"PRÉSIDENTIELLES" ACCORDÉ VRAIMENT AU FÉMININ PLURIEL ?
À la veille du 24 février, la Fondation Heinrich Böll et son partenaire EJICOM s’interrogent sur la situation politique des femmes au Sénégal et surtout sur leurs candidatures à la présidence - Pourquoi y-a-t-il aucune femme parmi les candidats ?
L’élection présidentielle sénégalaise du 24 Février 2019 sera la onzième depuis l’indépendance en 1960 et aucune des trois femmes candidates initialement en lice, n’a finalement été acceptée par le Conseil Constitutionnel suite au « parrainage » (1).
Au vu de cette situation, nous avons souhaité cerner la perception des populations sur les candidatures féminines au Sénégal. Un détour dans l’histoire et des entrevues avec des personnalités politiques d’aujourd’hui et un micro-trottoir nous permet d’en savoir un peu plus sur ce que l’opinion publique sénégalaise pense de la question.
Femmes et politique, histoire au Sénégal
« La politique constitue-t-elle le dernier rempart de la virilité ? La politique serait-elle une pratique masculine qui renvoie à un imaginaire masculin ? » Seynabou Ndiaye Sylla, 2001 (2)
Depuis les sociétés traditionnelles, la politique était un domaine presque exclusivement masculin et s’exprimait en termes d’autorité, de contrôle et de domination. Cependant, les femmes ont toujours été présentes dans l’espace politique, malgré sa domination de fait ou institutionnalisée par les hommes.
La période pré coloniale sénégalaise a été marquée par des femmes exceptionnelles devenues de grandes actrices politiques. C’est le cas de Yassine Boubou, huitième Damel (3) du Cayor, un royaume pré-colonial situé à l'ouest du Sénégal actuel, qui à travers ses exploits politiques répertoriés entre 1673 et 1677, incarne aujourd’hui le djom (courage) dans les légendes populaires. On peut aussi citer les reines Ndatte Yalla (1810-1860) et Djembeut Mbodj (1800-1846) du Waalo (4), etc.
Durant la période coloniale, les femmes jouèrent un rôle important dans les campagnes pour l’élection de leur Parent utérin (5). « Ce sont les femmes qui élisent »(6). Lamine Guèye (premier avocat noir de l’Afrique Occidentale Française et premier président de l’Assemblée nationale du Sénégal indépendant) a su très tôt profiter du poids électoral des femmes et de leur engagement politique, pour avoir été élu dès 1925 premier maire noir de Saint-Louis du Sénégal.
Le pouvoir « des hommes qui décident » se fonde sur le suffrage des femmes qui constituent les bases naturelles des partis politiques où elles reproduisent la configuration de leurs réseaux de regroupement traditionnel (7).
Lors de la Présidentielle de février-mars 2000, le Sénégal enregistrait avec Marième Wane Ly, Secrétaire générale du Parti pour la Renaissance Africaine (PARENA), la première candidature féminine de son histoire qui se retirera finalement de la course.
En 2012, la styliste Diouma Diakhaté et le Professeur Amsatou Sow Sidibé étaient les seules femmes candidates à l’élection présidentielle. Cette rentrée politique fut également marquée par l’instauration de la loi de la parité en 2010 garantissant aux femmes 50% des postes dans les instances de prise de décision électives et semi-électives (le parlement actuel comprend 43% de députés féminins).
En 2019, les trois femmes candidates à l’élection présidentielle sont toutes recalées. Ainsi, les femmes qui pourtant sont majoritaires sur le fichier électoral n’ont pu avoir aucune de leurs consœurs sur la ligne de départ pour ces élections à venir.
Les principales difficultés rencontrées par les femmes dans la sphère politique
La principale difficulté reste la masculinisation de l’espace politique sénégalais, et la répartition sexée des espaces (public et privé) rend l’implication politique des femmes encore plus difficile.
« La politique, telle que je la vis, est déjà difficile et quand c’est une femme c’est encore plus difficile. Parce qu’habituellement, c’est la sphère privée qui nous est affectée (…). A la maison, on fait des enfants, on s’occupe des enfants, on s’occupe de la maison, on s’occupe de tout le monde, etc. Quand nous allons dans la sphère publique affectée aux hommes, ça devient une bousculade car les hommes sont déjà là, et ont déjà campé, ont déjà leur pouvoir ». Professeure Amsatou Sow Sidibé, Candidate recalée à l’élection présidentielle 2019 (8)
Cet état de fait, perdure en raison des représentations que la communauté elle-même a de la place des femmes. Chacun des deux sexes s’y inscrit dans un ordre préétabli qui détermine toute l’organisation sociale, sans réelle possibilité de remise en question.
Le système patriarcal sur lequel repose la structure familiale, donc sociale, est un frein à la responsabilité citoyenne des femmes qui n’arrivent pas à participer de manière égalitaire à la construction et au développement socioéconomique de leurs pays (9). Ainsi, certaines femmes perpétuent les inégalités. « Ce sont les femmes elles-mêmes qui refusent la promotion de la femme, du leadership féminin. » selon Amsatou Sow Sidibé.
A cela, s’ajoute le manque de moyens financiers. Selon Amsatou Sow Sidibé, « l’activité politique est synonyme de moyens financiers. C’est de l’argent et il faut une discrimination positive pour les femmes comme stipulé dans l’article 4 de la convention des Nations Unies sur les discriminations à l’Egard des Femmes (CEDEF) … ».
Comment sont perçues les femmes en politique au Sénégal ?
Selon une citoyenne sénégalaise interrogée, en politique les femmes brillent un peu par leur absence par rapport aux hommes qui sont majoritaires.
La femme sénégalaise continue de subir l’autorité et la domination mâles dans la sphère privée ou politique. Ce constat est partagé par Ndèye Gueye Cissé (10), actuellement vice-présidente du conseil départemental de Kébémer au Nord du Sénégal :
« (…) nous sommes dans un pays où l’autorité de la femme, bien qu’on ait eu des femmes qui ont eu beaucoup d’autorités, n’est pas encore vraiment acceptée. (…) Rares sont les partis politiques dans lesquels elles occupent des postes ou bien ont des responsabilités leur permettant de se faire reconnaître et de pouvoir rendre la main à d’autres femmes de valeur. »
En dépit de leur motivation et de leur engagement, elles sont contraintes par l’organisation même de leur parti politique. Elles priorisent toujours leur leader politique et leur parti, freinant parfois l’évolution même du combat des femmes.
Construire une dynamique qui transcende les organisations politiques, devient dès lors primordial pour y rehausser le statut de la femme et régler la problématique de leur leadership. Malgré un contexte qui a beaucoup évolué, avec « (…) une égalité au niveau des formations, des diplômes et même du cursus politique (...) » elles attendent toujours d’être coachées par un homme. Ce qui démontre que les femmes, pour la plupart, n’ont pas conscience de leurs valeurs et n’ont pas confiance en elles.
Les raisons de l’élimination des femmes candidates via le parrainage lors des élections présidentielles de 2019
D’emblée, il est important de préciser que la loi sur le parrainage est une loi qui limite ceux ou celles qui n’ont pas assez de moyens financiers pour sillonner tout le territoire national. Comme en atteste Rokhiatou Gassama, Présidente Nationale du Conseil Sénégalais des Femmes (COSEF) et observatrice au Conseil Constitutionnel : «Le parrainage (…) élimine tout candidat n’ayant pas respecté les critères de validation des candidatures. (…) si vous n’avez pas les moyens d’aller récolter des voix sur le terrain et payer les collecteurs, parce qu’il faut penser les payer et s’assurer de la validité des signatures et ce, sans doublons. C’est ce qui a été la cause de beaucoup de rejets. »
Selon elle, il est important que les femmes discutent des modalités d’accompagnement de leurs consœurs en campagne. Sur le parrainage, elle ajoute : « (…) Les femmes doivent se préparer davantage pour les élections. Et je pense qu’à ce niveau-là, le premier problème est que les femmes n’ont pas su s’approprier la loi et essayer de coaliser avec les organisations de femmes autour d’elles».
Le Sénégal est-il prêt à avoir une femme comme Président?
La population sénégalaise est sociologiquement habituée à voir les hommes au-devant des instances dirigeantes comme l’exprime ce citoyen interviewé par EJICOM - école de journalisme et partenaire de la Fondation Heinrich Böll: « Dans la culture sénégalaise, les femmes n’ont pas cette place de leader, de dirigeante, que ce soit dans la famille ou dans les milieux professionnels ».
A l’élection présidentielle du 26 février 2012 - qui a vu, pour la première dans l’histoire du Sénégal indépendant, des candidatures féminines - les seules deux femmes sur les 14 candidats, n’ont récolté que 0,31% des suffrages valablement exprimés (11). A ce niveau, l’obstacle majeur reste culturel.
Suggestions pour plus de femmes candidates dans l’espace politique sénégalais
Les mentalités et les instances de socialisation (la famille, l’école et les médias) qui ont un rôle capital à jouer, doivent être préparées. Pour inverser la donne, nous avons besoin de plus d’images favorisant l’implication des femmes à des postes dirigeants ou de responsabilité, dans les manuels scolaires, les programmes télévisés, etc.
Aujourd’hui, les résistances socioculturelles font que sur 552 maires au Sénégal, seules 13 sont des femmes (12). Les femmes doivent donc s’organiser en un groupe de pression sur l’autorité et les décideurs pour aboutir à davantage de représentation dans les instances décisionnelles au sein des partis politiques. A ce jour, le fonctionnement des partis politiques ne favorise pas une représentation de qualité des femmes et un changement à ce niveau est primordial.
Il faut promouvoir le leadership féminin au sein des organisations politiques par la formation et conscientiser les femmes en leur capacité de mobilisation. Cela contribuera à davantage développer leur confiance en elles et à une meilleure cohésion entre elles pour une meilleure représentativité au sein des instances politiques.
Et enfin, il est urgent de trouver des mesures pour accompagner les femmes dans l’accès au financement. Cela les encouragera à mettre en place des listes afin de dérouler leur vision et programme.
Conclusion
La participation politique des femmes reste encore le maillon faible de la gouvernance démocratique au Sénégal. Il existe toujours un décalage entre la position officielle, qui se dit en faveur de l'égalité des sexes, et le traitement qui est accordé à cette question dans les faits (13).
Le processus de déconstruction des mentalités est en cours. Avec la loi sur la parité, les femmes sont maintenant plus motivées et aspirent à plus de responsabilités. Elles se renforcent de plus en plus au niveau de leur localité, et dirigent aujourd’hui à l’Assemblée nationale, des réseaux parlementaires qui prennent en charge des questions qui intéressent les populations (éducation, santé, accès à l’eau, etc.).
Elles se sont aussi engagées pour obtenir la réforme du Code de la Nationalité (2013), une loi autorisant la femme sénégalaise a donné sa nationalité à son époux et à ses enfants.
Toutefois, malgré l’existence d’un terrain parsemé d’embûches, quelques citoyens restent optimistes sur l’existence d’une femme à la tête de la magistrature suprême. Comme la jeune femme interviewée par EJICOM qui répond à la question s’il y aura une femme à la tête du Sénégal, « Oui, pourquoi pas moi ?! »
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- L'élection présidentielle de février 2019 au Sénégal marquera l’introduction, dans la loi électorale, d’un nouveau critère de validation des candidatures. Concrètement, pour être candidat/e, il faut être en mesure de réunir le parrainage de 0,8% du corps électoral, c'est à dire de 52 000 personnes, réparties dans au moins sept régions différentes du pays.
- Seynabou Ndiaye Sylla, 2001, Femmes et Politiques au Sénégal : contribution à la réflexion sur la participation des femmes sénégalaises à la vie politique de 1945 à 2001, Mémoire de DEA, Année universitaire 1999-2001, Paris 1, Sorbonne.
- C’est un mot wolof (langue nationale) donné aux souverains du Cayor – un royaume historique situé à l'ouest de l'actuel Sénégal.
- Le Waalo est une région historique du Sénégal, centrée sur le delta du fleuve Sénégal, dans le nord-ouest du pays, autour de la ville de Saint-Louis.
- Les consanguins ne sont parents que du côté du père, les utérins, que du côté de la mère
- Aminata Diaw et Aminata Touré, 1999, Femme, Ethique et Politique, Friedrich Ebert Stiftung, https://library.fes.de/fulltext/bueros/senegal/00263002.htm, consulté le 05/02/2019.
- ibid.
- Universitaire et une femme politique sénégalaise, Amsatou Sow Sidibé est la première femme sénégalaise agrégée en sciences juridiques et politiques. Membre actif de la société civile pendant plusieurs années, c'est en 2010 qu'elle fait véritablement son entrée en politique en créant son propre parti Mouvement Citoyen Convergence des acteurs pour la Défense des Valeurs Républicaines (Mouvement Citoyen CAR LENEEN - Rupture). Elle fut la première femme candidate à l’élection présidentielle de l’histoire du Sénégal en 2012.
- MBAYE (Bineta Ndiaye), 2011, L’intégration des Technologies de l’Information et de la Communication dans les programmes d’alphabétisation des femmes au Sénégal : Mythe ou réalité, Université Genève,http://tecfa.unige.ch/tecfa/maltt/memoire/ndiaye_2011.pdf, consulté le 27/01/2019.
- Ndèye Gueye Cissé est responsable politique du PDS (parti libéral) et ancienne députée de la 11ième législature (2007-2012), Rokhiatou Gassama, membre de la société civile, présidente nationale du Conseil Sénégalais des Femmes (COSEF) et observatrice au Conseil Constitutionnel d’une observatrice.
- DIALLO (Ibrahima), Quêtes et conquêtes de femmes, publié le 08/03/2013, https://www.seneplus.com/article/qu%c3%aates-et-conqu%c3%aates-de-femmes, consulté le 06/02/2019.
- Rapport sur la mise en œuvre de la loi sur la parité au Sénégal, 2016, Observatoire National de la Parité (ONP).
- El BEBLAWI (Dina), 2015, Révolution et luttes des femmes : la dépolitisation du genre dans le discours de la gauche radicale égyptienne, université de Montréal, https://archipel.uqam.ca/8117/1/M14080.pdf, consulté le 26/01/2019.