«Il LUI DIT DE PRENDRE LE BATEAU POUR RALLIER DAKAR»
Quand Habib Thiam sauvait Abdou Diouf d’un crash d’avion
L’ancien premier ministre Habib Thiam, décédé lundi, était très lié à Abdou Diouf et a influencé le destin de celui qui a dirigé le Sénégal pendant dix-neuf ans. Il a sauvé la vie à celui qui sera dans la vie, son plus fidèle et ami intime.
Nous sommes le 29 août 1960, Diouf et Thiam sont sur les bancs de l’Ecole nationale de la France d’Outre-mer (Enfom). Diouf doit revenir au Sénégal à la fin de ses études et prend le billet d’avion.
Habib Thiam lui conseille de renoncer par simple intuition au vol du jour qui devait rallier Dakar et le supplie de prendre le bateau. Diouf finit par céder et va prendre la mer. L’appareil décolle et à son approche de Dakar, l’avion tombe dans les eaux de l’océan Atlantique avec à son bord un illustre poète, David Diop. Aucun survivant…
Depuis ce jour, les deux hommes croient dur comme fer qu’ils sont liés par Dieu et le destin. «Abdou Diouf et Habib Thiam étaient persuadés qu’ils sont liés par quelque chose de divin. L’ancien président aimait
raconter qu’il doit la vie à Habib Thiam. Ce sont deux hommes qui pensaient ensemble et qui agissaient ensemble ». Cet ami, devenu président de la République, fera de lui, deux fois premier ministre. Au lendemain de l’arrivée au pouvoir de Diouf, le 1er janvier 1981, Thiam est nommé premier ministre, succédant à son «jumeau ».
Au lendemain de sa nomination, le journal Le Monde, écrivait : « Âgé de quarante-sept ans, M. Habib Thiam a acquis une expérience qui devrait être très utile au nouveau président. Longtemps ministre du développement rural, il est bien armé pour faire face à la crise très profonde que traverse le paysannat sénégalais.
Député depuis 1973 et président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale depuis trois ans, il est rompu aux débats parlementaires. Ayant longtemps séjourné en France, chargé depuis 1977 des relations de sa formation politique avec les » partis frères » étrangers, il s’est constitué un solide réseau de relations sur la scène internationale. Enfin, spécialiste des problèmes de communication, il sera à même d’entretenir avec la presse, dont le rôle est important à Dakar, des relations satisfaisantes ».
Mais dans les mêmes colonnes on entrevoyait le conflit qui allait naître avec Jean Collin, nommé le même jour. «Diouf a nommé secrétaire général à la présidence de la République, M. Jean
Collin, qui aura titre et prérogatives de ministre d’État. M. Collin, ancien ministre de l’intérieur, est d’origine française ». Collin était désigné comme un homme puissant et ses relations avec Habib Thiam ne seront jamais des meilleures.
«Habib Thiam n’a jamais accepté l’autorité de Jean Collin. Ils ont été nommés le même jour, mais les deux hommes n’ont jamais été d’accord ».
Cette friction entre ses deux collaborateurs fera que Diouf, sous la pression des Senghoristes, va supprimer le poste de premier ministre et nomme comme intérimaire, un jeune loup nommé Moustapha Niasse, juste le temps de préparer les aménagements légaux pour la disparition de ce titre dans l’architecture de l’Etat.
«Abdou Diouf voulait supprimer le poste car son premier ministre ne s’entendait pas avec Jean Collin et ce dernier a manœuvré ». Les relations entre les deux amis vont en pâtir un peu. « Il y a eu un coup de froid après son départ mais les deux hommes vont s’expliquer et se comprendre ».
Sorti du gouvernement, il rejoint l’Assemblée nationale où il remplace un certain Amadou Cissé Dia, entre 1983 et 1984. «Il ne va pas y rester qu’une année et sera remplacé par Daouda Sow. Son départ est également l’œuvre des caciques du Parti socialiste que cet ami du Président dérangeait ».
Puis ce sera une sorte de retrait de la vie publique. Il se lance ainsi dans les affaires et monte avec des danois Maersk Line et la Socas, une célèbre usine de tomates, aujourd’hui disparue, au niveau
de la vallée. «Quand il s’est retiré de la vie publique, il a compris qu’il devait avoir ses propres affaires, c’est pourquoi il s’est lancé dans la vie de l’entreprise ». L’histoire raconte qu’il n’avait même pas de maison.
«C’est Ndiouga Kébé qui lui avait prêté un appartement à l’immeuble Kébé ». Un de ses défunts neveux, Mayoro Wade, va lui construire, sous forme de prêt, son actuelle demeure. «Il lui dira, tonton, tu me paieras quand tu pourras ». «Habib Thiam était un homme intègre, malgré son passage dans le pouvoir, il ne s’est jamais enrichi. Il fait partie des hommes politiques qui n’ont pas accumulé un patrimoine dans l’exercice du pouvoir ».
Il a tenté de gagner de l’argent dans le privé. «Il était le président du Conseil d’administration de Maersk Line. Il a revendu ses actions et cet argent lui a permis de passer plus tard une paisible retraite».
Il redeviendra premier ministre en 1991 à l’appel de son ami, Abdou Diouf. A la faveur du gouvernement d’union nationale qui consacre l’entrée d’Abdoulaye Wade au sein de l’exécutif. Il y restera pendant sept ans, avant que les partisans à Ousmane Tanor Dieng, homme fort de l’époque, manœuvrent pour l’écarter.
«Abdou Diouf l’avait reçu dans la journée pour lui confirmer qu’il va rester comme premier ministre, mais dans la soirée, les caciques du Parti vont manœuvrer pour lui faire savoir au Chef de l’Etat, les yeux dans les yeux, qu’ils n’accepteront pas la reconduction de son ami. Diouf, énervé, dira à Ousmane Tanor Dieng : « faites ce que vous voulez » avant de mettre fin à la séance ».
Ousmane Tanor Dieng sortira de son chapeau Mamadou Lamine Loum. Le lendemain, peiné par le départ de son compagnon, Diouf l’appelle au téléphone et vient dormir chez lui à Fann Mermoz. « Les
deux amis se sont encore expliqués et se sont vite compris ».
Ces dernières années, Thiam passait une bonne partie de l’année au Danemark d’où est originaire sa seconde épouse. Quotidiennement, il parlait au téléphone à son ami de toujours et ne cessait de demander des nouvelles d’Elisabeth, une femme que Diouf a connue alors que cette dernière était la secrétaire de son ami Habib Thiam.
«C’était un
autre signe du destin qui unissait ces deux hommes ». Leur relation a été tellement forte qu’un des enfants de Diouf porte le nomme Habib et vice versa. «Un des fils de Habib Thiam s’appelle Abdou Thiam, un grand champion des sports mécaniques ». Une relation de destinées, qui a débouché sur une union des deux familles.
Peiné par la disparition de son ami, Abdou Diouf a décidé de rallier Dakar dès ce mercredi. «Ceux qui lui ont parlé dans la journée décrive un homme abattu par la perte d’un plus que frère ».