bénéfices retirés et s’ils sont en adéquation avec leur part de responsabilité. Ces considérations individuelles trouvent également leur traduction dans les négociations pour le climat entre États. L’un des enjeux majeurs des discussions internationales est de trouver un accord sur la part de responsabilité qu’a chaque pays, afin de mieux répartir les efforts de lutte contre le réchauffement climatique au niveau mondial. Dans ces débats, la psychologie de l’équité est mobilisée et se fonde sur ce que chacun perçoit être la situation de départ. Or, un désaccord sur le point de départ entraîne nécessairement un désaccord sur le niveau de responsabilité et donc sur le niveau d’efforts à consentir.
Si l’on considère que la situation de départ est le monde pré-industriel, alors les États-Unis et l’Europe sont responsables de la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre et doivent fournir la plus grande part de l’effort pour réduire les émissions mondiales. Mais si l’on considère que le point de départ est la situation actuelle, alors c’est la Chine qui devient le premier émetteur mondial et qui doit faire le plus d’efforts.
Autrement dit, la façon dont la situation de départ est conçue, par les pays et par les individus, conditionne les droits et les devoirs de chacun et détermine si les politiques climatiques coïncident avec le besoin d’équité des citoyens. La lutte contre le réchauffement climatique nécessite le déploiement rapide de dispositifs techniques et de politiques publiques nouvelles qui ne peuvent pas considérer les questions d’équité comme une réflexion de second ordre. Éviter la tragédie des communs suppose que la psychologie humaine, le besoin d’équité et de réciprocité, et la gestion de la réputation, soient véritablement intégrés au cœur de la conception des politiques climatiques.
Chercheuse en sciences cognitives et comportementales, Inserm, École normale supérieure (ENS) – PSL
THECONVERSATION.COM
par Mamadou Abdoulaye Sow
RÉFLEXIONS SUR LE SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
EXCLUSIF SENEPLUS- Éclairage sur cette notion galvaudée de secret de la défense nationale ainsi que quelques notions sur la règlementation relative à la protection du secret de la défense nationale
Secret de la défense nationale : quelques réflexions sur un régime juridique non porté à la connaissance des citoyens
« L’invocation du « secret défense » est le joker des affaires d’État, la carte qui permet de passer son tour avec élégance, sans être obligé de mentir pour éviter de s’accuser » - (Edwy Plenel, « La part d’ombre, Stock, 1992, réédition Gallimard 1994, p. 445)
« Le secret de la Défense nationale est nécessaire, il doit être protégé. Il doit être défendu. Et ceux qui le transgressent ou l’utilisent à des fins contraires à la sécurité du pays doivent être punis.Encore ne faut-il pas le galvauder ». (Bernard Grasset, « Secrets défense », Pouvoirs n° 97, 2001) [1]
Le « Secret Défense » est, de plus en plus, invoqué dans le domaine de la commande publique au Sénégal. Rappelez-vous, en 2021, il avait servi d’alibi au gouvernement pour justifier les conditions d’acquisition d’un nouvel avion présidentiel. Dans un communiqué en date du 27 octobre 2022, le gouvernement se réfugie à nouveau derrière le « Secret Défense » en affirmant que le contrat de 45,3 milliards de francs CFA conclu par le ministère de l’Environnement et du Développement durable avec la société dénommée Lavie Commercial Brokers « a été approuvé par les services compétents de l'État, sous le sceau du « secret défense » [2].
Que faut-il entendre par « secret de la défense nationale » ? Bon nombre de citoyens, même les plus avertis (ministres, parlementaires, hommes politiques et journalistes), ignorent le dispositif juridique de protection des informations intéressant la défense nationale.
Nous dirons à ce propos, avec le professeur Danièle Lochak, « Qui, parmi les commentateurs, s'est véritablement attaché à commenter les dispositions législatives (et règlementaires) relatives au secret, qui s’est interrogé sur la légitimité ou l'opportunité de l'interprétation extensive qui en a été donnée ? Très peu de monde (ou personne), en vérité. Or ce travail critique est indispensable si l'on veut éviter des dérives dangereuses, contraires aux fondements mêmes de l'État de droit. [3]».
La présente contribution se propose d’apporter un éclairage sur cette notion galvaudée de secret de la défense nationale ainsi que quelques réflexions sur la règlementation relative à la protection du secret de la défense nationale.
Qu’est-ce que le secret de la défense nationale ?
Pour donner aux mots leur sens, commençons par souligner ce qu’il convient d’entendre par « secret » et « Défense nationale » avant d’évoquer le concept de secret de la défense nationale.
La notion de « secret » et de « Défense nationale »
La définition du secret. C’est quoi un secret. Tout le monde vous dira que c’est « ce qui doit être tenu caché ». Pour définir le secret, nous avons retenu la définition qu’en donne Pierre Le Coz : « Le secret est la possession de ce qui est ressenti par le détenteur comme une vérité énonçable à la connaissance de laquelle il désire que le plus grand nombre de personnes chez lesquelles elle produirait un retentissement contraire à ses attentes et à ses intérêts ne puissent accéder »[4].
En matière de protection des informations dites « classifiées », un « secret » est un ensemble d’informations protégées - documents, procédés, données, photographies, bandes enregistrées, etc. - qui ne doivent être connues que par quelques personnes et que les détenteurs ne doivent pas révéler.
La définition de la « Défense nationale ». Le régime juridique de la défense nationale est institué depuis l’ordonnance n° 60-54 du 14 novembre 1960 portant organisation générale de la Défense, prise en vertu de la loi d’habilitation n° 60-046 du 07 septembre 1960. En 1970, les dispositions de l’ordonnance précitée furent abrogées par la loi n° 70-023 du 6 juin 1970 portant organisation générale de la défense nationale. Avant l’adoption de la loi du 06 juin 1970, est intervenue la loi n° 64-53 du 10 juillet 1964 portant organisation générale de la défense civile. À la lecture de l’intitulé de ladite loi et celui de l’ordonnance n° 60-54, on n’a l’impression que le législateur de l’époque faisait la distinction entre la « Défense nationale » et la « Défense civile ».
Selon l’article premier de la loi n° 70-023 précitée,« la défense nationale a pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population. Elle pourvoit de même au respect des alliances, traités et accords internationaux » [5].
Il ressort de cette disposition que le champ d’application de la « défense nationale » ne se limite pas à des aspects uniquement militaires, mais couvre également la sécurité et l’intégrité du territoire ainsi que la protection de la population et plus généralement, la protection de la Nation.
La définition du secret de la défense nationale
Relevons que la loi n° 70-023 n’évoque pas la notion de « secret de la défense nationale ». Cette notion apparait avec le Code pénal qui n’en donne pas cependant une définition précise.
De la lecture combinée des articles 58, 61 à 64 et 431-60 à 431-61 du Code pénal [6], on peut définir ainsi le secret de la défense nationale : Présente un caractère de secret de la défense nationale « un renseignement, objet, document, procédé, donnée numérisée ou fichier informatisé qui doit être tenu secret dans l’intérêt de la défense nationale » et dont la collecte, la possession, la communication, la divulgation, la reproduction, la soustraction et la destruction constituent des atteintes à la défense nationale et à la sûreté de l’État [7].
Le champ d’application du secret de la défense nationale
Les informations couvertes par le secret de la défense nationale dans le Code pénal
Le périmètre d’application du secret de la défense nationale couvre « un renseignement, objet, document, procédé, donnée numérisée ou fichier informatisé qui doit être tenu secret dans l’intérêt de la défense nationale et dont la connaissance pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale ».
On peut être amené à s’interroger sur les critères de ce qui « doit être tenu secret dans l’intérêt de la défense nationale » ou de ce qui « pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale ».
Les informations couvertes par le secret de la défense nationale dans le règlement de 2003
Le législateur n’a pas prévu un texte règlementaire qui décrit l’organisation générale de la protection du secret de la défense nationale. Ce qui n’a pas empeché le Pouvoir exécutif de prendre des textes qui déterminent les niveaux et conditions de classification ainsi que les autorités chargées de fixer les modalités selon lesquelles est organisée la protection des informations concernées. Ainsi, ont été édités:
En 1965, l’instruction générale interministérielle n° 14/PR/SG/ du 25 septembre 1965 sur la protection du secret.
En 2003, le décret n° 2003-512 du 02 juillet 2003 relatif à l’organisation de la protection des secrets et informations concernant la défense nationale et la surêté de l’Etat et l’instruction présidentielle n° 0303/PR du 16 juillet 2003 sur la protectiondu secret.
En 2020, le décret n° 2020-2365 du 23 décembre 2020 relatif à l’organisation de la protection des secrets et des informations concernant la défense nationale et la sûreté de l’État et, en 2021, l’instruction d’application n° 057/PR/SG/DCSSI du 13 janvier 2021 sur la protection du secret. Ces deux textes n’ont pas été publiés [8].
On retrouve les mêmes éléments mentionnés dans le Code pénal, sauf que le décret de 2003 ne mentionne pas les données numérisées et les fichiers informatisés intéressant la défense nationale.
On remarquera que ni le décret ni l’instruction d’application ne précisent également les critères de ce qui est « de nature à nuire à la défense nationale et à la sûreté de l’État » ou ce qui « pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale ».
La protection des informations dites « classifiées »
D’un point de vue juridique, la protection des secrets se limite stricto sensu aux informations intéressant la défense nationale et la sûreté de l’État.
Une information ne peut présenter un caractère de secret de la défense nationale que lorsqu’elle a été préalablement classifiée par l’autorité compétente ou celui qui a reçu délégation de pouvoir de la classifier.
La classification des informations protégées
La décision de classification. « Décider de classifier une information ou un support est un acte important, tant par les mesures de protection contraignantes qui en découlent, que par les conséquences judiciaires que cette décision peut entraîner. » (Cf. Instruction générale interministérielle sur la protection du secret de la défense nationale en France). En effet, la décision de classifier une information de défense nationale a des conséquences au plan disciplinaire et judiciaire. Elle est prise par l’autorité responsable de la prépatation du document. Étant une décision discrétionnaire de l’administration, « il arrive ainsi que la classification soit utilisée de façon abusive ».
En résumé, « La décision de classification (…) constitue ainsi la pierre angulaire de la protection du secret de la défense nationale. C’est elle qui confère son caractère de secret de la défense nationale à une information ou à un support à protéger. C’est également elle qui justifie, en cas de violation de la réglementation applicable, la mise en œuvre des sanctions pénales associées » [9].
Les niveaux de classification. Le décret de 2003 ne donne pas des précisions sur les informations protégées. Il se limite à prévoir que les renseignements, objets, documents ou procédés qui doivent être tenus secrets font l'objet d'une classification comprenant trois niveaux de protection.
Le premier niveau « Très secret » est réservé aux informations dont la divulgation est de nature à causer des dommages très graves à la Nation ou mettre en danger sa sécurité. Cette classification est généralement réservée aux priorités majeures de la Défense.
Le deuxième niveau « Secret » est réservé aux informations dont la divulgation porterait préjudice aux intérêts ou au prestige de la Nation, à une activité gouvernementale quelconque ou serait avantageuse à une nation étrangère [10].
Le troisième niveau « Confidentiel » est réservé aux informations qui n’ont pas un caractère secret mais dont la divulgation pourrait provoquer un embarras administratif ou causer un préjudice à un individu si elles étaient révélées (par tout moyen de communication) à des personnes non qualifiées pour en connaître.
Ces dispositions du décret sont détaillées dans une instruction présidentielle sur la protection du secret.
Observons qu’il n’est pas question dans le décret de 2003 d’une mention « Secret défense ».
Au sens de la norme règlementaire établie en 2003, sont donc considérées comme « Secret de la défense nationale », les informations classées « Très secret » ou « Secret » et sur lesquelles figure la mention de classification correspondante. En d’autres termes, seules les deux mentions « Très secret » et « Secret » sont à même de donner à un document qui les porte un caractère de secret de la défense nationale. En l’absence de l'une ou l'autre de ces deux mentions, rien ne permet d'établir le caractère de secret défense d’un document et rien ne peut permettre au détenteur dudit document de savoir qu'il est en possession d'une information classée « Secret Défense ».
Pour mémoire, avant le décret de 2003, l’instruction générale interministérielle n° 14/PR/SG/ du 25 septembre 1965 sur la protection du secret définissait quatre mentions de classement : « Très secret », « Secret-Défense », Confidentiel défense » et « Diffusion restreinte ». L’utilisation des mentions « Très secret » et « Secret-Défense » était réservée aux informations relevant du secret de la défense nationale. Les deux autres mentions relevaient de la discrétion professionnelle : le « Confidentiel Défense » couvrait des informations de défense et la « Diffusion restreinte » signalait les informations qui ne présentent pas en elles mêmes un caractère de secret mais qui ne doivent être communiqués qu’aux personnes qualifiées pour en connaitre.
La matérialisation de la décision de classification. La décision de classification est matérialisée par l’apposition sur le document d’un cachet à l’encre rouge correspondant à la mention règlementaire de classification.
Les personnes autorisées à connaître ou à détenir des informations couvertes par le secret de la défense nationale
Seules peuvent accéder aux informations protégées les personnes habilitées à cet effet par une autorisation préalable de l’autorité compétente. Elles doivent justifier le besoin de connaitre les informations en question pour accomplir leur mission ou leur fonction. L’habilitation est délivrée après enquêtes de sécurité et de moralité.
« L’existence d’une mesure administrative spéciale de protection est donc le critère fondamental d’existence d’un secret défense. Elle constitue en effet l’élément constitutif objectif des délits réprimés par les articles (61, 62 et 431.60) du code pénal. En application du principe de légalité des délits et des crimes, la divulgation d’un document ultra-sensible mais n’ayant pas fait l’objet d’une procédure formelle de classification, manifestée par l’apposition d’un marquage, ne pourrait pas faire l’objet de poursuites pénales» [11].
Pour terminer, revenons à cette remarque du professeur Danièle Lochak :« Que la transparence absolue des affaires publiques soit difficilement envisageable, c'est un fait. Mais au moins conviendrait-il que l’on se préoccupe de limiter au maximum cette zone d'ombre soustraite aux regards des citoyens et menaçante pour les libertés. Or c'est précisément ce que l'on ne fait pas (…)[12]».
Mamadou Abdoulaye Sow est Inspecteur principal du Trésor à la retraite.
[2] Le marché porte sur « la fourniture d’équipement de sécurité, de véhicules d’intervention, de matériel technique, logistique, de transmission et de communication » .
[4] Le Coz, Pierre. « Que recouvre le « secret » ? Esquisse de définition », Patrick Ben Soussan éd., Peut-on vraiment se passer du secret ?L'illusion de la transparence. Érès, 2013, pp. 17-29.
[5] La loi n° 64-54, par son article premier, définit ainsi la défense civile: « La Défense civile a pour objet d’assurer en tout temps la protection matérielle et morale des personnes et la conservation des installations, des ressources et des biens publics et privés ».
[6] Voir le Livre III,au Titre premier, chapitre premier, Section I et II et au Titre III ,chapitre IX.
[7]L’article 413-9 du Code pénal français donne la définition suivante :
« Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès.
Peuvent faire l'objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l'accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale.
Les niveaux de classification des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers présentant un caractère de secret de la défense nationale et les autorités chargées de définir les modalités selon lesquelles est organisée leur protection sont déterminés par décret en Conseil d'État. »
[8] Nous avons eu connaissance de ces deux derniers textes à travers un communiqué non daté du ministre des Forces armées, consacré à un rappel sur les dispositions relatives à la protection du secret.
[10] Il s’agit de « Très secret » tout court et non pas Très secret défense. Il s’agit également de « Secret » tout court et non pas Secret défense.
[11] Avis n° 1552 présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (…) par M. Émile Blessig, député, p. 7. Consulté le 13 novembre 2022 sur https://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r1552.asp Nous soulignons et mettons en gras.
[12] Danièle LOCHAK précité. Nous mettons en gras.
PAR ASSANE SAADA
LA LIBERTÉ D’ÊTRE LIBRE
Ivres de liberté, portés par une illusion, les voici tirés d’une fiction. Face au réel, ils crient au scandale. Appellent à défendre la liberté de la presse. « La base de toutes les autres libertés ».
Ivres de liberté, portés par une illusion, les voici tirés d’une fiction. Face au réel, ils crient au scandale. Appellent à défendre la liberté de la presse. « La base de toutes les autres libertés ». Sans elle, « il n’est point de nation libre », disait Voltaire. Aujourd’hui, c’est un branle-bas. Comme hier, voire fort longtemps. En 1977, Mame Less Dia du journal satirique Le politicien était détenu en prison. Une motion de l’assemblée générale de l’Association nationale des journalistes sénégalais (Anjs) exigeait sa libération. Babacar Niang, alors directeur de publication de Taxaw, organe du Rassemblement national démocratique (Rnd), écrivait : « Le politicien a sa ligne, nous avons la nôtre (…). Il n’empêche que nous demandons (sa) libération immédiate. Que Mame Less Dia soit, au regard des lois pénales, coupable ou non de ‘’recel de documents volés’’ est une chose ; autre chose est le maintien en prison de ce journaliste qui ne peut ni se soustraire à l’action de la justice ni gêner en quoi que ce soit l’instruction en cours. Son maintien en détention est, à juste raison, perçu par ses confrères et par l’opinion publique comme une mesure d’intimidation qui s’ajoute à d’autres mesures tendant à étrangler, dans les faits, la liberté de la presse. »
La liberté est une quête continue dans un monde changeant. Comme la démocratie, ce vivre-ensemble, qui est une construction de tous les jours. Elles n’arrêtent pas d’attirer et de décevoir. C’est un charme de leur énigme. Toutefois, relisons Nelson Mandela dans Un long chemin vers la liberté. Pour lui, « la vérité, c’est que nous ne sommes pas encore libres ; nous avons seulement atteint la liberté d’être libres… » D’après Hannah Arendt, « être libre pour la liberté signifie avant tout être délivré, non seulement de la peur, mais aussi du besoin ». Selon la note éditoriale du livre La liberté d’être libre (H. Arendt), le changement social est un préalable au changement politique. Faites que les masses populaires soient sevrées de peur et de ruse et un changement politique adviendra sans violence, disait Cheikh Anta Diop. Aussi Mandela n’avait-il pas prévenu qu’« être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres ».
« Avec la liberté viennent les responsabilités »
Des discours et autres écrits fleurissent. Une sympathie, un héroïsme magnifiés. Une insoumission, une désobéissance glorifiées. Une injustice vilipendée. Un débat parfois contradictoire… Quelques-uns tirent sur une ambulance. Rien qui égale une raison que ces mots de Mandela enseignent : « J’ai parcouru ce long chemin vers la liberté. J’ai essayé de ne pas hésiter ; j’ai fait beaucoup de faux pas. Mais j’ai découvert ce secret : après avoir gravi une haute colline, tout ce qu’on découvre, c’est qu’il reste beaucoup d’autres collines à gravir. Je me suis arrêté un instant pour me reposer (…). Mais je ne peux me reposer qu’un instant ; avec la liberté viennent les responsabilités, et je n’ose m’attarder car je ne suis pas arrivé au terme de mon long chemin. »
La responsabilité ! Un défi. Le seul et le vrai qui poussent à la victoire. Cette manière d’être d’un adulte conscient de ses limites et fait, avec elles, ce qu’il peut et ce qu’il doit. En effet, même la liberté n’est pas libre. Son exercice est limité. « Il n’y a point de liberté sans loi », écrivait Jean-Jacques Rousseau. Le but étant de gérer une fragile tranquillité, un équilibre précaire souvent remis en cause par un attachement délicat au respect d’une juste proportionnalité entre restriction des libertés et préservation, voire protection d’intérêts généraux. Des évolutions du monde réduisent fréquemment des espaces de libertés. Des lois spéciales font lésion depuis 1694 que la liberté de la presse a été affirmée pour la première fois en Angleterre. Certes, les restrictions à la liberté, leurs conditions de sanctions possibles doivent être nécessairement établies. Une nécessité pas toujours convaincante. Ainsi quand la liberté ne doit pas, entre autres, porter atteinte à la défense, la sécurité de l’État. Dans nos sociétés modernes, personne n’est omniscient ou tout-puissant pour ne rien perdre de ses libertés qui sont toutes bridées. N’empêche, les populations sont de plus en plus exigeantes sur le respect de leur droit de savoir. Donc, la liberté d’informer.
Dans un combat pour la liberté, malgré une passion, un dégoût pour l’hypocrisie, seule la responsabilité préserve du chaos qui dessert. L’histoire nous l’apprend. Là où les grandes révolutions n’ont pas réussi, un populisme n’a rien apporté sinon pire. La vertu n’a pas supprimé le vice, l’honnêteté n’a pas vaincu la corruption. Une autorité, une tyrannie n’ont pas empêché une décadence. L’Afrique aux multiples coups d’État et guerres civiles végète dans l’instabilité. Elle met en évidence une exception sénégalaise dont les fils sont peu fiers de ses tares. Toutefois, la postérité, gardienne des secrets, n’est-elle pas une fille de la raison ?
PAR Nioxor Tine
ARRÊTER LA SPIRALE RÉPRESSIVE
Le président doit comprendre que le rapport de forces a changé et qu’il n’a plus les moyens de son intransigeance politique. Sa méga-coalition est en voie de dislocation, car ses alliés n’ont aucune envie de miser sur un cheval perdant
Après deux défaites électorales successives aux élections locales et législatives de cette année, traduisant sa perte de majorité électorale et sociologique, le pouvoir apériste joue avec le feu, en essayant de museler la presse et d’instrumentaliser nos forces de défense et de sécurité (F.D.S), contre toute velléité de changement de majorité en 2024.
Un changement de cap
Une des caractéristiques du régime de l’APR, est qu’il a pu enrôler, dès l’entame, des figures de proue du journalisme sénégalais connus, dans le passé, comme des défenseurs intransigeants des intérêts populaires et des libertés démocratiques.
On a ainsi pu assister à l’irruption d’hommes d’affaires peu scrupuleux dans le monde de la Presse et la reconversion d’éminents journalistes d’investigation, de syndicalistes vertueux du monde de la Presse ou de talentueux éditorialistes en politiciens néo-libéraux, spéculateurs fonciers, prenant fait et cause pour l’option tyrannique du régime du président Macky Sall. C’est ainsi qu’ils iront même jusqu’à diaboliser l’opposition, même celle qui se voulait républicaine et à avaliser tous les coups fourrés de leur ami président.
Ils n’hésiteront pas, une seconde, à mettre leur expertise et leur entregent au service de leur patron politique, élaborant des éléments de langage équivoques, pour justifier toutes ses dérives liberticides, ses entorses aux règles de bonne gouvernance, ses fraudes électorales, ses tripatouillages constitutionnels...
C’est donc, dans ce contexte marqué par les accointances de larges secteurs de la presse, avec le pouvoir de Macky, que Pape Alé Niang est resté droit dans ses bottes, faisant figure, avec quelques rares autres collègues, d’héritiers des glorieuses traditions de lutte laissées en rade par une nouvelle classe de journalistes-affairistes.
Une icône de la liberté d’expression
Ayant fait ses premières armes à la radio SUDFM, avec ses mémorables et remarquables revues de presse, où il ne cessait d’interpeller Mame Abdoulaye Wade, il tend ces dernières années, à devenir, une icône de plus en plus solitaire de la liberté d’expression dans notre pays.
Et cela, il le doit principalement à son refus de verser dans un équilibrisme de mauvais aloi, prétendant rester à équidistance entre le bourreau et la victime, car il a toujours mis un point d’honneur à défendre les opposants victimes d’injustices ou d’acharnement – dont l’actuel président - de la part des différents régimes, depuis l’alternance de 2000.
Il n’a jamais été pris à défaut dans des postures de compromission ou de complaisance envers les différents pouvoirs, qui se sont succédé depuis une vingtaine d’années dans notre pays. Membre actif de la CENOZO, cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest, il s’est beaucoup investi dans la lutte contre la corruption, les abus de biens publics et pour les libertés publiques.
De fait, il n’a jamais caché son penchant pour le progrès social et la défense des libertés et s’est évertué à donner régulièrement son point de vue sur la marche des affaires de l’État, dans des chroniques devenues légendaires.
Le pouvoir apériste joue ses dernières cartes
Le peuple sénégalais a clairement montré sa réprobation du projet autocratique en cours, depuis les évènements de février-mars 2021, qu’une certaine presse courtisane, relayant les préceptes de l’idéologie dominante, a tôt fait de mettre sur le compte des turpitudes d’un homme politique faussement présenté comme lubrique. Il s’agit bel et bien d’un véritable complot éventé, dés les premiers jours, par des citoyens vertueux et professionnels jusqu’au bout des ongles, l’un médecin, l’autre gendarme, loin des querelles et chapelles politiques, qui ont officié, en âme et conscience, refusant de cautionner une entreprise de liquidation d’un adversaire politique.
Des officiers républicains de la gendarmerie ont eu le courage de diligenter une enquête indépendante, qui a confirmé la conspiration. Comment comprendre alors le comportement du procureur, qui au lieu d’entendre les comploteurs clairement identifiés dans le rapport d’enquête, fait arrêter le vaillant journaliste d’investigation, qui a dévoilé l’odieuse machination ?
Contrairement aux attentes de décrispation et de remise sur le tapis des propositions de refondation institutionnelle de la C.N.R.I, dans cette dernière phase du second mandat du président de Benno, on remarque une tendance déplorable à privilégier la répression, que ce soit pour imposer un candidat inconnu du bataillon à la tête du perchoir du parlement ou lors de l’audition du président Ousmane Sonko.
De plus, les hommes politiques de la majorité s’évertuent à présenter d’honnêtes journalistes et hommes politiques comme de dangereux insurgés cherchant à déstabiliser les institutions, qu’ils croient pouvoir domestiquer, en s’acoquinant avec certains officiers et magistrats véreux, ignorant que l’immense majorité de nos FDS et de nos hommes de justice reste acquise à la cause du peuple.
Le président doit comprendre que le rapport de forces a changé et qu’il n’a plus les moyens de son intransigeance politique. Sa méga-coalition est en voie de dislocation, car ses alliés n’ont aucune envie de miser sur un cheval perdant, surtout si sa candidature n’est même pas recevable, au regard de la loi.
C’est bien pour cette raison qu’il doit comprendre, qu’il ferait mieux de s’inscrire dans une perspective civile et démocratique, en privilégiant la concertation sur la répression, pour sortir de l’impasse politique actuelle, au lieu de caresser le rêve chimérique d’un putsch militaire pour sauver son régime moribond.
Il appartiendra au citoyen Macky Sall de se déterminer personnellement à être candidat ou pas. En aura-t-il la volonté ou l’ambition ? Ses compagnons ne semblent pas vouloir lui laisser le choix
A peine les résultats de l’élection présidentielle du 24 février 2019 étaient connus, c’est-à-dire dès que la réélection du Président Macky Sall fut actée, que le débat avait ressurgi sur son éventuelle nouvelle candidature en 2024. Ce débat avait commencé lors du référendum de 2016 pour la révision de la Constitution. A ce moment-là, tout le monde s’accordait sur la possibilité offerte, du point de vue du Droit, au Président Macky Sall de pouvoir se présenter s’il le désirait, en 2019 et 2024. D’ailleurs, des déclarations éloquentes restent dans les archives. On pouvait certes deviner que Macky Sall allait se représenter en 2019, mais bien rares devaient être les esprits qui songeaient déjà à 2024. Les assurances données par l’intéressé pouvaient interdire d’envisager cette perspective. Macky Sall répétait à l’envi qu’il avait souhaité, avec la nouvelle Constitution, non seulement bloquer définitivement à deux le nombre de mandats présidentiels (et que la règle lui serait applicable), mais aussi réduire à cinq ans le mandat qu’il avait obtenu des électeurs en 2012 pour une durée de sept ans.
Le Président Macky Sall était si enthousiaste pour cette limitation stricte des mandats présidentiels, et il joignit l’acte à la parole. Le texte initial du projet de réforme constitutionnelle comportait une disposition spécifique qui voulait que le mandat en cours (2012-2019) soit pris en compte par la nouvelle Constitution révisée et que le Président Sall voulait même réduire son mandat de sept à cinq ans. On peut facilement réaliser qu’outre la conviction personnelle du Président Sall, la situation de tumultes provoquée par la candidature de Me Abdoulaye Wade en 2012 pouvait être dissuasive ou que l’euphorie de son élection ne s’était pas encore dissipée.
Seulement, le chef de l’Etat semblait perdre de vue un principe immuable en Droit qui voudrait qu’une loi nouvelle, autre qu’une loi pénale plus douce, ne saurait être rétroactive, c’est-à-dire s’appliquer et régir des situations juridiques qui lui sont antérieures. Pour ce qui le concernait, le Conseil constitutionnel, appelé à examiner le projet de loi de révision constitutionnelle, avant sa soumission au vote référendaire, avait jugé que la disposition transitoire envisagée constituait une véritable hérésie juridique et pourrait se révéler comme une grave menace pour l’ordre juridique.
C’est ainsi que dans sa décision n°1-C-2016 du 12 février 2016, toujours consultable sur son site internet, le Conseil constitutionnel souligne : «Considérant que l’article 6 du projet qui a pour objet de donner une nouvelle rédaction à l’article 27 de la Constitution, fait passer la durée du mandat du président de la République de 7 à 5 ans ; considérant en outre qu’il est inséré dans ledit article 27, un alinéa 2 qui, pour régler une question de Droit transitoire, prévoit que la nouvelle disposition sur la durée du mandat du président de la République s’applique au mandat en cours ; considérant que la règle énoncée à l’alinéa 2, destinée à fixer une situation dont les effets sont limités dans le temps et par essence temporaire, va cesser, une fois son objet atteint, de faire partie de l’ordonnancement juridique ; considérant qu’en tant que telle, elle est incompatible avec le caractère permanent attaché à l’article 27 que le pouvoir constituant entend rendre intangible en le rangeant dans la catégorie des dispositions non susceptibles de révision ; considérant que cet alinéa au caractère personnel très marqué est inconciliable avec le caractère général des règles par lesquelles la Constitution organise les institutions de la République et protège les droits fondamentaux ainsi que les libertés individuelles des citoyens ; considérant, en effet, que les règles constitutionnelles adoptées dans les formes requises s’imposent à tous et, particulièrement, aux pouvoirs publics, lesquels ne peuvent en paralyser l’application par des dispositions qui, en raison de leur caractère individuel, méconnaissent par cela seul, la Constitution ; considérant que la sécurité juridique et la stabilité des institutions, inséparables de l’Etat de Droit dont le respect et la consolidation sont proclamés dans le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001, constituent des objectifs à valeur constitutionnelle que toute révision doit prendre en considération, pour être conforme à l’esprit de la Constitution ; considérant que pour la sauvegarde de la sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions, le Droit applicable à une situation doit être connu au moment où celle-ci prend naissance ; considérant que ce droit s’entend non seulement des règles constitutionnelles écrites, mais aussi de la pratique qui les accompagne et des précédents qui éclairent les pouvoirs publics sur la manière de les interpréter ; considérant qu’au moment où le mandat en cours était conféré, la Constitution fixait la durée du mandat du président de la République à sept ans ; considérant, s’agissant des modalités d’application dans le temps des lois de révision ayant une incidence sur la durée du mandat en cours du président de la République, que des précédents se sont succédé de manière constante depuis vingt-cinq ans ; considérant qu’il résulte de ces précédents (…) que le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle ; considérant que ces précédents qui ont marqué l’histoire constitutionnelle du Sénégal sont également observés dans d’autres Etats partageant la même tradition juridique ; considérant, en effet, que ni la sécurité juridique ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit l’objectif recherché, être réduite ou prolongée.»
C’est fort de cet argumentaire que le Conseil constitutionnel avait décidé que «la disposition transitoire doit être supprimée ; elle n’est conforme ni à l’esprit de la Constitution ni à la pratique constitutionnelle, la loi nouvelle ne pouvant s’appliquer au mandat en cours». La disposition transitoire sera donc biffée du texte réécrit par le Conseil constitutionnel et qui sera soumis au vote référendaire.
On constate que par cette décision, le Conseil constitutionnel était allé à l’encontre des desiderata du Président Macky Sall. C’est alors à son corps défendant qu’il tirera un mandat de sept ans. La même situation avait été connue avec le Président Abdoulaye Wade de 2000 à 2007 et avec Jacques Chirac (France) de 1995 à 2002. Cette situation juridique, nous l’avions perçue, avant même l’adoption de la loi référendaire révisant la Constitution, qui a été adoptée à 62,5% des voix le 20 mars 2016. Dans un texte en date du 16 février 2016, j’annonçais : «Macky Sall, sept ans ou démission au bout de cinq ans.» Nous soulignions que l’adoption de la révision constitutionnelle remettrait le compteur des mandats à zéro et que Macky Sall serait bien obligé de se tirer un septennat car le mandat obtenu en 2012 ne saurait être écourté, encore moins pris en compte si le Peuple sénégalais adoptait la révision proposée. Mieux, il semble important de rappeler que sur cette même question, j’avais été sollicité par le magazine Jeune Afrique, pour un Guest éditorial et j’y indiquais, le 19 février 2016, dans un article intitulé : «Macky Sall, l’histoire d’une promesse impossible à tenir», que le Conseil constitutionnel du Sénégal ne saurait satisfaire les désirs ou caprices du Président Sall. Le papier révélait en outre le courroux du Président Sall en mai 2015, quand, au cours d’un voyage en Guadeloupe, j’attirais son attention sur la fatalité que sa volonté ne saurait prospérer devant le Conseil constitutionnel. J’insistais sur la question, dans une autre chronique en date du 14 mars 2016, intitulée «Au-delà de nos personnes».
Aujourd’hui, aucun juriste sérieux n’ose soutenir le contraire. Une nouvelle candidature du Président Sall en 2024 devra obtenir l’onction du Conseil constitutionnel comme d’ailleurs ses opposants, notamment Ousmane Sonko et Barthélemy Dias, certes désabusés, l’expliquaient pertinemment au moment du référendum de 2016. Maintenant, ils s’autorisent à menacer d’empêcher une éventuelle candidature de Macky Sall ! Ce sera une autre histoire. Il reste à savoir si Macky Sall lui-même voudra tenter le pari. En tout cas, nombre de ses proches l’enjoignent de le faire.
Mbaye Ndiaye, l’hirondelle qui fera le printemps
Il appartiendra au citoyen Macky Sall de se déterminer personnellement à être candidat ou pas. En aura-t-il la volonté ou l’ambition ? Ses compagnons ne semblent pas vouloir lui laisser le choix. Le directeur des Structures de son parti, l’Alliance pour la République (Apr), Mbaye Ndiaye, a mis les pieds dans le plat dans l’édition du journal Le Quotidien du 11 novembre 2022. Le lendemain, 12 novembre 2022, les foules de militants rassemblés au siège de l’Apr pour le lancement des opérations de vente des cartes du parti n’avaient qu’un slogan, celui de la candidature de Macky Sall en 2024. D’autres cercles comme le Mouvement national des femmes de l’Apr ou quelques autres responsables parlant en leur nom personnel, le désignaient comme leur porte-étendard pour la prochaine élection présidentielle. Macky Sall semble être la meilleure chance de succès pour l’Apr et la Coalition Benno bokk yaakaar (Bby) pour ce rendez-vous électoral.
En effet, le 8 août 2022, dans une chronique, nous évaluions «les chances de Macky Sall en 2024» pour dire que si d’aventure il n’était pas candidat, on compterait une flopée de candidatures au sein même de l’Apr et provenant d’autres entités de Bby. Le risque serait un émiettement de leur bassin électoral et qu’en conséquence, il serait difficile ou impossible pour un candidat issu du camp du pouvoir sortant, de se qualifier à un second tour. Macky Sall apparaît ainsi comme la bouée de sauvetage de l’Apr et de Bby, mais il reste qu’il s’était engagé, plus d’une fois, à ne pas faire plus de deux mandats à la tête de son pays. Le dilemme est tenace. Laissera-t-il son camp sombrer pour préserver son confort personnel ou pour respecter un engagement solennel ? Quelle autorité ou capacité garde-t-il pour amener son camp à réaliser l’unité autour d’un candidat qui pourrait leur assurer la victoire ? On remarquera qu’il n’a pas réussi à éviter les dissensions, querelles et féroces guerres de positionnement lors des investitures aux élections locales ou législatives.
Lors des joutes électorales de janvier et juillet 2022, des candidats de Bby, dans de nombreuses circonscriptions, ont essuyé des revers à cause essentiellement de l’hostilité manifeste de leurs camarades du même bord politique. Au demeurant, Macky Sall laissera-t-il le Sénégal courir le risque majeur de tomber entre les mains d’un aventurier comme Ousmane Sonko qui fait du mensonge, de l’outrance, de l’injure et du dénigrement, son credo politique et qui menace déjà publiquement de régler des comptes aux policiers, gendarmes, magistrats, autres fonctionnaires ou tout autre citoyen qui n’est pas de son camp politique ? Il n’est pas sûr que tout ce beau monde se laissera docilement sacrifier de manière aussi injuste. En outre, la semaine dernière, nous soulignions dans ces colonnes : «Si en 2024 Ousmane Sonko a la chance de devenir Président du Sénégal, ce sera fatalement une auto-humiliation pour son Peuple qui aura la honte de voir les ébats sexuels ou les images de l’anatomie intime du premier des citoyens dans les smartphones de ses compatriotes. Il sera «un président à poil.» Sacrilège !
De nombreux opposants redoutent également cette éventualité d’un Ousmane Sonko au pouvoir et s’accommoderaient peut-être mieux d’un Macky Sall pour un autre quinquennat qui devrait être l’ultime. Il serait plus facile de le laisser «chauffer» la place pour cinq ans, plutôt que de voir s’installer un autocrate qui devrait rester plus longtemps. En effet, certains destins de présidentiables ne pourront pas survivre jusqu’à l’horizon 2034 !
par Texte Collectif
LE MONSTRE TRAHIT ENCORE SON SERMENT
L’arrestation de Pape Alé Niang en pleine rue alors qu’il vaquait à ses occupations - violence symbolique - et la diligence avec laquelle il a été privé de liberté est une opération politique kamikaze.
Sur une chaîne de télévision française en octobre 2015, Macky Sall, alors président de la République depuis 3 ans et demi, prenait l’engagement solennel suivant : « Vous ne verrez jamais au Sénégal pendant ma gouvernance, un journaliste mis en prison pour délit de presse. Les journalistes n’ont aucun risque au Sénégal. Ça, je le dis très clairement et je ne serai pas démenti. »
Sept ans plus tard, précisément le 9 novembre 2022, le journaliste Pape Alé Niang, directeur du site d’informations Dakarmatin.com, est raflé puis jeté en prison pour des… délits de presse. Rattrapé par l’histoire, le Président Macky Sall a bel et bien été démenti par ses propres services. En effet, c’est le procureur de la République, le bras judiciaire toutpuissant du pouvoir politique, qui a fixé les réquisitions ayant précipité l’emprisonnement de notre confrère à la prison de Sébikhotane.
On ne se consolera pas de constater que ce n’est pas la première fois que le Président Sall est pris en flagrant délit de violation de ses propres engagements devant le peuple sénégalais et même devant la Communauté internationale. Mais l’agression du 9-novembre contre la presse sénégalaise qui aboutit à priver de liberté un journaliste dans l’exercice de ses fonctions est autrement plus grave. Il s’agit d’une atteinte délibérée et intolérable aux droits sacrés et inaliénables que la Constitution du Sénégal, la Déclaration universelle des droits de l’homme et des Chartes internationales comme celle de Munich reconnaissent expressément à ceux et celles qui exercent le métier de journaliste. C’est clairement inacceptable !
L’arrestation de Pape Alé Niang en pleine rue alors qu’il vaquait à ses occupations - violence symbolique - et la diligence avec laquelle il a été privé de liberté est une opération politique kamikaze. Son but ultime est, au pire, de neutraliser les plumes et voix encore attirées par le réflexe professionnel de fouiner dans les placards à cafards des détenteurs de responsabilités publiques, au minimum de susciter une épidémie d’autocensures et de renoncements dans les rangs de notre profession. C’est inenvisageable ! Cette tentative d’assignation à résidence du journalisme de qualité entre les geôles de la médiocrité et les souterrains pénitenciers de la révérence est un mépris et une insulte à l’endroit de tous ceux qui ont fait le serment d’informer vrai en toutes circonstances. Dans son ouvrage « La valeur de l’information », Edwy Plenel, directeur co-fondateur de Mediapart, identifie « deux éléments décisifs » qui donnent sens au journalisme : « L’obligation envers la vérité et la loyauté visà-vis du public. » Au regard de cela, Pape Alé Niang doit-il rester encore en prison ? NON !
Cette affaire-ci est un véritable tournant porteur d’une jurisprudence fondatrice soit d’un musellement légalisé de la presse sénégalaise, soit d’un environnement de travail où les journalistes continuent de s’épanouir sous le contrôle de leurs pairs et des principes de l i b e r t é / r e s p o n s a b i l i t é conformes aux fondamentaux de leur métier. Ce qui se joue ici et maintenant est donc d’une gravité exceptionnelle pour l’avenir de la presse, des journalistes, de la liberté d’information, du droit à l’information pour le public. Avons-nous encore le pouvoir d’informer les Sénégalais en toute liberté ? Avons-nous toujours le pouvoir de choisir, en toute liberté, les orientations d’une mission de service public chevillée à la défense de l’intérêt général ? Avons-nous le pouvoir de refuser les injonctions - aimables ou directrices - qui infiltrent notre profession en la caporalisant au service d’intérêts privés couverts du manteau de la puissance publique ? Les « OUI » à ces questions ne dépendent que de nous, journalistes, et de tous les démembrements du peuple sénégalais attachés aux libertés de presse et d’expression. Les « NON » aussi.
Les soubassements politico-revanchards qui caractérisent ce dossier puent à dix mille lieux. Leur évidence est grotesque et manifeste. Ils sont les préliminaires d’une offensive visant à réduire au silence toutes sortes de contestations de nature à mettre en cause la volonté de puissance qui sous-tend la gouvernance actuelle du Sénégal. Les puissants enjeux politiques qui pointent à l’horizon, en particulier l’élection présidentielle de février 2024, en sont LA RAISON ESSENTIELLE. Les médias encore libres en sont LES CIBLES.
Après avoir fait semblant de dormir, le « Monstre » a dû quitter l’état de somnolence pour reprendre du service. La violence et la détermination avec lesquelles il a fait boucler en quatre jours l’étape d’incarcération de Pape Alé Niang menace fondamentalement la profession de journaliste, mais aussi le droit à l’information des Sénégalais. Du reste, il se satisferait bien que les journalistes sénégalais se transforment en chroniqueurs de chiens écrasés, de ragots de comptoir, de faits divers spectaculaires… loin des problématiques qui structurent l’état réel du pays.
Mais « Le Monstre » doit se convaincre – et définitivement - que les journalistes sénégalais n’acceptent pas d’être les victimes expiatoires des dysfonctionnements de ses pratiques politiciennes. Les hommes et femmes des médias qui ont fait le choix de servir l’intérêt public général n’ont pas vocation à être les otages de concepts fourre-tout dont les finalités servent en fin de compte l’affairisme de groupuscules privés de politiciens publics. C’est rigoureusement impensable !
Pape Alé Niang ne méritait pas un instant de passer une seule nuit en prison. Les motifs inavoués de son embastillement relèvent de l’instrumentalisation flagrante d’une justice au sein de laquelle l’hyper-puissance d’une marionnette enchantée dénommée Parquet a décidé de réduire nos libertés à leur plus petite expression, sur ordre d’un pouvoir politique en stage d’autoritarisme. Ce ne sont pas seulement les journalistes et les activistes qui font les frais de ces dérives liberticides, c’est aussi une certaine idée de la démocratie et de la séparation réelle des pouvoirs qui est en train d’être anéantie.
Avant d’être assassiné par des mercenaires du régime de Blaise Compaoré, le journaliste d’investigation burkinabè Norbert Zongo écrivait en 1993 que « les peuples comme les hommes finissent toujours par payer leurs compromissions politiques : avec des larmes parfois, du sang souvent, mais toujours dans la douleur. »
Pour nous Sénégalais, il est encore temps de réagir !
Libérez Pape Alé Niang ! PAN !
A bas le monstre !
par l'éditorialiste de seneplus, tidiane sow
LIBÉREZ LA RÉPUBLIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Pape Alé Niang dit-il vrai ? C’est la seule question qui vaille. Personne ne croit qu’il puisse mettre la République en danger. Ces arrestations arbitraires écornent l’image du pays à l'international
Le peuple du Sénégal est constamment déçu par ces tiraillements sans fins. Il a fini par s’y résoudre car il les a vécus en maintes occasions. Il sait maintenant reconnaitre ses ennemis. Ils sont tapis partout dans les rangs de l’opposition comme dans ceux de la majorité. C’est par eux que ses malheurs arrivent et ils ne seront pas concernés par la vengeance des lois. Ceux qu’ils auront attirés dans la rue et qui y laisseront leur vie, la perdront en pure perte. N’est-ce pas cela qui fait d’ailleurs naitre et prospérer leur sentiment de haine et de dédain vis-à-vis des politiques ?
L’expérience a toujours prouvé qu’autant les peuples sont indolents et faciles à induire en erreur, autant ceux qui les gouvernent sont habiles et actifs pour étendre encore plus leur pouvoir et opprimer la liberté publique.
Le moyen efficace de les en empêcher et qui fut discuté et mis en pratique depuis des décennies, fut de ne pas leur permettre d’exercer longtemps le pouvoir. Le pouvoir corrompt. Une loi prohibitive de renouveler plus de deux fois le mandat s’avéra être le moyen le plus sûr de conserver la liberté. C’est à quoi se sont résolues les démocraties modernes et les Assises nationales avaient prôné le principe avant que le président Sall ne l’inscrivit dans la Constitution.
Il est malheureux aujourd’hui de remettre dans le débat national des questions déjà débattues et tranchées. Briguer un troisième mandat ne pourra plus traverser le mur de moralité érigé depuis 2011 où il est inscrit : Non au troisième mandat. Dorénavant, cette question apparaitra hideuse, pour toujours, aux yeux du peuple.
Nous devrions aussi, à cette époque de notre Sénégal, dépasser ces absurdités de faire violence à des gens qui, dans le fonds, n’auront fait qu’user du droit qu’ont tous les citoyens du monde libre et duquel nous nous réclamons, de sortir manifester ou d’exprimer leur point de vue ou désaccord par rapport aux choix qu’on voudrait leur imposer.
La grande victime de ce tohu bohu permanent ne sera autre que la République. Opposition comme majorité campent dans les mêmes rengaines. Aux défiances des uns, succèdent les surenchères ou les convocations et les emprisonnements des autres. Chaque partie clamant être dans une société de droit, oubliant au demeurant qu’une société de droit est avant tout « une société libre où chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier au moindre bruit et à la moindre apparence de danger qui la guette », comme dirait Robespierre. Le journaliste étant la première des sentinelles en l’espèce, car sur lui pèse l’obligation d’informer.
Un quarteron de bureaucrates, allergiques à la vérité et imbus de leur pouvoir débridé a décidé d’envoyer Pape Alé Niang (PAN) en prison. Le peuple ne doit pas savoir, pire il ne doit savoir que ce qu’ils veulent qu’il sache ! Jamais on n’aura évoqué des lois d’un autre âge, que sous la présidence de ce jeune président ! Certains furent écroués pour des crimes de lèse-majesté et voilà que PAN est emprisonné pour un crime de lèse-nation. Il faut libérer Pape Alé Niang.
Ces arrestations arbitraires à répétition écornent l’image de notre République à l’international alors que des solutions alternatives prévalaient. Il eut suffi, dans le cas de M. Pape Alé Niang par exemple, de publier un démenti qui rétablisse la vérité des choses, à moins que la vérité ne soit la vérité qu’il ait dite.
De par vos réactions musclées que vous exercez sur des « gens de rien », en les ostracisant ou en les mettant inopinément en prison, vous fabriquez des héros et des démons, ce faisant vous avilissez encore un peu plus la République et vous faites apparaitre dans le désordre ambiant, votre pire adversaire comme le seul sauveur possible.
La promptitude à vouloir faire taire ceux qui posent les problèmes ne résout pas les problèmes. PAN en prison, les problèmes demeurent. Ce qu’il dit est-il vrai ? C’est la seule question qui vaille et que les gens se posent. Tout le reste n’est que fioriture. Personne ne croit qu’il puisse mettre la République en danger !
S’il détient des documents « top secret » c’est que leur fuite a été organisée ailleurs et c’est peut être cet ailleurs qu’il eut fallu condamner !
Allons donc ! Pointer ses accointances avec M. Sonko, ce dont il se réclame d’ailleurs lui-même, n’en fait que, ce qu’il dit, ce qu’il dénonce, ne doit être appréhendé que sous le prisme de la vérité des faits, et de la nécessité d’informer l’opinion publique car, c’est bien de cela dont il s’agit. N’est-ce pas là ce qui caractérise un journaliste ?
On nous parle volontiers de la loi, de l’application de la loi, qu’un fonctionnaire n’a pas le droit d’empêcher l’application de la loi. Vrai. Mais le président n’est-il pas le premier des fonctionnaires ? N’est-ce pas lui qui nous dit pourtant avoir mis le coude sur certains dossiers selon son jugement personnel ? N’est-ce point là un acte délibéré de soustraction à l’application de la loi de certains selon son bon vouloir ?
PAN lui subira l‘application de loi pour avoir pointé du doigt les incongruités des textes internes et de les avoir en sa possession. Un remake du loup et de l’agneau*
Nos hommes politiques ne sont que des défenseurs de leurs intérêts propres d’abord et de ceux de leur camp ensuite. L’intérêt général n’existe pas pour eux. On ne saurait leur demander de sacrifier leur désir quand il menace l’intérêt général. Ils oublient facilement et, on ne leur rappelle pas assez, qu’ils sont plus que ce qu’ils croient être (un député de tel camp, un ministre de tel bord) quand ils pénètrent dans l’Assemblée ou quand ils habitent l’habit de leur ministère. Ils sont des représentants de la Nation, ils sont des ministres de la République et non des simples porteurs de votes ou des ministres de Benno.
Tant que l’ignorance de l’importance de l’intérêt général et l’invocation des avantages pratiques au détriment des principes (comme ces dossiers sous le coude) perdureront nous resterons encalminés dans les profondeurs du sous développement.
C’est cette mentalité dévoyée qui explique qu’on embastille des journalistes, qu’on équipe en matériels de répression les forces de l’ordre au lieu de jouer la transparence dans les contrats et de donner du pain au peuple.
Pour la transparence des contrats, il suffit de les publier sur un site accessible à tous.
Pour soulager les pauvres il ne suffit hélas pas de publier une liste de produits avec des rabais sur les prix de -20%. Voilà une mesure de bureaucrate dans toute sa splendeur ! Prendre des mesures qui ne les affectent pas. Personne n’y croit, car pour qu’une telle pratique soit effective, il faut la participation active de nombreux acteurs qui n’y ont aucun intérêt. Ils ne joueront pas le jeu. Prenez plutôt des mesures qui dépendent de vous : supprimez le HCTT ; réduisez le nombre de vos ministres et les postes politiques qui ne servent à rien ; vendez au juste prix vos terres et bâtiments qui ne servent à rien ; réduisez le train de vie de l’État. Vous serez surpris de l’efficacité de ces mesures. Elles demandent juste un peu de courage mais c’est comme cela que vous soulagerez les pauvres !
Dr Tidiane Sow est coach en Communication politique
Notes :
Robespierre : Avocat et homme politique français
Le loup et l’agneau : fable de la Fontaine
par Jean-Baptiste Placca
COP 27, UNE PAROLE AFRICAINE POUR PESER
Combien d'humiliations encore faut-il donc à l’Afrique, aux dirigeants, pour comprendre enfin que leurs revendications pèseraient d’un poids plus consistant, s’ils apparaissaient dans ce type de conférences unis ?
« Soit nous sauvons la planète, soit elle disparaît avec nous ! », a prévenu Macky Sall, chef de l’État sénégalais et président en exercice de l’Union Africaine, à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques. À Charm-el-Cheikh, la plupart des chefs d’État africains se sont exprimés. Le Centrafricain a même parlé de crimes « commis par d’autres », pour lesquels l’Afrique ne devrait pas continuer à payer. Ne doit-on pas convenir que l’Afrique a su se faire entendre à cette COP 27 ?
Au-delà de ces fulgurances, ce qui se joue dans cette cité balnéaire égyptienne révèle la cruauté des rapports que les nations riches entretiennent avec les plus démunis sur cette planète. Et puisqu’au regard de certaines blessures infligées à l’univers, il semble déjà trop tard, les riches demandent aux pauvres, qui n’ont jamais connu que la faim, de continuer à se serrer la ceinture, en renonçant aux méthodes par lesquelles ils ont, eux-mêmes, pu croître, en abîmant la planète. En contrepartie de cette assignation à l’indigence, les riches pollueurs avaient promis, en 2009, une enveloppe de 100 milliards de dollars par an aux pauvres, qui ne sont pour presque rien dans les dégâts causés à la planète. Treize ans plus tard, le compte n’y est toujours pas, alors que l’on estime à 85 milliards par an les besoins de la seule Afrique, pour commencer à se développer de manière moins dévastatrice pour la nature. À présent, ce qui avait été, un temps, présenté comme un don, est en passe de devenir un prêt, qui transiterait par la Banque mondiale. Tout cela est épuisant de cynisme.
Faut-il donc comprendre que les discours virulents de certains chefs d’État à la tribune sont justifiés ?
Le fond du débat, ici, porte sur la responsabilité, pas sur la solidarité ou une quelconque générosité. Vouloir assigner certains peuples à l’indigence, tout en continuant, soi, d’accumuler, au nom du statut inattaquable de pays riches… Oui, le Centrafricain n’a pas vraiment eu tort d’assimiler à des crimes les blessures infligées à la nature, puisqu’elles ont pour conséquence de mettre en danger l’humanité toute entière. Il n’est point indispensable d’être un humaniste incurable pour comprendre l’immoralité qu’il y a à tenter de convaincre les moins favorisés de vivre pour toujours dans l’incertitude. L’indignation des chefs d’État africains peut donc se comprendre, comme peuvent se comprendre leurs cris de colère.